Il n'y avait aucune porte dans la chambre blanche où était enfermée Zara. Comment allait-elle faire pour sortir? Son esprit pragmatique lui soufflait de tenter de passer par une des fenêtres, seulement, elles étaient très hautes.
Pour la première fois, elle sortit de son lit.Ses jambes étaient douloureuses et elle peinait à marcher, néanmoins, elle réussit à pousser le lit devant les fenêtres, de façon à ce qu'elle l'utilise comme tremplin. Une fois sur le lit, elle prit une impulsion malgré ses muscles affaiblis et put s'accrocher à l'ouverture du mur d'une des fenêtres. Seulement, elle s'aperçut que celle-ci ne comportait aucune poignée...
Elle frappa dedans avec rage, mais le verre ne se céda pas, il demeurait intact.
Il n'y avait aucune issue.
Elle repensa aux paroles de cette étrange femme.
"oublie ton environnement, il ne t'apportera aucune réponse"
Devait-elle prendre ces indications au pied de la lettre et “oublier” la chambre?
Elle prit une grande inspiration, et ferma les yeux pour tenter de faire le vide dans sa tête.
Quand elle les rouvrit, la femme aux tentacules se trouvait devant elle, au beau milieu d'une prairie d'hautes herbes turquoises. En contrebas, au loin, on distinguait un village à la fois aux allures médiévales et modernes. Derrière la femme, quelques saules pleureurs aux longues feuilles violettes dansaient au gré du vent.
"Bienvenue à Ednom ma chérie !
-Que...que signifie tout ça?
-Allons, relève toi, nous allons tout t'expliquer. Moi, je suis Killykky, mais on m'accorde ici le titre honorable de Dame Kill.
- ..."
Zara se releva avec difficulté et attendit une indication de la part de Dame Kill, n'arrivant pas à formuler la moindre question, bouche bée. Voyant sa mine défaite, cette dernière partit dans un rire exubérant.
Une fois sa crise euphorique calmée, Killykky agita ses tentacules devant elle.
"Voici mon humble manoir, anciennement habité par des ducs absurdes. Suis-moi"
Ce manoir ne ressemblait à rien de ce qu'avait pu voir Mona dans sa vie auparavant. Les meurtrières semblaient vous observer, les créneaux sur le toit paraissaient faits de dentelle, le moderne et le gothique se fondaient en ce bâtis.
Ce qu'il arrivait à Zara était incompréhensible. Elle devait rêver, oui sûrement.
" Pour que tu comprennes, il faut revenir à la création de tout. À la fondation des lois de l'univers.
Il y avait, a des milliards d'années d'ici, une petite planète rouge qui gravitait en solitaire dans ce que vous appelez l'espace. Sur celle-ci, deux jumeaux, Forbannet et Béke, devaient suivre le projet un peu fou de leurs parents, celui de créer un monde parfait, ou du moins, selon leurs idéaux.
Forbannet et Béke, mis en compétition, durent chacun créer leur monde. Forbannet créa votre monde, et Béke le nôtre, Ednom.
Tel est la légende qui prospère ici. Ce qui est sûr, c'est que ces deux mondes prospèrent en parallèle l'un de l'autre depuis bien longtemps. Bien sûr, aucun de vous n'a jusqu'ici découvert nos terres. Nous, en revanche oui, et nous avons pris le parti pris de taire notre existence. C'est bien mieux ainsi pour de nombreuses raisons; nous avons pu observer dans vos sociétés de nombreuses vies meurtries par la quête de pouvoir d'autres.
Alors, nous sommes devenus dans la plus grande discrétion votre deuxième chance.
Tous les disparus de votre monde vivent en réalité ici, nous les accompagnons à travers des portails permettant de passer d'un monde à l'autre.
C'est mon travail. Je t'ai tuée Zara, ton existence dans le Monde est terminée.Une nouvelle commence ici."
La tournure des événements devenait de plus en plus improbable.
Zara était assise dans un grand salon bleu, parmi d'innombrables sièges en damiers blancs et noirs, formant une vue hypnotisante. Au plafond, des fresques semblaient dater de l'antiquité. Devant elle, une femme avec des tentacules lui racontait une histoire digne des Animaux fantastiques, aux côtés d'un homme silencieux vêtu d'une longue robe rouge.
L'homme semblait attendre son tour pour parler, et Dame Kill attendait que Zara réagisse. Seulement, elle ne savait que répondre, étant toujours convaincue de rêver.
Peut-être fallait-il faire semblant ? Jouer le jeu le temps le temps d'un rêve, qu'est-ce que ça lui coûtait après tout ?
Mais, suivant la logique de cette Dame Kill, une question lui brûlait les lèvres, alors même que la réponse s’inscrivait en elle.
"C'est incroyable...Mais pourquoi moi ?
Alors l'homme prit la parole.
- Nous avons fait des recherches sur vous, Killykky vous a observée dans votre quotidien afin d'être sûre de voler votre vie. Nous choisissons ceux dont l'existence dans le Monde prend un mauvais tour. Tu savais très bien au fond, pourquoi toi.
Son regard noir pétillait d'intelligence, et déstabilisait Zara.
- ...
- Il y avait un grand risque que tu mettes fin à tes jours. Nous t'avons épargné le néant pour t'offrir une vie meilleure.
-Comment... pouvez vous savoir ce que je pense ?
- Nous ne pouvons connaître les pensées des autres. Ce ne sont que des déductions établies à partir de tes comportements. Mais c'est la réalité n'est-ce pas ?
Le visage de Zara se crispa. D’où venait cet enfoiré ?
Dame Kill émit un petit rire cynique devant cette première confrontation.
- Bon, et bien je te présente Maître Ioma, qui va t'accompagner durant tout ton transfert. Ça promet !
- Enchanté mademoiselle."
À la suite de cette discussion qui lui paraissait à jamais inachevée, on lui annonça qu'elle resterait quelque temps dans ce manoir, durant tout le long de la procédure d'insertion.
Dame Kill lui présenta Ruth, qu'elle présentait comme sa nièce. Celle-ci lui fut chargée de lui faire visiter le manoir.
Bien que Ruth tentait d'être la plus claire possible, l'esprit embrumé de Zara n'enregistrait rien et elle sentait qu'elle se perdrait vite dans ces dédales de couloirs sans fin. Les escaliers en colimaçon lui donnaient le tournis si bien qu'une fois arrivée dans la chambre qu'on lui avait attribuée, elle s'effondra dans le lit à baldaquin sans prendre la peine de l'observer.
*****
Un grand bâtiment semblable à une cathédrale, pourtant bien plus large, se tenait droit devant elle.
"Bienvenue au palais de réinsertion !"
Killikky tendait vers le haut ces tentacules, plus heureuse que jamais.
Quelque temps auparavant, après un long sommeil, Zara avait dû écouter les longues explications de Dame Kill.
"Comme je te l'ai expliqué, c'est Maître Ioma qui va t'aider à t'adapter dans ce monde. Nous devons d'abord aller au palais de réinsertion, pour déclarer ton existence ici, et régler d'autres détails futiles. Il nous rejoindra là-bas."
Elles gravirent de fines marches permettant d'accéder à une lourde porte dorée.
Deux gardes en uniforme noir et blanc se tenaient devant celle-ci.L'un deux les salua.
"Bonjour Dame Kill .
Mademoiselle...
Il lui adressa un sourire malicieux.
- Bonjour Tith.C'est une nouvelle.
- Je vous en prie."
Alors il poussa la porte et les deux femmes entrèrent dans un intérieur somptueux.
Les voûtes au plafond hypnotisaient les regards si bien qu'on prêtait souvent peu d'attention à l'endroit où Dame Kill menait ses invités.
Une porte en bois, encore.
Zara fut sortie de son admiration par une voix rauque.
"Et bien, entre je t'en prie...
Un jeune homme aux locks noires se tenait droit sur une chaise de travers, au fond de la pièce.
Un homme qui archivait chaque passage dans ce monde.
Seulement, sa voix était monotone, semblable à mille autres, et ennuyait vite.
"Donc, je récapitule, tu es Zara Madouke, née à Toulouse, en France.
Raison du décès ?
- ...
Dame Kill répondit à sa place.
-Pensées suicidaires.
- Aversions particulières ? Particularités ?
- Tendances violentes à peu près maîtrisées. Besoin constant de fuir la réalité.
- Bien. Votre assistant de transfert vous attend dans la salle d'à côté. "
En partant, Zara pu tout de même déceler une pointe de tristesse dans son regard, un détachement singulier; elle le chassa cependant bien vite de son esprit.