Bon sang quelle heure est-il?!"
Killykky, une grande femme vêtue de noir de la tête aux pieds, des tentacules pendant de ses bras, s'agitait dans son petit bureau luxueux. Elle cherchait frénétiquement une petite montre à gousset dorée parmis les innombrables papiers juchant son bureau. Elle ne portait aucune attention aux portraits à l'huile d'hommes et de femmes aux allures étranges qui frémissaient sous ses yeux. Particulièrement, une femme aux cheveux faits de lumières blanches semblait s'avancer vers elle pour lui parler. Dans le cadre d'à côté, un homme avec un chapeau haut de forme qui redescendait sur ses épaules en cascade noire l'observait faire en riant.
Enfin, elle trouva la montre. Les deux aiguilles fines de métal progressaient lentement d’un trait à l’autre.
"Mince, dépêchons...
- Killie?
Dame Kill reconnu de suite cette voix chaleureuse et pleine de tendresse.
- Oui Belen?
- Fais attention à toi.
- Qu'est-ce que tu veux qu'il m'arrive? C'est mon travail. Il faut simplement que j'arrive à temps...
- Je veux dire... Oh et puis non. Vas-y. Mais prends garde, c'est tout."
Killykky ne chercha pas à en savoir plus, exaspérée que Belen veuille toujours lui faire la morale. Elle prit avec elle un livre à la couverture noire épaisse et partit sans un mot. Alors, elle se mit à arpenter les longs couloirs sinueux de sa demeure. Enfin, elle s'arrêta devant une lourde porte de bois et ouvrit son manuscrit pour déclamer les vers d'une langue inconnue. Puis, elle tourna une petite clée dans la serrure.
Un halo lumineux découpa la porte, et elle traversa le portail.
****
Elle se réveilla dans une pièce entièrement blanche, amorphe, avec pour seul mobilier le lit sur lequel elle était allongée. Elle demeurait seule dans un vaste rien, et ça lui faisait peur.
Comment était-elle arrivée là ? Elle tentait de se rappeler des derniers évènements, en vain. Elle ne savait plus. Mais elle se rendit compte d'une chose pire encore, elle ne savait plus qui elle était. C'était pourtant là, devant elle, elle le sentait, elle ne pouvait juste le saisir.
Des petites fenêtres perçaient faiblement la pièce d'une lumière bleue.
Elle se sentait tellement seule. Mais que veut dire cette phrase, quand on ignore jusqu'à sa propre existence ? Non seulement elle se sentait mal, mais elle ne savait pas pourquoi.
Elle pensait qu'il n'y avait rien de pire que d'être ainsi perdue...
Une femme aux allures macabres fit alors irruption dans la pièce, comme sortie de nulle part.
La jeune fille frisonna et équarquilla les yeux quand elle vit les longues tentacules bleues qui pendaient aux bras de la femme. Celle-ci, du noir de la tête aux pieds et un fin sourire moqueur aux lèvres, lui annonça calmement:
" Bonjour Zara. Tu dois te poser beaucoup de questions. Mais pour l'instant, oublie ton environnement, il ne t'apportera aucune réponse. Tu n'as pas besoin de regarder autour de toi, mais en toi.
Zara...Mais oui...
- Jusqu'ici, je ne me souvenais même plus de mon nom.
-Je sais bien ma chère. N'oublie pas tes peurs, ne les contraints pas. Cherches chaque douleur qui te traverses le corps, et acceptes- les. Laisse tes émotions te submerger."
t la femme disparu aussi naturellement qu'elle était venue…
Zara cligna des yeux, mais plus rien. Elle referma ses paupières et se concentra.
Elle avait mal au ventre. Elle sentait des spirales de dégoût se former dans son oesophage. Elle porta sa main à son crâne, brûlant. Un sentiment familier revint alors à elle.
Sur le drap blanc, une tâche rouge s’était élargie.
****
Je suis là dans une chambre haute en couleur, des affiches d'Eminem et de Lauryn Hill aux murs. Gotta Street Parks dans les oreilles, je me perds sur insta par le même temps. Je vois alors une nouvelle notification qui s'affiche. Je clique dessus. C'est un nouveau commentaire sous les photos que je viens de poster de moi et mes meilleures amies, Inès et Alice.
"mdr le squelette, la grosse et la babtou réunies"
Encore un autre.
"T'ens a pas marre de faire ta salope comme ça, en toutes circonstances Mona? ptdr tu fais pitié"
Puis un autre...
Inutile de regarder, ce sont les mêmes conneries. Je lance mon téléphone à travers la pièce, comme si il était responsable de toute cette haine. Pourtant, ces critiques, je les ressentais déjà sans Instagram. Elles sont partout. Dans le bus. Dans le tramway. Au collège. A l'épicerie du coin. On est tout le temps jugé, analysé, mais pour quelles raisons ? On m'a toujours dit de la fermer, mais moi je veux hurler, hurler…
Sans arrêt une voix me trotte dans la tête. Elle me rappelle mes malheurs en même temps que je ris. Elle me glisse à l’oreille comment Joe risque de finir sa vie, si il continue de consommer comme ça, alors qu’il me passe son briquet. Elle me sussure comment ma mère raclait les miettes du paquet de céréales il y a peu de temps, alors qu’elle dépose sur la table les plats de son amant. Elle me confies dans mes doutes tandis que je tremble devant ma copie blanche. Elle survient pour me hurler d’être meilleure quand je tombe sous les coups d’un adversaire. Elle me rappelle que je ne suis pas à ma place, quand je gravis les marches de l’escalier en marbre, les marches en pvc du bus, les marches en bois de mon appartement.
Regards fuyants, regards perçants, regards de pixels et d’algorithmes corrompus, m’engouffrent encore dans une spirale de remords.
Je suis là mais je ne sais même pas pourquoi.
Zara reprit alors conscience dans un soubresaut. Des parcelles de sa vie revenait peu à peu sans aucune cohérence. Elle essayait de se remémorer ses derniers souvenirs...
Et tout fut plus clair. Les visages et les lieux tourbillonnaient sans arrêt dans son esprit depuis son réveil, mais enfin elle se rappela de tout.
Les événements qui s’enchaînent, les mauvaises notes, le cours de boxe, sa fuite, la forêt, ses souvenirs et sa lassitude omniprésente, encore et encore…
Elle dormait il y a peu, sur la pelouse verte d’un parc de Paris.