4 - La dispute

Notes de l’auteur : ~ Premier Jet ~

Merci de lire SiHenne <3

Dans deux jours, je passe mon scanner comme promis, Julia n'a rien dit à Henne. L'écart entre mon mari et moi se creuse de jour en jour, il me manque et lorsque j'essaie d'aller vers lui, il se ferme et se braque. Piquée au vif, j'en fais de même et notre union s'enlise dans un cercle vicieux qui court à notre perte. Ça me fait peur, j'ai peur de le perdre.

Ce matin, je lui ai envoyé un message en lui demandant de rentrer à une heure décente afin que l'on puisse dîner ensemble. Malgré mes fortes douleurs, j'entreprends de lui préparer son repas préféré : Noix de veau et riz pilaf accompagné d'une poêlée de chanterelles et de pois maraîchers. Je passe mon après-midi derrière les fourneaux tout en me reposant du mieux que je peux, d'autant que la réalisation des éclairs tropéziens et de leur sorbet cacao est laborieuse. Je termine la préparation et range la cuisine, puis j'installe une jolie table pour un dîner en amoureux, une fois le tout achevé, je monte me faire belle pour mon mari. Je redescends et attends patiemment qu'il rentre. Je m'allonge sur le canapé avec ma lecture en cours, les mots se suivent, les pages s'enchaînent, l'histoire est prenante, mais mon estomac me rappelle à l'ordre. Un coup d'œil à l'heure m'indique que Henne a deux heures de retard. Je lui téléphone et tombe aussitôt sur la messagerie. J'appelle ses parents et la seule réponse à laquelle j'ai le droit c'est : « Si tu étais une meilleure épouse tu saurais où est ton mari ». Le ton de sa vieille mégère de mère me glace le sang. Je tente de joindre Julia au cas où.

— Julia, à tout hasard, tu n'as pas vu Henne ?

— Si on est chez Lydia, m'informe-t-elle surprise de ma demande. Tu n'étais pas au courant ?

— Non ! réponds-je sentant les larmes me monter aux yeux.

— Pourtant, Henne nous a dit que tu n'étais pas bien et que tu déclinais l'invitation.

Ce qu'elle m'apprend me fait entrer dans une colère noire. Je raccroche au nez de mon amie et essaie de rappeler Henne. À nouveau, la messagerie me répond, je jette mon téléphone contre le mur. La rage, la déception et ce sentiment d'être prise pour une idiote résonnent en moi aussi fort que les battements de mon cœur qui font pulser le sang dans mes tempes. La cuisine subit mes foudres, la vaisselle s'écrase dans un bruit assourdissant au sol, très vite rejointe par la nourriture que j'ai préparée dans l'après-midi.

Je laisse éclater ma douleur par des cris dont je ne me pensais pas capable de pousser, puis quand tout est saccagé, le calme revient presque, puisque ma respiration anarchique comble le silence. Éreintée, et l'âme en peine, je monte me préparer pour la nuit et gagne la chambre d'ami. Il est hors de question que je partage ma couche avec cet homme qui ne semble plus être le mien. En pleure dans mon lit, je réalise vraiment qu'il a menti, qu'il m'a ignoré volontairement et que sais-je d'autre. Mon cœur se brise à la pensée qu'une autre a peut-être pris ma place.

Les minutes s'égrènent, mes paupières se font lourdes, mais le bruit d'un moteur se fait entendre dans la cour. Un instant plus tard, un rugissement s'élève au rez-de-chaussée.

— Sihane !

Monsieur est furieux, mais je n'en ai que faire. Ses pas retentissent dans les escaliers, il se rend dans notre chambre, ne m'y trouvant pas, il se dirige vers celle où je me trouve. La porte s'ouvre dans un fracas, je sursaute malgré le fait que je m'attendais à sa visite et me lève.

— C'est quoi tout ce foutoir ? demande-t-il fou de rage.

Je riposte sur le même ton que lui :

— Ce foutoir, c'est toi qui l'as créée, Henne.

— Je n'ai pas le souvenir d'avoir réduit à néant ma cuisine.

— Bien sûr que non, t'étais trop occupé à te faire caresser dans le sens du poil par ta Ly, réponds-je acerbe.

— La mesquinerie ne te va pas.

— Ce sont tes mensonges qui ne me vont pas.

— Mes mensonges ? s'indigne-t-il. Tu veux peut-être qu'on parle des tiens, et du fait que tu passes ton temps sur ton téléphone avec je ne sais qui ?

— Alors c'est vrai ? Elle te monte bel et bien contre moi ? demandé-je les larmes aux yeux.

La garce a réussi à semer la zizanie dans mon couple alors que je n'ai pas la force de me battre sur deux fronts différents.

— Laisse-la en dehors de tout ça. Le problème c'est toi et ton soi-disant mal de dos.

Son regard est vif et sa colère me transperce de toutes parts. Une immense tristesse s'empare de moi face à la cruauté dont il fait preuve sans en avoir conscience. Une larme solitaire roule sur ma joue. En quatorze ans de couple, nous ne nous sommes jamais disputés de la sorte, et le coup est dur à encaisser.

— Va-t'en, Henne, murmuré-je.

— Tu as raison, retournes à ton smartphone, déclare-t-il méchamment en quittant la pièce.

Je me recouche ébranlée par la situation et une question me brûle les lèvres. Mon mari me trompe-t-il avec Lydia ? Mon cœur se tord sous le poids de la douleur en l'imaginant avec la femme qui me dénigre depuis le tout début. De plus, il l'a défendu, alors qu'il ne l'a jamais fait pour moi. Je suis perdue, mes larmes coulent à torrent et épuisée, je m'endors avec les joues en feu.

Le sommeil agité depuis un moment, je somnole et me redresse d'un coup, une violente nausée surgie m'obligeant à aller dans la salle de bain. J'arrive à temps pour vomir dans les toilettes, je rends le peu que j'ai mangé et une quantité effroyable de bile. Quand ça se calme, je m'assieds contre le mur carreler, son contact froid, sur ma peau bouillante et en sueur, me fait frissonner. Je tente de reprendre une respiration plus posée et me relève. Grossière erreur, j'ai l'impression d'être à bord d'une barque en plein milieu d'un océan fou. J'essaie de m'accrocher au meuble du lavabo, mais je m'effondre en renversant les produits qui se trouvent dessus. Le noir s'installe et je sombre à nouveau.

***

Mes paupières papillonnent pour s'ouvrir sur une lumière tamisée. Je ne reconnais pas l'endroit où je suis. J'essaie de me redresser, mais une douleur me vrille le crâne m'arrachant un gémissement plaintif.

— Sihane ! s'exclame la voix près de moi sur un ton inquiet.

Henne se penche légèrement et me somme de rester allongée, tandis qu'il va prévenir les infirmières. Une femme d'un certain âge fait irruption dans la chambre, son visage est sympathique et inspire la bienveillance. Elle fait ce qu'elle a à faire et m'informe que le docteur Richard passera dans peu de temps. Je fronce les sourcils. Pourquoi mon nouveau médecin viendrait-il me voir ? Constatant ma confusion, elle ajoute :

— Un scanner a été fait pendant votre inconscience. Il vous apportera les résultats dans la nuit.

J'acquiesce paniquée. Henne me regarde et s'approche pour me rassurer, mais tout ce que je veux, c'est qu'il parte, qu'il soit loin d'ici. Je ne veux pas que le docteur m'annonce ce que je redoute devant mon époux, encore moins après notre dispute.

— Sihane, calme-toi. Ça va aller, le médecin va passer et demain dans la matinée nous pourrons rentrer chez nous.

— Rentre maintenant, je peux attendre sans toi, murmurré-je.

— Hors de question que je laisse ma femme seule à l'hôpital.

Je déglutis avec mal et rétorque sèchement :

— Pourtant tu te fichais de ta femme jusqu'ici, alors continue !

Ma réponse et le ton employé le surprennent, mais je m'en moque, il doit partir.

— Chérie, je suis désolé pour ce soir. Je n'aurais pas dû m'emporter. Pardonne-moi, s'il te plaît.

S'il s'excuse de la sorte pour un malaise qu'est-ce que ça sera s'il apprend cette nouvelle qui me fait si peur ? Il se repentira pour tous ces moments passés avec sa pétasse ? Il me collera où que j'aille et quoi que je fasse ? Il sera doux comme un agneau et se pliera à mes quatre volontés pour se faire pardonner ? Par culpabilité ? Par pitié ?

Non, Henne ne doit pas savoir.

— Rentre, je n'attends plus rien de toi, réponds-je platement.

— Sihane, ne m'en veux pas pour ce que je t'ai dit.

— Trop tard ! Tu as bafoué nos années de bonheur en te laissant embobiner par cette vipère. Je ne peux pas passer outre.

Déclarer ses mots me fait mal, mais je n'ai pas le choix et dans mes paroles, il y a un peu de vrai. Je lui en veux d'avoir si peu d'estime pour moi. Je lui en veux qu'il faille que je me retrouve dans un lit d'hôpital pour qu'il me regarde à nouveau.

— Tu souhaites vraiment que je parte ?

— Oui, dis-je simplement.

Les épaules voutées et la tête basse, il capitule et dépose un baiser sur mon front avant de prendre le chemin de la sortie. Hélas ! Le médecin entre à ce moment-là en demandant qui il est.

— Restez ici, Monsieur Bennett. Votre femme va avoir besoin de soutien, déclare ce dernier en me regardant.

Inutile pour lui d'en dire plus, j'ai compris. Ma tumeur n'est pas bénigne, je m'en doutais, je le sentais au plus profond de moi, le cancer m'attaque. Ma vue se trouble et mon liquide lacrymal déborde de mes yeux, il dévale mes joues et s'échoue dans mon cou.

Henne reste immobile à côté du docteur ne comprenant pas ma réaction, ce dernier reprend la parole :

— Madame Bennett, comme vous l'avez assimilé, la tumeur détectée est bien un cancer.

— Pardon ? demande Henne ahuri en s'approchant de moi tandis que je baisse la tête.

— Votre femme est atteinte d'un cancer foudroyant du pancréas.

À l'adjectif employé, je relève les yeux et le médecin poursuit :

— Je vous ai dit que je n'irais pas par quatre chemins et c'est avec le plus grand des regrets que je viens vous annoncer que vos mois sont comptés.

— Combien ? sangloté-je.

— Six. Huit, tout au plus.

Ma respiration se bloque. Mon cœur à nouveau se tord de douleur. Six, il me reste six mois à vivre, mais comment est-ce possible ? Pourquoi moi ? J'avais toute la vie devant moi et cet homme m'annonce que mes jours sont comptés ; que je ne pourrais jamais enfanter ; que mon existence s'achève et que je connais plus ou moins ma date d'échéance.

Ce n'est pas vrai, rien de tout cela n'est réel, il s'agit d'un cauchemar et je vais me réveiller. J'observe la pièce le docteur parle, mais mes oreilles sont sourdes aux bruits qui m'entourent. Il quitte la chambre et d'un coup, deux bras m'enserrent comme un étau et me ramène à la dure réalité. Mes sens reprennent leur fonction, Henne sanglote et je sens ses larmes couler au creux de mon cou. Quant aux miennes, elles se sont taries, je n'y arrive plus, mais les traces qu'elles ont laissées sur mes joues sont semblables à des traînées de lave.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

— Notre relation s'est détériorée, nous nous sommes éloignés. Je n'avais aucune envie de te parler de mes problèmes pour te voir revenir vers moi comme tu essaies de le faire maintenant.

— Mais, je suis ton mari, s'indigne-t-il en plongeant ses iris dans les miens.

— Et alors ? Tu as préféré la compagnie d'une autre pendant des semaines, ne changes pas tes nouvelles habitudes pour moi, de toute façon d'après ce qu'il affirme dans six mois, tu seras libre.

Il fronce les sourcils, son regard devient dur, et il rétorque sèchement :

— Arrête tes conneries, Sihane. Elle ne représente rien pour moi et tu le sais.

— Et moi, je te dis garde ta pitié pour toi et retourne t'amuser avec Lydia.

Le ton monte, encore.

— T'es ma femme ! aboie-t-il. Celle à qui j'ai promis ma vie. Que veux-tu que je fasse d'autre ? Ma place est avec toi.

— Et t'étais où quand je souffrais et que tout le monde me pensait actrice ? Pourquoi j'ai senti ton regard réprobateur à maintes reprises sur moi et pourquoi j'ai eu le sentiment que tu étais du même avis qu'eux, Henne ? Tu m'as tourné le dos et à chaque pas que je faisais vers toi, tu t'éloignais encore plus. Alors non, ta place n'est pas forcément avec moi, m'emporté-je.

Les larmes de mon époux dévalent à torrent sur ses pommettes, tandis qu'il prend mon visage en coupe et pose son front contre le mien.

— Je suis tellement désolé, Sihane. Tu déclinais toutes mes invitations, tu te réfugiais sur ton téléphone, et c'est vrai, j'ai laissé les dires de Lydia s'immiscer dans notre couple. Je n'ai pas vu ta souffrance, je t'ai évité pour ne pas affronter le fait que tu me filais entre les doigts.

Ses paroles me blessent, elle me retourne l'estomac, ou peut-être que ce fichu cancer fait encore des siennes. Toujours est-il qu'un violent haut-le-cœur s'empare de moi, me poussant à m'éloigner de mon mari qui me regarde impuissant.

 

 

 

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Naou
Posté le 06/09/2020
Ils font trop de peine à se déchirer comme ça :(

Gosh cette annonce qui déchire le cœur... 6-8 mois... c'est si peu...

Et cette dispute de fin :'( c'est dur.
enahis.hayl
Posté le 06/09/2020
Les joies de la vie
Naou
Posté le 07/09/2020
J'aime vraiment trop ton histoire !
enahis.hayl
Posté le 07/09/2020
Je suis ravie qu’elle te plaise.
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