4 — La Maison

Par Rouky

Le Miroir de Mornechamps

 

Madame Mornechamps venait d’emménager dans la vieille maison de l’impasse des Ramiers. Une bâtisse bancale, tout en poutres grinçantes et planchers fatigués, qu’elle avait achetée sur un coup de tête, attirée par le lierre sur les murs et le jardin à l’abandon. Elle vivait seule depuis la mort de son mari, et cherchait du calme, du vieux, du silence.

Elle déballait encore ses cartons quand elle découvrit une cavité derrière une bibliothèque encastrée. Une porte minuscule, presque une trappe, à peine assez haute pour y passer debout. Curieuse, elle l’ouvrit.

La pièce était vide. Pas de fenêtre. Juste un miroir fêlé suspendu au mur du fond. La poussière était épaisse, mais la glace semblait intacte. Elle n’y vit que son reflet, tordu par la fêlure, son chignon un peu de travers et les cernes de la fatigue.

Mais la nuit venue, quelque chose changea.

Un bruit. Infime. Comme un frottement. Puis un murmure. Madame Mornechamps se leva, sa lampe à la main. La maison était silencieuse. Sauf dans la petite pièce. Le miroir vibrait légèrement, et à travers lui, elle vit quelque chose d’étrange : elle-même, mais pas comme avant. Plus maigre. Plus triste. Vêtue différemment. Derrière elle, la maison semblait défraîchie, froide, vide.

Le lendemain, elle pensa avoir rêvé. Mais la nuit suivante, le reflet revint. Et il bougeait même quand elle ne bougeait pas.

« Qui êtes-vous ? » osa-t-elle un soir.

Le reflet haussa les épaules. Ses lèvres ne bougeaient pas, mais une voix douce se fit entendre dans l’espace : « Je suis toi, dans une autre vie. Une où tout est plus terne. Mais je te regarde, et je vois de la lumière. Puis-je l’emprunter ? Juste un peu. »

Et alors commencèrent les échanges.

Madame Mornechamps fermait les yeux. Quand elle les rouvrait, elle était dans la pièce défraîchie, froide. Les murs étaient couverts de griffures, le sol était humide, et une odeur de moisissure suintait du plafond. Aucun bruit, sauf parfois un écho lointain : des pleurs ? des voix ? difficile à dire.

Pendant ce temps, son double occupait sa place. Le soir, elles échangeaient à nouveau.

« Tu as le goût des fleurs, » disait le double en souriant. « Aujourd’hui, j’ai replanté des tulipes. Un voisin m’a offert un panier de figues. Tu vois ? On s’attache vite à moi. »

Les jours passaient, et Madame Mornechamps se surprenait à attendre le soir avec impatience. Mais à chaque retour, elle découvrait que la pièce de l’autre côté devenait plus hostile. La moquette était tachée de noir, les murs couverts de mots griffonnés à la hâte : "Je veux sortir", "C’est mon tour", "Tu as tout volé".

Une nuit, elle entendit des bruits de pas. Mais elle était seule.

Un autre soir, une forme passa derrière le miroir. Quelque chose qui n'était pas elle. Ni son double.

« Il y a d’autres reflets, » dit le double. « Tu ne les vois pas encore, mais eux te voient. Ils attendent. Tu es une porte, maintenant. »

Madame Mornechamps sentit la peur s'insinuer. Elle voulut arrêter. Refuser le prochain échange. Elle plaqua ses mains contre la glace.

« Plus jamais. Tu ne reviendras plus. »

Mais le double sourit.

« Trop tard. Tu m’as laissée entrer. Tu ne peux pas choisir de refermer. »

Et un soir, rien ne se produisit. Elle ouvrit les yeux dans la pièce sombre, glaciale. Le miroir était là. Mais son reflet n’était plus le sien.

« Rends-moi ma place… » murmura-t-elle, tambourinant contre la glace.

La voix de l’autre lui parvint, étouffée. « Non. C’est à moi, maintenant. Tu avais tout. Moi, rien. Je ne retournerai pas là-bas. Tu resteras ici, avec les autres. »

Elle vit son double tirer un drap blanc, lentement, sur le miroir.

Et la lumière s’éteignit.

Madame Mornechamps hurla.

Mais la pièce ne contenait plus rien pour l’entendre.

Derrière la fêlure du miroir, des ombres s’éveillaient.

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Elda Bauda
Posté le 21/09/2025
J'ai bien aimé l'originalité, la tournure au fur et à mesure. Je reste toujours surprise à la fin de vos histoires. Je ne sais jamais trop où ca va mener.
Rouky
Posté le 21/09/2025
Salut ! ^^

Merci pour votre passage à Ossenoir, et pour votre commentaire ! J'espère que la suite vous plaira tout autant ;-)
Talharr
Posté le 26/06/2025
Hello,
J'ai vu que la suite est arrivé, je suis venu voir ça :)
Seule remarque : "Un autre soir, une forme passea derrière le miroir", une simple erreur, pour "passa".
Mais sinon la petite histoire est intéressante, intrigante et on plonge avec Madame Mornechamps de l'autre côté du miroir.
On oublie souvent que les miroirs font peur.
J'espère pas voir mon double ce soir.
Rouky
Posté le 27/06/2025
Salut ! ^^

Merci pour la coquille, je vais de suite faire le changement !
Oui il y a tout un jeu horrifique avec le miroir qui a déjà été repris dans certains courts-métrages horrifiques, et j'aimais bien l'idée de lui en consacrer un chapitre ! ^^
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