4 : Le dirigeable des sept îles

Judy était assise sur un banc, au milieu de la terre battue, les doigts collés à son cou poisseux. Le Montaport ressemblait vraiment à une arène et elle n’était qu’un gladiateur perdu.

Le ciel était sombre et elle craignait qu’il se mette à pleuvoir d’une minute à l’autre. Son nez était congelé. Le lourd bâtiment blanc de la station l’observait derrière ses multitudes de fenêtres rougeâtres. Elle ferait mieux d’entrer. On la regarderait peut-être de travers mais au moins elle y serait plus en sécurité et au chaud pour dormir. Il était à peine minuit. Sigmund était matinal, à cause de ses fonctions, mais pas à ce point.

Elle trimballa sa carcasse douloureuse et fut sincèrement désolée de souiller le carrelage en marbre avec ses chaussures bouseuses et ensablées. Un banc dans un coin du hall, loin des guichets et du passage, l’attira comme un aimant. Elle s’y recroquevilla, le bras sous l’oreille. Elle ne dormirait sans doute pas mais son corps n’aspirait qu’à se laisser choir.

 

Les feu-follets s’enfuirent et se serrèrent d’eux-mêmes dans les cages de verre prévues à cet effet. Judy se redressa. Les rayons du jour s’immisçaient entre les verreries et éclairaient les silhouettes des maîtres du Feu, qui commandaient les feu-follets avec des gestes de chef d’orchestre.

Judy chercha le panneau d’affichage des départs. Le dirigeable pour Roche-Lieu serait à l’entrée du quai 4, premier emplacement, départ huit heures et des poussières, aux côtés du dirigeable pour les sept îles, la direction d’Otaïla. On se moquait d’elle. On voulait la tenter. Mais son père l’attendait quelque part. En vie. Il devait être en vie car les Lombrics n’avaient aucun intérêt à le tuer. Il pouvait même servir de moyen de pression.

Une sueur froide la fit frémir.

Elle tourna autour d’elle avant de se souvenir qu’elle n’avait pas de bagage. Son bagage, c’était elle-même. Ça avait quelque chose d’euphorisant et d’effrayant à la fois, jusqu’à ce que son estomac la rappelle à l’ordre. Et merde… et il faut manger, maintenant. L’argent qui lui restait ne suffirait jamais à payer son billet et un sandwich… Elle tâta les replis de sa poche boursoufflée. Les gants.

Les voyageurs commençaient à affluer et leur nombre s’amplifiait proportionnellement aux conversations qui résonnaient entre les poutrelles métalliques. Cette dame-là paraissait trop hautaine pour faire preuve de charité, et puis, à son maquillage indigo, on la devinerait plutôt maître de l’Eau, une Coco comme disait les galeriens. Ce vieil homme paraissait trop pauvre, cette autre jeune femme avec ses trois enfants, trop pressée. Judy souffla. Aucune tête ne se démarquait, aucun front n’indiquait « bon acheteur ». Elle regrettait de ne pas avoir mieux observée les stratégies de Mémé pour attirer ses clients.

Elle se rassit, renifla. Si elle le laissait venir à elle, plutôt ? Elle ferait mieux d’attendre Sigmund au quai avant de le rater. Elle pourrait bien contenir sa faim quelques heures de plus.

 

Son ticket en main, elle se tenait debout entre les immenses coques des zeppelins. Le guichetier n’avait pas posé de question sur son allure inquiétante. Les ballons n’avaient pas encore été gonflés mais les portes étaient ouvertes.

— Vous attendez quelqu’un ? s’enquit un bagagiste-réceptionniste d’un des deux dirigeables.

— Oui, répondit Judy avec le plus de réserve possible.

Va-t-en, priait-elle en silence. Mais il fronçait les sourcils, bien décidé à en savoir davantage.

— Je vais très bien, compléta-t-elle le regard fixé droit devant elle.

Parfait, un petit groupe marchait en leur direction, mené par un point de couleur tenant une valise de deux fois sa taille. Il allait devoir les aider et elle pourrait s’éclipser. Mais plus le point de couleur s’approchait, plus elle reconnaissait l’allure de la femme à sa tête. Un caillou roulait sous la valise, mû par une force invisible, et la mentore tenait l’anse de la valise tout en discutant avec un grand garçon. Il se penchait vers elle pour palier à leur différence de taille comme une branche, et ses feuilles – des boucles brunes – ployaient devant ses yeux. Judy sentit une bouffée acre de colère et de jalousie monter en elle.

Comme escompté, le bagagiste alla à leur rencontre et Judy, comme une imbécile, le suivit. Il prit la valise et faillit lui rentrer dedans en se retournant.

— Pardon… Je vous avais dit que j’attendais quelqu’un, dit-elle en haussant les épaules.

— Mes excuses, dit-il en roulant des yeux.

Judy se retint de lui mettre une baffe. Aux galeries, peut-être, mais pas ici, dans ce monde civilisé où les Déco n’avaient pas encore trop semé la zizanie.

— Bonjour, madame la mentore.

La mentore interrompit sa conversation.

— Bonjour… ?

Moment de suspens. L’avait-elle seulement remarqué, hier sur la place du parlement ?

— Je te connais, non ?

La mentore la reconnaissait. Cela aurait pu lui tirer une larme ou deux de soulagement si elle avait su quoi répondre qui ne rappellerait pas l’humiliation de la place du parlement.

— Oui. Au discours. J’étais là.

— Qu’est-ce qui t’est arrivée ? demanda la mentore, perplexe.

— Je…

La mentore tendit la main sans attendre sa réponse, comme si elle lui faisait confiance. Les rides sur son visage se plissèrent de bienveillance. Le cœur de Judy rata un battement, gonflée de gratitude. Elle lui serra la main.

— Je m’appelle Lunaé Travel. Inutile de m’appeler mentore. Ça ne fera qu’attirer les foules, et les Esprits savent que je suis épuisée des demandes d’autographes.

— Je ne vous demanderai pas d’autographe, dit Judy avec l’ombre d’un sourire. Je m’appelle Judy Blyton.

— Viens avec nous dans le dirigeable. Je suppose que tu vas aussi aux Sept îles ?

Judy tourna la tête de gauche à droite, tiraillée par les mots qu’elle allait prononcer. Sigmund Mauser… Combien de temps allait l’attendre ici avant de se rendre compte qu’il n’arriverait jamais ?

— Oui, bien sûr. Je n’attends personne, ajouta-t-elle quand Lunaé fouilla les environs du regard.

— Très bien.

Elle lui offrit le passage en premier.

— Pierre et Nathanaël, venez avec nous. Par je ne sais qu’elle chance les rangées du milieu dispose de quatre places. Ah, les Démétrons sont les meilleurs dirigeables que l’Océotanie n’ait jamais inventés. Si vous avez le choix entre un Luminus et un Démétron, choisissez le Démétron, vous ne le regretterez jamais.

Le sol était capitonné, pourpre et les sièges rembourrés. Judy regarda son billet. Il ne valait pas tant. Elle allait avoir des ennuis avec le contrôleur. Elle se figea au milieu de l’allée. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ?

Lunaé s’arrêta aussi.

— Pierre, Nathanaël, installez-vous, on vous rejoindra plus tard.

Un garçon, du même âge que Pierre et Judy prit les devant. Il était plus petit – il devait faire la même taille que Lunaé – et ses cheveux blonds et fins et son nez retroussé lui donnaient un air angélique. Il souriait comme s’il avait avalé un soleil.

— Pierre, regarde ! J’imagine que, même avec une valise grosse comme un camion de déménagement, tu n’as pas pensé à amener un jeu de cartes.

Il sortit de sa poche un jeu coloré dont les figures des guerriers Clastfov faisaient la couverture de l’emballage.

— Judy.

Lunaé tapota l’une des innombrables assises à coté de laquelle elle s’était installée, jambes croisées.

— Raconte-moi.

Judy s’assit lentement.

— Euh…

Comment lui raconter sans évoquer les Lombrics ? Mémé lui avait défendue d’en parler à qui que ce soit.

— J’ai eu une mésaventure avec des marchands des Galeries. Je n’avais pas assez d’argent pour payer une dette, et j’ai dû fuir avant de me faire attraper.

— C’est à cause des gants d’hier ?

Elle allait vraiment se faire passer pour une voleuse pour protéger un secret ?

— Oui. Mon père est parti il y a deux semaines et je n’avais pas le choix. Il m’a laissée me débrouiller.

Lunaé se pencha.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il voulait que je m’éveille et je n’y suis pas parvenue. Il voulait tellement me faire entrer à Otaïla, et quand j’ai échoué…

Son cœur se fendilla. Elle n’aimait pas mentir mais par tous les Esprits, qu’elle se débrouillait bien. C’était le comble de l’ironie.

— Il est parti. Pour me laisser réfléchir.

Le silence régna entre les crissements des roues des chariots à bagages, les va-et-vient du personnel et des nouveaux arrivants. Et les éclats de rire de Nathanaël.

— Et ta mère ? dit Lunaé.

— Elle est morte.

Rien n’était plus vrai. Ni chaud ni froid. Elle avait enterré le souvenir de sa mère depuis longtemps et pas un mot ne pouvait plus le faire ressurgir.

— Je vous jure que je ne suis pas une Déconnectée, dit Judy.

Les yeux marrons de Lunaé la fixèrent un long moment, avec une lueur espiègle et tempétueuse.

— Je te crois, dit-elle simplement. Mais tu ne vas pas aux Sept îles, n’est-ce pas ?

Judy se leva et lui tendit son billet.

— Je suis désolée, je n’ai rien à faire ici.

Lunaé refusa son billet d’un geste de la main, le regardant à peine.

— Va t’asseoir aux côtés de ses deux lambins. Je ne te laisserai pas seule dans cette capitale de fous, crois-moi. Passe-moi tes papiers et je m’arrangerai avec le contrôleur.

Elle lui fit un clin d’œil qui lui rappela Mémé.

— Je suis tout de même la mentore d’Otaïla, envoyée chercher des talents à la capitale.

Elle lui asséna une petite tape sur l’épaule.

— Va, je te dis !

Judy se remercia de toujours garder ses papiers sur elle. Elle lissa sa carte d’identité où le visage de ses sept ans fixait le vide, les cheveux décoiffés et la lui tendit.

Un nouvel élan de gratitude submergea Judy si bien qu’aucun merci ne put sortir de sa bouche. L’euphorie la porta jusqu’à hauteur des deux garçons sans qu’elle ne se demande comment elle allait se présenter d’une manière qui ne les embarrasserait pas tous. Elle n’avait jamais parlé à des gens de son âge, sans qu’il n’y ait une horloge à réparer dans l’équation. Elle s’arrêta, la main sur le dossier d’un siège libre. Nathanaël cessa de parler, Pierre d’écouter.

— Coucou, je suis Judy. Lunaé m’a dit de venir vous voir.

Ce n’était pas la meilleure entrée en la matière. Judy secoua imperceptiblement la tête. Imbécile.  

— Je suis Nathanaël, dit enfin le blondinet.

L’autre ne répondit pas, comme s’il n’était pas concerné.

— Je ne sais pas si c’est une question indiscrète, reprit Nathanaël. Mais… pourquoi tu…

— J’ai l’allure de quelqu’un qui s’est roulé dans la bouse de vache ? Ah, longue histoire.

Elle bloqua sa main avant qu’elle ne se porte à sa gorge. Inutile d’attirer l’attention sur la croûte qui s’y était formée.

— Un problème de… compte.

— Ah.

Nathanaël posa le carré de cartes qu’il avait dans la main et se tourna complètement vers elle.

— Ne fais pas attention à Pierre. Il est bougon, parfois. 

Il se tut.

— Non, souvent.

Pierre lui abattit son coude dans les côtes.

— Aïe ! Quoi ? Je ne dis que la vérité.

— Tu peux te la mettre où je pense, ta vérité.

Pierre leva les yeux, las, vers Judy.

— Je m’appelle Pierre. Mais je crois que tu l’as compris depuis.

Il soupira.

— Installe-toi. Tu veux jouer avec Nathanaël ? Si tu veux je te laisse ma place, j’en ai marre des batailles.

Nathanaël grommela.

— Innove, Naty, qu’est-ce que tu veux que je te dise. C’est la vérité.

— Haha, t’es drôle quand tu t’y mets.

— Je connais un jeu de cartes, dit Judy en songeant aux jours où Mémé et elle s’inventaient un avenir avec les cartes.

Quand elle disait qu’elle intégrerait Otaïla. Cet avenir paraissait soudain moins improbable à bord du Démétron en partance des Sept îles.

Pierre se poussa dans l’allée centrale pour lui faciliter le passage, maladroit à cause de ses jambes trop longues.

— C’est quoi ce jeu ? dit Nathanaël.

— Une carte, une hypothèse sur ton passé, ton présent ou ton futur.

— Un jeu de devinettes ? Ça me plaît !

Judy prit le jeu et le mélangea. Elle tira la première carte. Un quatre de Feu. Le prince des sangs tenait deux calices enflammés entre ses mains.

— Tu es connecté… (Elle fouilla dans ses iris océans un indice, se souvint de l’ancrage de Lunaé dans le sol. Elle aurait plus probablement choisi des élèves qui maîtrisaient le même élément qu’elle, n’est-ce pas ?) Vous êtes connectés à la Terre.

Nathanaël scruta la carte.

— Quatre de Feu. Quel rapport avec la Terre ? Tu aurais dû dire le Feu !

Judy haussa les épaules.

— Une voyante ne dévoile pas ses secrets.

— Comment tu sais ?

Judy garda un air énigmatique – du moins, elle l’espérait énigmatique. Pierre décroisa les bras. Son intérêt venait d’être piqué.

— À toi.

— Non, attends, intervint Pierre. On parie.

Nathanaël leva un sourcil, ravi.

— On devient adepte des paris ?

Pierre tira une nouvelle carte. Vingt-et-un d’Eau. La carte représentait un bandit.

— Voleuse d’Eau. Tu ne t’es pas éveillée.

Judy sentit une vague de froid remplir ses entrailles.

— Comment tu sais ?

— Je dirais que ça se voit.

Judy tendit les cartes à Nathanaël qui bougonnait qu’il n’avait pas eu le temps de parier quoique ce soit.

— Invente-lui un passé.

— Mais je le connais déjà ! s’exclama Nathanaël.

— Depuis une semaine, lui rappela Pierre.

— Deux semaines, c’est assez, pour se faire des amis, non ? OK, OK, si vous y tenez.

Sept d’Argile. La figure était une potière au vase brisé.

— Intéressant. Tu as eu une vie de solitude et d’errement dans la vaste plaine des Terres sèches.

 (Il fallait entendre par-là une partie désertique des Terres de Creux au bord de la mer.)

Pierre recroisa ses bras.

— N’importe quoi.

— Comment vous avez été choisis par la mentore ? s’enquit Judy.

— Tu ne veux pas essayer de le deviner, ça aussi ? se moqua Pierre.

— Non. Parce que je veux savoir comment. Les cartes ne disent pas comment.

— C’était il y a deux semaines, répondit Nathanaël. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés et qu’on a été obligés de sympathiser. J’étais avec ma famille à Edel dans un restaurant des Galeries.

Lunaé était passée aux Galeries ? Comment ne l’y avait-elle pas croisée ?

— Et Lunaé était à une table. À la fin du repas, elle est venue nous voir. Je ne sais pas pourquoi elle m’a choisi. Mais je rêvais d’aller à Otaïla depuis que je sais que cette école existe !

Quand vint le tour de Pierre de raconter, il regarda le bout de ses chaussures, mais il ne leur dit pas qu’il n’avait pas envie d’en parler.

— J’étais assis à un banc dans la rue. Et elle est apparue. J’ai accepté. C’est tout.

Judy enfonça ses mains dans ses poches. Son estomac l’écartelait de douleur.

— Est-ce qu’on distribue à manger dans les dirigeables ?  

Mais avant qu’ils ne puissent lui répondre, étonnés, Lunaé arriva en trombe.

— Bonne nouvelle ! J’ai discuté avec le contrôleur. Voilà ton billet et tes papiers.

Elle fourra les bouts de carton dans la main en suspension de Judy.

— Tu pourras prendre un pain-tranché à l’heure de la distribution, ajouta-t-elle avant de s’asseoir à côté d’eux.

Judy n’avait pas remarqué que la cabine s’était remplie et animée. Une voix grésilla dans les mégaphones :

— Mesdames, Messieur, votre Démétron 508 va décoller d’une minute à l’autre. Veuillez attacher vos ceintures. La compagnie vous souhaite un agréable voyage !

Derrière l’épaule de Nathanaël, le sol sembla peu à peu se dédoubler et tout ce qui paraissait monumental rapetissa. L’énorme bâtiment blanc où elle avait passé la nuit devint en l’espace de quelques minutes un petit point à l’extrémité une immensité de rues et de murs troués de fenêtres réfléchissant les nuages floconneux. Le mont Edel se révéla sous toute sa splendeur : ses cascades surgirent de ses parois vertigineuses et plongèrent dans le vide avec violence. Elle aurait aimé escalader la montagne et passer sous ses sauts de masse d’eau gigantesques. Un jour, peut-être.

— J’adore les décollages, dit Nathanaël.

 

Quatre heures passèrent sans que plus personne ne pipe mot. Pierre s’était endormi et Judy avait essayé de faire de même, mais l’arrivée de son sandwich bouscula tous ses plans de sieste.

L’océan envahit soudain la moitié de la vitre. Les sept îles se découpaient entre les vagues aux reflets blancs, taches de vert et de brun. L’une d’elle abritait sur sa côte l’îlot d’Otaïla. Judy essayait d’en deviner les contours mais ils étaient trop hauts et, quand ils descendirent, ils étaient trop loin.

Le dirigeable se posa dans un bruit mat.

— Et voilà, j’ai encore les oreilles bouchées ! s’exclama Nathanaël en sautant sur un pied.

Pierre le regardait faire, amusé. Il partit chercher sa valise ; ils allaient tous lui emboîter le pas lorsque Judy sentit une main sur son épaule.

— Je dois te parler, lui dit Lunaé.

Judy se tortilla, mal à l’aise. Encore une fois, la petite voix dans sa tête la houspillait : Qu’est-ce que tu fiches-là ? Tu n’as rien à faire ici. Elle avait envie de détruire son mensonge et de lui dire toute la vérité. Mais le visage de Mémé la hantait. Elle ne savait pas qui était Lunaé, même si elle mourrait d’envie de lui faire confiance.

— Oui ?

— Je pense que ce serait bien si tu parvenais à intégrer Otaïla.

Pardon ? Elle s’empêcha de lui demander de répéter. Pourtant, la joie n’était pas celle qu’elle s’était imaginée ressentir. Un bout de son cœur n’y était pas vraiment. Elle venait de laisser toute sa vie derrière elle. Et son père. Mais que pouvait-elle faire d’autre ?

— Je vais appeler le directeur d’Otaïla pour demander un rendez-vous avec toi. On va faire revenir ton père.

Elle lui adressa un sourire encourageant et suivit Pierre et Nathanaël à grandes foulées. Si elle savait que son père ne reviendrait jamais de lui-même. Il fallait des recherches. Bon sang, Mémé, pourquoi ne veux-tu pas que j’en parle ? Peut-être avait-elle prévu le coup, trop tard, mais assez tôt pour la prévenir et pour mettre en place un plan… Mémé en savait plus long qu’elle n’avait jamais voulu laisser paraître. Son extraordinaire maîtrise de sa connexion avec le Feu en était la preuve.

La solitude s’empara de son corps. Elle les rejoignit avec une sensation de froid dans le cœur.

— Cette valise pèse six chevaux, je te jure.

Nathanaël aidait Pierre à soulever la valise au-dessus du marchepied. Puis il s’empara de sa propre valise, ridiculement petit en comparaison. Judy n’avait aucun bagage.

— Par-là, leur indiqua Lunaé.

Ils sortirent de l’aire d’atterrissage du Montaport et débouchèrent dans un champ où étaient rangées une centaine de voitures plus ou moins cabossées, les éclaboussant des reflets du soleil.

Lunaé alluma les phares d’une étroite voiture jaune, à la carrosserie bombée comme un chou-fleur.

— Prête pour un tour, ma belle ? lui dit-elle.

Il était évident que la valise de Pierre n’allait jamais rentrer dans le coffre.

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