« Qui cache sa colère assure sa vengeance. »
Pierre Corneille
LEONE.
Un long soupir passe la barrière de mes lèvres quand je rentre dans le bureau. Les autres gars sont tous là. Je leur jette un rapide coup d'œil: Ragno est assis au bureau, Gatto regarde par la fenêtre, les autres sont installés dans un fauteuil.
La journée a été rude, et j'ai fait de mon mieux pour être des plus patients en attendant qu'elle se termine enfin. Et Dieu sait que la patience n'est pas une de mes vertus.
Ragno croise mon regard et s'affale dans la chaise qui fait face à l'immense secrétaire en bois.
– Et la fille?
Il me le demande sur un ton plat, sans grand intérêt pour elle. Il veut juste s'assurer qu'elle restera bien sagement là où on lui a dit de rester.
Je soupire doucement en me laissant tomber sur un confortable fauteuil. Après une telle journée, on mérite bien du repos.
– Dans la chambre, enfermée.
Ma réponse le satisfait puisqu'il hoche la tête et reporte son attention sur le papier qu'il tient entre les mains. Il soupire fortement à son tour, avant de fixer nerveusement la porte.
– Je sais pas dans quelle merde on s'est encore foutu, mais si ça tourne mal je me dédouane de tout. C'était pas mon idée, à la base.
Il me jette un regard noir avant de faire de même en direction des trois autres à l'autre bout de la pièce.
Gatto l'ignore et observe l'extérieur par la fenêtre, les mains dans les poches et les épaules voûtées.
– Tu sais très bien que c'était la seule solution...
– Non Gatto, ça l'était pas, continue Ragno en se redressant, son ton plus piquant encore. On pouvait très bien ne pas s'en mêler, mais non, c'était plus fort que vous.
Dans le coin de la pièce, Volpe et Falco se dévisagent silencieusement. Le premier glisse sa main dans ses cheveux pour les discipliner avant de se tourner vers nous, les yeux rivés sur la feuille que Ragno n'a pas lâchée.
– Comment on peut faire une telle chose...
Il n'a pas le temps de finir sa phrase que je le coupe sèchement.
– De la même façon que ton paternel a égorgé ta mère, lâché-je sans ménagement.
Ma réponse me vaut un regard noir de la part de l'intéressé.
– Ça y est, tu l'as fait ta petite intervention puérile, t'es content?
J'esquisse un fin sourire sarcastique avant de l'ignorer. Ce n'est pas un gars méchant, juste un gamin qui a vécu de vilaines choses.
Mon attention se reporte sur Ragno. Il aime jouer les petits chefs. C'est la seule chose qui ne me plait pas chez lui. Pour le reste, c'est un type qui a des couilles. Le genre de type que j'apprécie d'avoir à mes côtés dans ma vie. Surtout depuis que cette dernière à changer.
« – Ne me laisse pas non, tu n'as pas le droit de me laisser!
Je lève les yeux vers mon père. Son regard est encore plus froid que les banquises du pôle Nord. Quand ma petite sœur tire doucement sur mon t-shirt, je recroise ses prunelles noisette noyées de larmes. Sa petite voix est étouffée par les sanglots.
– Va-t'en d'ici. Je ne veux plus jamais te voir.
Ma mère détache chacune de ses syllabes, et c'est à chaque fois comme un coup de couteau dans le thorax. Je n'ose même pas croiser son regard. Je pourrais y lire toute la déception du monde, et je ne sais pas si je suis capable de l'accepter.
Dans un coin, recroquevillé sur lui-même avec un air de chien battu, mon frère me sonde, terrorisé. Du sang coule encore du coin de sa bouche. J'observe quelques secondes mes phalanges, immaculées du même liquide.
– Va-t'en!
Ma mère hurle à s'en décrocher les cordes vocales. C'en est trop pour moi. Je suis atterré par tant de perversité. Je les regarde une dernière fois, d'un air mauvais que je ne peux dissimuler. Je les hais comme je n'ai jamais haï personne. Je presse le pas et ouvre violemment la porte d'entrée.
Une frêle silhouette me suit en courant, ses petites jambes incapables de me suivre.
– Reste avec moi, m'abandonne pas.
C'est à peine si j'arrive à comprendre ses mots tant elle pleure. J'attrape sa petite main pour y déposer un baiser sans la quitter des yeux.
– Je reviendrais te chercher bientôt, promis-je avant de m'en aller sans même me retourner.
Je sais qu'elle est encore devant la porte d'entrée.
Si je la regarde ne serait-ce qu'une fois, je courais vers elle pour l'attraper sous mon bras et l'emmener avec moi.
À l'abri de ces grands malades. »
J'humidifie mes lèvres avant de m'étirer, faisant craquer mes doigts.
Je crèverai pour un massage en cet instant tant mes muscles sont contractés.
Je reviens sur terre à ce moment-là. Le ton monte entre Volpe et Ragno, Falco fait les cent pas et Gatto s'est sûrement endormi d'ennui sur le fauteuil près de la fenêtre.
– Pas la peine de chier une pendule pour ça, dis-je en me relevant lentement. C'était soit nous, soit un autre. Et jusqu'à preuve du contraire, on est pas sadiques à ce point. Mieux vaut qu'elle soit entre nos mains qu'entre les leurs.
Je suis fatigué, et tous ces souvenirs que je ne peux m'empêcher de ressasser m'épuisent encore plus.
Sans un mot je quitte la pièce, mes jambes me guidant directement jusqu'à mon endroit préféré: ma chambre.
À peine entré, je me débarrasse de mon t-shirt, bien trop moulant pour être porté une seconde de plus. Je pousse un soupir une fois que plus rien ne m'enferme le corps, et me laisse tomber sur le matelas aux draps froids. Rien de tel pour geler mes pensées et éloigner mon passé.
Je ne perds pas de vue mon objectif, mais il n'a aucun rapport avec la mélancolie.
···
Il est huit heures du matin et Ragno me fixe depuis au moins dix bonnes minutes sans sourciller ni dire un seul mot. Je rentre bêtement dans son jeu alors que je glisse mes mains dans mes poches. Un fin sourire se glisse au coin de mes lèvres, et il le remarque. Il croise ses bras, voulant paraître plus impressionnant, ce qu'il est peut-être aux yeux de certains mais pas aux miens. Je me demande combien de temps on va bien pouvoir rester ainsi, à se défier comme deux cons.
Gatto s'agite à mes côtés, et je sens sans même le voir qu'il nous regarde tour à tour.
– Fait chier, mon café est froid, soupire ce dernier en une vaine tentative de nous faire décrocher un mot.
C'est peine perdue, mais je sais que Ragno veut dire ce qu'il a sur le cœur, à moi particulièrement. Je le sens presque trépigner d'impatience.
– Qu'est-ce qu'on fait avec cette fille?, il me lâche, daignant enfin ouvrir la bouche après de longues minutes.
Enfin quelque chose de censé. Mon sourire sarcastique ne me quitte pas.
– Bonjour à toi aussi, j'espère que tu as passé une bonne nuit.
Il lève les yeux à mes paroles.
– Débrouille-toi avec elle, je ne veux pas m'en mêler.
Je me lève de ma chaise et je vais me servir un deuxième café. En réalité, je n'ai pas bien dormi cette nuit. Des bribes de mon passé ont décidé de prendre d'assaut mon esprit, et je n'ai fait que penser à elle. Ma petite sœur vit encore avec mes parents et mon frère, et cette pensée me donne au mieux envie de tout casser, au pire de faire une chose irrévocable, comme celle que j'avais commencée. Je n'attends qu'une seule chose dans ma vie, et c'est mon ultime but: la récupérer.
L'idée de l'imaginer là-bas qui s'immisce dans ma tête le temps de quelques secondes me donne envie de vomir mes tripes.
Depuis que j'ai appris ce qu'avait fait mon frère, j'ai peur quand je la sais en sa compagnie. Qui sait ce qu'il serait capable de lui faire.
Peut-être que je n'attends que ça. Qu'il tente quelque chose, pour que je puisse répliquer et lui régler son compte une bonne fois pour toutes comme j'aurais dû le faire il y a quelques années.
Ce ne serait que de moi, il serait déjà parmi les cadavres, six pieds sous terre et déjà bien entamé par les asticots.
Quelqu'un se racle la gorge et je relève immédiatement les yeux, sortant de ma transe. C'est une voix féminine qui n'appartient évidemment à aucun de mes frères d'armes.
Je ne décroche pas le regard de sa silhouette, apportant ma tasse à mes lèvres pour boire une gorgée de mon second café.
La fille que l'on a enlevée hier vient enfin de se montrer.
merci beaucoup!!
Je vais courir voir la suite sur Wattpad ahah !