4 - Maison d'enfance

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Une pluie battante… doux euphémisme pour la tempête qui s’était abattue sur le pays. Sur l’autoroute, on ne distinguait rien à plus d’un mètre. Au lieu d’arriver en début de soirée, j'étais arrivée en milieu de nuit et le temps de sortir ma valise et de rentrer, j’étais trempée jusqu’aux os. Je filais dans la salle de bain sans un bruit pour me doucher, puis une fois fait, me dirigeais sans faire trop craquer le parquet jusqu’à la chambre. Je compris le besoin de gros travaux, quand je m’aperçus de la fuite d’eau dans les toilettes du premier étage. Le toit ne devait plus être si étanche… cet été allait être bien long ! je me glissais sous l’épais édredon en plumes du lit bleu. Impatiente comme jamais, malgré la fatigue de la route, je désenveloppais le mystérieux manuscrit de son étoffe en velours. C’était un manuscrit datant de 1689 exactement, écrit en vieux français, mélangé à du celtique breton à ce qui y paraissait… relatant des faits occultes, des potions, des incantations, des prières. Un régal pour mes yeux de collectionneuse… néanmoins je ne pus m’y attarder plus longtemps, il me sembla évident que Morphée attendait que je daigne enfin fermer mes yeux, pour m’emmener. J’avais maintenant 3 mois pour traduire cette merveille de rareté, j'aurais du temps pour dompter ce manuscrit. 

Je me levais vers 10h, avec un mal de gorge réel. J’avais dû prendre froid hier soir sous la tempête. Je descendis dans la cuisine, cherchant Poupi. Je regardais dehors, les nuages menaçant, noirs et la pluie avaient disparu pour laisser place à un ciel blanc et Poupi était installé dans sa chaise longue au milieu du jardin. J’enfilais une paire de bottes en caoutchouc pour le rejoindre.

- Ma petite fille, Bri, je ne t’ai pas entendu rentrer cette nuit. 

Pas besoin de lui rappeler qu’il est sourd et même archi sourd.

- J’ai fait le moins de bruit possible. 

Il me sourit.

- Alors, tu vas être la gardienne de la maison cet été ? 

- Oui. 

- Ne sois pas triste Bri, la maison mérite de loger une nouvelle famille unie. Sans ta grand-mère Josefa, tout est différent et rien n’est pareil. 

Tout est différent et rien n’est pareil… la phrase préférée de mon grand-père. Adepte des contre sens et des jeux de mots. Je m’assis sur la caisse en bois près de lui.

- Il faudra que tu me laisse une liste précise des personnes qui vont venir réparer la maison et ce qu’ils vont réparer. 

- Déjà fait ma fille, ça fait 20 ans que cette maison a besoin de travaux ! 

Je pris une inspiration en regardant le jardin autour.

- Elle ne vas pas te manquer cette maison ? 

- Vien sûr que si ! D’ailleurs promets-moi que tu me referas un beau jardin pour la vendre. 

J’acquiesçais fermement.

- Je prendrais des photos et te les enverrais. 

Il me tendit son petit doigt pour que je croise le mien avec le sien. Un rite de petite fille et grand-père, quand on promettait une chose on se croisait les petits doigts. Poupi partit le lendemain me laissant seule, dans cette immense maison familiale. Seule et archie seule pendant 3 mois…les travaux devaient commencer par l’étanchéité du toit, la peinture dans la cuisine, dans les chambres et un peu de plomberie dans les salles de bains du premier étage et du troisième. Et bien sûr du jardinage intensif pour redonner belle allure à la maison. Mon programme de la journée fut le tri intensif de toutes les affaires de la maison, poupi avait prit le minimum syndical, me laissant allègrement trier leur vie. Il fallait que dans la semaine, j’organise un vide grenier, trop de bibelots, trop de livres, trop de vêtements… je retrouvais même les vieux vêtements de feu Colette, je décidais à juste titre de les mettre dans le cartons pour maman. Celle-ci m’avait envoyé un mail avec toutes les affaires à lui mettre impérativement de côté, je stockais le tout dans sa chambre de jeune fille. Dans mon rangement intensif, je tombais sur des perles de l’enfance de Josefa mais aussi de maman, de vieux 45 tours, qui me tinrent compagnie toute l’après midi. Je trouvais aussi une boite de secrets d’adolescente appartenant à maman pour la plupart, des tickets de cinéma, des lettres d’amoureux transis, des poèmes, des journaux intimes, de vieilles photos passées couleur sépia. Un régal ! Avec mes trouvailles je me rapprochais un peu plus de maman, je me trouvais plus proche d’elle. Moi qui avait toujours été un peu différente d’elle, réservée et sage, prônant l’art par l’écriture étant plus jeune, de mes songes et mes pensées sur la vie, l’amour et tout ce qui allait avec, je me pensais seule au monde. La preuve en était que non, maman, à l’âge de 14 ans nourrissait le besoin de s’étendre sur la vie aussi. C’était rassurant et gratifiant même. Je rangeais la boite dans sa chambre et retournais au troisième étage pour finir le tri des deux chambres du haut.

J’enfilais un masque contre la poussière et retournais dans le passé, je m’attaquais à la grande étagère encombrée de la chambre jaune. C’est fou ce que l’on pouvait entasser comme choses dans une maison, j'étais quasiment sûre que tout ce fourbi n’avait pas été touché depuis plus de 20 ans au moins ! J’entrepris de soulever une petite caisse rouge sur la plus haute étagère, perchée sur mon escabeau, le drame se passa, un autre carton me tomba dessus sans crier gare, je basculais en arrière et tombais de tout mon long, sans pouvoir me rattraper à quoique ce soit, sur le sol. Le dit fourbi me tomba dessus avec fracas dans un nuage de paperasses et de poussière. Allongée par terre, sonnée et meurtrie par la chute, je me redressais très lentement. Je passais la main sur mon front, cette chute avait au moins du dépoussiérer une grosse partie de la pièce… je m’adossais sur le lit, la tête me tournait et je vis l’entaille sanguinolante sur mon bras gauche.

- Oh… merde… 

Je regardais autour de moi, à part des tonnes de papiers, le carton éventré, la caissette rouge retournée et des dizaines de livres éparpillés, rien ne semblait assez tranchant pour m’avoir entaillé le bras aussi sévèrement. J’enroulais la blessure dans une serviette d’invités à portée de main, ne pouvant pas tout de suite me relever. La vue du sang était pour moi quelque chose d’assez peu supportable, pouvant même me déclencher des malaises vagaux. Je rampais sur le sol, éparpillant un peu plus les feuilles, cherchant un objet coupant dans le lot. Qui avait laissé un couteau de boucher dans un carton de papiers administratifs ? je retournais le caissette rouge et trouvais au milieu de livres l’objet du délit, un athamé au manche doré.

- Salopard ! Lui murmurais-je.

Je me relevais péniblement et me dirigeais vers le petit cabinet de toilette pour voir les dégâts. Je retirais doucement l’éponge de la plaie, le sang avait imbibé une partie de la serviette, mais la plaie était moins pire, que ce à quoi je m’attendais, j’avais une grosse griffure sur l’avant bras gauche. Je la passais sous l’eau en grimaçant. Relevant la tête pour regarder ailleurs et plus spécialement le fourbi de l’autre côté de la vitre, qui donnait sur la chambre, un homme se trouvait au milieu de la pièce, je le dévisageais, lui aussi et finalement poussais un grand hurlement de surprise.

- Non, Madame, n’hurlez pas, excusez moi, je suis le peintre… vous savez pour la cuisine ? Dit il précipitamment.

- Que faites vous là ? 

- J’ai entendu un sacré vacarme alors je suis entré, je pensais que monsieur Queffelec était tombé ou quelque chose dans ce goût là. 

Il baissait le regard sur mon bras.

- Vous saignez ? 

- Oui le vacarme c’est moi, je suis tombée et je me suis bless… 

Pas le temps de finir ma phrase, j'allais m’écrouler par terre. Le jeune homme me récupèrait in extremis. Et m’aidait à m’asseoir sur les marches de l’escalier.

- Je vais chercher les pansements, je reviens, restez assise. 

Très prévenant ce petit jeune. Je pris ma tête entre les mains, attendant patiemment qu’il revienne avec la trousse de secours. Il me désinfectait la plaie en me racontant comment il connaissait poupi, son parcours pour devenir peintre, le fait qu’il n’avait jamais eu de père et que mon grand père lui avait apprit beaucoup de choses, à quel point il avait été attristé du décès de Josefa, elle qui avait toujours protégé les innocents…

- Les innocents ?  Me réveillais-je quand il finit de mettre le sparadrap sur la plaie.

- Oui, vous savez, elle était un guide spirituel, elle faisait partie des vraies… 

Je secouais la tête, le choc avait du être bien plus violent que je ne l’aurais pensé, je ne comprenais pas un traitre mot de ce qu’il disait.

- Une vraie quoi ? 

- Sorcière… c’était une puissante guérisseuse, elle comprenait la nature et les maux de la terre mère… elle nous protégeait des démons. 

J’hochais la tête béatement, la crédulité de ce jeune homme me sciait. Comment pouvait-il croire sincèrement à tout ça ? Je le remerciais et retournais à mon rangement.

 

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