Les regards divergent tous vers moi et je sais que ce ne sont ni ma chemise, ni mes mocassins, ni mon trench long qui attirent l’œil. Personne ne se focalise sur mes goûts vestimentaires. Non, tous s’attardent sur mon visage. J’aurais dû mettre des lunettes de soleil, ne serait-ce que pour passer inaperçu jusqu’à la bibliothèque de l’université du centre-ville. Pourquoi me regarde-t-on, et pas le gars qui est en train de pisser sur le palmier plus loin ? Ou sur le visage boutonneux de cette fille mal habillée ? Amusant les dessins sur ses chaussettes, cependant. Des petites guimauves qui sourient à des lunes.
Je pénètre dans l’enceinte du sanctuaire dédié aux livres, dépasse le hall baigné dans le calme, et me poste devant l’hôtesse d’accueil. Je remarque à son regard inquisiteur qu’elle aurait préféré que j’aille vers sa collègue.
Je reste ancré au sol, fais mon têtu et reste campé face à elle et son air faussement amical. Je laisse couler, lui sourit poliment, serre la lanière de mon sac en cuir et demande le responsable :
— Bonjour, je suis Gauthier Gonthervers le nouvel employé. Je commence aujourd’hui. Pourrai-je rencontrer mon responsable, Sanahel Labe ?
L’hôtesse reprend contenance après que je me sois exprimé. J’aperçois de l’étonnement dans ses yeux noirs où deux taches caramel se noient. En voilà une avec qui je ne serais pas ami. Elle me parait bourrée de préjugés. Qui croit-elle avoir devant elle ?
Je ne me gêne pas pour la dévisager aussi. Ça lui fera les pieds. Son rouge à lèvres trop fort pour la pigmentation de sa peau, la rend vulgaire et fausse. D’ailleurs, en la regardant, je la trouve trop coloré. Elle me rappelle un post publicitaire pour des céréales multicolores.
Cette femme me déplait. Il est certain que je l’éviterai le plus possible.
Elle se saisit du téléphone. La façon qu’elle a de le prendre est très particulière ; seulement du bout des doigts, index et pouce. Excentrique, jusqu’à ses manières !
Je patiente en contemplant la hauteur du plafond et la pâleur des murs. Je n’aime pas beaucoup l’architecture moderne. Elle manque atrocement de caractère, d’âme, d’authenticité et de féerie. J’imagine que l’hôtesse d’accueil a aspiré toutes les couleurs et que la direction a jugé bon de laisser les murs blancs… Gare aux épileptiques. Je ne me focalise pas dessus et fais courir mes yeux sur les quelques étudiants et particuliers venus bouquiner ou effectuer des recherches. Ça bavarde, ça chahute aux portes de l’édifice, puis, ça se tait. Une jeune fille s’élance vers un garçon d’une vingtaine d’années, massif, habillé d’un simple jean, d’un t-shirt rouge et d’une veste en cuir où une rayure à hauteur du col a pris domicile. La demoiselle le hèle d’une voix douce et clinquante. Son sourire illumine la pièce, sa queue-de-cheval blonde se balance dans son dos, caresse sa veste en jean où deux boutons sont manquants à la manche droite. Elle est jolie… Enfin, belle est le mot juste. C’est tout à fait mon genre.
Le garçon s’arrête, arque son corps, il me parait dans la lune. J’observe sa beauté saisissante. Une vraie gueule d’ange comme dirait mon ancienne prof de piano. Et c’est peu de le dire. Élancé, la taille fine, les épaules carrées, un cou gracile, une peau dorée, une mâchoire anguleuse…
Il est divin.
D’ailleurs, j’ai la sensation de l’avoir déjà vu.
Pas important. Ça me reviendra.
Sa chevelure brune et épaisse rabattue en arrière, à la Grease, lui donne un charme captivant. Mais en vrai, ce sont ses grands yeux noisette qui attrapent le plus mon attention. On dirait qu’ils sont enduits de miel, de soleil. Ils débordent de sensualité et d’une fine mélancolie. Quel genre de problème un si beau garçon peut avoir ? Ça m’intéresse.
Sans raconter de bêtise, il pourrait être mannequin. Il l’est peut-être. Acteur… ?
La voix haut perchée de l’hôtesse d’accueil me ramène à la réalité. Je sors de mes divagations et quitte le couple. Surtout le garçon et son amas de beauté tortueuse.
— Sanael arrive, je te laisse patienter.
Elle me tutoie déjà. C’est rapide ici.
Ma collègue me tend une main qu’elle voudrait amicale et me sourit en se forçant.
— Bienvenue dans l’équipe, me félicite-t-elle.
Je ne suis pas convaincu par sa prestation. Elle est coincée au possible.
Je fais abstraction de cela et empoigne sa main manucurée pour la saluer.