40- Le regard

Notes de l’auteur : bonjour les plumes :)
Tout d'abord, un immense merci d'être là ❤️ et ensuite, une question. A votre avis, pourquoi? :)

Mes mains tremblaient.

Ce n’était en soi pas une aberration. Depuis que les Étoiles avaient trouvé hilarant de prouver leur existence à Scetus en extirpant sa soeur du coma, la maison était saisie d’une frénésie stupéfiante.

Car il s’agissait bien d’un miracle. Maintenant qu’il n’avait plus à ménager les nerfs de Mafalda, le guérisseur avait plus ou moins jeté son filtre de mesure. Il ne parvenait, entre autre, pas à dissimuler sa stupéfaction que la jeune magicienne ait pu se réveiller, pour commencer, mais sans séquelle notable. Les Regiris s’étaient dépêchés d’accourir au Sanatorium, et bien qu’elle était dans un état de fatigue assez extrême, la jeune Regiris pouvait s’exprimer normalement, réfléchissait normalement, et tous ses tests ésos étaient dans le vert.

Stupéfiant, comme s’était exclamé Ignace.

C’était en partie la raison pour laquelle nous étions tous levés alors que l’horloge avait sonné une heure… de la nuit. La faute au Sanatorium. Leur politique concernant les visiteurs étaient des plus strictes, et cela qu’ils ne toléraient qu’un proche à la fois. Supposément pour prévenir que les familles ne se surmènent. En conséquence, cette nuit, c’était au tour de Scetus de veiller surs aa jeune soeur et Mafalda ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Elle s’était mise à jouer du piano vers minuit si bien que la danse s’était insinuée dans mon esprit et j’avais abandonné tout espoir de sommeil.

Voilà pourquoi je me trouvais actuellement dans la salle de musique, que Mafalda était assise en face du piano vêtue d’un peignoir de satin bleu nuit, et que Britannicus, réveillé par tout ce tintamarre, s’était installé avec un livre dans un coin.

J’en avais profité pour lui montrer la préparation des chaussons de danse à l’exercice. Les pointes étaient bien attendris, mais je n’avais pas encore eu le temps de fixer le ruban, ni de limer les bords de semelles.

En clair, je faisais trainer les choses, et Mafalda s’en était rendue parfaitement compte.

« Bien, Sidonie, cesse donc de trainasser, et mettons nous au travail. » Elle avait dit fermement, alors que je venais de refaire pour la troisième fois le noeud du ruban de mon chausson.

« J’arrive, j’arrive, mais il faut bien faire les choses. Au cas ou je ne vous l’aurais pas dit-»

« Oui, oui, ce sont des chaussons Gepettos. Je sais, Britannicus sait, l’intégralité des spectres dans les cent lieues le savent. » Elle ne me laissa pas finir, avant de me pointer le centre de la salle « Allez, assez parlé. »

Je pris une brève inspiration, mais rien n’y fit. Mon coeur s’emballait dans ma poitrine. Une vague amère d’appréhension me saisit à nouveau à la gorge, au point de me donner envie de vomir.

« Bon, Sidonie chérie, que se passe-t-il? » Mafalda m’arracha à ma spirale.

Mon regard s’attarda un instant sur les chaussons à mes pieds. Je n’avais aucune excuse désormais, pour échouer. J’avais tout le matériel adapté. Ce qui signifiait que…

« Si je me rate, avec des chaussons Gepettos aux pieds, cela veut dire que… les ballets, c’est fini. » Je dis alors lentement.

Le dire était encore pire que le penser, et comme par hasard, mon genoux droit choisit ce moment pour me tirailler. Mon coeur se mit à tambouriner contre ma tempe. J’avais tant travaillé, tant sacrifié pour en arriver la. Si c’était fini…

Le visage de Mafalda s’adoucit.

« Tu n’as pas encore échoué. » Elle dit d’une voix douce.

« Tu échoueras pas Dodo. » Britannicus murmura quand à lui, à moitié endormi.

« Mais si j’échoue- je ne sais pas ce que je ferais de ma vie si je devais faire une croix sur ça. » Je finis par admettre.

« Pour devoir se relever, il faut être tombé au préalable. Vois donc si c’est le cas avant de te tortiller l’esprit de la sorte. » Elle dit alors calmement.

C’était vrai. Et il valait probablement mieux être fixé le plus vite possible, si je devais me reconvertir dans la peinture sur mur. Je pris une inspiration et fit un bref signe de tête à Mafalda.

Je devais y arriver.

Je n’avais pas le choix.

Les premières notes glissèrent dans mes oreilles, et mes muscles agirent d’eux même, non sans grincer. La peur de tomber, que cela fut la fin me crispait jusqu’à la moelle et déjà, mon genoux vacillait. C’était fichu, j’étais fichu-

« Calme toi, et respire. » Mafalda tonna au dessus des notes « Cette partie tu y parviens sans chaussons. Calme-toi, concentre-toi sur la musique, sur le rythme. »

Facile à dire, d’une chaise, bien tranquille face à son instrument. Pour elle, c’était toujours demeuré un plaisir simple, sans pression, ni nécessité de résultat.

Peut-être était-ce là le problème au fond.

« Dodo, peu importe ce que tu fais, tu es la plus belle. » Britannicus m’encouragea, et je me pris à sourire.

Bon.

Je pris une profonde inspiration et essayai de me détendre. Ça ne servait à rien de se crisper. C’est ce que Papa et Maman n’arrêtaient pas de me dire, quand ils m’apprenaient la voile. Que tu paniques ou non, le vent aura toujours le dessus sur toi, mais en gardant la tête froide, tu peux naviguer les différents courants d’air. Il ne fallait pas avoir peur.

J’aimais la danse après tout.

Depuis toute petite, j’en étais tombé en amour. Depuis le jour ou Barthy m’avait offert mes premiers chaussons. Roses vifs, et un peu usés, mais dans cette baraque, jamais rien ne m’était apparu si beau, si parfait. Ils allaient si bien à mes pieds, comme une partie de moi-même que j’avais perdu, et retrouvé. Daniel été allé chopper du sucre dans les cuisines, entre autre, pour me faire un gâteau à l’orange. Si doux, si paisible.

Comme lui.

Le premier mouvement passa, et mes muscles commencèrent à non plus se plier à regret mais désormais accompagnaient ma volonté. Mon porté me tirailla entre les omoplates, mais j’en tirai un certain plaisir désormais. Il était beau, il était droit. Tante Lydia aurait souri. Elle avait toujours eu un beau sourire, rare, comme Maman, mais chaleureux.

« Voilà, doucement, on a le temps. » Mafalda dit au loin.

La musique commença à me parler, à mesure que les étirements et les petites crampes prenaient du sens. Une nécessité, pour que quelque chose sorte. Madame Drèke l’avait dit, en m’emmenant pour la première fois au Conservatoire. Cassini que cet examen avait été terrifiant, et j’avais tant tremblé. Peu importe ce que tu as sur le dos, si c’est trop lourd, laisse le tomber sans te retourner. Ne le laisse pas le faire tomber.

Ils avaient été si fier, lorsque j’avais achevé mon quatrain. Le Conservatorie n’avait pas même encore statué, Maitre Desjardins était si silencieux. Mathurin s’était levé pour applaudir, bien que cela fut interdit, et Madame Catherine, si fière, si heureuse…

Mes muscles se plièrent, et pendant un court instant, mes muscles quittèrent le sol. L’atterrissage fut si simple, si satisfaisant. Le pied bien déroulé, sans choc ni douleur. C’était ce que faisait la danse, elle me faisait voler sans jamais me le faire payer. Tout avait toujours été si simple avec elle, comme une ancienne berceuse. Le trop plein de mon coeur, je pouvais le lui confier les yeux fermés. Elle comprenait, elle veillait sur moi, et moi en retour, je l’aimais.

Comment pourrait-il en être autrement, quand elle donnait du sens à mes faits et gestes? J’entendis alors pour la première fois le bruit de mes chaussons sur le parquet, ce bruit sec et doux, si merveilleux que mon ventre se mit à papillonner. Que cela m’avait manqué, de sentir se flux de mes oreilles à mes ongles, cette énergie qui s’insufflait dans la plus petite de mes veines. Mes muscles cessèrent de me faire mal, même mon genoux se plia à cette volonté magnifique.

Pour la première fois depuis des semaines, j’entendis enfin la mélodie et je pus y harmoniser mon âme. Les gestes cessèrent d’être un enchainement bête et méchants pour devenir une arabesque de réponses. La musique m’apparut s’arrêter à un instant, mais c’était trop tard pour moi, j’étais partie et je refusais de revenir. Ce n’était plus pour le finir ce fichu enchainement, c’était ma mélodie qui devait être amenée à son terme. Et cela le serait. Oublié, mon genoux, oublié mes doutes. Même si je tombais, je demeurerais une danseuse, car m’enlever cela, il faudrait probablement m’arracher le coeur, et encore. Il continuerait de battre envers et contre tout pour cette musique du monde, ce bruit étouffé des pointes contre le bois.

Toutes les mélodies, malheureusement, doivent être amenées à une conclusion, et celle-ci ne ferait pas exception. Vint le moment de la redoutable série de pirouettes, mais je n’avais plus peur. C’était si beau une pirouette, et bien exécuté, tout mon être, soutenus par la seule volonté de ma cheville. Elle avait été en acier, et elle le redevint en cet instant là. Le monde se mit à tourner autour de moi, selon mes règles et ma volonté, encore, et encore, et encore. Mon genoux demeura digne et fier, jusqu’à ce que mon pied touche enfin le sol et que le silence reprenne sa place.

Il me fallut une petite minute pour en revenir. La première chose qui me frappa fut ma propre respiration, si saccadée, si satisfaisante. Mes cheveux, ensuite, que mon chignon, faute de pinces, n'avaient su entièrement maintenir. Tout ce brûlage générale, cette sensation d’être vidée, me comblait bien au-delà du raisonnable et je m’y complus pendant une bonne dizaine de secondes.

Une petite voix me fit alors remarquer que ce silence était bien long. Que personne, pas même Britannicus, ne disait quoique ce soit. Ce n’était pas normal. Quelqu’un aurait dû dire quelque chose. J’ouvris alors les yeux. Britannicus alternait le regard entre Mafalda et un point dans mon dos. Cette dernière était d’une valeur inextricable.

Elle me glissa un petit regard.

Je n’aurais su le décrire entièrement, ou tout du moins, jamais je ne pourrais rendre justice. Cela ne dura qu’un instant, mais j’y vis toute l’horreur, voir la peur qu’un regard puisse contenir. Une voix me murmura de ne surtout, surtout pas me retourner. De fuir, maintenant. Ouvrir cette fenêtre, tranquillement, pour prétendre rechercher un peu d’air frais avant de bien vite sauter. Il fallait faire vite, il fallait vraiment se dépêcher, avant que-

Il y eut un raté derrière mois, comme si quelqu’un avait été privé d’air pendant des mois et retrouvait enfin l’usage de ses poumons. 

Ce petit choc auditif si douloureux dans cette mer de silence, me détourna de la petite voix suppliante.

Ce fut à mon tour de pivoter sur moi-même, une odeur d'ozone flottant dans l'air.

Dans le cadre de la porte se tenait Beria Lazarus.

Les paumes éclatante, visage crispé.

Un regard noir.

De haine.

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