Le lendemain ne fut pas plus agréable. Je n’avais pas fermé l’oeil de la nuit pour commencer, et n’étais pas la seule dans ce cas-là. Mafalda profita des premières lueurs du Meriel pour quitter le manoir, me laissant seule avec Britannicus, toujours dans mon ombre, et un Scetus fatigué et mécontent.
Il ne me laissa pas une minute de répit et revint à la charge, encore et encore, jusqu’à ce que je craque et plonge dans une furie folle. Pour être franche, la seule chose qui me navra dans cette histoire, ce fut de faire pleurer Britannicus, pour qui tout ceci était un peu trop familier.
À ma décharge, Lazarus pouvait débarquer à tout moment, décider de me réduire le clapet et tout inquiet qu’il prétendait être, Sceptidébile ne ferait rien pour l’en empêcher. C’était probablement la raison de mes nerfs à fleur de peau, mais expliquait également la rancoeur croissante que je ressentais envers l’ainé Regiris.
Moi je lui avais recousu le dos.
Bref.
Vers trois heures du matin, je compris que je ne trouverais pas plus le sommeil que la veille et partis en quête de cannelle. Je descendis dans la cuisine à pas de loup afin de ne pas réveiller le Grand Idiot à l’étage. C’était cependant inutile. Lorsque j’atteignis la cuisine, un mot était déposé sur la table.
De sortie cette nuit, pas la Cohorte, requête de B, alors ne râle pas trop. Quand je rentrerai, il faudra qu’on discute tous les trois avec Sidonie.
Ne t’inquiète pas
Scetus
Bon, il fallait voir le bon côté des choses, personne n’allait me déranger pendant ma cannelle de trois heures du matin.
Il fallait se concentrer sur le positif.
Mon Esprit Familier était cependant un petit comique, car la porte d’entrée cliqueta, la cloche sonna, et je me pétrifiai. Mon esprit se mit à virevolter à toute vitesse, et j’essayai de me rassurer que jamais Lazarus ne se pointerait sans prévenir, sur un coup de tête, mais après il n’avait pas révélé à Scetus sa dernière visite, et peut-être était-ce là un moyen de doucement l’écarter, et de se débarrasser de moi sans personne hormis Britannicus dans les environs-
«C’est moi. Qui est debout?» La voix de Mafalda résonna dans mes oreilles, et je poussais un soupire de soulagement.
Il fallait que je me calme moi. Si je me mettais à paniquer de la sorte, quand les vrais tambours résonneraient, je serais cuite.
« C’est moi, je fais de la cannelle. » Je dis, ma voix assez inégale mais bon.
« Scetus, tu es là également? » Elle renchérit, la voix incertaine.
« Il est parti pour la nuit, il vous a laissé un mot. »
« Ah, parfait, on va pouvoir discuter. » Mafalda dit en apparaissant sur le pas de la porte. À son air grave, pour ne pas dire sévère, je sus que cela n’allait pas être une conversation plaisante.
Du tout.
« Je te sers une tasse? »
« S’il te plait. » Elle dit en s’asseyant à table avant de retirer son manteau.
« Comment va Cassiopeia? » Je tentai sinon une diversion au moins un petit répit.
Mafalda ne s’y laissa pas avoir et eut un petit rire ironique. Elle attendit cependant que j’ai fini de verser l’eau chaude et que je m’installe avant de dire quoique ce fut.
« Elle va bien, mais ce n’est pas cela dont je souhaite te parler. Comme tu dois t’en douter. » Elle me regarda droit dans les yeux, et un petit grain de cristal apparut dans mon esprit.
« Vous avez croisé Lazarus. » Je dis, en priant tous les dieux, quels qu’ils soient, de me prouver leur existence en me donnant tort.
« Oui, quand je suis arrivée, il avait rendu visite à Cassie et nous avons discuté. » Elle dit calmement, me prouvant une bonne fois pour toute que le cosmos était une perte de temps et d’espace, terriblement vide.
« De quoi avez vous discuté? »
« Il passera tôt dans la matinée. » Elle dit alors.
« Oh. » Fut tout ce qui put s’échapper de ma gorge et son regard exaspéré ne fut pas une surprise fracassante. Même moi, j’étais désappointé de ma réaction.
« Il est mécontent. »
Ben tiens.
« Je suis navrée de l’apprendre. »
« Mécontent, contre toi. » Elle insista, son regard me lançant des éclairs.
« Que c’est regrettable. »
« Très, mécontent. »
« Très regrettable alors. »
La colère dans son regard se diffusa sur l’intégralité de son visage. Ses sourcils se plissèrent, la bouche se tordit et les joues rougirent.
« Excuse-toi. » Elle dit alors d’un petit ton sec, et je secouais deux ou trois fois la tête, tant j’étais frappée de stupeur.
« Pardon, quoi? » Je rugis sourdement, afin qu’elle comprenne que je devais avoir mal compris, que c’était dans son intérêt.
Ce ne fut pas le cas. Mafalda haussa la tête, leva le menton, et ses narines plissèrent de colère.
« Sans ce ‘quoi’ si peu distingué, et en effaçant le ton outré cela sera parfait. Oh, et sois gentille et fait moi disparaitre ce froncement de sourcils dans la foulée. » Elle dit d’un air dédaigneux « Tu n’es pas une poissonnière. »
« Visiblement il y a un début à tout. » Je sifflai en frappant du poing « Il n’en est pas question. »
« Excusez-moi, Madame la duchesse, ce n’était pas une question. »
« Je m’excuserai quand il gèlera en enfer! »
Mafalda poussa un petit rire, avant de se tourner vers le placard. Je là, elle extirpa une bouteille ambrée et s’en versa une généreuse lampée dans sa tisane.
« Ma chère Sidonie, nul besoin de descendre si bas, le Meriel disparaitra de l’horizon dans quelques heures et le gel suivra bien vite. »
« Je ne m’excuserai pas, c’est à lui, de me présenter des excuses, c’est lui qui, qui, c’est à lui de me présenter des excuses! » Je fustigeai.
Plus le temps passait, plus j’étais scandalisée qu’elle suggère, que ce soit moi qui fut en faute. Je ne le tolérais pas, et l’acceptais de moins en moins. Le monde avait perdu la tête, je devais être en train de délirer, ce n’est pas possible.
« Je me fiche de savoir qui a commencé ces pitreries-»
« Lui! Il a commencé, pas moi, mais je saurai la finir! » Je
« C’est ridicule-»
« Il m’a giflée, pas moi. » Je m’exclamai alors, ma voix frisant tant les aigues que Mafalda eut une grimace douloureuse. J’espérais sincèrement lui avoir fait aussi mal aux tympans qu’elle le prétendait.
« Et visiblement, on ne t’a pas donné assez de gifle, ma petite, pour qu’une claque te mette dans un tel état. »
« À la décharge, ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour le faire, mais ne vous en faites pas, d’autres ont pris la relève. » Je me mis à ricaner, parce que c’était vraiment drôle de sa part de dire cela. Vraiment drôle.
Elle ne pouvait concevoir l’étendue de cette plaisanterie. Tante Lydia serait vraiment fière.
Mon rire sembla geler sa colère, et elle me toisa alors longuement, son visage s’adoucissant progressivement pour devenir presque compréhensive.
« Je comprends que tu sois en colère, en toute sincérité, je le comprends. » Elle reprit d’un ton qui se voulait plus avenant, plus calme.
Malheureusement, moi, c’était tout l’inverse. L’injustice de la situation, de me voir remonter les bretelles alors que c’était entièrement de sa faute, cela me mettait hors de moi.
« Mais quoi? »
Elle poussa un long soupire.
« Les hommes ne sont pas faits comme nous. Notre nature nous pousse à la tempérance, la leur… ils ont plus de mal à se contrôler. Cela serait injuste de leur en tenir rigueur. »
« C’est ça, donc résultat. Tu m’en tiens rigueur, à moi. »
« Je n’ai absolument pas dit cela. »
« Tu veux que je m’excuse- et de quoi d’ailleurs. D’après toi, de quoi suis-je supposée m’excuser? »
Mafalda m’observa un bref instant avant de déboucher à nouveau la bouteille, et de cette fois-ci en verser dans ma tasse. Une odeur chaude et piquant me prit presque immédiatement au nez.
« Bien, je vais avoir une discussion avec toi, que ta mère n’as pas pu faire, et dont Madame Drèke n’a visiblement pas souhaité s’importuner. Tu es très belle, trop pour ton propre bien. Cela signifie qu’un rien te rend désirablen. Quand les hommes désirent, ils perdent pieds et voient ce qui les arrange, ce qui signifie que tu dois être doublement prudente dans tes paroles et tes actions. C’est injuste, mais c’est comme ça que fonctionne le monde, et, avant de protester, rappelles-toi que cela ne vient pas sans avantage. »
Je demeurais un bon moment interdite face à ce monologue, parce que en toute franchise, je ne savais pas quoi répondre à cela. Le seul réconfort que j’avais, c’était la vive impression que quelque part dans ce monde, Madame Catherine venait de prendre feu spontanément par sa faute.
Tout du moins je l’espérais, par pitié, que je ne sois pas seule! Que si je devais être folle, qu’au moins une personne fut du même bord que moi.
« Donc, il faut que je m’excuse d’être jolie, c’est ça? »
« Tu commences à me chauffer, jeune fille. »
« Mes excuses, c’est d’avoir frappé mon poing sur la table c’est ça, ça vous émoustille? »
« Fais la maligne, tu n’en es pas moins dans la panade. Tu danses magnifiquement bien, et Beria, tout gentilhomme qu’il est, reste un homme avec des yeux.’
« Donc il faut que je m’excuse de savoir danser. » Je dis en croisant les bras, car si je ne le faisais pas, j’allais m’effondrer. Il fallait que quelqu’un me prenne dans ses bras, et me dise que tout irait bien. Mais le cosmos m’avait jeté dans cette cuisine et mise en face d’une Mafalda, donc mes bras seraient les sels compréhensif et réconfortant du secteur.
« Cesse donc de faire l’enfant. »
« Je pense qu’au contraire, il faut que je commence à davantage faire l’enfant, peut-être que cela en calmera certains. »
« Je t’avais prévenu, ne de pas t’aventurer sur ce chemin là. Tu y es tout de même allée, pour finalement faire marche arrière, et maintenant nous en sommes là. »
Je tiquais.
« Comment ça marche arrière? Tu penses qu’il s’est passé quoi exactement? »
« Il a fait c’est avances, tu l’as repoussé, visiblement de manière assez détestable pour qu’il te gifle, -bien qu’il n’aurait pas du le faire, et maintenant tu te comportes comme une enfant gâtée. »
« C’est ce qu’il t’a dit? » J’insistai, alors que le soulagement m’envahissait. Le soulagement, et l’exaspération, mais bien entendu la colère. Qu’il me fasse porter de la sorte le chapeau.
« Non, mais, c’est ce qui s’est produit, n’est-ce pas? » Elle fronça les sourcils, et oui je poussais un soupire avant de sourire, brièvement.
Tout allait s’arranger, j’allais lui expliquer, et elle allait se rendre compte. Cela m’énervait un tout petit peu de devoir le faire, car après tout Lazarus était dans un état assez parlant quand elle m’avait abandonné -et au passage, il serait bon de le lui rappeler.
Je pris donc une petite inspiration, avant de la regarder droit dans les yeux.
« Ce qu’il s’est passé, c’est que tu m’as laissé toute seule dans une pièce avec un homme visiblement en colère contre moi, qui a passé un bon cinq minute à me répéter que je lui avais jeté un sort, que j’étais une saleté d’omeg et qu’il ne pouvait pas. » Je dis alors « Et je ne sais très sincèrement pas ce qui se serait produit si Britannicus n’était pas entré au moment ou il est rentré. »
Voilà, c’était dit. J’aurais aimé pouvoir dire que je n’étais pas soulagée, mais cela aurait été mentir. Ce qui était certain, en revanche, c’était que désormais, Mafalda ne pourrait être que de mon côté. D’ailleurs, elle fronçait les sourcils, et secouait la tête-
« Non. » Elle dit alors d’un ton sec.
Comment ça, non?
« Ce n’est absolument pas ce qui s’est produit. Beria n’est absolument pas ce genre d’homme- l’as-tu vu? Il a bien assez de femmes qui lui tombent dans les bras, il n’a pas besoin- cesse donc de raconter de telles sornettes! »
« Il l’a- mais vous étiez là! »
« Oui, et j’ai vu, tu lui faisais les yeux doux, à le fixer de la sorte...» Elle s’énerva, au point de devenir rouge écarlate « Il est plus que temps de t’apprendre les bonnes manières ma fille, et ça commence aujourd’hui. »
« Si c’était votre fille qui venait te voir et te dire ça, c’est vraiment ce que tu lui dirait? »
« Beria n’est pas ce genre d’home, pour commencer, et deuxièmement, même si c’était vrai, Cassie ne se serait jamais mise dans une pareille situation. » Mafalda secoua la tête « Elle a le sens de la mesure et des bonnes manière. Toi tu parles et tu agis avant de réfléchir, pour ensuite te plaindre des conséquences. »
Je détaillai un moment Mafalda, de ses cheveux blonds presque blanc, retenu dans un chignon lâche, ses yeux gris si franc, et cette expression si absolue au visage. Je me rendis compte qu’il faisait froid, il faisait si froid, et j’étais seule.
Mafalda s’en fichait tellement de moi qu’elle préférait se voiler la face, Scetus était trop amoureux pour oser quoique ce soit, Mathurin et Madame Catherine m’avaient jeté sous la calèche avant de tomber, Tante Lydia m’avait tourné le dos, Daniel m’avait abandonné, Barthy s’était volatilisé, Papa était mort et Maman était partie au large.
J’étais seule.
Une envie fulgurante de pleurer me prit, et ce n’était pas même de la tristesse. Je n’étais pas en peine, j’étais… terrassée.
J’étais seule, et j’avais été idiote d’imaginer ne pas l’être. Je n’avais été qu’un outil pour eux, tous, et Mafalda ne faisait pas exception. J’avais été stupide d’imaginer autre chose, comme une idiote, je m’étais laissée endormir, j’avais cuis à petit feu.
Bien, me valait tard que jamais, je suppose.
Je pris donc ma tasse, et l’avalais d’une traite.
« Merci, pour cette conversation. Ça a remis certaines choses au clair. » Je dis en me levant.
« Et pas si vite jeune fille! Nous n’en avons pas terminé. »
« Au contraire Madame Regiris, je pense que tout ce qui devait être dit et expliqué l’a été. Dormez bien. » Je répliquai froidement avant de fermer cette porte derrière moi.
Fini les conneries.