Ma porte claqua et un silence bien tranquille s’installa entre mes tympans mais également dans mon âme.
La raison de cette paix intérieure, c’était trois certitudes absolues:
1. Quoiqu’il e passe, Madame Regiris n’interviendrait pas. Elle n’avait après tout aucune raison de le faire.
2. Si je ne rampais pas devant Lazarus, cela serait la fin de la Sidonie.
3. Il était hors de question que je rampe.
Rien n’y ferait, je ne le ferai pas. Je n’y parviendrais pas. L’idée même me donnait envie de tout casser, et mes entrailles me faisaient bien sentir que si d’aventure je m’y essayais, non seulement je me brulerais l’âme mais en plus ma mauvaise fois serait si évidente que le tout serait inutile.
Je n’avais aucune raison de le faire de toute manière. C’était à lui de s’excuser, c’était lui qui m’avait frappée, et enfermé ici, et ce regard, par tous les Saints! Comment pouvait on exiger de moi que je le supplie de m’épargner après un regard pareil vraiment?
Une autre idée me vint, et me conforta dans cette certitude. Si je le faisais, si je me pliais à cela, alors j’admettais que l’important, ce n’était pas qui avait raison. Tout ce qui importait, c’était sa volonté et non, navrée, mais non. Le monde ne tournait pas autour de son bon petit plaisir, tout du moins, très certainement pas moi.
Pire encore, si je le faisais, alors cela tuerait peut-être le petit truc qui me protégeait de la Voix. Et cela, je le refusais.
Je tentais une dernière fois d’ouvrir ma fenêtre afin de m’enfuir, mais comme les fois précédentes, un mur invisible stoppa ma main. Si étrange. L’air caressait doucement mon visage, sans problème, et mon être, lui demeurait coincé entre ces murs.
Oui, cela serait donc la violence. Je suppose que j’avais fini pour de bon de courir.
L’ironie ne m’échappa pas. Passer toute sa vie à courir, pour ça.
Quelqu’un là-haut se payait royalement ma tête.
Et bien tant mieux pour lui et tant pis pour moi. C’était ainsi, on n’y changerait rien. Dans quelques heures, Lazarus viendrait, tenterait de m’achever et qui sait, peut-être allais-je m’en sortir?
Un combat n’était jamais couru d’avance, tante Lydia nous le répétait à longueur de temps.
Mes mains n’en tremblaient pas moins.
Je ne savais pas qui prier, dans ce panthéon de divinité. Les Esprits de Famille avaient plus ou moins démontré qu’ils n’intercéderaient pas en ma faveur. Peut-être était-ce juste au fond, je les avais probablement trop sollicité.
Pas de fuite, mais de la force, s’il vous plait, donnez moi un peu de force, au moins pour rester digne.
J’allais finir dans le néant après tout. C’était là pour moi une certitude, mais également une sorte de réconfort. Puisque j’allais de toute manière payer le prix éternel, ou pouvait bien me faire quelques fleurs ici et là, non?
J’aurais aimé pouvoir les rejoindre, les Esprits de Famille, j’aurais aimé, vraiment aimé, devenir celui de Lizzie. Pas même toute sa vie, simplement, une nuit, une heure même. Pouvoir constater qu’elle allait bien, lui murmurer qu’elle n’était pas seule-
Non.
Non, désolée, mais je ne pouvais pas l’accepter, je ne pouvais pas mourir ainsi. Lizzie, je devais être vivante pour la protéger par tous les Saints! Que lui vaudrait un murmure, quand je connaissais la lourdeur de ce silence!
N’importe qui, quelqu’un, par pitié, ne m’abandonnez pas de la sorte! Sortez moi de la par pitié! Étais-je si mauvaise, pour que vous me laissiez mourir de la sorte! Satine Cassini, étais-je si peu digne de votre pitié? N’accepez vous pas en votre sein les plus prolifiques de tous les pêcheurs pourvu qu’il se repentisse? Cette grace me serait-elle refusée-
On toqua à ma porte.
Je demeurais un instant interdite, en me secouant plusieurs fois la tête.
En venir à prier les dieux, je pestais intérieurement alors que mes pas me guidaient vers la porte, tu es tombée bien bas ma parole.
Je fis chavirer la poignée sans effort, m’attendant à tout, mais ne vis rien.
Il n’y avait rien dans ce couloir-
« Dodo, je sais que je suis pas bien grand, mais quand même. » Britannicus chuchota.
« Par tous les Saints- qu’est-ce que tu fais ici à une heure pareil! » Je m’écriais « Tu dois aller te coucher, tu dois-»
« Non. Je ne vais pas faire ça. » Il dit en se glissant dans ma chambre.
Je remarquais alors qu’il était habillé comme en journée, tenait sa petite peluche de chien et portait un petit sac sur les épaules.
« Britannicus »
« Il faut que tu partes, Dodo, et je vais venir avec toi. » Il poursuivit fermement, le regard brillant. « Je sais que M’sieur va venir, et je ne veux pas, il ne va pas t’approcher. Comme ça, tu n’auras pas à t’excuser et tout ira pour le mieux. »
« Tu as écouté aux portes. »
« Oui, mais c’était vraiment facile, vous parliez très fort. » Il renchérit « Tu devrais faire ton sac toi aussi. J’ai pris des petits trucs dans la cuisine, mais à partir de demain c’est l’hiver donc il faut vraiment bien se couvrir. »
« Britannicus, c’est ici ta maison, et tu dois aller à l’école-»
« Ça n’a jamais été ma maison ici, et ça ne le sera jamais. Mafalda, elle ne m’aime pas, et pour tout te dire, moi non plus je ne l’aime pas trop. Elle dit des choses trop vilaines sur ma maman, alors que c’est elle qui la faisait pleurer. »
« Mais Scetus, il va être inquiet si tu t’en vas. Il aura peur pour toi. »
« Il n’aurait aucune raison, je suis avec toi. Et puis, on pourra toujours aller le voir, un jour, plus tard. Je pourrai lui écrire pour lui expliquer. » Il protesta et une moue assez désespérée, très proche du sanglot commençait à se dessiner sur son visage.
Bien, c’était officiel, quelqu’un venait de m’arracher le coeur à pleine main. D’ailleurs, si d’aventure quelqu’un le récupérait, je serais très reconnaissante que l’on me le rende.
À partir de ce moment là, comment étais-je supposée le laisser ici? Mais…
« Britannicus, écoute moi-»
« Tu ne vas pas me laisser ici, tu ne peux pas. » Il dit fermement.
« Je veux que tu comprennes, que si je pars, cela sera très dur, et dangereux. Je ne peux pas t’exposer à ça, tu comprends? »
« Je serai courageux et fort »
« Tu es courageux, et tu es fort, tu n’as pas besoin de le prouver. Simplement, je ne veux pas que tu aies à l’être, je veux que tu sois heureux, au chaud, et en sécurité. »
« Je ne suis pas heureux ici, je veux être avec toi. »
« Écoute »
« Ne m’abandonne pas Dodo, s’il te plait. » Il dit, les yeux brillants, des larmes commençant à s’en écouler-
Et d’accord, non, non, non!
J’avais fait ce que j’avais fait, mais il ne serait pas dit que je ferais pleurer un enfant comme ça, non, et très certainement pas Britannicus. Je n’y tins plus, et déposais un bisous sur sa joue.
« Jamais. » Je murmurai alors. « Viens, aide-moi à faire mon sac. »
« Pour de vrai? »
« À une condition. » Je dis fermement « Tu feras ce que je te dis de faire. Si je te dis de ne pas faire de bruit, tu te tais. Si je te dis de te cacher, tu te caches. Si je te dis de courir sans te retourner, tu le fais, sans discuter. D’accord? »
Britannicus demeura prostré une seconde, tout à fait pétrifié, et je commençais à m’inquiéter franchement quand il sauta à mon cou et me serra de toutes ses forces.
« Je t’aime Dodo, comme ma Maman. » Il murmura, la voix toute tremblante, et moi aussi je me mis à pleurer toutes mes larmes de mon corps.
Quelque chose au fin fond de mon âme s’apaisa.
« Moi aussi je t’aime Britannicus, ne pleure pas. » Je dis alors, en essuyant les larmes de ses joues.
« C’est pas de la tristesse. » Il murmura en reniflant « On va aller ou, à Sorarnoyi, comme tu voulais? »
« D’abord je dois m’assurer que certaines personnes vont bien. »
« Le Monsieur qui a dit les choses sur toi? »
« Oui, et sa femme, et Lizzie. » Je dis calmement.
Il allait d’ailleurs falloir faire vite, car je ne me faisais pas beaucoup d’illusions sur leur sujet, si je venais à me volatiliser du manoir. Il fallait les prévenir, et en profiter pour demander des explications, et Lizzie, par tous les Saints! Il fallait que je la prenne dans mes bras et que je lui demande pardon-
Bref, assez d’émotions pour une nuit, tout ça.
« Bon, on n’est pas encore sorti, il y a un sortilège de confinement tout autour du manoir qui bloque tout ce qui n’es pas Regiris, donc je ne peux pas le franchir-»
« Ça ne sera pas un problème. » Britannicus dit clairement, un petit sourire aux lèvres.
« Comment ça? »
« On ne va pas passer par les grandes portes, on va sortir par les galeries. » Il répliqua d’un air tout bonnement malicieux. « Tu te souviens de la fois ou une ghoule est sortie du mur? »
Je suis quand même un peu déçue si un tête-à-tête avec Beria ne vient pas confirmer (ou mieux, infirmer) la thèse de Mafalda.