49. Assaut

Par Arod29
Notes de l’auteur : Le dernier chapitre de la première partie du livre.

L'inquiétante forteresse de la Confrérie des Âmes se dressait comme un roc au milieu des arbres. Le soleil déclinant lui donnait un aspect encore plus effrayant, elle semblait avoir été lâchée du ciel par des anciens Dieux honteux d'avoir créés une telle oeuvre. Ce soir-là le petit groupe mené par Arshard campèrent sans feu. Depuis de nombreuses heures, ils n'avaient croisé aucun animal, pas même le moindre petit oiseau chanteur. L'endroit semblait vierge de vie. Ils attaqueraient au milieu de la nuit.

Toute la troupe était assise, éparpillée. Personne ne parlait. Une tension planait au dessus du camp, même chez les Ourzes. Arshard mastiquait un bout de viande séchée. Son visage était fermé à toute sollicitation. Selenn était épuisée par les heures de marches. Elle ota ses bottes et ses chaussettes. Ses pieds enfin libres se plongèrent dans un petit monticule de neige. Ils n'y restérent pas longtemps mais suffisament pour qu'elle ressente un bien-être passager. La jeune femme sentit le regard d'Arshard se poser sur elle. Elle ne sut dire si elle l’appréciait ou si cela la gênait. Sans doute un mélange des deux, malgré sa bienveillance, il lui semblait qu'Arshard ne lui disait pas tout. Elle avala un morceau de viande et se coucha. Dans un demi-sommeil elle crut sentir une main se poser sur son visage. Sans doute un rêve. Elle sombra jusqu'au petit matin.

Selenn ouvrit les yeux brusquement, le silence recouvrait toujours les lieux et un manteau de brume habillait la forêt des larmes. En se redressant, elle distingua les silhouettes des Ourzes, tous debout et tous tournés dans la même direction. Ils regardaient les deux grandes tours noires de la forteresse qui se lançaient vers le ciel, parsemées de pieux acérés. La brume tournait autour des constructions hideuses, les enlaçant mais ne parvenant pas à les faire disparaître dans ses bras. Selenn n'avait jamais vu une telle architecture, même la Tour Blanche de Cyryul paressait bien moins impressionnante. Comment une simple confrérie avait pu atteindre un tel niveau de pouvoir?

Elle interrogea Arshard.

— Comment cette confrérie est...

— Aussi puissante?

— Leur chef Nersho Sills est un roublard et un manipulateur. Il n'a pas son pareil pour souffler à l'oreille des puissants. Je ne sais si c'est une forme de magie mais c'est ainsi qu'il est devenu ce qu'il est. Un jour il m'a raconté qu'il n'était pas né sur Milsden qu'il était venu par la mer. Il serait le fils du roi d'un pays au de là des océans. Un prince des menteurs et un lâche.

— Tu as l'air de bien le connaitre.

— Oui en effet, j'ai oeuvré pour lui sur quelques contrats.

Il hésita un instant. Selenn le remarqua.

— Mais c'était bien avant qu'Auxane ne m'ouvre les yeux. C'est un piètre combattant mais son charisme lui vaut d'être très bien entouré. Quand des femmes et des hommes sont prêt à mourir pour toi, à quoi bon savoir manier l'épée. 

— Et Alzebal? Tu as travaillé pour lui?

— Je suis un mercenaire jeune Selenn. Oui j'ai travaillé pour le redoutable Alzebal.

— Tu l'as rencontré?

— Jamais. Personne ne rencontre Alzebal. C'est une légende, un mythe.

Selenn nota un léger sourire sur le visage d'Arshard.

— Le nord pour Nersho et le Sud pour Alzebal.

— C'est bien plus complexe que cela et ce n'est pas le moment. Je te laisse un instant. Prépare toi.

Selenn se leva et enfila ses bottes. Elle frissonna, les doigts glacés du froid venaient de s'engouffrer dans son dos. Elle garda sa couverture sur les épaules et s'approcha des Ourzes. Un mauvais pressentiment l'envahissait, ils n'étaient pas assez nombreux. Cette forteresse était gigantesque. C'était une attaque suicide. Elle chercha Arshard. Ce dernier lut la détresse sur le visage de la jeune femme.

— Ne t'inquiète pas Selenn. Nous sommes assez nombreux si c'est ton inquiétude.

— C'est de la folie d'attaquer avec aussi peu de guerriers. 

— Tu n'as pas encore vu les Ourzes à l'oeuvre.

— On est pas assez nombreux Arshard. Elle est gigantesque cette forteresse.

— Ne panique pas Selenn. Tout est prévu. Nous avons un plan.

— Je peux savoir lequel?

— Tu auras la surprise mais t'avoir avec nous fait partie de notre plan.

Arshard lui fit un clin d'oeil.

— Nous attendons le signal.

— Et c'est quoi ce signal?

— Sois patiente.

Selenn scruta la forteresse à la recherche du signe attendu par Arshard. L'endroit était sinistre. De nombreuses sources de lumières vacillaient dans la brume.

— C'est le moment.

— Tu as vu le signal.

— Je l'ai senti.

— Je ne comprends rien Arshard.

— Tu comprendras à la fin de l'assaut.

La troupe se mit en mouvement vers la forteresse. D'un pas assuré, ils se dirigèrent vers l'entrée principale. Le pont levis était curieusement baissé. Sans s'arrêter les guerriers traversèrent le pont. Selen réprima un haut le coeur quand, sous la pâle lumière de la lune qui émergeait des nuages, les cadavres éventrés des gardes gisaient sous le porche. Même la brume ne parvenait pas à dissimuler le massacre.

— Arshard! murmura t-elle.

— Je t'avais dis que l'on était assez nombreux.

— Mais qui a fait ça?

Arshard sourit.

***

Les branches fouettaient le visage de Sinfen. Le mage courrait. Sa magie lui avait permis de voir où était Selenn. 

Je vais y arriver! Je le sais! 

Il ne pouvait échouer.

Le pont était en vue, les eaux du fleuve des Larmes grondaient et avertissaient Sinfen que le passage allait être rude.

Sa poitrine lui faisait mal. Il s'arrêta. La nuit étendait son drap obscur sur Milsden. Sinfen s'assit sur la berge.

— Skalshir!

Le feu crépita dans l'ancien âtre.

Il dormit quelques heures. 

***

L'intérieur de la forteresse était désert. Une large place pavée, dénuée de verdure, s'étendait devant le bâtiment central. Hérissé de pointes il ressemblait à un prédateur. Ses façades était dénuées de fenêtres, la seule ouverture était une petite porte en bois sur laquelle était gravé un cheval-squelette ailé. Ils traversèrent la place jonchée de dizaines de cadavres déchiquetés. 

— Arshard?

— Des amis. Des amis. Ne sois pas si pressée. Tes questions auront toutes leurs réponses bientôt. Maintenant Selenn, nous arrivons au seuil de cette porte. Elle ne s'ouvre que de l'intérieur. Aucune faille dans ce bâtiment, c'est la seule entrée et la seule sortie. Tout dépend de toi.

Arshard, dont la voix s'était durcit, prit Selenn par les épaules. Ses deux mains calleuses la tenaient fermement mais sans violence.

— Utilise ton pouvoir Selenn.

— Ca ne marche pas sur commande!

— Ta sœur est ici. Il est impossible d'entrer sans toi. Tu es la clé.

— Mais je ne sais pas comment faire. Mon pouvoir apparaît quand je suis en colère pas quand je suis effrayé!

— Ecoute moi bien Selenn! Je ne t'ai pas tout dit sur ta sœur.

Les yeux de Selenn s'écarquillèrent.

— Ta sœur a été torturé, violé et nous ne savons pas si elle est toujours en vie. Ces tortionnaires n'ont aucune pitié. Chaque seconde est importante. Énerve toi Selenn!!!

Arshard la frappa. Selenn le regarda avec stupeur.

— Laisse la colère monter en toi!

Arshard leva la main à nouveau pour la frapper mais elle ne parvint pas au visage de la jeune femme. Le mercenaire fut projeté quelques mètres plus loin.

Selenn se tourna vers la porte et cria. La porte fut dégondée et projetée vers l'intérieur. La jeune femme en furie entra dans l'antre de la confrérie des âmes.

Elle balaya tout sur son passage, prononçant des mots qu'elle n'avait jamais appris mais qui lui paraissait familier.

Les guerriers Ourzes s' apprêtaient à rentrer mais Arshard les arrêta.

— Attendons un peu nous achèverons ceux qui sont encore en vie. N'oubliez pas l'objectif!

Selenn descendit les escaliers. Chaque mot qu'elle prononçait se changeait en énergie.

Chaque garde était projeté par des ondes de chocs.

***

Sinfen haletait. Ses vêtements étaient trempés et il était à bout de forces. Son passage de la Rivière des Larmes avait failli avoir raison de lui. Le froid l'enveloppait. 

Je ne peux pas laisser tomber maintenant!

Il hurla.

— Debout!!

Il tituba et reprit sa course. Il n'avait pas assez d'énergie pour tenter une sortie de son corps pour voir où était Selenn.

***

— Allez on y va! Trouvez Nersho!

Les Ourzes se précipitèrent, armes à la main, les blessés furent achevés. Au lieu de suivre Selenn, ils montèrent dans les étages riches en tapisseries luxueuses, tuant tous ceux qui croisaient leur chemin.

— Ourzes! Par ici!

Arshard indiquait une porte richement orné. Le plus grand des Ourzes défonça la porte à coup de hache en hurlant. Une grande pièce, luxueusement décorée, s'offrait à leurs yeux. Au fond un homme applaudissait, assis sur un trône. Revêtu d'une armure finement forgée, son visage buriné, recouvert de tatouages en formes de petites croix, invitait à la violence. Son regard brûlait. Un cheval squelette ailé tatoué se déployait sur son crâne. Arshard crut même le voir bouger.

— Bravo messieurs! C'est un bien joli coup! Je ne m'y attendais pas.

Deux femmes, têtes baissées, vêtues d'une armure noire se tenaient debout sans bouger de part et d'autre du trône. Leurs crânes dépourvus de cheveux portaient une marque. Un cheval squelette ailé identique à celui qu'arborait Nersho.

Arshard ricana.

— C'était un plan compliqué, je dois avouer que je suis surpris qu'il ait fonctionné aussi parfaitement! Mais dis moi, le guerrier érudit regarda autour de lui, depuis quand te prends tu pour un roi?

— Je suis le roi des Terres Sauvages.

— Tu n'en as ni la prestance, ni l'intelligence.

—  Je te trouve bien arrogant pour un homme qui va bientôt mourir.

Arshard ignora les paroles de Nersho et le questionna.

— Qui sont ses deux statues à côté de toi?

— Mes filles. Eryse à droite, Broscyse à gauche.

— Sont elles en vie ou les as tu empaillé Nersho?

L'homme éclata de rire.

— De tous tes défauts Arshard, c'est ton humour que je préfère. Dans quelques instants, tu risques d'avoir tes réponses et je ne suis pas sûr que tu aimes.

— Allez les Ourzes, une prime supplémentaire pour les deux statues.

Les guerriers poussèrent un cri de guerre et se précipitèrent vers les femmes immobiles.

Deux haches se levèrent et s'abattirent sur les deux filles de l'homme du trône. Les armes s'entrechoquèrent. Les femmes venaient de parer les coups sans lever la tête.

Elles repoussèrent de concert les lames des deux Ourzes et redressèrent leurs visages.

Aucune émotion ne se dégageait d'elles. Elles levèrent leurs épées et frappèrent. Leur vitesse était surnaturelle. les guerriers tombèrent un à un sans pouvoir riposter. Une dizaine tombèrent sous les coups violents. Eryse, l'ainée, s'acharna sur le visage d'un Ourze, la tête du pauvre guerrier devint une bouillie sanguinolente.

— En Arrière!

Arshard tendit le bras pour arrêter les guerriers. Il dégaina une épée de bel ouvrage.

— Laissez les moi. On a déjà perdu trop de bons combattants.

Arshard se positionna devant les deux femmes couvertes du sang des guerriers Ourzes. Elles attaquèrent. Arshard para chaque coup avec une célérité inouïe. Les Ourzes se regardèrent, la surprise se lisait sur leur visage. Le guerrier érudit attaqua et enchaîna les coups d'estoc et de taille, tout en tournoyant sur lui-même dans une danse meurtrière. Eryse et Broscyse contrèrent ce qu'elle purent et récoltèrent quelques estafilades et plaies sur les bras et les jambes. Arshard ne semblait pas essoufflé tandis que les deux filles de l'homme du trône donnaient des signes de vie. Elles semblaient souffrir. Broscyse attaqua Arshard qui n'eut le temps riposter. Elle s'empara de l'épée de son adversaire et leva son arme pour l'abattre sur Arshard qui, dans un ultime mouvement, esquiva le coup, il pivota tout en dégainant une dague de sa ceinture et enfonça son arme dans le crâne de la jeune femme qui chuta lourdement sur le sol avec une expression d'étonnement sur le visage.

— Et une de moins.

Eryse resta sans bouger pendant quelques secondes, cherchant du regard son père mais le trône était vide, Nersho avait disparu.

— Visiblement ton papa est parti petite. Un père exemplaire.

Elle laissa tomber son arme sur le sol et tomba à genoux devant le corps de sa sœur. Les larmes coulaient le long de ses joues.

— Je vous la laisse les gars. Par contre pas de primes, j'ai fait tout le boulot!

Arshard ramassa son épée et sortit. Les guerriers et guerrières Ourzes s'approchèrent de la femme et elle fut massacrée sur le corps de sa sœur.

***

Selenn descendait les escaliers vers les profondeurs des geôles.

Les gardes agonaisaient à ses mots.

Elle parvint dans la pièce des cellules.

De nombreux gémissements parvenaient à ses oreilles. Son cœur battait fort à la pensée de ses retrouvailles avec sa petite sœur. Elle brûlerait tous ceux qui se mettrait entre elles.

Elle prononça son prénom plusieurs fois mais seuls des cris de douleurs lui répondirent.

— Je suis désolé Selenn.

Arshard était derrière elle, la tête baissée.

— Où est-elle Arshard?

— Elle n'a jamais été ici.

Selenn écarquilla les yeux.

L'aura du guerrier qui avait tant plu à la jeune femme venait de disparaître. Elle ne voyait qu'un homme faible pétrit de culpabilité. Alors que la fin approchait une vague de regrets submergea Arshard. Ses sentiments pour la jeune femme était fort et il regrettait amèrement d'avoir accepté ce maudit contrat. Les remords ne l'avaient jamais rongé jusqu'à ce moment.

— Je suis...

Arshard s'interrompit. L'incompréhension avait envahi le regard de la jeune femme.

— Je ne comprends pas.

— Je suis désolé . Tu as été manipulé jeune Selenn. Je t'ai manipulé.

— Laisse moi lui montrer Arshard.

Une autre voix s'était invitée. Selenn l'identifia sur l'instant.

— Auxane?

— Il n'y a pas d'Auxane, il n'y a que ta crédulité et ta stupidité.

Selenn recula d'un pas.

— C'est impossible.

Derrière Arshard surgit une silhouette qui se révéla être une femme sans âge au regard ambré, ses cheveux courts et ocre semblaient luire dans la pénombre. Ses vêtements sombres comme la nuit ressemblait à un uniforme.

— Je me présente Izen Carda.

Selenn secoua la tête.

— Non non non! C'est Auxane qui m'a guidé jusqu'ici.

— Même devant la vérité. Tu continues à nier l'évidence mais il est vrai qu'il n'est jamais facile d'admettre que l'on s'est fait berné.

La jeune femme annona et ferma les yeux.

— Ma soeur?

— Morte pendant les Trioms. J'ai moi-même enfoncé, elle tapota un petit fourreau à sa ceinture, ce poignard dans la gorge de ta soeur. Je revois encore son regard d'incompréhension et de douleur.

La fausse déesse eut un sourire narquois. Selenn rugit de colère et de douleur.

— Je vais vous détruire!!!

— Ma pauvre enfant, tu ne pourrais pas me faire le moindre mal. Sais tu dans quel endroit tu te trouves?

Selenn regarda les lieux. La colère montait prête à jaillir.

— Les geôles de cette forteresse ont une particularité. Les cellules sont construites avec un métal extremement rare nommé Heylios et vois tu il absorbe la magie. Ici tu n'as plus aucun pouvoir, moi non plus d'ailleurs mais je n'ai en plus besoin en cet instant.

Selenn ne bougeait plus, ses émotions l'assaillaient de toute part. Elle tomba à genoux comme un pantin désarticulé. Le visage de sa soeur vêtu de souffrance lui apparut une fraction de seconde. Et d'un ton résigné, murmura.

—Et maintenant vous allez me tuer.

— Non non non Selenn, nous avons de grands projets pour toi mais pour l'instant tu es un danger. Ta magie est trop puissante mais nous allons remédier à cela. Tu deviendras notre marionnette.Il y a bien pire que la mort.

L'esprit de Selenn s'était engourdi du trop plein d'émotions mais la jeune femme avait besoin de réponses.

— Pourquoi moi?

La mage réfléchit un instant.

— Mon bon coeur me perdra mais tu as gagné le droit de savoir. Vois tu, la Confrérie des Âmes a toujours été le plus gros obstacle à l'expansion de notre maître Alzebal. Les Terres Sauvages sont à eux depuis des centaines d'années. Maintes fois nous avons essayé de prendre cette maudite forteresse. Nous avons échoué à chaque tentative. Nous avons tout essayé!

Elle serra les poings.

— Ces portes étaient inviolables. Il fallait une magie puissante. Nous avons formé des Somb. Une véritable armée. Mais notre magie, aussi sournoise soit elle, n'a pas cette la capacité suffisante de destruction. Alors nous avons cherché dans les vieux ouvrages de la bibliothèque d'Alzebal et nous avons trouvé! Une magie oubliée. La magie de la voix. La Nylminancie. Elle ne s'apprend pas, elle est héréditaire, elle se lègue. C'est toujours l'ainée et c'est toujours une femme. Tu commences à comprendre n'est ce pas? Tes ancêtres étaient des mages puissants aussi puissants qu'un Dieu. Retrouver ta lignée ne fut pas facile mais j'y ai toujours cru. Quand enfin nous t'avons trouvé. Nous avons fait profil bas. Nous avons essayé d'éveiller tes pouvoirs plusieurs fois sans succès. Nous n'étions même sûr que tu avais les capacités de Nylminancie alors nous t'avons enrôlé chez les adeptes d'Auxane. Nous t'avons drogué à hautes doses de magie des ombres. Et ca a marché.

— Sylti. Vous avez utilisé ma soeur, mon père pour...

Elle s'interrompit et réprima un sanglot.

La mage noire sourit.

— En effet, c'est finalement grâce à elle que nous t'avons éveillé à ton pouvoir et ta crédulité a fait le reste!

— C'est trop... Elle hésita. Parfait.

Les yeux d'Izen s'écarquillèrent et elle attrapa Selenn à la gorge. Instinctivement, Arshard mit la main à la garde de son épée mais les doigts puissants d'une Ourze l'empêcha de dégainer. Elle lui murmura à l'oreille.

— Toi vivre.

La furie d'Izen l'empêcha de surprendre le geste des deux guerriers. Elle serra le cou de Selenn.

— Trop parfait!! Trop parfait!! C'est quasi un miracle si tout a fonctionné! Toutes ces années à te chercher! Nous n'avions aucune certitude, tu aurais pu n'être qu'une coquille vide! Et puis tu t'es éveillé trop tôt! Ce crétin de Kjeld s'est planté et t'a laissé t'échapper. J'ai du te suivre dans cette forêt infect en me faisant passer pour une putain de déesse! C'est un putain de miracle si ça a réussi!!!

Aussi rapidement qu'elle s'était emportée Izen se calma et relâcha son étreinte. Selenn vacilla et reprit son souffle. Toute sa vie n'était qu'illusion. La colère se disputait au désespoir. Elle chercha du regard Arshard. Izen le remarqua.

— Et notre cher Arshard! Il a été parfait. Une pièce maitresse dans notre plan d'ailleurs tu as bien mérité ta récompense.

La mage fit un geste et un Ourze s'approcha avec un gros sac rempli d'argent.

Arshard regarda Izen et tourna les talons sans mots dire. Il jeta un oeil sur la guerrière qui l'avait empêché d'intervenir.

La mage noire écarquilla les yeux et tenta de faire bonne figure. Elle ne voulait pas se mettre à dos Arshard, ce qui aurait signifié d'avoir pour ennemi les Ourzes.

— C'est inattendu! Le grand Arshard s'est-il découvert une conscience sur le tard ou a t-il décidé de travailler gracieusement?

Le guerrier ne se retourna pas et d'un ton impérieux, il déclara:

— Donnez le aux Ourzes!

Il ne pouvait accepter cet argent. Il s'était fourvoyé et comme lui avait signifié le geste guerrière Ourze, vivre lui permettrait peut-être de venir en aide à Selenn.

Arshard en montant les escaliers qui le menait vers la sortie croisa un nain qui les descendaient. Il portait un grosse besace marron en cuir usé. Sa démarche était lente et pesante. Le guerrier érudit se sentit mal à l'aise à son passage. 

— Jarvis! S'enthousiasma Izen qui oublia aussitôt la défiance d'Arshard.

Les yeux du nain, d'un bleu aussi sombre que les eaux profondes de la Mer des Filaments, semblaient pouvoir pénétrer les esprits. Il n'en était rien. Jarven Hyur était à l'origine un apothicaire. Les nains étaient peu nombreux dans le royaume de Milsden et la plupart étaient des criminels particulièrement cruels. Ce qui était le cas de Jarvis.

— Je te présente Jarvis Hyur. Le peuple nain est fascinant. Ils sont la race la plus pacifique que je connaisse, un peuple avec une grande connaissance des arts de la médecine et en même temps les plus vils que j'ai pu rencontrer. Je ne sais pas à quoi tient tout ça mais la majorité des nains qui vivent à Milsden sont les pires êtres qui ont foulé nos terres. Jarvis est le meilleur dans son domaine. La torture, qu'il a transformé en art.

L'effroi glaça le corps de la jeune femme. Jarven eut un petit rire sardonique. Il ouvrit son gros sac et en sortit une aiguille recourbée, puis une bobine de fil, qui luisait légèrement dans la semi-pénombre. Il la déroula et, minutieusement, il inséra le fil dans le chas de l'aiguille. Un colosse Ourze saisit la jeune femme qui tenta de se débattre mais elle était maintenue avec force. Les larmes coulèrent sur ses joues déjà humides d'avoir trop pleuré.

— Non ne faites pas ça! Je vous en supplie.

Jarvis s'approcha d'elle la main levée.

— Ca va piquer au début.

Il ricana mais cela ressemblait plus à un couinement.

— Et à la fin aussi.

Selenn regarda l'aiguille s'approcher, le visage du nain était proche, elle sentait son haleine chaude et méphitique. La pointe effilée s'enfonça sous sa lèvre inférieure. Le colosse lui maintenait la tête. La jeune femme gémit.

— Ce fil est spécial petite. Il empêchera l'infection. Une fois posé, il te sera impossible de l'enlever et tu seras incapable de prononcer le moindre mot. Je suis un grand amateur de silence.

Izen ricana.

— Jarven tu es un véritable artiste.

Le couturier continua son ouvrage avec dextérité et passion. Les yeux de Selenn l'implorait d'arrêter. La souffrance était insoutenable et elle sombra dans les draps de la douleur.

Arshard caché dans l'embrasure de la porte, détourna le regard et sortit du bâtiment. La neige avait cessé et une lance luisante de soleil avait transpercé les nuages. Les sombrages embrasaient les alentours de la forteresse.

Le guerrier s'assit sur un banc et cacha son visage dans ses mains.

Elle ne méritait pas ça.

***

Les yeux de Sinfen contemplaient avec horreur la forteresse des âmes qui brûlait. Le mage vacilla et posa une main sur un arbre proche de lui. Il expira de désespoir et murmura.

— Qu'ai je donc fais?

Les larmes de Sinfen coulèrent, mélange de peine, de douleur et de colère contre lui-même.

Je suis tellement désolé Selenn.

Il ferma les yeux et sentit un bras robuste enserrer son cou. Une voix ferme l'interrogea.

— Qui es tu étranger?

Sinfen agrippa son agresseur et invoqua la magie.

— Skalshir!

Un cri de douleur retentit tandis qu'une flamme s'enroulait autour de la main de son assaillant. Ce dernier enfouit son bras enflammé dans la neige et de l'autre s'empara de son bouclier pour se protéger.

— Saleté de mage!

— Qui es tu barbare? Que je sache qui je vais frire!

Sinfen bluffait, il était incapable de projeter des flammes sans un contact physique. D'une voix sans peur, l'agresseur lui répondit sans ambage.

— Je suis Arshard Fellone.

Sinfen pesta.

— Encore un de ces minables mercenaires à la solde d'Alzebal n'est ce pas?

— Je ne suis à la solde de personne et je ne répondrais plus à aucune question tant que je ne saurais pas qui tu es mage. Présente toi!

Sinfen ne parvint pas à prononcer son vrai prénom. 

— Je suis Kjeld.

Arshard eut un sourire moqueur.

— J'ai déjà entendu ton nom dans la bouche répugnante d'une orombre. Tu dois être encore un de ces minables mages à la solde d'Alzebal!

Sinfen baissa les yeux.  L'inconnu avait raison. Arshard l'apostropha de nouveau.

— Et que cherches tu dans ce lieu de mort?

— Une amie.

— Une amie? Tu donnes un nouveau sens à ce mot puisque tu l'as trahie d'après ce que je sais Kjeld.

— C'est vrai j'ai trahi Selenn mais je n'avais pas le choix.

Arshard abaissa son bouclier, se redressa et ricana.

— Le choix? L'excuse des lâches qui n'assume pas.

Sinfen secoua la tête.

— Tu parles sans savoir. Regarde toi mercenaire. Tu as trompé Selenn pour de l'argent. Mes raisons n'avaient rien à voir avec mon enrichissement personnel! Tu es un scélerat tout comme moi. Ne te donne pas de grands airs de philosophe. Tu n'es qu'un larbin.

Arshard resta coi quelques instants, digérant la vérité. Il hésitait entre le tuer ou reconnaitre ses erreurs. Il choisit la deuxième solution.

—  Je le reconnais. Mon seul but était l'argent. L'argent c'est la liberté et ma conscience a toujours supporté de petites entorses à la moralité.

Le regard du guerrier se troubla un instant mais il continua sans céder à cette soudaine émotion.

— Mais cette fois, et pour la première fois, je n'arrive pas à vivre avec. Ce que j'ai fait me terrifie et le sort de la pauvre Selenn me hante.

Le coeur de Sinfen se serra.

— Où est elle? Que lui ont ils fait?

Le regard du guerrier s'assombrit.

— Ils lui ont...

Arshard s'interrompit et mit la main devant sa bouche.

— Je t'en prie. Dis moi.

Il lâcha ses mots comme s'il se débarassait d'un fardeau.

— Ils lui ont cousu les lèvres pour l'empêcher d'utiliser ses pouvoirs.

Les yeux de Sinfen s'emplirent de larmes. La culpabilité comprima sa poitrine. Pendant quelques instants les deux hommes se regardèrent, partageant les mêmes remords et seul le bruit  sec du festin des flammes, qui dévoraient la forteresse, empêchait le silence d'être total.

Le mage s'approcha du guerrier.

— Tu serais mort si tu avais levé le petit doigt.

Arshard approuva de la tête.

— Mais ne valait-il mieux pas la mort aux remords.

Sinfen posa la main sur l'épaule du guerrier.

— Tes repentirs prouve que mourir était inutile. Dorénavant nous avons un but commun.

— Retrouver Selenn.

— Du sais je y passer le reste de ma vie.

— Et la mienne.

Les deux hommes se serrèrent la main et scellèrent ainsi un pacte tacite. 

***

Selenn était allongé à l'arrière d'une cariole. Chaque cahot accentuait la douleur. Jarvis était assis en tailleur à ses côtés, il caressait les cheveux de la jeune femme.

— Ne t'inquiètes pas Selenn je vais bien m'occuper de toi. Dis moi quand tu auras faim. J'ai des soupes divines pour toi. C'est la seule chose que tu pourras avaler dorénavant!

Le contact des mains sur ses cheveux étaient répugnant. Selenn voulut hurler mais seul un gémissement étouffé s'échappa de ses lèvres cousues. La douleur était intense. 

— Tu es ma chose maintenant.

Les larmes coulèrent sur les lèvres blessées de Selenn, ses pleurs se chargèrent de sang avant de chuter et tâcher de rouge le bois du sol.

— Tu es ma chose.

 

FIN DU LIVRE I

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez