Presque tous les jeudis maintenant, Maël partait quelques minutes plus tôt pour le lycée, et faisait le détour par le supermarché, près duquel se tenait une boite jaune frappée du logo “La Poste”. C’était comme un rituel, qui lui faisait du bien – et lui permettait de survivre aux deux heures de mathématiques par lesquelles il commençait sa journée.
Il glissa l’enveloppe dans la fente, après avoir pour la millième fois vérifié qu’il y avait bien adresse et timbre. Puis il se dirigea à pas lents vers le lycée, se retournant jusqu’à ne plus voir la boite de métal, au cas où sa lettre sortirait d’elle-même et s’enfuirait.
Il se demandait souvent si Eliott gardait lui aussi chacune des lettres qu’il envoyait. Maël avait pris une jolie boite de carton blanc, qu’il avait personnalisée avec grand soin et cachée sous son lit. Il lui arrivait de la ressortir et de parcourir une fois de plus les mots de son ami. Si l’encre s’était usée à force d’être lue, il se retrouverait certainement face à des feuilles vierges.
Il avait mémorisé chacune des courbes des lettres d’Eliott, l’angle délicat des jambes de ses “p”, “j”, “g”, “y”, etc ; il aurait pu les reproduire. D’ailleurs, c’est ce qu’il voulait faire dans son prochain message, imiter l’écriture de son correspondant. Un peu comme une surprise, un cadeau qu’il pourrait lui faire même à des centaines de kilomètres.
Il passa la grille du lycée et, imperceptiblement, se replia sur lui-même. Il n’était pas frappé par les autres élèves, seulement insulté ; mais il savait que tout pouvait basculer d’un jour à l’autre. Et si leurs mots ne le touchaient pas, leurs coups le blesseraient sans aucun doute. Il n’était pas très fort, plutôt maigre même, et ne saurait se défendre s’il le devait.
Il traversa les couloirs globalement vides pour le moment : il aimait arriver en avance. Il en profitait pour réviser, écouter de la musique ou lire, assis devant sa salle. Et puis, ça lui évitait d’avoir ensuite à se frayer un chemin parmi des groupes de gens qui au mieux ne l’entendraient pas, au pire se moqueraient de ce petit gringalet qui marchait seul. Il n’était pas très grand, et devait parfois lever la tête pour voir le visage de certains élèves.
Il s’installa dos au mur, juste à côté d’un pilier sur lequel il posa sa tête. Il enfila ses écouteurs et mit le son assez fort pour couvrir le bruit des conversations des rares élèves dans les couloirs à cette heure. Il aurait voulu relire la dernière lettre d’Eliott, mais ne l’avait pas prise avec lui, au risque de la perdre ou de se la faire voler, déchirer ; qui sait ce qu’en auraient fait ses camarades, s’ils l’avaient trouvée.
Il ferma les yeux et se laissa envahir par la musique. Ses pensées divaguèrent, et il se retrouva à se demander à quoi pouvait bien ressembler son ami. Était-il brun ? Blond, les cheveux roux, noirs ? Peut-être avait-il une teinture ? Ses yeux étaient-ils bleus, ou verts ? Peut-être marron ? Clairs, foncés ?
Puis une seconde question apparut dans son esprit : et Eliott, quel physique lui donnait-il, à lui ?
C’était une expérience étonnante que de parler avec quelqu’un dont on ne connaissait pas l’apparence ; mais étonnante de façon positive. Il n’y avait pas de préjugés, et peut-être que nous ne serions pas allé vers cette personne au premier abord.
La sonnerie retentit, le sortant de ses pensées. Le couloir était plein, et il avait le corps presque collé contre le mollet d’un camarade de classe. Déjà, on chuchotait en lui lançant des regards dérobés. Il retint son soupir et rangea ses écouteurs, puis se leva, pas du tout prêt à affronter ce cours de mathématiques. Au moins avait-il à peu près compris ses équations ; merci papa.
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Hey !
Je me suis rendu compte que je n’avais jamais demandé comment tu allais, ou espéré “que tout va bien” ; je suis désolé.
C’est vrai que de longs messages entrainent de longs messages, et nos lettres s’allongent petit à petit. C’est que c’est agréable de t’écrire, de pouvoir parler de tout et rien.
Comme tu l’as dit, mes poèmes sont très personnels, et je ne me vois pas les présenter à quelqu’un, même toi. Peut-être un jour.
Et je suis certain que ces dessins ne sont pas si horribles et que tu es simplement trop dur envers toi-même. Tiens… Je ne te montrerais un poème que quand tu me montreras un dessin !
Au début, oui, cette distance (aussi bien propre que figurée) avec mes parents me pesait. Mais je me suis aperçu que ça ne s’arrangerait sûrement pas, alors… Je ne voulais plus perdre de temps à m’inquiéter pour ça. Même si, c’est sûr, il m’arrive encore de regretter mon enfance, et nos liens à cette époque.
Je suis ravi pour toi que tu sois proche de tes parents, je pense que c’est quelque chose d’important. Profites-en bien !
Mais ne sommes-nous pas tous anormaux, d’une certaine façon ? Ne t’inquiète pas, je ne le prends pas mal. Et puis, j’en suis conscient : je ne suis pas normal, dans le sens où je ne rentre pas dans la norme des personnes de mon âge. Sourd, malade ; personne ne veut être comme ça, alors en faire des codes sociaux !
En parlant de surdité… Eh bien, je n’ai pas de chanteur préféré, puisque je ne peux pas écouter de musique. Mais si j’avais la possibilité ne serait-ce que pour une journée d’entendre correctement, la musique serait clairement dans ma liste de choses à faire.
Oh, ces moments de lecture doivent être magiques ! Ça m’arrive aussi de sortir dans le parc de l’hôpital, mais il y a du monde, et on vient souvent vérifier que je vais bien, donc… Ça sort un peu de l’immersion.
Tes phrases sont parfaites, ne t’en fais pas. Je crois même que tu écris mieux que certains auteurs que j’ai pu lire…
Ces personnes que je rencontre sont peut-être idiotes, oui, mais ça n’empêche que ça m’arrive d’être démoralisé à cause de ça ; à cause de ça, de mes parents, de ma vie qui est tout de même réglée et assez compliquée, sans aucune fantaisie… Bref, je dois bien reconnaitre qu’il y a des fois, non, ça ne va pas, cette maladie m’agace.
Merci pour tes gentils mots (j’ai l’impression qu’on dit ça à chaque fois !), c’est… Très gentil, quoi.
Bye !
Eliott.
Vite vite la suite !
Tu as pas mal de répétitions du mots élèves dans ce chapitre. Aussi, un petit point dur avec les lettres, est que comme chacune aborde plusieurs sujets, et que chaque lettre est une réponse à l'ensemble des sujets. Si le lecteur ne se souvient pas d'un petit truc dans la lettre précédente il peut être dérouté sur le contenu de la lettre réponse.
Bon, dérouté est un mot un peu fort. Mais je pense que tu m'as compris.
Oui, tout à fait !
En effet... C'est vraiment quelque chose qui va falloir que je fasse dans la réécriture, raccourcir les lettres pour qu'il n'y ait qu'un ou deux sujets par envoi, pour ne pas avoir 10 conversations parallèles...
Merci de tes remarques :)
C'est marrant, je me suis prise à imaginer le physique de Maël et d'Eliott... Je suis curieuse de savoir comment tu les imagines, on peut tellement avoir d'images différentes pour une même histoire. Pour moi, par exemple, Maël est roux avec les cheveux bouclés et de jolies taches de rousseur alors qu'Eliott est grand et blond avec les yeux verts, pourquoi ? C'est un mystère ! ... En tout cas encore une très bonne lecture. Je lis la suite dès que possible.
Je crois que pour moi, les deux sont bruns 😄
Mais j'ai fait le choix de ne pas ou peu parler de leur physique justement pour cette raison, pour que chacun puisse s'identifier et les imaginer comme ils veulent ^^
Je suis ravie que ça te plaise, et j'espère que la suite le sera tout autant <3