5. La bibliothèque (part.2)

« Quelle autre organisation ?! »

Allongée sur mon lit, la couverture jusqu’aux épaules, je tenais de trouver le sommeil, mais ma curiosité prenait toujours le dessus et paroles de Tobias revenaient. Mes bras pendaient dans le vide et semblaient morts par rapport au reste de mon corps qui était raide comme pas possible. Mes cheveux noirs étaient étendus un peu partout sur mon oreiller et me chatouillaient, autre facteur qui empêchait le rêve de m’atteindre. J’avais les yeux grand-ouverts. A travers ma fenêtre, j’entrapercevais une demi-lune qui brillait faiblement. Cette lueur était minime oui, mais elle semblait raviver l’envie d’en savoir plus à mon cerveau. Elle était là, dehors. Elle attendait. Qu’on vienne percer tous ces secrets ? Que quelqu’un comprenne enfin le pourquoi du comment ? Comment, pourquoi tout est arrivé ? Que cherche-t-elle ? Que veut-t-elle ? Assailli par ces questions à une heure tardive, mon cerveau finit par laisser la place au sommeil.

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Soit un nombre complexe z et une inconnue x. Le nombre imaginaire facteur de z est égal à l’inconnue ajoutée à…

Dans le quartier le plus sombre de Londres, une lumière électrique coupée par des rideaux occultants et des volets fermés faisait rayonner une pièce carrée au murs anormalement blancs par rapport à la vue que donne la façade de l’immeuble. Si à l’extérieur les murs semblaient rongés par l’humidité et totalement décrépits, ils étaient étonnamment propres et lisses dans cette chambre. Une silhouette tapait frénétiquement les touches de son clavier d’ordinateur portable. En s’approchant, on pouvait distinguer plusieurs symboles et formules mathématiques inscrits dans un tableau Excel, qui par des nouveaux calculs se modifiaient constamment. Quand enfin il sembla satisfait, il ferma l’ordinateur furtivement, comme s’il avait peur que quelqu’un fouille son ordinateur et trouve ce tableau désormais rempli de formules savantes, sans aucune signification pour une personne ordinaire. Une personne ordinaire c’est quoi ? Pour lui, c’est un Londonien landa qui ne sort de chez lui seulement lorsque les applications de courses en ligne sont en réparation, un écolier, collégien ou lycéen qui ne va au collège que pour suivre un cours d’art-plastiques, ou un retraité qui passe ses journées au parc. Après un court temps, il éteignit les lampes électriques, et ouvrit les volets et les rideaux le plus silencieusement possible, comme si la pire des situations serait que l’on aperçoive ne serait-ce qu’un instant de la vie, dans ce quartier que personne ne connait.

Dans ce quartier qui est apparu après.

Le jeune homme passa sa main dans ses cheveux bruns emmêlés, bailla et s’écroula sur son lit, sans pour autant fermer les yeux. Ses yeux noisette étaient entrouverts, juste assez pour voir une ombre -d’humaine cette fois- passer, s’arrêter devant sa porte et repartir.

- Qu’est-ce qu’elle fois debout à cette heure-là ? se chuchota-t-il.

A Londres, il y a très peu de personnes qui ne suivent pas cette routine. C’est très difficile de trouver quelqu’un qui aime prendre des risques, voire sortir dans la rue juste par unique plaisir de trouver des choses nouvelles. Du mystère, du danger, de l’aventure. Il croyait même qu’il n’y en avait aucune.

Mais ça, Tobias le croyait jusqu’à aujourd’hui.

~¤~

- Donc, fit la professeure de mathématiques. Si l’on a un triangle rectangle, et la connaissance d’un côté comme l’hypoténuse, on peut trouver la longueur des côtés suivants en effectuant une formule complexe.

Elle inscrivit des tonnes de nombres avec sa vieille craie avec une vitesse hallucinante, mais pareille à ce qu’elle a toujours fait. Cette prof, on l’a depuis la sixième. Et je peux dire qu’en troisième, on en a marre. Vivement le lycée, vivement la fin de l’année. Vive Geor**-note de l’auteure : avec un surplus de cette vanne sur PA, j’ai décidé de censurer la fin de cette expression culte dans ce chapitre-. Je l’écoutais, mais à moitié. Le coude sur ma table, ma tête posée sur ma main, j’avais du mal à suivre au rythme de la prof. Ily, assise à côté de moi, écoutait attentivement. Elle n’avait jamais aucun problème à écouter et à suivre les cours de maths. Je l’enviais. Moi, je dévisageais à tour de rôle tout ce qui était autour de moi. Passant par la porte en bois non-poli depuis 1910 au plafond dont des particules de peinture écaillée menaçant de tomber sur nous à chaque minute. C’était…plutôt intéressant (c’est absolument faux). Je soupirai. Je déteste les cours de maths. Et je ne suis pas la seule. Il me suffit de tourner la tête d’un quart de tour pour voir l’ensemble des élèves parler entre eux. La prof les laisse faire mais au bout d’un moment elle risque d’exploser. Tobias s’était assis devant moi. Il n’écoutait pas non-plus. Soit il regardait son portable, soit il écrivait des choses incompréhensibles sur son cahier de maths. Qu’est-ce que c’est qu’un logarithme ? Je n’en savais rien à ce stade. Mais rassurez-vous, j’allais apprendre en terminale. Blague à part, comme je n’avais rien à faire j’ai recopié tout ce qu’il avait mis sur son cahier. Ça ne sert à rien oui mais ça fait passer le temps.

Après le cours de maths, il y eut le cours de physique chimie. Là, j’ai même pas envie d’en parler. Tout ce que je faisais était de regarder dehors et admirer la forêt de sapins autour du bâtiment, rêvant d’y aller un jour.

Au réfectoire, il n’y avait pas beaucoup de monde, alors je fus heureuse de redécouvrir le rab.
En plein repas, alors que j’étais assise avec Ily, Georg et le principal arrivèrent, et le silence s’installa. Le principal commença un discours comme quoi avec l’assassinat de la reine, les cours étaient suspendus jusqu’à nouvel ordre. J’était plutôt contente, mais revoir le principal et le concierge devant l’ensemble des établissements scolaires avec cet air si sérieux ne me rappelaient que des mauvais souvenirs.

Maintenant, je voyais plus que les yeux de la créature. Je voyais son corps irrégulier doté de plusieurs paires de pattes et d’un corps recouvert de liqueur verdâtre. Je vis avec horreur une rangée de dents pointues.

- ça ressemble à ça une créature énervée ? demandai-je faiblement à mon frère.

Il ne répondit pas.

Il me prit la main et m’entraîna brutalement vers la sortie de la médiathèque. Je ne sais pas si la créature avait eu pitié de nous avec la connaissance de ce qui allait suivre, ou elle n’avait pas fait le tilt, mais elle ne nous suivit pas. Zack enfourcha son vélo, m’aida à monter à l’arrière et pédala le plus vite possible loin de ce cauchemar.

Nous arrivâmes devant des bâtiments déserts. Les cours avaient déjà commencé. Chaque pas que nous effectuions, renforcés par le bruit de crissement de chaîne de vélo, provoquaient une rupture de silence angoissante. Nous finnisâmes par nous séparer, moi dans mon petit bâtiment, lui dans le sien.

Georg s’avança, une feuille de papier dans ses mains.

En rentrant dans la classe, je vis que ma maîtresse me regardait avec inquiétude.

Il s’avança de quelques pas, semblant vouloir annoncer la pire des nouvelles en douceur, un sourire au coin des lèvres. Je me dis que, si Georg souriait, il devait être à moitié rassuré.

Ily était absente, alors je m’asseyais au premier rang.

Je n’attendis pas longtemps avant que la vie scolaire vienne me chercher.

Georg ouvrit la bouche pour parler, avant d’être coupé par le principal. Sons sourire s’effaça aussitôt, et avec lui, mon anxiété revint.

Ils ne m’emmenèrent pas dans la petite salle de convocation du rez de chaussée mais dans le bureau du principal. Le trajet fut long. Je pus même voir la dame de l’intendance regarder les informations, comme quoi il venait d’y avoir une nouvelle attaque. A un moment, un des surveillants mit sa main sur mon épaule, non comme signe de réconfort, mais comme geste compatissant. « Tout ça juste pour un retard ? » me dis-je.

- Je sais que vous vous attendez à un discours, commença le principal avec une voix dure, et vous serez servis. Puis vous pourrez rentrer chez vous et ne plus étudier pendant le temps restant de l’année comme ça la moyenne générale des élèves de Londres baissera encore.

Georg et moi eûmes un rictus. Bien que l’on ait trente ans d’écart, on avait été tous les deux dans la même situation, à quelques dizaines d’années d’intervalles. Il m’avait toujours conseillé de, quoi qu’il advienne de Londres, poursuivre ma scolarité, pour ne pas devenir comme les autres. Pour savoir, le moment venu. Le crâne dégarni en ligne droite du principal acheva de m’enlever mon sérieux. Georg nous avait dit lors d’une permanence, à Ily et à moi, qu’il avait eu un problème de tondeuse. Avant d’être principal d’établissement scolaire, il avait été ramasseur de poubelles.

- Ou alors, continua-t-il (et je sentis l’espoir dans sa voix) vous pouvez poursuivre votre scolarité. -Georg fit la grimace-. Oui, il est possible de continuer à donner le meilleur de vous-mêmes, voire vous tuer à la tâche, en étudiant sérieusement dans des cours mis en place par nos chers sauveurs le Juste Traitement.

Je pense qu’il attendait des réactions de notre part. Au lieu de cela, ce fut le silence complet.

Oh putain, ça m’a achevée…je me mis à pouffer de rire discrètement.

Les deux surveillants qui nous avaient accompagnés se retirèrent. Me laissant seule devant une porte en bois lisse, avec l’inscription « Mr le principal » gravé en lettres d’or. Je toquai trois fois, puis pénétrai dans ce bureau grand pourtant exigu, imposant mais ridicule, lumineux mais plus sombre que la ruelle la moins éclairée de Londres. Je compris ce qui se passait dès que je vis mon frère dans la pièce. L’ancien principal était devant nous deux, assis bien droit sur sa chaise, ses mais posées devant lui. Il regardait lui aussi les informations, prêtant à moitié attention à nous. J’essayai de capter le regard de mon frère, mais je ne voyais pas son visage. Sa tête était baissée. Je tournai furtivement ma tête vers le principal.

- Eh bien…dit-il, on peut dire que vous êtes sacrément en retard tous les deux.

Je baissai la tête de culpabilité.

- Je pourrai vous faire un rapport, vous signaler, voire pire vous renvoyer pour ça. Mais par indulgence pour vos résultats scolaires, je ne l’ai pas fait. J’ai appelé vos parents.

Il se leva lentement, et dirigea l’écran de son ordinateur vers nous. « Inutile de continuer monsieur, j’ai déjà compris » pensai-je.

A mon grand étonnement, j’arrêtai de rire. Georg me regardait fixement, m’interrogeant du regard. Je fis mine que ce n’était rien d’important. Et je n’en pensais pas moins. J’avais bien d’autres moyens de continuer ma scolarité, sans avoir besoin de faire appel à ces…Puis ce fut au tour du principal de me regarder avec insistance avant d’annoncer :

- Et j’ai la mauvaise nouvelle de vous annoncer que notre médiathèque a été vandalisée puis brûlée par des voyous qui vont être arrêtés dans les jours qui suivent.

Et puis quoi encore, accuser et condamner des innocents ?! Non mais !

- Mais ce n’est pas tout, poursuivit-il encore une fois. J’aimerais vous annoncer la mort d’un homme recherché pour ses nombreux crimes contre l’humanité (=toujours le JT). On a retrouvé mort ce matin Zack Blae-Stanigster dans une station de métro. On lui a assené de nombreux coups de couteau, et il a été vaincu par une hémorragie. Et dire qu’on le recherche depuis dix ans, rit le principal, qu’on a tout essayé pour le choper, et qu’un parfait inconnu l’a achevé d’un simple couteau.

Le principal, était le seul à rire. Tout le monde se tournait vers moi, qui était plus assaillie par la colère que par la tristesse.

- Alors oui, j’ai appelé vos parents, dit-il en réglant le son de son ordinateur, mais…ils…ils ne m’ont pas répondu.

« On annonce la mort de dizaines d’habitants dans le quartier externe de Londres, dont de regrettables personnalités importantes, ayant perdu leurs rôles dans cette ville mourante. »

*

- Dis-moi Zack, tu ne vas pas mourir toi, hein ? dis-je en lui prenant la main.

- Non, me répondit-il. Je passerai à l’action un jour, et ce ne sera même pas une vraie mort. Ce sera une mort maquillée. Mais il faudra que toi tu partes. Que tu t’enfuies le plus vite et le plus loin possible.

Mon dieu…Qu’est-ce qu’il a fait…

Tout le monde me regardait en s’éloignant de moi. Peu m’importe ce qu’ils pensaient de moi.

Maintenant, je savais ce que j’avais à faire.

 

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