Je n’osai pas bouger. La créature lunaire était devant moi, semblant attendre que je bouge. Sa forme brumeuse ondulait dans le noir comme un chat agite sa queue de plaisir devant sa proie. Je ne voyais dans ses yeux ni haine folle, ni cruauté, juste…une envie d’assouvir un désir meurtrier. Voilà pourquoi je déteste tant ces créatures. Elles n’ont aucune raison de prendre des vies, tuer des gens, mais elles le font. Comme ça, sans contexte, sans raison. Elles le font.
Je restais plantée là à la regarder dans les yeux, sans ciller. Elle ne s’énervait pas, elle semblait…intriguée. Quelqu’un lui tenait tête, cela devait être nouveau pour elle. Elle savait très bien qu’elle pourrait tuer cette jeune fille avec ne serait-ce qu’un seul coup. Pourquoi alors ne pas le faire ? Son regard redoubla d’intensité, je fis de même, fronçant les sourcils. Je ne me laisserai pas faire. Pas comme…quand…
L’étagère fondit sur moi. En me reculant sur le côté, j’en butai une autre qui s’écrasa par terre. Zack ramassa sa lampe et grilla les yeux de la créature qui courait derrière lui. Celle-ci hurla de plus belle, mais ne bâtit pas en retraite. Elle disparut d’un coup, mais Zack restait vigilant. Je n’avais pas réussi à me dégager de la deuxième étagère. Zack courait vers moi, mais j’étais horrifiée de savoir que la créature pourrait revenir à chaque instant. De plus, j’avais mal à la tête. Une migraine croissante brouillait ma vue, et je finis par réussir à me dégager. Je me jetai dans les bras de mon frère qui m’étreignit quelques secondes avant de me lâcher en me murmurant à l’oreille :
- Fais le moins de bruit possible. Elle revient. Et elle veut tuer cette fois.
J’écarquillai les yeux en apercevant derrière mon frère la créature sous une toute autre forme, encore plus horrible qu’avant.
Tobias pointa sa lampe vers la créature, qui recula sous le choc, avant de fondre sur lui et de l’envoyer par terre. Il se réceptionna sur son épaule, je pus entendre un craquement. Tobias ne se relevait pas. Le tout s’était produit en quelques secondes.
- Alors là, criai-je, je vais te…
Avant d’ajouter quoi ce que soit, la créature disparut. J’eus quelques secondes d’hésitation avant d’aller voir Tobias, qui se relevait péniblement, tenant son épaule de sa main droite. Pourquoi la créature était-elle partie ? En aidant Tobias à se relever, je compris pourquoi : une camionnette venait de se garer devant le bâtiment.
- ‘Faut qu’on parte, dit Tobias abruptement, avant de dégager mon bras.
Fronçant les sourcils, je le suivis, marchant rapidement vers la sortie de secours. En sortant dans la rue, je sentis une rafale de vent me décoiffer, vent que j’apprécie tellement lorsque je sors d’une situation difficile. D’une étrange façon, elle me donnait de l’espoir. Tobias voulait accélérer le pas, et finit par m’attraper par le bras, m’entraînant de force dans une rue voisine. Plaquée contre un mur glacé, je ne voyais pas trop ce qui se passe. J’entendis un bruit de portière, signe qu’un homme en était sorti, puis un bruit très significatif : un interrupteur. Tobias et moi écarquillâmes les yeux. Généralement, lorsque le Juste Traitement veut en finir avec une menace, il utilise un interrupteur. Sauf que là, la menace, c’était nous. Croyez-moi, vous ne voulez pas savoir ce qu’est un interrupteur. Un laser pointa le mur derrière lequel nous étions cachés. Je tremblais, sentant déjà ma mort venir, mais Tobias en décida autrement. Il se mit à courir, m’entraînant avec lui, alors que nous entendîmes la première détonation.
Un silence. J’arrêtai de courir.
La bibliothèque venait d’exploser sous mes yeux. C’étais un tas de cendres.
Oubliant l’homme du JT, je rebroussais chemin vers ces cendres chargés de la plupart des souvenirs de mon enfance. Les larmes me montaient aux yeux. Je m’agenouillais, et couvrait ma bouche avec ma main. Je réprimai un sanglot. De nouveau effondrée, impuissante, face à n’importe quelle menace. En quelques millièmes de secondes, une partie de moi avait volé en éclats. Une larme chaude coula sur ma joue, je n’osai même pas faire un regard réprobateur à l’homme, qui rentra dans sa camionnette et partit de suite. Tobias me rejoignit, et nous regardâmes la poussière de nos souvenirs.
Merci le Juste Traitement. Nos héros, luttant chaque jour contre les créatures lunaires, sauvant les familles de l’apocalypse qui nous tend les bras.
Détruisant notre vie et notre passé.
*
Sur le chemin du retour, l’ambiance était maussade. Je n’osai pas jeter un regard à Tobias, qui ne semblait pas aussi peiné que moi par rapport à ce qui venait de se passer. Plus que de ressentir la moindre peine, je croyais qu’il était en train de réfléchir. Réfléchir à quoi ? Je tournai la tête vers lui, il n’y prêta pas la moindre attention. Puis nos chemins se séparèrent, et il me regarda pour la première fois. Ce que je voyais dans ses yeux était comme du respect, mais en mieux. Il était reconnaissant. Mais il y avait autre chose aussi. Ce respect était mêlé à une sorte de peur. Infime, oui. Mais inhabituelle. Avant que nous ne suivons nos deux rues opposées, il me chuchota à l’oreille :
- Quoi qu’il arrive, ne fais jamais confiance aux organisations.
Puis il s’éloigna, suivit sa route, et moi aussi. Je retrouvai mon hameau de maisons, et avec lui, des questions. Là c’est clair, j’avais de nouveau un avertissement comme quoi je ne devais pas tenir tête à l’organisation du JT. Ils avaient osé utiliser un interrupteur devant nous, ou sur nous ?! Et ce qu’ils avaient détruit serait vite effacé de leur CV. Au fond, on ne sait rien sur eux. On ne sait même pas ce qu’ils font. Bien sûr que je vais me méfier d’eux. En poussant la porte de ma maison, elle me résista. Fermée, signe que mon frère était là. C’était rare. Donc évidement je n’avais pas pris mes clefs. Je contournai le jardin sans aucun grillage, avant de rentrer par une fenêtre ouverte. Tobias n’avait pas besoin de me dire de me méfier du Juste Traitement pour que je le fasse. Ils avaient ruiné ma vie. Moi qui passe la plupart de mon temps dehors, ils ont toujours tout fait pour m’en empêcher. J’ai même l’impression que ces derniers temps, ils cherchent à détruire tout ce qui m’est cher. Je fronçai les sourcils. Ça n’avait rien de bon. En posant ma lampe par terre, je me rappelai d’un détail : Tobias avait dit de me méfier des organisations. Au pluriel. Je repensai alors au Marécage, au solstice, au Big Ben, à l’interrupteur qui avait fait sauter la bibliothèque. Puis au quartier n’apparaissant pas sur les cartes de la ville, et à l’homme étrange que j’y avais vu.
Quelle autre organisation ?