En quittant l’espèce de tunnel de sapins, Brenna se rendit compte qu’elle n’avait pas récupéré son portable. Cela l’énerva, surtout si le message qu’elle avait reçu était important. Mais bon, ce n’était pas sa priorité. Le tunnel débouchait sur une des entrées d’un petit village complètement isolé. Il n’était pas très grand, et Brenna en fit le tour en à peine cinq minutes. Il y avait une auberge -à quoi bon y aller, elle avait déjà installé une tente-, quelques boutiques dont une pharmacie et un bar. L’endroit le moins sûr, mais le plus rentable pour obtenir des informations, c’était bien un bar. Elle décida donc de commencer son enquête par là.
Entretemps, elle réalisa qu’elle avait passé des dizaines de minutes à marcher dans ce tunnel, qui n’avait pas paru bien long lorsqu’elle avait scruté les environs depuis la cabane de Raphaël. Etrange.
En poussant la porte du bar, elle retira tout de suite sa phrase. Ça, c’était étrange.
Le bar n’était quasiment pas éclairé. Les LED choisies pour l’éclairage n’étaient pas blanches comme à son époque, mais rouges, ce qui éclairait que dalle. Habituée à la lumière du jour, le changement brusque de l’éclairage l’obligea à fermer les yeux un moment. Bon, ça, ce n’est pas du tout pourquoi je qualifierais ce bar d’étrange. J’ai oublié de préciser quelques détails. Une bonne dizaine de clients (donc à peu près tous les hommes du village) s’étaient rassemblés ici, et avaient les yeux grands ouverts en voyant passer Brenna. Ils la fixaient puis, dès qu’elle sortait de leur champ de vision, l’oubliait comme si elle n’était jamais passée par là. Ils devaient avoir bien bu. Brenna elle était de plus en plus agacée, car bien qu’elle eût de belles formes et qu’elle le savait, elle n’aimait pas se savoir regardée de cette manière. Les chaises étaient toutes tordues, comme s’il fallait plier son dos de 45° vers la droite pour s’asseoir correctement. On ne sait pas où est passé, le/la barman, qui est inexistant. Le bar était une salle faite de pierre ancienne et de colombages de bois.
Après avoir pris soin de fermer la porte, elle s’accouda au bar, et, comme si elle s’y attendait, un barman apparut devant ses yeux, trempé de sueur -il avait dû courir à une vitesse pour passer comme ça de la cuisine à la salle…-. Sa première réaction, à la vue de Brenna, fut :
- L’alcool est interdit aux mineurs, jeune demoiselle.
Brenna sourit. Le barman poussa une un cri exclamation :
- Mais je vous connais vous ! Vous êtes la folle qui…Enfin la jeune fille qui avait prit un vol de Londres à ici hier, et qui était allée dans la forêt noire après !
A l’évocation de la forêt noire, qui était le domaine des deux clans de loups-garous les plus redoutés du pays, la moitié des clients se retournèrent et recommencèrent à fixer Brenna de leurs yeux ronds. Le barman était en effet l’homme qui l’avait aidée à enlever ses bagages de la soute de son avion. Et qui l’avait avertie du danger avant qu’elle n’installe son campement dans le territoire du clan de la mère des loups. Brenna sourit de plus belle. Elle ne voulait pas lui faire peur, ni l’impressionner, elle voulait juste lui montrer qu’il s’était trompé sur sa nature et sur sa capacité à survivre dans les milieux les plus hostiles.
- Oui, c’est bien moi. N’empêche que je ne suis pas venue ici pour boire et finir comme les hommes derrière.
- Ah oui ? dit l’homme, étonné.
- J’ai une question : Qui, ici, connaît le mieux la région, et les histoires des deux clans de fullmoons…euh de loups-garous compris ?
L’homme réfléchit un instant, scrutant chaque client, puis se retourna en indiquant un homme au fond de la salle et dit :
- Lui : George. Mais il faut faire attention, ce qu’il dit n’est pas toujours vrai. Il est un peu atteint.
- c’est vrai que vous avez l’air d’être l’humain le plus censé de toute la région.
Le barman sourit.
- Si tu as besoin de mes services, dit-il en souriant gentiment, revient ici. Je m’appelle Gill.
Brenna lui rendit son sourire, allant vers le fond de la salle pour interroger ce fameux George. Quand elle fut à moins d’un mètre de lui, elle regretta son choix de commencer par le bar : George avait l’air d’être encore plus buté que les autres. Il avait l’air endormi, affalé sur sa chaise tordue, mais avait les yeux ouverts. Ça devait être un effet d’optique lié à la lumière rouge, mais Brenna eut l’impression que ces iris étaient rouge vif. Il avait des cheveux couleur charbon mal coiffés et une barbe mal-rasée. Son t-shirt de Dumbeldore lui retirait tout son sérieux. Brenna tira une chaise et s’assit à la même table que lui. Il semblait marmonner les mêmes paroles :
- Je vais chier sur E.L.R.I.C. Ça lui apprendra à prendre mes feuilles d’histoire-géographie et de mathématiques.
- Bonjour monsieur, commença Brenna.
George tourna la tête vers Brenna, qui put se rendre compte que le rouge vif était vraiment la couleur de ses yeux. Son regard était sans vie, extrêmement morose. Il mit un bout de temps à comprendre que quelqu’un s’était adressé à lui.
- J’aimerais vous poser une question, continua Brenna d’une voix fluide, paisible.
- Fais gaffe je suis le roi des pigeons. Rooouu rooooouuu. J’ai eu un passé douloureux…J’ai reçu une équerre sur la tête.
Brenna comprit tout de suite que c’était perdu. Il était vraiment atteint. Mais Gill ne l’avait sûrement pas conseillé pour rien. Il savait des choses. Elle balaya son regard sur cet étrange homme. Un détail l’interpella : Il y avait deux tâches de sang, dont une au niveau de son cœur, et une à droite de sa cage thoracique. Quelqu’un lui avait tiré dessus ?
- On vous a tiré dessus ?
George se concentra. On voyait que l’effort lui causait une certaine douleur :
- Oui, on m’a tiré dessus. Mais je le méritais, moi aussi j’ai tiré sur quelqu’un. (Brenna l’écoutait avec attention, mais elle était loin de se douter que la victime de la balle de George était Arthur). J’ai eu un passé douloureux, une vie tragique…et …parfois…je peine à rassembler mes souvenirs, comme si on les avait remodelés. Mais j’en ai rassemblé quelques-uns, et j’ai écrit une histoire avec.
- Ah oui ?
- Ça s’appelle « Je suis mort », déclara-t-il en disant ces mots comme s’il priait quelque chose.
- Sinon, vous ne sauriez pas quelque chose sur…
La porte du bar s’ouvrit à la volée. Raphaël rentra discrètement dans le bar, et tendit son portable à Brenna.
- Il y a un message pour toi, dit-il avec une pointe d’amertume dans la voix.
Brenna prit son portable, et lit avec horreur :
Contrainte non-respectée
Brenna n’est pas injoignable par Zack
Les deux groupes seront soumis à un gage :
Le groupe de l’an 1497 va être soumis à une épreuve.
Le groupe de 2019 va perdre quelque chose de précieux. Et Brenna ne retrouvera jamais sa sœur.