Viya se réveilla tard le lendemain. Sa nuit fut peuplée de rêves où elle revécut en continu l’humiliation de l’avant-veille. Elle se trouvait dans l’arène des Joutes et revoyait les fanions écarlates se lever, encore, et encore, et encore, tandis qu’Eugénia riait. Quand elle ouvrit les yeux dans la chambre qu’on lui avait assignée au 12, Dreamyard Alley, elle mit un temps à se souvenir des derniers événements.
Elle se redressa sur le fin matelas. Ceux des lits du dortoir des Orateurs devaient bien faire trois fois son épaisseur et elle avait mal au dos. Elle disposait au moins d’une pièce pour elle toute seule, se consola-t-elle, bien que celle-ci ne soit pas des plus reluisantes. Les murs étaient revêtus d’un papier peint beige qui tirait sur le jaune, des tâches d’humidité constellaient le plafond, le vieux parquet grinçait, et l’unique fenêtre encrassée s’ouvrait sur la rue, grise et sale. En plus du lit, elle comptait un bureau qui penchait un peu sur la gauche, un poêle en fonte et une commode - sur laquelle des vêtements propres avaient été posés.
Lorsqu’elle se fut lavée et habillée, elle gagna la cuisine. Un homme qu’elle ne connaissait pas y déchargeait des victuailles. Il avait entamé la soixantaine, mais arpentait la cuisine à petits pas énergiques, en calant les vivres qu’il transportait sur son ventre rond. Le chat - Cheshire -, louvoyait entre ses jambes et menaçait de le faire trébucher.
– Oh, tu dois être Viya, fit-il en l’apercevant. Je suis George.
– L’Intendant, se rappela-t-elle.
Il acquiesça. Elle lui demanda s’il avait besoin d’aide, mais il lui commanda plutôt de monter au deuxième étage après avoir pris son petit-déjeuner, où se trouvait la Bibliothèque. Fid devait déjà l’y attendre pour débuter sa formation.
Une bouffée d’angoisse la saisit à ses mots et l’empêcha de manger quoi que ce soit. Jugeant qu’il ne servait à rien de repousser l’instant où le Légendier découvrirait l’ampleur de sa médiocrité, elle décida de le rejoindre tout de suite.
Sur le palier du premier étage, elle tomba justement sur l’homme, qui s’apprêtait à monter au second. Lorsqu’il la vit, il demeura figé, fronça les sourcils et s’écarta de la rampe qu’il agrippait fermement. Peut-être réalisait-il qu’il n’avait pas été parfaitement lucide la veille et cherchait-il à esquiver la leçon du jour…
– Monte d’abord, marmonna-t-il. J’arrive.
– Pourquoi ? s’étonna-t-elle, incapable d’interpréter la phrase autrement que comme une défiance.
– Parce que.
C’était une réponse indigne d’un ancien Orateur. D’ailleurs, elle était formellement interdite au sein du 26, Place des Orpailleurs. Viya en fut interloquée. La veille aussi, il n’avait pas daigné l’accompagner jusqu’à sa chambre, se contentant de lui indiquer comment la trouver. Soit Fid souffrait d’une sérieuse et incongrue phobie des escaliers en plus de sa peur de la navigation, soit il…
– C’est votre jambe ?
Fid posa sur elle un regard mauvais.
– Vous ne voulez pas que je vous voie en difficulté quand vous montez, comprit-elle.
Elle l’avait entendu grimper les degrés à pas extrêmement lents la nuit dernière. Viya comprenait parfaitement sa réticence à montrer sa faiblesse. Elle-même s’évertuait à dissimuler de son mieux sa maladresse maladive.
– Ce n’est pas un problème, je peux vous aider, proposa-t-elle en lui offrant son bras.
Fid pointa vers sa gorge le pommeau de sa canne, dans un geste menaçant qui contrasta avec son extrême politesse lorsqu’il répondit :
– Je te remercie, mais ça ira. Monte, je te rejoins.
Viya renonça à discuter.
La Bibliothèque était une vaste salle aux hautes fenêtres et aux murs d’un vert très clair et lumineux.
Au-dessus de la porte était inscrit : In Fabulis Veritas. La vérité est dans les histoires… La devise des Légendiers.
Elle entendit Fid commencer à gravir les escaliers derrière elle, avec une difficulté manifeste qu’elle feint de ne pas remarquer.
– Tu ne dois plus rien à l’Ordre des Orateurs, annonça-t-il lorsqu’il arriva en haut.
– Ma dette a été transférée aux Légendiers ?
– Pas tout à fait. Je l’ai remboursée. Intégralement.
Elle en fut sidérée. Comment donc Fid avait-il rassemblé soixante mille pièces d’argent ? Il expliqua, de la même voix bienveillante que la vieille :
– Cette bâtisse est vétuste, mais nous avons quand même quelques moyens. Simplement, nous les investissons dans ce qui nous paraît vraiment important.
– Je ne suis pas sûre d’être un investissement rentable.
Fid eut un mince sourire.
– Oh, je n’investis pas en toi. Ce genre de calcul, c’est pour les Orateurs - et ne fais pas cette tête, tu sais très bien que c’est ce qu’ils font lorsqu’ils vous poussent à séduire les mécènes, lors des Joutes par exemple. Non, j’investis dans les légendes que tu sauvegarderas.
Sur ces paroles, il marcha jusqu’à une étagère et il fit glisser ses doigts sur le dos des livres entreposés là, comme s’il s’était agi d’un instrument qu’il faisait chanter. Puis il s’arrêta sur un ouvrage et le sortit de son emplacement.
– Je pense que ceci devrait te convenir.
Elle le prit. Le livre était étrange. La couverture était illustrée et paraissait vernie, le papier avait une texture qui lui était encore inconnue. Il était écrit dessus Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet, et les caractères étaient différents de ceux qu’on trouvait chez eux, comme s’il avait été imprimé selon un procédé tout autre. Fid guettait sa réaction. Elle demeura déconcertée et silencieuse.
– Eh bien, je m’attendais à un peu plus d’enthousiasme, pour une fille de la Sororité. Tu sais ce que c’est, n’est-ce pas ?
Elle ne répondit rien. Elle savait parfaitement ce que c’était, mais elle ne voulait pas se l’avouer. Du coin de l’œil, elle vit Fid sourire, insensible à son trouble.
L’objet charriait des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier. Des souvenirs de la Sororité. Elle savait que les Sœurs avaient établi un musée, à partir de ce qu’elles récupéraient au sortir de la faille ouverte entre les mondes. Elles étaient aussi chargées de protéger l’endroit. Viya savait tout cela parfaitement. Cela aurait dû être son avenir.
– Tu étais peut-être trop jeune pour le savoir lorsque tu as quitté le Prieuré, mais la Sororité fait commerce avec les Légendiers, surtout d’ouvrages comme celui-ci, poursuivit-il. Ce n’est pas facile. Du fait de leur rareté, les Sœurs sont parfois réticentes à nous les vendre.
Viya eut un pincement au cœur.
– C’est pour cela que vous m’avez achetée ? Pour que je me sente tenue de négocier pour vous plus de livres avec la Sororité ? Ou que je vous confie des morceaux d’histoires venues d’ailleurs que j’aurais entendues dans mon enfance, peut-être ?
– Je ne t’ai pas achetée, protesta Fid.
– Appelez ça comme vous voulez, je suis votre débitrice, désormais.
– Tes liens avec la Sororité seraient très utiles à la Confrérie, mais je ne te forcerai pas la main. Et je n’attends pas de toi que tu me rembourses.
Elle s’assit pour dissimuler le tremblement soudain de ses jambes. Fid s’imaginait qu’elle avait été à l’Académie du Prieuré, qui formait de nombreuses petites filles du Nord à la lecture, à l’écriture, au calcul et aux travaux manuels. Il ignorait que Viya avait suivi un tout autre apprentissage. Le Légendier comptait tirer profit de son ancienne appartenance à la Sororité, mais elle ne pourrait pas honorer cet espoir. Jamais elle ne renouerait avec le Prieuré. Elle se l’était jurée.
Il perçut sans doute son trouble, mais il ne fit aucun commentaire. Il se contenta de désigner d’un signe de tête le livre qu’elle tenait toujours.
– Lis-le, ce n’est pas très long. Ensuite, nous passerons aux choses sérieuses.
Il prit lui-même un ouvrage dans les rayonnages et se plongea dans sa lecture. Il ne bougea plus, comme si les pages venaient brutalement de l’absorber.
Viya effleura la couverture du bout des doigts. Son estomac était serré. Lorsqu’elle souleva la couverture, elle tomba sur une illustration de chèvre dans son enclos, puis, en feuilletant, sur plusieurs autres dessins, agrémentés çà et là de quelques paragraphes. Les couleurs avaient passé. Elle se souvenait que les Sœurs lui avaient montré ce genre d’histoires imagées, quand elle était petite. C’étaient les seuls livres d’ailleurs auxquels elle avait droit de toucher.
Une pointe de colère se ficha dans son ventre. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que Fid se moquait d’elle. Elle avait passé cinq ans chez les Orateurs, mais il la jugeait tout juste digne de travailler une fable pour des gamins.
– C’est une histoire pour enfant.
Il cilla et releva la tête avec lenteur. Il n’y avait pas la moindre trace de raillerie dans ses yeux.
– Ça peut l’être, en effet. Un problème ?
Il paraissait si sincèrement intrigué que la jeune fille en oublia ce qu’elle avait à lui dire.
– Si tu trouves que c’est un public trop difficile, rien ne t’empêche de la raconter à une audience plus âgée, dans un premier temps.
– C’est juste que… Non, rien, laissez tomber.
Elle baissa à nouveau les yeux vers son ouvrage, et ce fut là qu’elle le vit. Une étincelle de rire au fond de l’œil. Il avait parfaitement compris sa déception et n’avait eu aucun mal à jouer le naïf.
– Je comprends tes craintes, tu sais, reprit-il d’une voix parfaitement égale. La plupart des enfants veulent toujours la même histoire et si tu as le malheur de changer un mot, ils ne te le pardonnent pas. De vraies petites terreurs. Je ne saurais que trop te conseiller d’être appliquée.
Elle étouffa un sourire. Son message était clair.
Viya se plongea donc dans le texte et dans les images. Elle les savoura. Elle frémit pour la chèvre de Monsieur Seguin, partagea son désir de liberté. Elle but son ivresse, puis elle vit le loup qui s’avançait, du coin de l’œil, à la mort du jour. La chèvre se retourna elle aussi vers le prédateur. L’ultime lueur du crépuscule accrocha ses cornes zébrées. Alors, la chèvre se jeta dans la bataille et Viya lutta avec elle. Elle la regarda se faire dévorer, le ventre noué, la tête remplie d’images d’herbes sauvages et de forêts luxuriantes qu’un vaillant rayon d’aube venait baigner d’or.
Lorsque la jeune fille émergea des pages, quelque chose tremblait en elle. C’était autre chose que le plaisir du bon mot qu’elle avait connu chez les Orateurs, une exaltation plus brute que celle de ciseler des rimes ou d’avancer des arguments comme on déplace des pions sur un échiquier.
Non, en cet instant, elle était amoureuse. Les mots tournaient dans sa tête. Elle avait envie de les relire pour les savourer encore et encore.
Viya demeura le reste de la journée dans un état second. Fid passa une bonne partie de la matinée à lui poser des questions sur sa lecture. Il l’interrogeait sur des détails de l’histoire, sur les émotions qu’elle avait ressenties, sur les idées qu’elle avait faites naître en elle. Lorsqu’elle l’avait lue, elle avait retenu l’invitation à la mesure, et elle écouta, émerveillée, Fid le déployer dans une direction tout autre, qui parlait de liberté.
Hélas, son enthousiasme ne dura pas lorsqu’il se décida à l’entraîner à placer sa voix. Les Orateurs cherchaient la clarté froide, la maîtrise et la conviction, lui exigeait l’émotion et la chaleur.
La difficulté de la tâche raviva ses angoisses. À la fin de la journée, elle n’était parvenue à rien, elle avait la bouche sèche d’avoir tant parlé et elle peinait à se concentrer. Pire, il lui semblait que Fid prenait sur lui pour ne pas trahir son découragement.
– C’est assez pour aujourd’hui, finit-il par dire, lorsqu’elle acheva péniblement de lire l’histoire à voix haute. Tu viens m’écouter conter ? Ça te changera les idées.
La jeune fille n’avait rien de mieux à faire que ressasser des pensées devenues moroses, aussi accepta-t-elle. Elle se drapa dans sa cape élimée tandis que Fid se vêtait de son élégante redingote et de son écharpe.
Dehors, la pluie avait imprégné la ville comme un mauvais parfum. Elle ravivait des odeurs de boues. De petites rivières coulaient encore dans les rigoles creusées au centre des rues.
À mesure que Fid et Viya progressait dans la ville, les immeubles grisâtres et les allées étriquées du quartier où s’élevait l’hôtel particulier des Légendiers laissaient à des boulevards bordés d’immeubles clairs et de commerces aux devantures somptueuses. Viya eut un pincement au cœur quand elle réalisa que Fid l’entraînait dans le quartier des Éternels, où se trouvait la place des Orapilleurs. C’était un choix pertinent pour conter, puisque le lieu était animé et que l’argent y coulait à flots, mais la jeune fille n’avait guère envie de retourner dans ses avenues larges et bruyantes qu’elle connaissait si bien. Les deux jours passés à Dreamyard Alley l’avaient coupée du monde et elle n’avait aucune envie de se retrouver dans une foule dont elle se savait par ailleurs le principal sujet de discussion.
– Il te faut un nouveau manteau, dit Fid pour la faire penser à autre chose. Et une écharpe ou un foulard pour protéger ta gorge. Tu n’en avais pas chez les Orateurs ?
– Non.
– Ta voix est ton outil de travail, il faut en prendre soin. Je m’occuperai de tout ça demain.
– Vous serez gentil de choisir un manteau avec une capuche, répliqua-t-elle en rabattant sur son visage celle de sa vieille cape élimée.
– Tu ne devrais pas te cacher ainsi.
– Tout Hydendark parle de moi et on se dirige vers le quartier où se trouvent les pires commères !
– C’était vrai jusqu’à ce matin, mais le scandale du trucage des Joutes a largement supplanté celui de ta prestation. Et si on y trouve les pires cancaniers, c’est aussi là-bas qu’on est le mieux payé. Personnellement, je te conseille la place des Fontaines, public sympathique, décidé à passer une bonne soirée et bons vivants.
Elle ne répondit rien, songeuse. Un jour, réalisa-t-elle, il lui faudrait monter sur la margelle d’un bassin, le piédestal d’une statue ou les marches d’un porche, et conter. Était-elle seulement taillée pour cela ?
– Merci, se força-t-elle à répondre du bout des lèvres. J’y penserai.
Et elle replongea aussitôt dans ses pensées, terrorisée par le futur qui s’ouvrait à elle.
– Quelle couleur pour le manteau ? tenta à nouveau Fid.
– Je ne sais pas. Je m’en moque.
– Tu as tort, c’est la première chose que les gens verront de toi et c’est même par lui qu’ils te reconnaîtront.
Ils venaient de parvenir à une artère passante. Ce fut là qu’elle la vit.
Eugénia.
Vêtue d’une splendide robe crème, sa rivale aux longs cheveux sombres et brillants sortait d’un restaurant en riant délicatement. Elle était au bras de Guy Igane. L’impensable se produisit : le regard de son ancienne camarade de dortoir tomba sur elle. Viya avait relevé la tête et la capuche ne suffisait plus à dissimuler son visage.
« Les choses redeviennent enfin ce qu’elles auraient dû être depuis le début. Va donc mendier dans les rues d’Hydendark, misérable gueuse de la Sororité. »
Avec horreur, elle vit Eugénia les désigner Fid et elle à Igane d’un léger mouvement du menton. Tous les deux fendirent alors la foule à leur rencontre.
– Misère, grogna Fid qui les avait aperçus, nous voilà partis pour des mondanités.
– On ne doit pas rester là, murmura très vite Viya. La fille est Eugénia, c’est contre elle que j’ai perdu aux Joutes. Et le soir où je vous ai rencontré au Phare des Docks, Igane s’est moqué de moi.
Le Légendier fronça les sourcils, comme s’il peinait à se remémorer ces événements. « Rien d’étonnant », songea Viya en se rappelant son état d’ébriété avancé lors de cette soirée.
Quand une lueur de compréhension s’alluma enfin dans son regard, elle réalisa que les quelques secondes qui leur auraient permis de fuir s’étaient écoulées. Fid glissa un regard sombre vers le couple qui s’approchait et dut parvenir à la même conclusion qu’elle, car il répondit dans un souffle :
– Trop tard pour leur échapper. Alors relève la tête, enlève-moi ce capuchon et sois fière de celle que tu es. Sans vouloir me vanter, je ne suis pas n’importe qui et je refuse que celle qui marche dans mes pas ressemble à un petit chiot apeuré.
Il avait parlé de cette voix d’or qui aurait pu convaincre un mort de revenir à la vie. De la même façon qu’elle avait cédé au Dôme d’Argent, quand il lui avait demandé de lui raconter une histoire, elle obtempéra.
La capuche tomba sur ses épaules, dévoilant ses cheveux courts qu’elle était parvenue tant bien que mal à discipliner, au moment où Igane se plantait devant eux. La jeune fille remarqua que sa bouche souriait, mais pas ses yeux. Eugénia demeura une tâche floue derrière lui. Viya ne pouvait se résoudre à la regarder.
– Ah, mon très cher Fid, comment vous portez-vous ? Mal, j’imagine. L’un de vos membres a encore décidé de jouer au plus malin en truquant les Joutes, semble-t-il.
– Que voulez-vous, il est difficile de résister à la tentation de se voir plongé dans la tourmente et accusé sans preuve.
– Oh, ne prenez pas cet air geignard ! Chacun sait ici que ce scandale vous sert. Après tout, quand on n’a pas le talent nécessaire pour briller, on utilise d’autres artifices.
Le Légendier lui offrit un sourire mutin.
– Il faudra en ce cas que vous me livriez les vôtres, un de ces jours.
Le visage d’Igane se contracta.
– Vous faites une grave erreur en me sous-estimant, Fid. Une grave erreur. Vous en paierez le prix, un jour ou l’autre.
– Vous sous-estimer ? Non, je me fis juste à ce que j’observe. Puisque vous ne m’avez pas l’air d’être une lumière, je penche donc fatalement pour la seconde option.
Le romancier fit l’erreur de demeurer silencieux,
– Consolez-vous, poursuivit Fid d’un ton tranquille. Cela vous écarte d’office hors de la liste des suspects dans cette sombre histoire de trucage. Il faut un certain génie pour parvenir à corrompre les gardes de la salle du tirage, et vous en êtes dépourvu.
Eugénia avança alors d’un pas et tout le corps de Viya s’électrisa.
– Eh bien, Monsieur, si vous avez raison, il y a donc ici deux personnes hors de tout soupçon. Bonsoir, Viya.
Elle décerna à l’intéressé un grand sourire. La jeune fille s’étrangla et son esprit se vida. L’intervention de sa rivale joua l’effet escompté. Fid porta son attention sur l’Oratrice, tandis qu’Igane reprenait contenance et saisissait au vol la perche que cette dernière venait de lui tendre.
– N’en soyez pas si sûre, ma chère, susurra-t-il en dardant sur Viya un regard vipérin. La médiocrité mène à des extrémités que vous n’imaginez pas.
La jeune Légendière se liquéfia sous l’insulte et Fid se figea. Alors qu’elle se sentait sur le point de s’écrouler, une formidable vague de colère l’embrasa et ses lèvres jusqu’à présent scellées s’ouvrirent pour répliquer.
La main du Légendier se posa sur son épaule pour l’arrêter. Elle n’entendit pas vraiment l’échange qui suivit. Son mentor calmait le jeu. Igane et Eugénia repartirent avec aux lèvres des sourires de convenance.
– Il y a un moment où il faut savoir s’arrêter. Tu allais rétorquer que tu serais toujours moins médiocre que lui. Au mieux, vous seriez partis dans des attaques personnelles stériles, au pire il t’aurait prouvé le contraire et tu aurais perdu.
C’était en effet exactement le genre de réplique que sa colère s’apprêtait à hurler.
– Le problème quand on vit dans une ville où les mots sont souverains, c’est que chacun tente de les utiliser pour s’élever ou écraser les autres, et le tout forme une cacophonie incessante. Paradoxalement, à Hydendark, le pouvoir finit par appartenir à celui qui maîtrise le silence. À celui qui sait l’instaurer…
– … Ou se taire et ne pas rentrer dans le tumulte, j’ai saisi l’idée.
Fid eut un mince sourire et reprit :
– Igane me testait. Il voulait savoir s’il pouvait me désigner coupable dans cette affaire de trucage. Il rêve de me voir tomber. Mais il s’est rendu compte que je suis encore trop fort pour lui. Même assisté de la meilleure des futures Oratrices, il n’a pas pu me vaincre.
Son absence totale de modestie blessa Viya. Ses mains à elle tremblaient toujours de l’angoisse qui l’avait saisie. Le Légendier aurait au moins pu feindre d’être un peu ébranlé. À peine cette pensée l’eut-elle traversée qu’une ombre passa sur le visage de Fid, qui fixa son regard sur Igane, lèvres pincées.
– Un problème ? s’enquit-elle.
– Mmh ? répondit-il d’un ton lointain. Non, rien. Rien du tout.
Il reporta son attention sur elle et lui prit le bras pour l’entraîner hors de la place.
– Quelle couleur pour le manteau ?
Son ton était redevenu jovial. Rien ne laissait deviner la tension des instants précédents, mais Viya en aurait mis sa main à couper : quelque chose venait de le déstabiliser. La jeune fille décida cependant de ne pas insister et répondit plutôt à la question :
– Noir.
– Parfait. Comme ça, nous serons assortis.
Son approbation la rendit stupidement heureuse. « Je ne suis pas n’importe qui. Et je refuse que celle qui marche dans mes pas ressemble à un petit chiot apeuré ». Alors que Fid reprenait sa route, elle sentit son cœur s’alléger un peu. Eugénia était promise à un avenir radieux, mais ça ne signifiait pas qu’il ne lui restait pas de la place pour briller. Elle était venue à Hydendark pour devenir la femme qu’elle voulait être. En suivant ce Légendier dans les rues, elle réalisa qu’elle en avait peut-être enfin l’occasion.
Pourtant, son espoir était entaché par une pensée qui l’effleurait sans cesse : pendant ses cinq ans passés au 26 Place des Orpailleurs, la Sororité n’avait eu de cesse de lui écrire. Viya avait peu à peu cessé d’ouvrir les lettres, mais les premières d’entre elles l’enjoignaient de rentrer. En dépit du temps écoulé, l’intérêt du Prieuré à son égard ne faiblissait pas, et une voix pernicieuse lui murmurait qu’il aurait très bien pu orchestrer son échec aux Joutes pour la faire expulser de l’Ordre des Orateurs.
Ce chapitre est captivant et riche en émotions. La manière dont Viya navigue entre son passé humiliant et son nouveau présent incertain est poignante.
Les descriptions détaillées de l'environnement et des personnages permettent une immersion totale, tandis que les thèmes de la liberté, de la résilience et de la quête de soi résonnent fortement.
J'ai particulièrement apprécié la transformation intérieure de Viya, qui commence à entrevoir un espoir malgré ses doutes et ses peurs. Hâte de voir comment elle évoluera dans les chapitres suivants !
Ce chapitre est captivant et riche en émotions. La manière dont Viya navigue entre son passé humiliant et son nouveau présent incertain est poignante.
Les descriptions détaillées de l'environnement et des personnages permettent une immersion totale, tandis que les thèmes de la liberté, de la résilience et de la quête de soi résonnent fortement.
J'ai particulièrement apprécié la transformation intérieure de Viya, qui commence à entrevoir un espoir malgré ses doutes et ses peurs. Hâte de voir comment elle évoluera dans les chapitres suivants !
Ce prieuré où a vécu Viya m'intrigue beaucoup. Son hypothèse de fin de chapitre permettrait d'expliquer pas mal de choses. Mais pourquoi attachent ils autant d'importance à elle ?
Très sympa le passage sur la chèvre de Mr Seguin, les passages sur les histoires et la manière de les raconter font le charme de ton roman !
Le dialogue entre Fid et Igane est top, on sent que le nouveau mentor de Viya sait vraiment bien jouer avec les mots, piquer mais aussi s'arrêter quand il faut, du coup son orgueil est plutôt pas trop mal placé xD Le fait qu'il ne veuille pas être vu en situation de faiblesse participe aussi à l'intérêt du personnage dans ce chapitre.
Mes remarques :
"À mesure que Fid et Viya progressait" -> progressaient
"l’hôtel particulier des Légendiers laissaient à des boulevards bordés" -> laissaient place ?
"Non, je me fis juste à ce que j’observe." -> fie
"Elle décerna à l’intéressé un grand sourire." -> intéressée ?
Un plaisir,
A bientôt !
J'aime beaucoup la devise des Légendiers. Je la trouve très vraie, comme tous les paradoxes d'ailleurs !
J'ai beaucoup apprécié l'échange entre Fid et Igane, Fid nous a montré l'ampleur de son talent, même si je n'en doutais pas une seconde ! C'est fascinant de voir évoluer tous ces personnages dans ce monde où les mots sont TOUT. Ça change tellement de notre monde qui est un peu trop focalisé sur les actions à mon gout.
L'intérêt du Prieuré envers Viya est étrange. Je pense qu'elle a un rôle fondamental à jouer, notamment avec cette histoire de faille, et c'est aussi pour ça que Fid l'a recrutée aussi facilement. Je pense qu'il sait ! Je verrai ça par la suite !
Petites remarques :
"Appelez ça comme vous voulez, vous êtes mon débiteur désormais." --> petite erreur ici que je me permets de soulever : le mot que tu veux employer ici est "créancier" et non pas débiteur, il me semble ? Le débiteur est celui qui doit quelque chose au créancier, donc Viya est débitrice et Fid créancier ici ;)
"Fid l’entraînait dans le quartier des Éternels, où se trouvait la place des Orapilleurs" --> petite coquille : Orpailleurs ?
A bientôt pour la suite !
> Tu as raison pour la confusion débiteur/ créancier je vais corriger ça !
> Merci aussi de m'avoir signalé la coquille !
J'ai trouvé un moment que Viya partait un peu vite au quart de tour lors de l'échange avec les Orateurs, car j'aurais pensé qu'elle aurait l'habitude de ce genre d'échanges - en même temps elle a un tempérament assez vif/réactif
Par contre, je suis moins convaincu par le dernier paragraphe, cela fait un peu cliffhanger, rajouté. (un peu du style, ah ! en fait, je t'avais pas dit que ....).
Certains éléments auraient pu être ajouté précédemment plus subtilement je pense, lors que sont évoqué la sororité. Ce n'est pas toujours facile à trouver, mais cela vaut le coup je pense, car cela détonne un peu par rapport à la qualité du reste du récit.
Les révélations sur la voie 'spéciale' qu'avait suivi Viya au sein de la sororité, indiqué plus haut dans le texte, sont peut-être déjà suffisante pour mettre un peu de tension - en tout cas en tant que lecteur, cela a déjà créer une forte curiosité / un objet de tension.
Au plaisir de lire la suite,
Je note ta remarque sur ce paragraphe final, je vais y réfléchir !
Je continue ma lecture et ce chapitre m'a bien emballée :) On sent quelques petites pointes philosophiques, ça et là, de par ces quelques réflexions menées sur le pouvoir des mots. Ca ne me laisse pas indifférente et j'aime lorsqu'un texte pointe du doigt certaines réalités tout en nous menant à réfléchir. Je me réjouis de ce fait de découvrir la suite du texte car j'imagine bien que, plus Viya va avancer dans son apprentissage, plus tu vas mener ce genre de réflexions.
M'enfin bref. Pas grand-chose à y redire. J'aime toujours autant Fid, le dialogue qu'il a eu avec Igane était joliment tourné, et la fin met un petit point de suspens en plus, ainsi que du mystère, car on ne sait que peu de choses du Prieuré finalement, et m'est avis que tout ne devait pas être très joyeux pour Viya, là-bas :/
A bientôt !
Je suis assez d'accord avec Prudence dans l'idée qu'on ne sent peut-être pas Viya autant coupée du monde que ce qu'elle est décrite ici. On ne s'en offusque pas, mais je ne doute pas que tu puisses accompagner cette impression mieux encore.
"Fid pointa vers sa gorge le pommeau de sa canne, dans un geste menaçant qui contrasta avec son extrême politesse" Encore un détail qui me plait sur ce personnage. On en aperçoit bien la complexité, sans encore le saisir complètement. C'est au fil de la lecture qu'on parviendra à le faire peu à peu, et ça prouve encore sa qualité :D
La description de la lecture et de l'effet qu'elle produit sur Viya me touche beaucoup. J'apprécie particulièrement le fait que tu la décrives comme amoureuse, car c'est également un sentiment que je n'associe pas qu'aux relations et que j'aime (dans ma vie de tous les jours) percevoir d'un point de vue individuel avant de le diriger vers les objets d'amour.
Les dialogues sont toujours très bien. J'aime bien l'équilibre que tu instaures entre leur présence réelle et leur description bien plus lointaine. J'espère que le sujet de ton histoire donnera lieu à de belles prouesses (et je n'en suis peut-être qu'au premier chapitre, mais je n'en doute pas :D)
Quelques suggestions :
"Elle se redressa sur le fin matelas." matelas fin ?
"des tâches d'humidité" taches*
"une difficulté manifeste qu’elle feint de ne pas remarquer." feignit* ?
Le développement de Fid se fait par petites touches, en effet, et c'est un personnage qui oscille en permanence entre ses parts d'ombre et de lumière... ;-) C'est assez amusant, en fait, parce que j'avais l'impression de le découvrir moi aussi en l'écrivant.
Les sensations de Viya sont très proches de celles que je ressentais enfant, lorsque je lisais... une sorte d'ivresse, de grande joie, que je ressens d'ailleurs toujours aujourd'hui. Pour moi aussi, l'amour est partout. J'aime certains arbres, certaines plantes, certains objets... et certains livres, évidemment !
Merci pour tes suggestions ! Tu as raison pour les coquilles sur "tache" et "feignit"... Je vais corriger.
Par contre, fin matelas ne me dérangera pas. On dirait bien un épais matelas plutôt qu'un matelas épais, non ? Je ne sais pas. Les deux sont corrects, je pense, mais ma version me semble plus fluide, à l'oreille ^^
"Sa nuit fut peuplée de rêves où elle revécut en continu l’humiliation de l’avant-veille." --> je ne suis pas sûre mais je crois que le verbe "revivre" à ce temps devrait se conjuguer "revit".
"Sur le palier du premier étage, elle tomba justement sur l’homme, qui s’apprêtait à monter au second." --> Pourquoi ne pas remplacer "l'homme" par "lui" ? L'emploi de 'l'homme" installe une distance entre le personnage et le lecteur, un peu comme "la jeune fille" que tu utilises pour désigner Viya.
"Les deux jours passés à Dreamyard Alley l’avaient coupée du monde " --> je n'ai pas trouvé les deux jours à Dreamyard très longs, car on a un peu survolé ces deux jours, et de ce fait, on ne ressent pas la même chose que Viya qui se sent coupée du monde. Peut-être faudrait-il plus appuyer sur le contraste entre sa nouvelle vie chez les Légendiers et son passé chez les Orateurs ?
J'ai beaucoup aimé les dialogues, toujours aussi animés, et le récit est toujours aussi envoûtant (j'insiste !). Mais plus je lis plus mon esprit critique se réveille x)
La fin intrigue et nous emmène vers les prochains chapitres, mais je pense que donner les éléments de ces lettres en amont aux lecteurices serait une bonne idée. On saisirait peut-être mieux les enjeux, et on aurait pas la sensation d'être frustré.e parce que la protagoniste principale sait des choses et pas nous. Ici, je trouve que ça tombe un peu brutalement, non ?
Ensuite, j'ai eu dû mal à m'imaginer les décors et les personnages physiquement (je ne sais pas si c'est un défaut, en revanche), peut-être plus insister dessus en les distillant dans les dialogues ?
En somme, je ressens une drôle d'impression de survoler les évènements dans ce chapitre et le chapitre 4 ce qui, par exemple, n'était absolument pas le cas pour le chapitre du Dôme d'Argent.
Je continue ma lecture <3
Merci pour ton retour !
Aïe aïe aïe, c'était bien ma crainte que je trouve moi aussi des choses qui coincent, maintenant que j'ai envoyé le texte à Galli' ^^'
Tes critiques sont tout à fait pertinentes et je suis d'accord avec toi, à la relecture.
Pour ce chapitre, j'ai essayé de trouver un équilibre entre le début du roman, que je considère plutôt lent, et le besoin de commencer à entrer dans l'intrigue. Il en résulte sûrement cette sensation d'éléments amenés un peu brutalement que tu décris, mais que je n'avais jusque là pas perçue.
Idem pour le manque de descriptions...
Je note tout cela et je ne manquerais pas d'y remédier.
Par contre, j'ai vérifié, et la 3e personne du passé simple pour revivre est bien "revécut" ;-)
Contente d'avoir pu t'aider quand même ! :-)
Haha, moi aussi, après avoir envoyé à Galli, j'ai trouvé plein de trucs qui n'allaient pas... (du coup, je suis en train de tout réécrire, c'est pour dire x))