5- Une histoire de Lapin et de Renard

Ces derniers temps, Lizzie s’était prise de passion pour une histoire fantastique, Pinpanade et la carotte magique. C’était un feuilleton hebdomadaire de la P’tite Dépêche, absurde à souhait, racontant les péripéties d’un lapin ésotérique bondissant de plan astral en plan astral. Le lapin était étrangement attachant d’ailleurs, mais ce n’était pas le sujet. Chaque semaine venait accompagnée d’un nouveau bond, d’un nouveau plan, identique au précédent si ce n’était pour un élément. De proche en proche, on se retrouvait alors avec des arbres à barbe à sucre. 

J'ignorais beaucoup de choses, surtout en matière de magie, mais après un simple regard vers cet escalier de cinquante sept marches sur presque trois étages, je pouvais affirmer qu’il n’existait aucun univers dans lequel je pourrais les dévaler autrement qu’en tombant.

Tout du moins si je comptais le descendre à une vitesse supérieure à celle d’un escargot en pleine sieste.

Ma parole, ma Sublime évasion, qui avait débutée en prétendant aller chercher un verre d’eau, ne pouvait pas s’achever après seulement trois pas, sur ce palier. J’allais devoir les descendre quand même, en combinant rapidité, grace et discrétion. 

Il n’y en avait pas des milliers, et au loin, j’entendais presque Madame Catherine siffler de stupeur, tout bonnement scandalisée…

Mais on n’était pas là pour être ici.

Je passais donc ma jambe gauche par dessus la rambarde, me retrouvant ainsi en califourchon. Il fallait simplement ne pas regarder en bas, passer outre ma peur du vide et ne pas vomir. Cela se passa sans problème, si on omettait la petite dizaine de frayeurs où une ligne directe faillit se former entre moi et mes Ancêtres.

Mes muscles mirent une bonne demi-minute à cesser de danser la karanka.

Jamais, de ma vie, je ne referais une connerie pareille. Je le jurais solennellement sur les biscuits à la crème de Madame Silverine.

Bon.

Le tout était dorénavant d’atteindre un bureau. Ce petit pervers allait bien finir par se rendre compte que je n’étais pas allée chercher de l’eau.

Je me trainais dans le plus long couloir au monde, mon pas si lourd qu’il me martelait les tympans, et aurait probablement réveillé tout le monde jusqu’à la Côte Écarlate si le vent ne s’attribuait pas toute la scène. Je commençais cependant à manquer de temps, il était cinq heures bien entamé et la cloche finirait par réveiller les acolytes pour célébrer les Louanges.

Ce fut donc avec la grâce d’un pourceau que je m’arrêtais devant la première porte, en bois grossier et massif. Inutile d’espérer l’enfoncer, j’avais déjà assez d’épaules et autres os en miette pour me permettre d’empirer la situation. Il advint très vite qu’il en allait de même pour la poignée. En métal, et sans serrure. Ah. Ça puait la fermeture magique ça.

Ma panique fit un coup d’état et prit d’Assaut ma conscience, mes oreilles, et ma vue. Il fallait dégommer cette porte, cette serrure, n’importe quoi, l’arracher s’il le fallait- 

Je pris une inspiration.

Si je m’énervais trop, je risquais de déclencher une alarme au mieux, un piège au pire. Paniquer était libérateur, mais je n’avais aucune envie de me faire manger la main par une poignée, ou autre joyeuse turpitude implémentée ici.

Il en alla de même pour la seconde, puis la suivante, et la troisième.. Chaque tentative arrachait le peu d’espoir à ma disposition avec les dents. Alors que les dernières miettes faisaient leurs valises dans ma tête, enfin, ma main tourna et par Cassini-ne-sait quel miracle, la poignée suivit.

Il y eut un petit clac, et Mon Esprit Familier, Cassini, le Grand Constructeur même, merci. Cette petite pitié et ce doux coulissement de porte, sans bruit ni encombre, c’était comme une cannelle chaude pour mon âme et jamais je n’avais été aussi proche de retrouver un semblant de foi.

Je me glissais dans le petit interstice et fermais la porte le plus lentement possible. La pièce était plongée dans la pénombre, et cela malgré les quatre fenêtres au mur opposé. Rien, pas même l’éclairage du parvis ne filtrait, on ne pouvait donc qu’avoir barricadé ces dernières avec des paravents nerubiques. Tout de même, je trouvais cela un tout petit peu exagéré. D’accord, le temps avait visiblement une vendetta personnelle contre la ville, mais il y avait une légère différence entre se manger une bourrasque glacée désagréable en pleine figure et les rayons mortels de l’astre hivernal.

Petites natures.

Cela avait l’avantage de me retirer une épine du pieds -jambe gauche, la droite avait assez souffert pour aujourd’hui. Il n’y avait aucun risque d’être surprise par un petit regard indiscret. Je pus donc m’offrir un instant de répit et m’attarder un instant sur les environs.

C’était à l’image de cet Auratoire, anormalement sobre. Quand on pense que d’ordinaire un pouce sans dorure est considéré comme un pouce perdu, ces murs bleu nuit et ce sol en simple cèdre dénotaient. Cela contribuait à agrandir cette pièce, pourtant déjà de belle taille -et rectangulaire à souhait, sans le moindre angle creux, un pur bonheur. Il y avait pour toute décoration un tapis en laine d’apparence moelleuse mais unie, ainsi que les quelques statues Cassidiennes de rigueur, en plâtre quelconque. À quelques pas, l’espace était absorbé par un bureau de taille respectable, tout de même vernis et où on avait fait trôner de lourdes babioles sur des piles gigantesques de papiers. Cela aurait presque affolé ma manie psychotique du rangement si le projecteur astral ne se trouvait pas au centre de ce chaos et aspirait toute mon attention.

Je fus prise de l’envie irrésistible de me jeter dans cette direction, et je l’aurais probablement fait si mon genoux m’en avait donné la permission. Ce ne fut heureusement pas le cas et j’eus le temps de retrouver un tout petit peu de bon sens, assez remarquer une énorme cheminée.

Bon, la pénombre laissait espérer qu’aucun feu ésotérique n'y était allumé et les brefs usages confirmèrent l’absence d’illusion.

C’était déjà ça.

Je me dirigeais alors vers le bureau, le parquet craquant brièvement avant d’être étouffé par le tapis. La laine fut plus douce que prévue et pouvait bien possiblement être de l’alpaga. Il ne devait pas être si bon marché en fin de compte. Les habitants du Rinderhaals chérissaient leurs bêtes et ne se défaisaient que très, très rarement de la laine, pour des prix exorbitants. Auxquels s’ajoutaient le voyage par la mer Caucasienne, jamais gratuit, pas même en été quand la mer se comportait encore de manière à peu près polie. Je trouvais en revanche un peu étrange que les tisserands Rinderin n’aient pas apposé le plus petit symbole de leur heimat, mais bon, ce n’était pas si important que ça.

En y regardant de plus près d’ailleurs, les presses-papiers non plus n’étaient pas de simples babioles tout droit sorties des Galeries Galères, bien au contraire. C’était un amalgame un peu surprenant de statuettes dorées, plus ou moins humaines -plutôt moins que plus d’ailleurs. Il y avait une silhouette féminine à la tête de loup assez terrifiante, un vieillard mélangé à un palmier et-

Je préférais ne pas m’attarder sur la troisième. Elle me mettait trop mal à l’aise, et j’en vins même à détourner son regard d’onyx dans une autre direction.

Bref.

Je retins un petit frisson et pestais contre ma superstition ridicule, mais pour être franche, je préférais être stupide que de risquer attirer l’attention même hypothétique de…çaJ’avais bien fait. Je n’aimais pas les représentations de Nordström, mais ça… ça n’aurait pas dû se trouver dans un Auratoire, posé de la sorte, avec une telle nonchalance-

Mais je n’étais pas ici pour critiquer les potentielles hérésies d’un acolyte incapable de fermer sa porte. J’avais déjà bien assez à leur reprocher sans avoir besoin d’en rajouter (à commencer par ce petit voyeur qui ne perdait rien pour attendre).

Je concentrai mes efforts mentaux sur le projecteur astral, essayant tout d’abord de l’allumer mais ce dernier demeura inerte. Je jetai alors un coup d'œil à sa base ou se trouvait un petit disque métallique dépourvu du moindre éclat. Ah, le cristal esiop était très certainement à sec, et en effet, quand je l’eus entièrement retiré, ce dernier apparu d’un bleu terne, dépourvu du moindre éclat irisé, de la moindre once de lueur nostradamique.

Le propriétaire de ce bureau devait être un boulet notoire. Ce n’était vraiment pas compliqué de changer un cristal, et tout le monde savait pertinemment que ne pas le faire posait le risque d’endommager les rouages magiques de l’appareil. Je me mis à la recherche sans tarder d’une recharge, et déchantais rapidement en ouvrant le premier tiroir. Le dessus du bureau se révéla être étrangement la partie la plus rangée du meuble. C’était à un tel point que je demeurais un moment interdite face à tant de chaos et de désordre, ce mélange de fiole d’onctions, de perle de prières, ces petites pierres étranges sculptées dans un langage inconnu, cette mélasse de paperasse dans lesquelles ont avait écrit sans dessus dessous, parfois même plusieurs fois de suite-

Bon.

Ce n’était pas le moment de ranger.

Ce n’était pas le moment de ranger.

Il y avait tant d'objets, de manuscrits et de babioles dans ce bureau que cela prendrait de toute manière des heures et- ah, un cristal ésiop.

Ce dernier se trouvait hors de sa boite d’onyx, et à en juger par son aspect avait été utilisé récemment, mais il demeurait en son cœur un certain éclat. Je doutais pouvoir espérer davantage, tant par le manque de temps que par pragmatisme. Le propriétaire de ce bureau ne semblait pas vraiment se préoccuper du projecteur, et je doutais à présent qu’il ait la moindre réserve. Il devait probablement s’agir d’un magicien, capable d’utiliser sa cheminée pour projeter une empreinte de sa conscience chez un interlocuteur. Il ne devait que très rarement discuter avec des omegs.

Je glissais délicatement le cristal dans le compartiment, et après une seconde horrible de ténèbres, ce dernier s’illumina. Faiblement, certes, je n’aurais probablement pas le temps de transmettre les dernières mises à jours de mon autobiographie mais cela serait suffisant. Un bref coup d'œil à la petite horloge m’indiqua cinq heures quarante sept. Bon, dans le cas de figure improbable ou les Drèkes aient passé leur meilleure nuit, Madame Catherine serait levée, occupée à préparer la bouillie d’avoine matinale et Mathurin serait en train de nourrir Mistigri, le petit esprit frappeur chaotique tentant de se faire passer pour un chat.

« Bourg Saint-Maurice, 14 rue des Plâtrières, douzième district rocami, République de Médelvie Magique, domicile des Drèkes. »  Je chuchotais aussi bas que possible, et le projecteur transita du blanc au jaune, cherchant visiblement à établir une connection. Une seconde s’écoula, puis deux, puis dix, puis trente, et pour ma plus grande surprise, le projecteur étincela rouge avant de s’éteindre.

Je demeurais estomaquée une bonne minute, avant de à nouveau jeter un coup d’oeil à l’horloge, afin de vérifier que je ne m’étais pas trompée, qu’il n’était pas trois heures, mais quand bien même-

Bon, ils devaient être sans dessus dessous et ne pas avoir eu le temps d’atteindre le projecteur. Je réitérais ma demande en espérant qu’ils seraient à portée désormais. L’appareil cliqueta à nouveau, passa au jaune comme précédemment, le temps s’écoula mais à nouveau la lumière refusa de s’établir au bleu et s’éteignit après un bref éclat rouge.

Une fois pouvait être explicable, une seconde fois beaucoup moins, la troisième commença à m’inquiéter et la quatrième ruina mes espoirs en s’éteignant subitement. Une fumée blanche s’échappa du compartiment ésiop, et une odeur douceâtre et parfumée me monta à la tête. Je tentais de retirer le cristal du compartiment mais à peine mes doigts eurent effleuré le petit disque que je laissais échapper un petit cri.

Le métal était brûlant-

Ah, il devait être défectueux! Cela expliquait très certainement ce silence. Ce n’était pas que les Drèkes ne répondaient pas à la projection astrale, l’appareil devait être trop endommagé pour le permettre, voilà tout. Il n’y avait pas à s’inquiéter. Tout ce que j’avais à faire, c’était en trouver un autre-

Toute absorbée que j’étais dans ces problèmes magiques, je n’avais pas entendu le grabuge provenant du couloir. Seul le bruit de la poignée me rappela à la réalité et j’eus à peine le temps de plonger sous le bureau -faisant hurler de protestation mon genoux- que la porte s’ouvrit avec fracas.

Une première paire de pas fit craquer le parquet de manière assez irrégulière, le pied gauche plus lourd que l’autre,, une semelle plate- un acolyte. La seconde était si nette que cela en devint perturbant. Inconsciemment, cela me fit penser à la démarche d’un militaire, même si c’était impossible-

Une voix s’exprima alors. C’était une voix douce et posée, un homme, assez jeune. La langue m’était inconnue.

« Ah, je commence à être trop vieux pour ça. » La voix de l’Aurateur martela joyeusement mes tympans. En medelvio, curieux, et je me demandais pourquoi le vieil homme discutait dans notre langue à un étranger quand son interlocuteur lâcha entre autres un petit ‘soteria’.

Ce n’était pas une langue inconnue par tous les Saints, l’inconnu lui répondait en salemni, et le mâchait à le rendre tellement incompréhensible qu’il devait s’agir là de sa langue maternelle. Je me retins de soupirer. Ou bien il venait d’Elesium -mais dans ce cas l’Aurateur ne discuterait pas en medelvio- soit c’était un mage alter, clamant probablement que sa famille pré-datait l’apparition des cailloux (ou autre idiotie dans le genre). Ils étaient rarement bien disposés envers les omegs, ceux-là.

L’inconnu le confirma par un ton de voix particulièrement impatient.

« Nous sommes dans le cloître, qui donc irait fouiner dans mon bureau, et pourquoi faire vraiment? » L’Aurateur répondit, merci Cassini toujours en medelvio. Il fallait noter que l’Aurateur n’était pas supposé s’exprimer en salemni.

Son interlocuteur protesta à nouveau, avec une plus grande insistance. 

« Ils n’en sont pas moins assurément de confiance, comme tu n’es pas sans l’ignorer. La magie ne fait pas tout.» L’Aurateur répliqua, se dirigeant dangereusement vers le bureau. 

Par tous les Saints il allait s’asseoir. Évidemment, c’était son bureau. Quand bien même je disposais de la chance d’un criquet veinard et qu’il ne me voyait pas, il étirerait ses jambes, se cognerait à moi. J’étais fichue-

Les pas atteignirent le tapis, je fis mes plus belles prières que le monde n'ait jamais entendu. Sainte Antoinette de Padou, patrone des âmes perdues et des imbéciles, ayez-pitié-

Les pas se stoppèrent, et un éclat bleuâtre projeta l’ombre du bureau contre le mur.

Ah?

Merci Sainte Antoinette!

« Tiens, c’est curieux, elle n’est pas dans sa chambre. » L’Aurateur dit tranquillement, et il aurait pu tout aussi bien plonger sa main dans ma poitrine et m’écraser le cœur que le résultat aurait été le même.

Je fus loin d’être la seule. 

« Allons, allons, cette pauvre petite est en bien piètre état, inutile de s’affoler. » L’Aurateur répliqua d’un ton si tranquille, et son visiteur semblait avoir pris sur lui pour demeurer poli. Il y était parvenu d’ailleurs, mais je sentais dans son inflexion de voix les traces de la tension passée.

« Oh, je connais bien l’Inspecteur Balladier. J’étais assez surpris d’apprendre que vous vous côtoyez.»

L’inconnu eut un petit rire méprisant, maugréant une purée de syllabes incompréhensibles, et l’Aurateur se dépêcha de l’imiter.

“C’est sûr, enfin, ça peut être utile tout de même.” Il renchérit “Les temps sont tout de même- enfin, ainsi va le monde. Tu dois comprendre mon ami, certains acolytes étaient de plus en plus agités, j’ai été forcé d’intervenir.”

Bah super.

“ Elle fait des livraison à l’occasion, et est assez appréciée, sans jamais le moindre mot de travers ni même le plus petit écart. Cette évasion relève davantage de l'incompétence naturelle de cet omeg que de ses propres talents.” L’Aurateur dit alors, après un question, à en juger par l’intonation.  

Alors, je savais qu’il n’y avait pas de quoi être fière, mais je tenais tout de même à souligner que ce n’était pas uniquement grâce à la crétinerie ambiante que je m’étais échappée, merci de me reconnaître un certain talent en la matière. 

Talent pourri, certes, mais néanmoins utile.

Cela semblait être l’unique point sur lequel l’inconnu et moi-même tombions d’accord. Il entra dans un assez long monologue dont je ne compris fichtre rien, hormis quelques petits aleam par-ci et bracaxia par-là. Bon, il me paraissait assez improbable qu’il discute sur ce ton de choux frisés, mais il fallait souligner que ma compréhension du salemni demeurait très sommaire, et qu’il mastiquait de toute évidence une demi douzaine de gummis (ça ou il le faisait exprès).

« Ton ami a tenté d’invoquer des ectoplasmes en lieu Saint, sous Son Regard. » l’Aurateur renchérit « Je ne suis pas sans ignorer ta foi vacillante, tout comme tu ne peux balayer certains principes inaliénables. »

L’inconnu demeura silencieux un petit moment.  Il finit par reprendre du poil de la bête, quoique de manière plus mesurée, aimable même.

« Si je n’étais pas d’accord avec toi sur ce point, je ne t’aurais pas fait prévenir. Je tiens simplement à souligner qu’il n’y a pas péril en demeure- non, je ne suis pas devenu mou, simplement je connais la jeune fille en question. » L’Aurateur protesta de manière assez sèche. « Comme je l’ai dit c’est une brave fille.. »

L’inconnu eut un ricanement cynique à souhait, bien plus parlant que tous les discours mais il se donna la peine d’ajouter quelques petits commentaires bien acides.

« Celui qui frappe le chien ne peut se plaindre de se faire mordre. » Il renchérit, et si j’étais assez d’accord, être comparée à un toutou…

Ce n’était pas la comparaison en soi, mais plutôt que les deux personnes en question étaient magiques, et en conséquence la conversation prenait une tournure assez… problématique.

« Un peu plus de sept ans, Mathurin l’a ramené avec lui à la fin de la guerre. Une orpheline de Danoisie septentrionale, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Il était posté aux environs d'Albertville, près de Wazemerg.»

L’homme murmura, plus bas encore, à un tel point que je ne parvenais plus à entendre quoique ce fut. C’était comme s’il avait peur d’être écouté.

“Non, je suis navré, mais je vais devoir te la refuser. Elle a demandé l’asile, elle restera ici.” Il protesta.

Entre le vent et ces murmures silencieux, l'ambiance prit un accent étrange, pour ne pas dire sinistre. Mon corps était si occupé à jouer au casse tête dans un si petit espace qu’il s’impatientait. Une petite voix des tréfonds de mon esprit se mit à hurler de manière assez inintelligible et quelque chose claqua. Ce silence était douloureux, comme si une mouche était coincée dans ma tête et-

« Tu as raison. Mieux vaut ne pas prendre de risque.» L’Aurateur brisa le silence et pardon?

Comment ça, ne pas prendre de risques?

Ce fut comme si cette phrase arrachait mon esprit à mon corps. Je cessais de sentir le bois dur contre mon dos, ni même la douleur pulsante à mon genoux. Pour être franche, c’était à peine si je prêtais la moindre attention au grabuge à quelques pieds de moi. Je perçus vaguement l’agitation, les aller-retours. On envoyait très clairement des gens dans les étages supérieurs afin de me chercher. Tout ce que j’entendais, c’était cette fichue phrase de l’Aurateur-

Non c’était pire, c’était tellement pire que cela. Il me connaissait, je le connaissais. Je ne comptais plus les fois ou j’avais fait des petits trajets pour l’Auratoire, et Soeur Marie-Charlène- comment pouvais-je être réduite à un risque à ne pas prendre? J’étais si petite que je tenais dans le creux d’un bureau, en quoi pouvais-je tant déranger-

Le grabuge finit par retomber, alors que les divers pieds et sandales quittèrent la pièce -on ne m’avait toujours pas trouvé. J’avais perdu le compte des allées venues, et incapable de me concentrer dessus. Il n’y avait que ce frisson glacé secouant mon dos. Venir ici avait été une erreur si catastrophique que je ne m’en remettais pas. J’étais prise au piège ici, et il n’y avait qu’un nombre limité de cachettes. Ils finiraient par étendre leurs recherches et avec une genoux en moins-

Stop.

On réfléchit.

Dans la catégorie idée idiote, je pouvais toujours rejoindre les égouts. Cela promettait d’être ragoutant à souhait, et complètement stupide avec le nombre de plaies ouverte que j’avais, mais pour mourir d’empoisonnement du sang, il fallait être vivant. Si ‘ne pas prendre de risque’ me concernant n’impliquait pas de m’envoyer rejoindre arrière grand-mère Huguette, j’acceptais de manger mon béret, si jamais je remettais la main dessus.

Plus je méditais dessus, plus les égouts m’apparaissaient comme une option viable si le moyen terme, car aucun mage alter ne souffrirait l’idée même de mettre un orteil dans un endroit de merde -littéralement. Il aurait trop peur de tâcher ses bottes, et j’avais assez côtoyé les acolytes pour savoir qu’ils ne seraient pas davantage disposés à y aller. Je pouvais donc compter sur une bonne demi-heure d’avance, le temps qu’ils en désignent un volontaire. Et si je tombais sur un égoutiers, ils étaient rarement loquaces, alors face à des acolytes voir des mages…

Bon.

Tout n’était pas perdu. J’avais simplement à passer inapperçu devant une demi-douzaine d’acolytes, atteindre le centre du parvis et me glisser dans la bouche centrale de la cour, descendre les barreaux sans me casser le figure et me trainer dans la merde et l’eau glauque jusqu’aux abords de la ville, le tout sans mourir de septicémie ni me faire mordre par trop de ratozors.

Jouable. 

Un bref coup d’oreille me confirma un silence immaculé et bien tranquille. Il était assez improbable qu’ils reviennent ici de si tôt et ce serait probablement le dernier endroit qu’ils chercheraient. Je dépliais alors ma jambe gauche toute ankylosée, puis un bras, lui l’autre, et entrepris de me hisser hors de ma cachette. Mes muscles protestèrent de cette immobilité forcée mais comprirent rapidement l’urgence de la situation, aussi la douleur s’atténua assez vite. Heureusement, la suite n’allait pas être une partie de pique nique et j’allais avoir, encore, besoin de toutes les bonnes volontés. 

Je me hissais enfin sur mes pieds, et passa brièvement ma main contre ma nuque un peu douloureuse, et un petit rire raisonna dans mes oreilles.

Un bruit aigu et cotonneux envahit mes oreilles alors que je tournais la tête, mon cœur se tordit de terreur. Un homme, grand, costume élégant, gants de cuir- mage. Sourire mauvais aux lèvres, regard exutoire, comme un prédateur face à son dîner. 

Je n’étais pas comestible, et au plus petit geste qu’il fit vers moi, mes doigts se renfermèrent sur quelque chose de dur et je lui jetais à la figure de toutes mes forces, avant de prendre mes jambes à mon cou et-

Je n’eus pas effleuré le pied contre le sol que mon genoux sembla éclater de douleur. Ma jambe lâcha et je tombais au sol, un cri me tordant les cordes vocales. Cassini que j’avais mal, que c’était-

Au secours, au secours, quelqu’un, n’importe qui- par pitié, ne me laissez pas seule avec cet homme! Il avait attrapé le lourd objet avec une telle facilité, et avançait lentement vers moi, me dominant de toute sa hauteur. Sans le moindre mot, il me détailla en long et en large, se délectant de toute évidence de ma terreur, de mon impuissance.

Sa voix ne parvenait même plus à mes oreilles, tant j’étais pétrifiée, emprisonnée dans mon propre corps.

« Intéressant. » Il finit par murmurer à lui-même, la voix douce, caressante même, tout à fait ravi, un sourcil légèrement haussé. J’aurais aimé pouvoir répliquer quelque chose à ça, quelque chose de percutant, de provocateur à minima. Mais rien ne semblait me venir à l’esprit. Je me répétais que cette mort-ci serait trop pitoyable pour ne pas être dépourvu de sens, sa paume s’illumina de mille feux et aspira la lumière du monde.

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