4- Pluie de Problèmes

Quelque chose n’allait pas.

Le plus absurde était que cette certitude m’avait saisie avant même que la porte ait fini de se claquer. Pourtant, Soeur Marie-Charlène l’avait fait sans le moindre fracas, et je ne pouvais pas même blâmer l’aspect de la pièce. 

Cette dernière était sans surprise assez petite (c’était après tout une chambre de novice), mais ne méritait aucun sobriquet de placard. Je trouvais même sa taille réconfortante, du parquet brun clair aux murs blancs immaculés, il n’y avait pas le moindre angle mort.. Le mobilier était sobre mais confortable, le sommier et le meuble de bain conçus dans un même bois noir vernis. Ill y avait même une petite chaise pâle, dirigée vers le feu de cheminé. Une même flamme bleuâtre y brûlait, mais la taille du foyer et la simplicité du contour en diminuait la menace. Tout du moins si quelqu’un souhaitait faire irruption dans ma chambre, il faudrait envisager au préalable une carrière de contorsionniste.

Tout allait bien.

Mon genoux m’arracha à mes contemplations par un énième tiraillement. Je l’avais assez peu ménagé en demeurant debout. Je m’assis donc sur le lit, m’enfonçant délicieusement dans l’épaisse couverture et le matelas. J’en aurais presque soupiré d’aise… si ce n’était pour ce sentiment désagréable.

La faute à cette journée pourrie, probablement. mon esprit était calibré pour les situations d’urgences et refusait de baisser en température. Ou alors la fatigue avait enfin raison de moi.

C’était probablement ça.

J’ignorais donc cette sensation afin d’enfiler mon habit de nuit, une tunique d’initiée que Soeur Marie-Charlène avait déposé sur la chaise. Elle était en laine bleu pâle, ample, et s’attachait sur le côté gauche à l’aide d’une ceinture en tissu. Cela n’allait pas être une mince affaire avec une épaule vacillante.

Se défaire de la chaînette de mon pendentif fut relativement facile, ma chemise en revanche se révéla être une difficulté certaine. Je décidais donc de me débarbouiller le visage avant de me rhabiller. 

On en profiterait pour faire un état des lieux.

Ce n’était pas que je ne faisais pas confiance à Soeur Marie-Charlène. Simplement, j’avais eu bien assez de questions ainsi, inutile d’en rajouter non?

Mon dos était en bon état, mais il fallait dire qu’après ce craquement de côte, je m'étais arrangée pour réceptionner le reste des coups de matraque sur les avants-bras. Ces derniers n’avaient pas vraiment appréciés, d’ailleurs, mais ils s’en remettraient. Il y avait mon épaule, bien entendue, enrubannée, mais l’avantage dans cette affaire c’était que le bandage dissimulait mon tatouage. Soeur Marie-Charlène n’avait pas fait le moindre commentaire à ce sujet, la blessure et le sang ayant probablement détourné son attention de-

Bref.

L’acolyte s’était occupée de mon arcade sourcilière et m’avait assurée que je n’aurais pas de marque. 

Il n’y avait donc pas péril en demeure-

Une bourrasque de vent et de grêle se fracassa contre ma fenêtre, allant même jusqu’à faire trembler les braises irisées. Ce sentiment d’inadéquation revint à la charge - une indigestion.

Une indigestion.

Je tâchais alors de coiffer mes cheveux pour la nuit, ce qui à nouveau se révéla bien plus complexe que prévu, et délaissais mes deux tresses pour une seule, plus simple et plus lâche, assez tout du moins pour me garantir des noeuds carabinés au réveil. À moins bien entendu que mes cheveux, qui avaient été si magnanimes aujourd’hui, continuent sur leur lancée pendant mon sommeil. Mais quand j’eus enfin noué le ruban bleu et achevé la tresse la plus biscornue que le monde ait jamais connu, je sus que leur colère serait sans nom et qu’ils se transformeraient en masse hirsute sans la moindre pitié. Je me consolais autant que possible, en espérant que demain je ne serais pas la seule à faire face à cette pelote de nœud blond vénitien.

Un problème à la fois.

Je dégageais ma frange et achevais ma toilette, en espérant que cela apaise mon esprit et le persuade à se préparer à dormir. Le plat en céramique, cerné ici et là de cristal esiop avait maintenu l’eau à bonne température et me fit assez de bien pour que j’ose enfin lever le regard vers le miroir. 

J’étais prête à passer outre la zébrure du côté de mon œil gauche car on pouvait difficilement se plaindre du prévisible en demeurant raisonnable. Mes sourcils en revanche, exigeaient une intervention assez urgente -je m’étais clairement levée en catastrophe le matin précédent pour avoir laissé un tel mono sourcil se former. En temps normal, j’aurais probablement repoussé à la matinée, mais 1. Nous étions en matinée et 2. Peut-être que me maltraiter davantage les arcades sourcilières serait une offrande nécessaire et conforterait enfin mon esprit.

Ce ne fut pas le cas, du tout. Je demeurais un moment à me fixer, passant au crible le moindre pouce de peau, cherchant désespérément des réponses mais tout ce que le miroir daigna me donner, ce fut un visage hâlé et constellé de tâches de rousseurs. Les cernes en particulier, transformaient mes yeux d’ordinaire sombres en deux tunnels noirs, dépourvus du moindre éclat.

Quelque chose n’allait pas.

Rien, pas même le doux martèlement de la pluie contre la vitre croisée, ou la chaleur réconfortante des flammes, cette silhouette dans les flammes,  ni même l’odeur de savon ne parviendrait à me convaincre que tout allait-

Comment ça une silhouette?

Je demeurais une bonne seconde pétrifiée d’effrois, refusant d’en croire mon petit regard-

Inspire.

Expire.

Il fallait garder son calme autant que possible, sans quoi ce piniouf allait se rendre compte que je l’avait coincé la silhouette dans les braises. Il tenterait alors une truc stupide et non, désolée, mais non. La cheminée se trouvait entre moi et la porte et je ne me sentais pas d’attaque à casser un autre nez. Il fallait donc garder son calme, ignorer ce tam-tam qui me servait de coeur, et mettre en place une stratégie de fuite.

Le tout avec grace et distinction.

Je ne parvenais même pas à être en colère qu’un petit pervers me reluque en sous-vêtement. Pourtant Berthe et moi, on en avait déjà casser des gueules à cause de ça. Ce qui me glaçait, c’était que ce feu, Soeur Marie-Charlène l’avait invoqué. Elle en avait donc défini les limites astrales. Le petit rigolo se rinçant l’oeil le faisait donc avec leur approbation.

C’était la merde.

Je nouais la tenue avec une lenteur infinie, afin de me laisser encore quelques secondes de réflexion.

Il fallait que je file, encore, merci. Quitte à me faire un coup pareil, j’aurais préféré que l’on évite de venir me chercher. Cela m’aurait épargné la montagne émotionnelle- à moins bien entendu qu’il s’agissait du plan pour me tirer les vers du nez, mais à nouveau, c’était impossible. Ils n’auraient jamais pu prédire que je me dirige vers l’Auratoire, et quand bien même, c’était un ordre religieux. L’Aurateur ne pouvait pas repousser un demandeur d’asile, peu importe ses pêchers et je n’en avais pas- tout du moins, je n’avais pas-

Bref, ce n’était pas important.

Ce qui était critique, pour l’heure, était de prendre la poudre d’escampette, et vite.. Cela allait nécessiter un peu de flegme et de sang froid, surtout avec ce genou. Je devais d’abord jeter un coup d'œil à la fenêtre et évaluer les environs. Ensuite…

Je refusais de fermer les yeux. Cela serait pour lui une trop belle occasion de se matérialiser dans cette chambre et m’étrangler.

Et non, navrée, mais non. 

Ma tenue était nouée, je me dirigeais sans un regard pour les flammes vers la fenêtre ce qui à nouveau mit à l’épreuve mes P.P.N (pauvres petits nerfs). Au dehors, la pluie battait plus que jamais la mesure, déchaînée par un vent absurde, au point que cela ressemblait dangereusement à une préface de Maelstrom. Cassini merci, les sols étaient trop chaud pour permettre un cataclysme mais la tempête n’en était pas moins respectable. Le rideau d’eau était tel qu’il rendait difficilement la place visible, je ne me trouvais qu’au troisième étage de la coupole secondaire. Un seul coup d'œil ne suffirait pas, je me laissais donc aller contre le mur, mes lèvres émettant un soupir apathique, comme si je contemplais là une version tangible de ma mélancolie. Je me forçais à alterner entre le ciel noir et la ville. Bien entendu, au moment où j'avais besoin d’un peu de luminosité, ce micmac de nuages étouffait les plus petits soubresauts de l’aube.

Le tout était de contrôler sa respiration, demeurer aussi immobile que possible et de ne pas paniquer- et je pouvais presque entendre le murmure réconfortant de Daniel.

Je me détendis enfin, et mes yeux fixèrent la place avec détermination et non plus désespoir. Je demeurais un bon trente secondes sans rien discerner, et je me serais presque convaincue qu’il n’y avait rien à trouver si un bref éclat ne vint pas se graver dans mes rétines. 

À une telle distance, par un tel temps, une si petite étincelle, si lumineuse, c’était ou une rune, ou un col et non, non, non. Dans les deux cas, je ne voulais absolument pas gérer cela à nouveau. Je refusais de me retrouver à nouveau en face à face avec ce conjurateur pourri car il était hors de question qu’une ombre stupide me découpe en petits morceaux. Avec mon genoux, je ne me faisais aucune illusion sur l’issue de cet affrontement. 

Il me fallait une idée, voir, mieux, une bonne idée-

Mathurin.

Je devais faire prévenir Mathurin, lui expliquer la situation. Les paroles de l’Aurateur repassaient en boucle dans ma tête et je me demandais désormais s’il avait bien mis aux faist. De manière rétrospective, ce n’était probablement pas le cas. Je ne parvenais pas à imaginer le moindre univers dans lequel Mathurin ne se serait pas immédiatement déplacé, si ce n’était pour m’annonçait que Madame Catherine comptait me punir jusqu’à mes trente ans.

Il y avait le problème de la Cohorte- mais ils n’oseraient pas.

Mathurin était un constable après tout, et personne, pas même un type de la Cohorte, ne serait assez idiot pour s’en prendre à un constable, en plein jour. Mathurin pourrait venir avec des renforts, éclaircir toute cette affaire, tout rentrerait dans l’ordre et cette silhouette pourrait aller se faire voir là ou je pense.

Je n’avais pas le choix de toute manière. Cet abrutis avait eu raison de me détruire le genoux, j’étais prise au piège.

Bon, inutile de laisser cet idiot, même mentalement, occuper mes pensées libre de loyer. Non, hors de question. Pour l’heure, je devais trouver une excuse afin de quitter ma chambre en éveillant le moins de soupçon possible.

Mon regard se posa sur ma table de nuit.


 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez