Il s’appelle Jean, et ce qu’il aime, c’est impressionner les autres, mettre des étoiles dans leurs yeux. Il aime être regardé avec stupéfaction par les gens qui, eux, aiment le surnommer familièrement : Jean-Clown, Jean-Waoh, Jean-Lune. Il aime bien « Jean-Lune », ça lui donne l’impression d’être inaccessible.
Depuis dix ans, Jean impressionne et fait rêver. Il a inventé ce métier : impressionneur. Pour certains, c’est plutôt homme du cirque, mais Jean sait que c’est différent. En une décennie, il a escaladé les toits, peint le clocher de son village pour en faire un sosie de Big Ben, déclamé le discours le plus court de l’Histoire. Il se souvient de sa seule phrase, qui a pourtant retenti dans les âmes de son public comme un coup de fouet : aimez-vous, merde. Le « merde » n’était pas prévu, mais il a trouvé que ça ferait plus fort chez les gens. Alors Jean l’a dit. Après, il a souri, et il a planifié sa prochaine performance.
Mais ça fait dix ans, et Jean sait que sa carrière d’impressionneur touche à sa fin. Jean est fatigué ; il n’aspire plus qu’à vivre heureux avec sa voisine espagnole, dont il est secrètement amoureux. Alors Jean se dit que pour sa toute dernière impression, il faut sortir le grand jeu. Il veut mériter le nom de Jean-Lune.
C’est décidé, il sera un funambule à vélo et son ombre se reflétera sur une Lune en papier. Jean passe de longues journées à peindre son décor, et le résultat est si réaliste qu’il est une impression à lui seul. Mais ça n’est pas assez, Jean veut prendre des risques. C’est ce qui fait tout le piment de son métier.
Un soir d’été, il tend un fil entre son toit et celui de sa voisine et se demande si elle trouvera ça romantique. Il pose son vélo sur le câble et commence son numéro. Il ne tombe pas. Le vide est en-dessous de lui, monstrueux, terrifiant, mais Jean est libre.
Il entre par la fenêtre. L’espagnole est assise dans son fauteuil à bascule, les yeux clos. Elle esquisse un sourire en voyant Jean.
« Très romantique, monsieur Lune. »
Le temps qu’il s’entraîne encore au funambulisme, elle est tombée amoureuse de lui. En octobre, il place son décor en pleine rue, tend le fil, et enjambe son vélo. Sa voisine, son amoureuse, sa belle espagnole, est en bas, les yeux rivés sur Jean. Il commence. Le vent souffle, mais il s’est entraîné.
Le vent souffle, et le décor tient bon.
Le vent souffle, et Jean a la douce impression que ce serait une belle mort.
Le vent souffle, et Jean se dit qu’il est idiot.
Le vent souffle, Jean est distrait.
Le vent souffle encore une fois.
Jean tombe.
Et le lendemain, les journaux annoncent la mort du célèbre impressionneur Jean-Lune.
Une bicyclette sur un doux fond de nuit
Un homme amoureux, un câble et la Lune peinte
La brise et l’art font une belle mort, Jean-Lune
N’as-tu pas été heureux ?
Ou alors, il aurait dû s'équiper d'un cable pour le retenir.
J'ai bien aimé quand il rentre chez sa voisine et qu'elle a l'air de trouver ça normal.
Oui, il était dans la lune, mais c'est une belle mort. Imaginons qu'il soit mort avant : il n'aurait pas mis le clou du spectacle, ni trouvé l'amour. Ou après : peut-être l'espagnole serait-elle morte dans des circonstances tragiques, peut-être se seraient-ils séparés pour une quelconque raison. Mourir de cette manière, en faisant ce qu'il aime, en ayant aimé quelqu'un d'autre, je trouve ça très joli.
Le choix du présent est en effet très judicieux, je n'imagine aucun autre temps pour cette histoire, ça casserait le rythme et cette douceur que tu arrives à mettre en place (jusqu'à cette fin, du moins xD)
La chute est un peu "attendue" (je l'ai vue facilement venir en tout cas), mais elle marche quand même super bien et elle s'insère dans ton récit avec naturel. Je n'en voyais personnellement pas d'autre, elle est parfaite.
Ton texte est plus équilibré que notre impressionneur :p
Pour moi, ça semblait couler de source, alors j'ai préféré laisser comme ça ! Je suis vraiment contente que ça te plaise :)
Oui, bon, je suis une auteure sadique donc cette fin est prévisible xD
Oh, cette blague *-*
Merci encore ❤
Tiens, ma première idée était quelque chose comme ça, avec la mort du funambule à la fin ! 😜😄
C'est comme toujours très bien écrit. C'est vrai que ça change de te lire au présent, mais c'est très agréable aussi (et je ne crois pas avoir vu de problèmes de temps ^^).
C'est une très belle interprétation ❤ Bravo !!
Quelle coïncidence xD
Ce n'est pas tant le temps qui me fait peur, plus le fait que ça soit potentiellement moins "bien" que d'habitude. Tant mieux si ce n'est pas le cas selon toi c:
Merci beaucoup ❤