6.2 - L'enveloppe

Par Seja

Le train freina à Muresid. Ankha laissa sortir les voyageurs avant de se diriger à son tour vers le quai. Puis, sans se laisser le temps de réfléchir, elle plongea dans la foule.

En temps normal, le quartier de la gare était animé, mais ce n’était rien en comparaison de ce qui se passait maintenant. Une masse compacte se tassait devant des écrans géants installés çà et là. Ankha ne leva pas les yeux, elle savait très bien ce qui tournait en boucle dessus.

Quand enfin elle parvint à laisser la masse humaine derrière elle, elle souffla et accéléra le pas. Il fallait qu’elle fasse vite. Le plan qu’elle avait mis en place à Gunev n’était plus d’actualité. Elle n’allait pas se pointer comme une fleur à la rébellion. Elle n’avait de toute façon rien à leur dire.

En revanche, elle avait besoin de réponses.

Elle descendit dans le métro et laissa la rame l’emmener à destination. Les gens qu’elle croisa commentaient, les discussions chauffaient. Si la rébellion avait connu un regain de sympathie ces derniers jours, ce n’était plus le cas. La foule était devenue franchement hostile.

Ankha tenta de ne pas entendre ces conversations. Parce que mine de rien, ça faisait très mal. Elle avait été la rébellion, elle avait eu l’impression de se battre pour la liberté et maintenant, il se trouvait qu’elle n’avait fait qu’aider à massacrer encore plus d’innocents. Mais ce n’était pas tout. Quelque part, au fond d’elle, elle n’arrivait pas à se faire à cette idée. La rébellion ne pouvait pas être si mauvaise. Elle ne pouvait pas avoir orchestré tout ça. Elle ne pouvait pas avoir tué Zora. Elle ne pouvait pas.

Quand elle remonta à la surface, elle s’arrêta un instant et regarda autour d’elle. Elle ne connaissait pas vraiment ce quartier, elle ne s’y était jamais attardée. Enfin, elle trouva la rue qu’elle cherchait, puis le numéro et poussa la porte de la petite clinique.

Il n’y avait personne à l’accueil. La salle d’attente en revanche était remplie. Ankha resta dans l’embrasure, elle ne tenait pas vraiment à se faire remarquer. Elle ne pensait pas que dans le tas, il y avait des miliciens en civil ; mais on n’était jamais assez prudent.

Quelques médecins vinrent chercher des patients et aucun ne lui prêta attention. Aucun jusqu’à ce qu’elle voie apparaître une tignasse rousse et qu’elle croise le regard de Kali.

Elle fit signe à Ankha de la suivre et ne prononça pas une parole jusqu’à ce que la porte du cabinet soit refermée.

— T’en as mis du temps.

Il n’y avait rien d’hostile dans cette remarque.

— J’étais pas sûre de te trouver là, marmonna Ankha. Avec ce qui se passe dehors.

Kali détourna légèrement le regard.

— On va pas fermer pour si peu, lâcha-t-elle avec désinvolture.

Ankha laissa couler cette remarque. Elle ne voulait pas entrer dans un débat avec Kali. Elle n’était pas encore prête à s’avouer que la rébellion n’était pas ce qu’elle pensait.

— J’avais besoin de voir Niven, mâchonna Ankha.

Kali reporta son regard noisette sur elle. Il y avait de la surprise et de la méfiance dans ses yeux.

— Pourquoi tu l’as pas trouvé directement ?

— J’ai aucun moyen de le contacter. Toi, si.

Kali s’assit à son bureau et fixa Ankha.

— C’est lui qui te l’a dit ?

— Je suis assez grande pour deviner. Il est où ?

— À Rasinas. Il doit rentrer bientôt.

— Et bientôt, c’est quand ?

— Quelques jours. J’en sais vraiment pas plus, Ankha.

Elle acquiesça. Kali lui avait déjà dit plus qu’elle ne l’espérait.

— Tu reviens d’où ? risqua Kali.

Elle devait sûrement se demander d’où lui venaient ces traces de coups. Ankha n’avait pas encore croisé de miroir depuis que le soldat lui avait fait quitter la prison et à voir l’expression de Kali, ça ne devait pas être joli.

Ankha secoua la tête. Elle ne se sentait pas d’en parler là.

— Laisse-moi voir, insista-t-elle.

— Il y a rien à voir, marmonna Ankha.

— S’il y avait rien, tu serais pas venue.

Ankha releva le regard vers Kali. Et elle vit au fond de ses yeux qu’elle voulait juste aider. Elle vit de l’inquiétude. Elle avait vraiment une si sale tête ?

 

×

 

Ankha hésita avant de se décider à revenir à son appart. Il pouvait être surveillé par la milice ou par la rébellion. Il pouvait ne plus être sûr du tout. Mais elle avait besoin de se poser quelque part. Kali lui avait bien proposé une planque de la rébellion. Mais Ankha se dit que c’était encore moins sûr que son appart.

Elle referma la porte et s’appuya contre son battant. Elle était épuisée.

Puis, elle s’approcha de la fenêtre, balança sur la table les cachets que Kali lui avait prescrits. En bas, la fourmilière s’agitait. Combien de temps avant que la rébellion ne s’effondre ?

Pendant des années, elle avait vu dans cette organisation quelque chose de bon, quelque chose qui contrebalançait avec l’horreur de Catinis. La rébellion allait s’opposer au pouvoir, la rébellion allait empêcher d’autres massacres dans ce genre. Mais la rébellion avait agi exactement de la même manière. Elle avait joué avec les vies exactement comme l’aurait fait le gouvernement. Et ça, Ankha ne pouvait plus l’accepter. Bien sûr, si ce témoignage n’était pas apparu, la rébellion aurait été en bonne posture pour gagner davantage de notoriété. Mais elle s’était grillée toute seule.

La suite des événements était simple. Les semaines à venir seraient très axées sur la recherche de rebelles. Le gouvernement avait joué sa dernière carte et il avait gagné. À présent, il s’agissait de nettoyer le pays de la gangrène. Bien sûr, revenir à Muresid n’était pas la meilleure des solutions. Peut-être qu’elle aurait eu plus de chances de survivre quelque part ailleurs. Sûrement. Mais elle s’était dit qu’il était plus simple de se cacher dans la foule.

 

×

 

Elle revit Niven deux jours plus tard. Il vint frapper à sa porte, tout simplement.

— Tu n’aurais pas dû revenir, dit-il en entrant.

— Dis-moi quelque chose que je sais pas, soupira Ankha.

En réalité, elle était soulagée de le revoir. Avec leur mode de vie, on ne pouvait jamais prévoir si on allait revoir l’autre en vie.

— Kali m’a transmis ton message.

— Je voulais…

Ankha hésita.

— Tu voulais savoir pour Zora.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Niven soupira et s’assit en face d’elle. Il se prit la tête entre les mains avant de répondre.

— Un truc assez incompréhensible.

Ankha voyait bien que parler de ça lui en coûtait.

— Après ton départ, on a passé un bon moment au palais. C’était tranquille, aucun mercenaire n’avait trouvé l’adresse. Et puis… un jour, elle a reçu un message d’un contact. Il disait vouloir la rencontrer pour des infos sensibles.

— Elle y est allée ?

— Elle a réussi à me convaincre de l’y emmener.

— C’est ce contact qui… ?

— Non. Non, le contact n’était pas un mercenaire. Elle a récupéré des documents et on est revenus au palais. C’est là que les choses se sont gâtées.

Ankha voyait bien son malaise.

— Elle a passé la nuit à étudier les documents et le matin, elle a déclaré qu’elle voulait quitter Muresid. J’ai contacté la rébellion et on a rejoint la gare. Et c’est là que je l’ai perdue.

— Perdue ?

— Je l’avais à l’œil. Mais il a suffi d’une seconde d’inattention pour qu’elle disparaisse.

— Les mercenaires ?

— C’est ce que j’ai pensé au début. C’est aussi ce qu’ils ont pensé à la rébellion quand je le leur ai communiqué.

— Mais…

— Elle est morte à Fyres. C’est à une journée de train d’ici. Les mercenaires n’auraient pas pris cette peine. Ils l’auraient descendue direct.

— Elle tentait de fuir, conclut Ankha avec horreur. Elle avait découvert la vérité ?

— Oui, soupira Niven. Après l’annonce de sa mort, je suis revenu au palais. J’ai retrouvé les documents. Elle les avait laissés derrière elle.

— Et… ?

— C’était des dossiers de recrutement. Les mercenaires engagés par la rébellion pour la descendre.

La gorge nouée, Ankha ne put qu’acquiescer. Pour elle, découvrir la vérité sur la rébellion avait été une claque. Elle n’osait pas s’imaginer ce que ça avait été pour la journaliste qui avait consacré sa vie à la soutenir.

— T’as les dossiers ? demanda Ankha d’une petite voix. Tu les as pas remis à la rébellion ?

Il grimaça.

— Non. Je tiens à rester en vie. J’ai pensé que ça pourrait t’intéresser.

Il joignit le geste à la parole et sortit une enveloppe de son sac. Il la déposa à côté de lui et regarda Ankha dans les yeux.

— Détruis ça après l’avoir lu. Ça ne sert à rien de laisser traîner ce genre d’infos.

 

×

 

Une fois Niven parti, Ankha parcourut rapidement les dossiers. Plus d’une fois, elle tomba sur des noms connus. La rébellion était infiltrée par les mercenaires depuis un sacré moment, apparemment.

Et puis, elle arriva au dossier qui l’intéressait. Celui de Meero.

Le cœur battant, elle le parcourut. Il n’avait pas chômé. Ses premiers contrats remontaient à six ans, juste après le putsch. Il avait enchaîné des assassinats pour le gouvernement, pour la rébellion. Il avait fait des missions de sabotage, il avait transmis des données sensibles.

Le regard d’Ankha buta sur Zebulis. Sa vraie mission là-bas était d’empêcher les rebelles de récupérer des armes pendant que celle des rebelles était de se constituer un arsenal. Cette mission était notée comme un échec.

Elle en parcourut les détails encore et encore. Mais il n’y avait rien de plus. Rien qui aurait pu expliquer pourquoi ça avait échoué. Est-ce que c’était lié à la mort de Glev ? Est-ce que Meero avait été au courant bien avant elle ? Est-ce que… ?

Ankha inspira. Elle sentait la tête lui tourner, elle se sentait nauséeuse.

Elle n’était pas prête pour cette vérité. Elle n’était pas prête à apprendre qu’il lui avait menti à ce point.

Il a eu ce qu’il méritait, lui murmura une voix dans sa tête.

Ankha prit un moment pour réfléchir à cette pensée. Elle aurait voulu que ce soit aussi simple.

Mais non, il ne le méritait pas. Personne ne méritait de mourir.

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Cocochoup
Posté le 11/04/2020
Oh poulette, personne ne mérite de mourir, c'est so choupinou
Y'a un cœur qui bat sous cette carapace de guerrière.
J'espère vraiment qu'il y aura une happy end avec ils se marièrent et eurent beaucoup beaucoup de petites grenouilles
Alice_Lath
Posté le 10/04/2020
Ankha a tellement de principes et de droiture, c'est vraiment super touchant, ça la rend attachante, on a juste envie de la prendre dans les bras et de lui dire: tkt babe, oui il a été méchant, oui il mérite ce qui lui arrive, mais en même temps, vous vous aimez tellement tous les deux. Raaah, qu'ils fuient et vivent heureux même si je sais que ça ne se passera jamais comme ça, ils vont se prendre la pire des misères
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