Elle se tord les doigts et ça la reprend. Elle ne peut pas s’en empêcher, elle n’y arrive pas, se force, bute et tombe et chute et se relève toujours, puis retour à la case départ. Cligner des yeux, bloquer les tics et cesser les grimaces car ça effraie. Plisser le front, le détendre mais ça ne marche pas non plus et ça se voit beaucoup trop. Les genoux alors, envoyer les genoux battre l’air, se frotter l’un contre l’autre jusqu’à ce que feu s’en suive et tant pis pour l’odeur de brûlé, et donc le corps se redresse et s’affaisse, se redresse et s’affaisse et c’est plus discret.
— À ton rythme, Léa.
Il ne faut pas qu’on lui parle, ça la déconcentre. Si on lui parle elle se déconnecte de ses genoux, lâche prise, ne peut plus contrôler quoi que ce soit et après, c’est la débandade : les omoplates s’affalent, les bras papillonnent et reprennent leur liberté, la tête oscille et tourne et tourne. Et là, ça fait véritablement peur. Non, il ne faut pas lui parler.
Elle ferme fort, fort les yeux et invoque sous ses paupières closes, sur ce rideau noir comme le néant, les phrases qu’elle doit prononcer. Les mots se forment en vagues de fumée, barbotent devant elle et elle parvient à en attraper quelques-uns. Elle veut y arriver. C’est important : elle joue le valet Matti, après tout. Ce n’est pas rien ! Elle se bouscule, rassemble les mots qu’elle peut, les jette pêle-mêle sur sa langue et, enfin, lorsqu’elle sent qu’ils sont dociles, à la queue leu leu prêts à sortir, elle essaie :
— « À quoi bon… À quoi bon gaspiller des larmes inutiles… ».
Elle ouvre un œil craintif. Devant elle, Claire en suspens tisse un ruban jusqu’à elle et la pousse à dérouler le reste de sa réplique. Elle s’y accroche, fait abstraction de ces formes confuses, là, devant elle, en lieu et place du public et qui créent tout un château fort, invincible, avec des épaules meurtrières et des têtes tours de clochers. Elle plonge un regard absent en direction de Claire et, miracle, les mots ne s’évaporent pas. Elle poursuit :
— « Pourquoi verser un pleur sous prétexte que l’huile… que l’huile jamais ne réussit à se mêler à l’eau. Il est… Il… ».
Cligner des yeux plisser le front se triturer les doigts frotter les genoux. Ses paupières se referment dans un vacarme de tous les diables — vlam ! —, se rabattent aussi sèchement qu’une devanture de boutique, et les cils s’enfoncent dans les cernes. Elle s’y clôture, se claquemure en son for intérieur et espère, mais espère vraiment de toutes ses forces que le public va disparaitre, que la scène sur laquelle elle se tient va disparaître, que cette pièce de théâtre n’aura bientôt jamais existé — et tant pis pour cette histoire de lutte des classes bien trop terrifiante.
— « Il est temps que tes valets te tournent le dos. ».
Ce chuchotement la ranime. Elle rouvre les yeux et croise Clémence, sur scène à côté d’elle : Maître Puntila dans son costume de grand buveur lui apporte son aide et se transforme en souffleur de théâtre. Ça lui revient : ses mots, sa réplique. Elle retrouve le fil.
— « Il est temps que tes valets te tournent le dos. Un bon maître, ils en auront un dès que chacun sera le sien ».[1]
Elle expire. Ce passage entier, ce bloc qu’on lui demande d’avaler et qu’elle digère aussi bien qu’un parpaing, elle en est venue à bout. Enfin. Elle se redresse, aperçoit le visage de Claire qui s’illumine de fierté et les mains de Sam, juste à côté, qui applaudissent.
— Oui, c’était super ! Bravo !
— Pas mal du tout, lui murmure Clémence.
Léa est contente. Ce n’est pas tous les jours qu’elle accomplit un tel exploit. Elle ose, pour une seconde seulement, jeter un œil derrière Claire et Sam. Et se rassure : le château fort est joyeux et encourageant. Certaines pierres relisent leur texte, d’autres se rongent les ongles à l’idée de monter sur scène ; très peu d’entre elles semblent s’ennuyer.
— Ça y est elle y est arrivée, la chtarbée. On peut passer à la suite !
Les deux animatrices se contorsionnent sur leur siège.
— Sérieusement, Théo ?
— Si la pièce est pas à ton goût, rien ne te retient.
Théo se lève et crache :
— Non mais de toute façon je m’en branle. Je me serai barré d’ici bien avant qu’elle ait lieu, votre pièce à la con.
Il frappe l’air d’un geste du bras et s’avance vers la sortie.
— C’est ça, casse-toi, lui lance Clémence, t’as rien à faire là si tu t’attaques à Léa !
— Elle a raison, ajoute un jeune garçon assis dans le public, t’es complètement taré de tenir des propos pareils !
— Oui, enfin… Théo, tu es le bienvenu quand même, mais modère ton langage !
La porte claque. Sam n’est pas sûre que Théo l’ait entendue et s’en mord les doigts. Elle aimerait quitter la chapelle, le retrouver et lui parler de choses sérieuses. Elle hésite. N’ose pas, et Claire enchaîne :
— On passe à l’extrait suivant ? Jeanne, Ivan ? Rejoignez Léa sur scène, on va retravailler le poème de Baudelaire.
Le château fort se meut, ses fondations s’ébranlent : deux corps s’en extirpent et se dirigent vers la scène. Entre leurs mains bruissent un paquet de feuilles noircies d’annotations. Léa les regarde s’approcher, impuissante. Son cœur bat très fort. L’architecture de l’univers tout entier est mise à rude épreuve et cette nouvelle géographie l’angoisse. La chapelle n’a rien de très chaleureux Le remue-ménage de Claire l’a dépoussiérée, le bric-à-brac que l’animatrice y a entreposé la rend déjà plus accueillante. N’empêche : les vitraux et l’autel sont toujours là, magnifiques et étouffants, l’odeur d’encens et de renfermé persiste, et ces statues, ces faces de poupins inquiétants qui dégoulinent de sourires et jugent depuis leurs mirettes en fente, se penchent encore vers les passants. Léa jurerait qu’ils lui cherchent des noises, qu’ils attendent la première occasion pour la harponner, la soulever du sol et l’emmurer avec eux. Non, rien n’y fera, cette chapelle est oppressante.
Et puis Léa est fatiguée. À force de trembler, elle en a des haut-le-cœur. Ses muscles sont en train de la lâcher, ses genoux n’en peuvent plus de tressauter, ses dents de claquer. À l’annonce d’une énième répétition, un crochet capture son estomac et le tord. Une vague d’acidité remonte le long de son œsophage. Aux gargouillis de son ventre s’ajoutent les pas de Clémence : Maître Puntila s’en va, il doit céder la place à d’autres personnages. L’image de sa camarade qui la quitte crée un nouveau remous : Léa le sent, une crise, une vraie, pointe le bout de son nez. Elle se maîtrise, se contracte, les articulations de ses doigts se cassent et se reforment en un spasme violent.
— Je veux faire une pause, affirme-t-elle.
Claire et Sam jaugent Léa. Jeanne et Ivan, un pied sur l’estrade, s’arrêtent en plein élan et attendent un verdict.
— Allez, encore un petit effort… Je suis convaincue que tu peux le faire !
Les doigts de Léa attrapent les doigts de Léa, les broient, la peau écrase la chair qui pulvérise les os. Si elle continue, c’est sûr, ses mains se réduiront en miettes, en poudre sèche, et il neigera par terre des bouts de Léa.
— Non ! crie-t-elle.
Sa propre voix l’a agressée. Elle ne s’y attendait pas. L’écho de son refus résonne dans la chapelle. Les statues s’en emparent et, très vite, le cri de Léa s’échappe de leurs sourires pétrifiés. Horrifiée, elle ferme une nouvelle fois les yeux, plaque ses doigts noués contre ses oreilles et déchire sa bouche. Ses lèvres s’étalent sur ses joues et s’ouvrent tel un rideau rouge sur un essaim de dents serrées.
Ni une ni deux, Claire escalade la scène. Sam, en retrait, fait signe à Jeanne et Ivan de patienter.
— Du calme, tout va bien…
— Je veux faire une pause !
— Reprends tes esprits…
Claire s’avance vers Léa mais se retient de la toucher. Ses paumes s’ouvrent, à l’affût, enveloppant la jeune fille comme si celle-ci était sur le point de tomber.
— Tu es sûre que tu préfères ne pas continuer à répéter tes textes ? Tu te débrouilles tellement bien…
— Non !
Léa frissonne. Tout son être se crispe.
— Dans ce cas c’est pas grave, chuchote Claire, on stoppe. C’est vrai que tu as déjà beaucoup travaillé.
La décision de l’animatrice provoque un véritable soulagement. Léa se relâche ; ses doigts se désentortillent et, lentement, ses bras coulent le long de son buste.
— T’inquiète pas Léa, on continuera demain, rassure Clémence au loin.
Avec précautions, Claire pose une main sur l’épaule de Léa. Voyant que la jeune fille ne la repousse pas, elle l’incite à rejoindre le public.
— Allez, repose-toi un peu. Tu l’as bien mérité.
Léa cède tout à fait et descend de la scène. Elle chasse le château fort de son champ de vision et se concentre sur ses chaussures : il lui semble que ses petits pas, sur cette scène de fortune, déclenchent un raffut sans nom.
— Ivan, Jeanne, vous pouvez… on va…
Claire bafouille. Les crises de Léa la désemparent. Sam lui vient en aide :
— Ivan, tu peux retourner t’assoir. Jeanne, reste, on n’a qu’à travailler ton autre texte. Et après, tout le monde fera une pause !
Les deux animatrices échangent un regard. Dans celui de Claire, Sam lit une forme d’inquiétude que sa collègue dévoile rarement. Alors, pour lui signaler qu’elle n’est pas seule, elle lui sourit. Claire hoche la tête, reconnaissante, et va s’assoir auprès des adolescents. Sam peut diriger la pièce : elle a vite compris les rouages d’une mise en scène amatrice et s’en sort très bien. Un peu de tranquillité n’est pas de refus.
Claire s’affale sur son siège. Elle se sent engourdie. La gravité la détend, l’étire et la force à l’immobilité. Elle se laisse aller. Devant elle, Sam poursuit les répétitions ; son dos se soulève au rythme de ses gestes, ses mains s’agitent et pointent là un problème, ici une solution.
Claire souffle. Qu’est-ce qu’elle peut détester ces moments d’inertie. Malgré tout le bien qu’ils lui font, elle les déteste. Ils rentrent en elle, la possèdent et, avec eux, elle ne se sent plus capable de rien. L’inaction est une enclume. Tandis que ses muscles se reposent, que ses idées cessent de tourbillonner, elle ressent le poids d’un nuage gris dans sa poitrine. Pas un gros nuage, non, mais juste assez grand pour emplir ses poumons, s’immiscer jusque dans le tréfonds de ses bronches et gratter. Un doute la saisit : à quoi bon s’engluer dans ces affaires, s’évertuer à construire, si tout est nécessairement voué à la destruction ? En proie à cette incertitude amère, elle s’extrait de la chapelle et s’abandonne toute entière à sa morosité. Elle ne connaît pas de sentiment plus désespérant que celui de ne parvenir à rien, résolument rien, jamais.
Léa a fait des efforts, pourtant. Et pas des moindres. Elle qui se recroquevillait sur elle-même le jour de son arrivée à la Fourmilière, la voilà qui s’élève un peu plus à chaque passage sur scène. Ça ne se voit pas à l’œil nu, non. Pour le remarquer, il faut la patience de ceux qui la côtoient sans relâche. Et à force de s’occuper d’elle, Claire se sent aussi usée qu’un couteau trop aiguisé.
Elle soupire. Devant elle, Sam bouge soudain autrement : elle gesticule à la va-vite, se retourne vers Claire, se précipite sur son sac. Ce n’est qu’en voyant sa collègue en extirper un téléphone portable que Claire entend une sonnerie. En quelques mots maladroits, Sam interrompt les répétitions. Les adolescents descendent de scène, retrouvent leurs camarades spectateurs et tous, par grappes chuchotantes, s’avancent vers la sortie.
Sam a raté l’appel mais appuie immédiatement sur la touche bis.
— C’est eux, c’est la MJC… ! indique-t-elle d’un ton nerveux.
Comme monté sur ressorts, Claire se relève et rejoint son amie.
— Oui ? Allô ? Vous venez de m’appeler…
Claire est suspendue aux lèvres de Sam.
— C’est noté, merci bien. À bientôt pour les détails.
Elle raccroche.
— Alors ? s’impatiente Claire.
— … Ils sont partants ! Une résidence, dans trois semaines ! Il y aura même un coach spécial pour Léa !
Le sourire de Sam fait danser ses taches de rousseur. Abasourdie, Claire laisse sa mâchoire se décrocher avant de s’égayer : les deux amies se trémoussent et poussent des petits cris de joie.
Séverine ouvre la porte et la moiteur de la pièce lui saute aux joues. Et au corps. S’insère dans sa gorge, bloque sa respiration.
Ce n’est pas très agréable. D’autant que, dans ce hammam, on n’y voit pas grand-chose. Autant le sauna était un enfer sec et brûlant, autant cette salle vous enveloppe et ne vous relâche plus. Voilà ce que l’on perçoit du monde quand on a besoin de lunettes, se dit Séverine, reconnaissante : à son âge, sa vue reste excellente.
Elle discerne les contours de Sam — ou bien est-ce Claire ? la vapeur efface jusqu’aux portraits que l’on se fait des gens — et se rapproche d’elle. Le sol est aussi humide que l’air et ses pieds s’y enfoncent comme dans une soupe. Elle garde les yeux rivés sur le dallage. Elle ne souhaite croiser le regard de personne.
À pas de souris, elle atteint le banc carrelé sur lequel Sam s’est assise. Elle la reconnaît à ses cheveux courts. Claire se tient à ses côtés et se distingue de sa collègue par son chignon désordonné ; des mèches s’en échappent et viennent se plaquer sur sa peau par bouclettes indisciplinées.
Elles sont nues. Séverine s’efforce de ne pas se focaliser sur ce détail, en vain : elles sont nues, vraiment nues. La nudité ne les dérange pas, ne les effarouche pas, ne les piège pas dans la peur du jugement des autres. Quand elles ont trop chaud, elles lèvent les bras au-dessus de leur tête et, alors, leur poitrine prend vie. Leurs seins grandissent et ondulent légèrement, mais elles n’y prennent pas garde. À lire leurs visages sereins, elles explorent le paradis sur Terre.
Séverine ne s’est pas dévêtue. Elle n’a pas pu abandonner ce tissu blanc qui lui sert de serviette et la protège. Plutôt mourir. Ainsi couverte, elle fait figure d’exception : elle est la seule femme qui ne soit pas nue. Et cette idée d’être à part, d’être remarquée par sa différence, la glace. Sa serviette s’impose — une tache punaisée sur sa peau, un écriteau qui crierait sa timidité. Malgré tout, elle ne peut se résoudre à s’en dépêtrer.
Elle aurait dû dire non. Maintenant qu’elle y repense, elle s’en veut de ne pas avoir été plus ferme. Elle manque cruellement de force de caractère — ce qui la fait culpabiliser davantage, et le dénigrement de soi est sans fin. Elle s’était montrée réticente, pourtant : devant la proposition de Claire et Sam de fêter leur victoire aux thermes, elle avait pincé les lèvres en signe d’hésitation. « Ça te fera le plus grand bien ! » lui avait assené Claire.
Séverine ne comprend pas ce que cette dernière lui veut. La nouvelle est gentille, il n’y a pas de doute, et même observatrice, attentionnée. Un brin rentre-dedans, ce qui n’est pas sans offusquer son entourage. Mais, en vérité, c’est surtout ce trait de personnalité que Séverine admire. Quand Claire bouscule, quand elle joue de son ton emporté et de son poing levé, Séverine l’envie. En secret, cela va sans dire. Il ne fait pas bon encourager les esprits libres. Ce n’est pas elle qui le proclame, ce sont les autres, les plus grands qu’elle. Et il vaut mieux leur obéir, sait-on jamais.
— Séverine, je te sens tendue…
Claire parle, mais ses lèvres restent invisibles. Elle est cachée dans l’ombre, sous les parcelles de vapeur, et il semble alors que sa voix n’appartient à personne. Qu’elle est l’écho des murs.
— Non, ça va… balbutie Séverine. C’est que… Je n’avais jamais mis les pieds dans un hammam avant.
Son aveu lui donne le vertige. Elle rougit.
— Il faut bien une première fois à tout ! s’exclame Claire.
Les contours de la jeune femme se meuvent, le triangle que forme son visage tourne sur lui-même et son sommet se déplace : elle vient de reposer sa tête contre le mur, le menton haut. Elle prend une profonde inspiration ; la vapeur tressaille et sa poitrine se soulève.
— J’en peux plus, s’agite brusquement Sam. On sort ?
Sans un mot, les bras de Claire et de Sam se décollent du banc carrelé, leurs deux silhouettes s’allongent, grandes et arrondies, et fendent la vapeur avec une aisance troublante. Séverine s’éclipse à leur suite.
Dehors, dans cet espace qui relie toutes les salles, Claire et Sam ne prennent pas la peine de se ruer sur leur serviette et de se couvrir. Il n’y a même plus la vapeur pour les cacher. Aussitôt, Séverine détourne les yeux et se concentre ailleurs, feignant un intérêt soudain pour les mosaïques qui décorent le plafond.
— On retourne dans le bassin froid ?
Elle ne la voit pas mais, à l’intonation de sa question, Séverine devine l’enthousiasme de Sam. Claire acquiesce d’une simple exclamation de joie.
— Séverine, tu viens ?
— Non, non… l’eau froide, très peu pour moi !
Elle ment. La canicule sévit encore, la Fourmilière est une fournaise et Séverine tuerait pour un peu de fraîcheur. D’ailleurs, d’où leur est venue l’idée saugrenue de passer ce dimanche soir dans des salles brûlantes, Séverine s’interroge — elle se fait vieille, voilà sans doute l’origine de ses réticences. Pour être honnête, si elle ne les rejoint pas dans les bassins froids, c’est à cause de sa serviette dont elle ne parvient pas à se débarrasser. Encore et toujours cette maudite serviette.
Elle entend les piaillements des deux jeunes femmes au contact de l’eau glacée. Puis, au splash ! qui résonne, comprend qu’elles se sont pleinement immergées et se tourne vers elles. Leurs têtes dépassent et leurs membres s’affairent sous la surface, parfaitement floutés : leur nudité s’est rhabillée, leurs corps se dissimulent derrière une flopée de vaguelettes.
Séverine s’approche d’elles, s’assoit sur le rebord du bassin et plonge ses jambes dans l’eau. Un froid mordant la transperce ; elle connaît le bonheur de ses camarades et les envie un peu plus. Devant elle, Claire et Sam ont apprivoisé ce froid et s’en délectent : elles jouent à s’éclabousser.
— Stop, tu vas arroser Séverine ! lance Claire en riant.
Sam s’arrête sur-le-champ. La surface de l’eau s’apaise et bientôt, seul le bruissement de leurs brassées brise le silence. À force de nager tranquillement, les deux femmes créent des anamorphoses flottantes. Petit à petit, Claire se dirige vers Séverine.
— Je suis désolée que tu ne te sentes pas à ton aise ici, avoue-t-elle. Si on avait su, on serait allées ailleurs…
Séverine écarquille les yeux et hausse les sourcils. Elle ne s’attendait pas à ce que Claire s’adresse à elle, encore moins pour s’excuser. La jeune femme poursuit :
— Picoler dans des bars, ça t’irait ?
La proposition est des plus incongrues. Claire sourit de toutes ses dents.
— Euh… non… peut-être que… parfois ?
— Je plaisante, ne t’en fais pas ! Mais promis, au prochain congé, c’est toi qui décides de la destination. Sam et moi on te suivra !
Elle lui sourit, sincèrement cette fois, et sort du bassin. Ses courbes se révèlent les unes après les autres — ses seins, ses hanches — et avant que son pubis se dévoile, Séverine tourne la tête. Avec moins d’empressement : le lien que Claire vient de tisser entre elles la met en joie et, soudain, leur nudité l’embarrasse moins. Elle est, une seconde, toute entière à l’estime que Claire lui témoigne et ne souhaite pas que la discussion cesse. Bien au contraire, elle aimerait que ses deux camarades la considèrent ; qu’elles lui offrent une minute d’amitié.
Depuis que Claire est arrivée, Sam s’est éveillée. Elle qui d’ordinaire était si solitaire, réservée, se retrouve grandie et métamorphosée. Souvent, Séverine l’examine en catimini et inspecte tous les détails qui n’en sont pas : les cheveux à la garçonne que la jeune fille ne s’échine plus à triturer, consciente du malaise qu’une telle coiffure peut provoquer ; les mots qu’elle prononce et qui s’élèvent, précis, distincts, les rires qui tissent des rubans pleins en lieu et place des murmures ; l’espace que son corps, ses bras, ses mains occupent autour d’elle, et qui ne l’effraie plus. Séverine en est impressionnée. Envieuse, aussi. Et aucun doute ne plane quant à la raison d’une si belle transformation : Sam et Claire, ces deux femmes que quelques années seulement séparent, se sont reconnues au premier regard et ne se quittent plus.
Séverine se demande si, sans Claire, Sam aurait fini par trouver sa propre voie : certainement. Par la force des choses. La question la taraude mais, au fond, elle pressent l’influence et l’attirance que Claire exerce autour d’elle. Séverine imagine ce qu’auraient été sa vie à elle, son parcours, ses manières d’être au monde, si elle avait elle-même, dans sa jeunesse, rencontré une Claire. L’image la laisse rêveuse, reste belle mais lointaine — Séverine est désormais trop vieille pour être dépoussiérée. Cependant, elle doit bien se l’avouer : elle donnerait cher pour être leur pièce rapportée ; que leur trio se cristallise et qu’elle fasse partie de leur groupe comme les veines ne peuvent se dissocier du cœur.
Alors, sans réfléchir, elle saute sur cette bouée que Claire lui a lancée et renchérit :
— Au fait, encore bravo pour votre pièce… La MJC, ce n’est pas rien ! Vous avez déjà annoncé la nouvelle à Jules ?
Sam sort à la suite de Claire. Des trombes puis des gouttes glissent le long de leur corps et ruissellent jusqu’au sol. Leurs pas sont liquides, les talons et les orteils s’enfoncent dans des mares d’eau fraîche.
— Oh, on lui en a parlé avant même que je contacte ma tante qui travaille à la MJC, raconte Sam. Il a répondu par une moue bien à lui. Tu sais, celle qui veut dire « ce que tu m’expliques n’existe pas donc je ne m’en soucie pas ». Du coup, on a pris les devants. Maintenant que c’est officiel, on a plus d’éléments pour le convaincre !
Les deux femmes récupèrent leur serviette à un crochet et les nouent autour de leur buste.
— On finira par obtenir les autorisations de tout le monde, enchaîne Claire, c’est qu’une question d’arguments, de temps et de bon sens.
Séverine acquiesce et se relève à son tour.
— En tout cas, précise-t-elle en se rapprochant de ses camarades, si vous avez besoin de mon aide pour ce projet, n’hésitez pas à me solliciter ! Je le connais bien, Jules.
— Ce serait chouette de ta part ! se réjouit Claire. Et puis, plus on est de folles…
Tout en lui décochant un clin d’œil, elle pose sa main sur la clenche d’une porte et ouvre un univers fait d’une chaleur percutante.
— Ce sauna-là, allez !
Séverine retient un soupir d’appréhension. Elles ont déjà infiltré un premier sauna, et ça ne lui avait pas plu — elles s’y étaient retrouvées seules, c’était au moins ça. Claire, elle, pénètre dans la salle comme on s’introduit dans une sphère magique, sur la pointe des pieds. À l’intérieur, tout est gonflé d’orange : les lumières tamisées se calquent sur le décor en bois et, au centre, une pyramide de pierres repose au creux d’une poêle. Mais ce qui frappe d’emblée, ce sont les chairs blanches, rosées, mordorées et noires qui habitent la salle, comble ; l’armée de femmes nues qui s’y prélassent, allongées ou assises, les hanches en virgules ou les coudes en « v », les bras des unes se confondant avec les jambes des autres. Des perles de transpiration enflent sur les peaux, des poignets lestes essuient des fronts moites ; les mouvements sont lents, lascifs, les corps s’étirent parfois dans une économie folle.
Séverine referme la porte. L’atmosphère est sèche, presque cassante. Elle prend une grande inspiration mais l’air lui cogne les narines et brûle sa gorge. Claire et Sam se dirigent vers un banc, retirent leur serviette en quelques gestes précautionneux, l’étalent sur le bois et s’y allongent. Nues. Elles prennent part au tableau avec un naturel déconcertant. Cette fois, impossible d’esquiver leur matérialité.
Gênée à l’idée de rester seule debout, Séverine se rue à petits pas vers la première place qui s’offre à sa vue, et s’y assoit. Sa serviette blanche tranche. Séverine courbe l’échine, se renferme dans sa coquille. Toutefois elle s’alourdit et, déjà, des gouttes de sueur naissent dans les plis de son cou. Elle respire calmement et relève la tête. Elle s’est emprisonnée au sein d’un carré de femmes nues et n’a plus le choix : où qu’elle regarde, des bouts de chairs s’imposent à elle.
Elle les embrasse d’un œil vide. Et alors, aussi saugrenu que cela lui paraisse, les seins, les ventres et les sexes se multiplient de manière si affolante que leur présence en devient presque insignifiante. Après tout, si la retenue était de mise, et si les châtiments que l’on inflige d’ordinaire aux impudiques étaient de rigueur, toutes ces femmes ne se délasseraient pas ainsi, en dépit de la bienséance à laquelle le monde extérieur les oblige. Elles cherchent le repos, et non les regards. Pourquoi Séverine devrait-elle être mal à l’aise ?
Elle prend une autre inspiration, plus mesurée cette fois. La chaleur fait son effet. L’air est un coton de plomb qui la happe. Elle s’engourdit, ploie sous l’atmosphère écrasante et, pourtant, n’a jamais été si légère. Elle papillonne des yeux ; se laisse aller, s’adosse un peu mieux contre le banc ; sa tête dodeline et vient se poser contre le bois. Séverine frôle ses bras du bout de ses doigts : elle se liquéfie. L’eau remplace la peau, ses chairs fondent. Puis tout s’allonge. La chaleur s’empare de Séverine une bonne fois pour toutes, avec la force d’un barrage qui craque : le sauna vacille, les murs s’écartent ; les corps se déploient et ses propres membres s’étendent. Le temps s’allonge à son tour et, bientôt, le moindre mouvement lui parvient au ralenti. Elle se sent bien.
Elle ferme les yeux, les rouvre. Ferme les yeux, les rouvre. Ses cils enlacent la scène et laissent sur la salle l’empreinte de leur virevolte. Face à Séverine, sur le banc opposé, une femme se tient en tailleur. L’air de rien, comme ça ; les paupières closes, le buste très droit, le menton relevé et les mains sur les genoux. Elle est belle. Royale. Les lumières tamisées dessinent son corps et tout semble parfait : les replis de ses hanches, son ventre arrondi ; ses muscles qui se tendent et ses chairs qui s’affaissent ; ses épaules lisses et les rides qui craquellent ses seins. Enfin, au centre du triangle que forment ses jambes, une vulve sombre se devine, ni cachée, ni provocatrice — juste là.
Très calmement, la femme caresse ses bras, fait des cercles avec sa nuque, et les lumières l’accompagnent. En l’observant, Séverine se rend compte qu’elles ont peu ou prou le même âge. Cette complicité en puissance l’interpelle. À voir le passage des saisons sur son anatomie, la femme a connu de multiples vies. Une grossesse ou plusieurs, c’est certain. Des aventures formidables ou effroyables, aussi, qui ont laissé des cicatrices, solidifié les muscles et marqué le corps à coups de serpe et de pics. Et aujourd’hui, au milieu de cette salle sèche et rassurante, elle trône, altière.
Séverine ne parvient pas à se détacher d’elle. La vision de cette femme en tailleur, plantée face à elle dans cette promiscuité étouffante, l’apaise et l’angoisse tout à la fois. Sans le savoir, cette voisine lui donne beaucoup. Accepter de vieillir, et s’en trouver soulagée. Se montrer sous son vrai jour, celui des cheveux blancs, et en être fière. La joie de comprendre qu’elle n’est pas seule, que ses semblables évoluent autour d’elles, qu’elle peut les toucher, les voir, leur sourire ; qu’elles sont constituées de chairs tombantes et d’os en acier, et que leur force réside dans la sagesse de leur longévité. L’effarement de réaliser qu’elle, Séverine, n’a rien fait. Qu’elle a vécu comme on dort. Qu’elle a laissé couler sur elle les années sans s’en saisir, sans se départir de sa réserve. Qu’elle ne s’est pas mise en avant, jamais, encore moins devant ceux qui prennent toute la place et qu’elle exècre en secret. Qu’elle a raté sa chance. Et la voilà maintenant qui fond, vaincue par la chaleur. Qui s’efface pour de bon ; qui s’abandonne à une mort lente, une disparition discrète par dissolution, qui s’évapore avec respect et gentillesse, ce respect et cette gentillesse qui la caractérisent, sans faire de remous et en distillant dans l’air des autres l’odeur de savon de sa propre transpiration.
Elle voudrait hurler. La chaleur a atteint ses poumons, son cœur, et elle se sent prête à exploser. Elle ne se sait pas de quoi elle est faite exactement, quel matériau éclatera sur le monde et dégoulinera sur ses murs. Mais elle désire bouger.
Elle se redresse soudain. Un malaise ; sa vision se brouille. Sa serviette est grisée de sueur. Son sursaut n’a dérangé que trois bras et deux cuisses autour d’elle, et elle est éberluée de constater que ses émotions n’ont aucune influence sur le tableau des femmes nues. Elle se reprend. Se force à s’arracher à cette chaleur, secoue la tête, essuie la sueur qui perle sur sa peau. Rien à faire, elle étouffe.
À l’autre bout de la pièce, cachée derrière les taches de rousseur de Sam, Claire a remarqué le trouble de Séverine et l’interroge du bout des lèvres. Séverine ne la voit pas. Alors, en un éclair, Claire se lève, empoigne sa serviette et enjoint Sam de l’imiter.
— J’en peux plus de cette chaleur ! chuchote-t-elle avec panache, et le chuintement de ses mots écorche la salle.
Sam ne se fait pas prier. En se hâtant vers la sortie, les deux jeunes femmes cueillent Séverine et toutes trois se précipitent hors du sauna.
— Ha, j’aurais pas pu tenir plus longtemps ! rit Claire une fois la porte refermée.
Sa joie sonne faux, paraît forcée. Tandis que Sam se prépare à plonger une nouvelle fois dans les bains froids, Claire risque un regard en biais et se rassure : Séverine a retrouvé ses couleurs habituelles. Enfin, pas tout à fait : la chaleur a laissé sur ses joues les traces d’un rose fiévreux.
[1] Maître Puntila et son valet Matti, pièce de théâtre de Bertolt Brecht, 1948 (éditions de l’Arche, 2007, p. 94, traduit de l’allemand par Michel Cadot).
Quelque chose dans la façon dont tu parles de la corporalité me permet d’éprouver du soulagement. C’est comme une autorisation à regarder et à désexualiser, à exister hors du désir sans pour autant le nier — ce qui est un équilibre précaire et complexe à maintenir.
C’est une façon de parler de la féminité qui me convient, car elle ne proclame aucune supériorité et ne tolère aucune infériorité ; elle se donne le droit de prendre de la place.
C’est aussi très juste sur l’inconfort, la gêne, la peur, le besoin qu’on a d’être secondées dans cette quête.
C’est beau ce que tu dis sur le duo Sam/Claire. On a le droit de se faire aider pour trouver nos mots et relever le menton. Ce qui est fort, c’est que pour autant dans ce chapitre il n’y a aucun dogmatisme, aucun côté prospectus de manifestation (je n’ai rien contre les prospectus de manifestation, mais ça me hérisse parfois quand je les retrouve trop mot-à-mot dans des romans).
Plein de choses à réfléchir et tricoter dans mon cerveau.
Questions :
— Pourquoi avoir mis ces deux POV (Léa, Séverine) dans le même chapitre plutôt que deux chapitres différents ?
— As-tu envoyé ce roman à des ME ? (Je n’ai aucune idée de si je t’ai déjà posé la question.)
C’était très chouette de voir Claire en doute et fatigue après la crise de Léa. Ça aide à la voir comme quelqu’un comme nous, quelqu’un qui galère aussi.
Je saurais pas trop te répondre pour les points de vue mélangés. Sans doute qu'ici, il y a quelque chose qui touche aux corps, justement. Ceux empêchés (Léa, Séverine), confrontés à ceux qui sont plus à l'aise (Sam, Claire) et comment tout ce petit monde se rencontre. A part ça, on en revient au manque de peaufinage sur l'aspect chorale du roman...
J'ai envoyé Avant les cendres à quelques ME (5 ou 6, peut-être). Sans succès, ce qui ne me choque pas : trop de corrections à y apporter. Peut-être qu'un jour je reprendrais le concept de zéro, en allant plus loin.
Claire se bat conter des démons intérieurs et Séverine est une montagne de frustrations...
Belle description de l'image de la femme, de l'âge..
Alors ce chapitre se lit tout seul, j'ai bien grincé des dents devant les blagues salaces et racistes de Jean-Marie, mais la vraie question c'est l'embrouille entre Jules et Claire ! Visiblement ça ne date pas d'hier.
Un petit bémol par contre, j'ai trouvé la réaction de Claire un peu puérile en fait, après la liste d'obstacles de Jules. Ok il est rabat-joie, ok il se réfugie derrière tous ces problèmes pour refuser d'office la pièce, mais en même temps il est le responsable de la colo et a le droit de s'inquiéter de l'organisation de cette excursion apportée par Claire. En fait la réaction de Claire me paraît un peu extrême, surjouée. D'habitude c'est Jules qui réagit mal, là c'est son tour.
Je vais lire la suite rapidement !
Ah, j'ai toujours du mal à répondre sur les doutes des lecteurs.trices quand il s'agit de la psychologie des personnages en tout début de roman... Peut-être que la suite t'apportera certains éléments qui nuanceront ton impression sur Claire ? Et au pire, si tu trouves toujours sa réaction puérile, cela peut aussi m'aller ;-)
(j'aime beaucoup la différence de réactions chez tout le monde, c'est quelque chose que j'avais moins réussi à provoquer dans d'autres histoires !). En tout cas, du moment que cela ne porte pas atteinte à la crédibilité de l'histoire, tout (ou presque) me va !
Plus ça avance, plus Jules m'est antipathique. Déjà, Séverine fait tout le boulot à sa place, non mais oh. Et puis on dirait vraiment qu'il tient à son statut et se sent attaqué par les propositions de Claire, qu'il ne veut pas admettre qu'elle fait du bon boulot et propose des trucs intéressants. Mais là encore, je n'ai pas tous les éléments et peut-être que Claire a ses responsabilités aussi.
A tout bientôt pour la suite !
Merci beaucoup pour ces compliments ! Je préfère ne pas trop t'orienter sur la psychologie des persos, histoire de voir si je t'amène là où je souhaite (à peu près) amener les lecteurs.trices. A très vite !
Et effectivement, j'ai tenté de nuancer la perception des persos en jouant sur les perceptions qu'ils ont les uns des autres (le but du jeu étant tout de même de guider les lecteurs.trices vers un truc en particulier...).
J'espère que la suite te plaira tout autant !
Mais qu'il est relou le Jules. Si ça avait été proposé par une autre personne, aurait-il pu l'accepter ? Je ne sais pas. En tout cas, c'est clairement un mur qui refuse d'écouter alors qu'il a en face des personnes qui ont travaillé la question. C'est dommage qu'il ait pas brûlé aussi... (oui bon je peux pas le voir.)
Sinon le point de vue de Jean Marie, ben on sent bien qu'il aime que les femmes restent à leur place. (Comme si on avait une place, sérieux) Ces petites remarques ici et là qui montrent bien que Claire fait peur parce qu'elle affiche une certaine indépendance, qu'elle ne dit pas "oui oui" comme Séverine que j'ai eu envie d'appeler Sandrine. Claire fait peur donc elle est une menace. Rah la la et le pire c'est qu'elle a voulu faire des efforts ! Alors que bon en face ça a pas l'air de se bouger...
J'ai bien aimé aussi les remarques de Claire sur le cas de Séverine, le fait que cette promotion n'en ait pas vraiment une, qu'elle faisait déjà le boulot. J'ai noté aussi le fait que ce soit un homme, Klaus, qui vienne dire : eh oh c'est pareil pour tout le monde... pas que pour Séverine. J'avais envie de lui dire : Et ?
Oh et puis cette histoire de gifle... qui vient doucement s'infiltrer. C'est bien parce que tu as beau écrire à rebours, tu arrives quand même à teaser la suite.
C'est toujours aussi bien !
A bientôt !
Quant au teasing, en effet : pour ne pas ennuyer le lecteur/trice en racontant une histoire dont il/elle connait l'issue, j'ai voulu trouver de quoi piquer sa curiosité. Et en réalité, puisque l'objectif général de l'histoire est de faire poser la question "pourquoi en est-on arrivés là ?", c'est tout naturellement que je sème des indices et que je trouve de quoi inviter à lire la suite. Au début je n'étais pas très sûre que cette histoire de gifle soit intrigante, ni marquante, mais au final ça revient dans de nombreux commentaires
Je sais pas si je te l'ai déjà dit, mais ton écriture à l'envers, elle est cool. C'est un exercice que j'avais trouvé très intéressant à pratiquer parce que t'oublies tout ce que tu sais sur la manière de construire la narration et tu pars tout à fait sur autre chose. C'est qu'il faut retenir l'attention du lecteur qui connait déjà la fin.
Et ici, ça marchouille. Parce que ouais, on comprend petit à petit comment on en est arrivés au bidon d'essence (on comprend, j'ai pas dit qu'on acceptait :P), mais il reste pas mal de petites choses dans l'ombre encore. Notamment toute la relation entre Jules et Claire, d'où est partie l'animosité. Toussa toussa.
Et je trouve aussi chouette de faire parler plusieurs persos, tous avec des points de vue très différents. Ca permet de varier les plaisirs, de montrer qu'il n'y a pas forcément une unique vérité. Même si, on est d'accord, Jules est un connard fini qui a sa place derrière des barreaux :*
A bientôt !
Merci beaucoup ! Concernant la narration à l'envers, j'ai trouvé que (paradoxalement ou non, je ne sais pas) j'ai beaucoup appris à force de me triturer le cerveau et de me challenger sur le moindre détail narratif. Au final j'ai l'impression d'avoir fait un grand pas en avant en termes d'intrigue et de plan !
Toujours niveau écriture, j'aime beaucoup le fait de naviguer d'un perso à l'autre. Ca m'amuse de les décortiquer :-p Même si je suis pas encore tout à fait satisfaite du résultat final sur chacun d'entre eux !
Il fait froid dans le dos ce chapitre. Jules a juste l'air un peu sévère, un peu sinistre, un peu empêcheur de s'amuser, mais on est loin de s'imaginer qu'il va mettre le feu à la pauvre Claire (qui comme d'habitude rayonne). C'est cool parce qu'on continue d'apprendre à connaître tout le monde (j'aime beaucoup Sam, Séverine et Sofiane).
Quel vilain personnage ce Jules, quand même ! Et Jean-Marie et sa remarque de la fin... mmmhhhh
C'est super intéressant parce que tu glisses des petits trucs sexistes ici et là mais effectivement c'est le genre de choses qui passe inaperçu, là je pense que je remarque surtout à cause de l'issue tragique du début et à cause de ce que tu as dit aussi sur ton texte. Je me demande si tu pourrais pas le rendre plus explicite, même... peut-être dans le premier chapitre, justement, pour que ce soit plus évident (mais à ce stade-ci c'est très bien, discret comme c'est là)
Voilà voilà, je t'envoie les commentaires dans le texte (qui sont très très peu nombreux pour ce chapitre, je sais pas pourquoi, j'étais peu inspirée sans doute)
À bientôt ♥
Oui, le but de ce chapitre était de montrer le groupe d'adultes, d'apprendre à appréhender ces personnages, et de montrer le point de vue de Jean-Marie. J'en suis assez contente, je pense que je n'aurai que très peu de choses à modifier dans ce chapitre !
J'ai hésité à rendre certains détails racistes et sexistes plus explicites mais en réalité... Comme on n'en est qu'au début du roman, je voulais jouer sur des notes plus subtiles. Soit les lecteurs repèrent d'emblée que quelque chose cloche, soit je parviens, sur le plus long terme, à leur faire apercevoir un malaise plus global... Et puis tu verras si tu poursuis l'histoire, d'autres passages sont carrément plus explicites que ce chapitre (d'ailleurs maintenant que j'y pense, au contraire, d'autres plumes ont trouvé que les remarques racistes de Jean-Marie étaient peut-être trop poussées ! comme quoi ;-) )
A très vite <3
D’ailleurs, j’adore les portraits que tu nous campes avec la nourriture : Klaus par exemple, avec les copeaux de chocolat sur la forêt noire. Jules qui broie la nourriture. Farid avec le vin. Jean-Marie avec sa façon de manger du poulet, et le fil rouge des cuisses de poulet, c’est génial !
C’est super d’avoir un nouveau point de vue sur les personnages, avec celui de Jean-Marie qui n’aime pas Claire. Mais il n’aimerait probablement pas toute femme un peu affirmée, il est plutôt sexiste et respectueux de l’autorité du chef, quoi qu’il fasse. Donc en un sens, ce nouveau point de vue ne remet pas vraiment en question Claire, mais pose plutôt des questions sur la façon dont les femmes sont considérées dans ce centre.
La tension est déjà bien élevée entre Claire et Jules, à ce moment. Il est vrai qu’elle n’hésite pas à rentrer dans le chou de Jules devant les autres employés, on ne peut pas dire qu’elle fasse dans la diplomatie. Du coup, on reste sur notre faim concernant le détail de l’épisode de la gifle (est-ce que c’est ça qui a tout déclenché entre eux ?), mais on comprend que les choses sont déjà bien dégradées entre eux.
Reste à savoir pourquoi Jules refuse cette sortie, ce qui n’est pas clair encore. Simple paresse, ou peur des complications, ou alors volonté de contrarier Claire qui selon lui, conteste son autorité (bien, le coup de la lettre !)
Je trouve toujours cette histoire très subtile et psychologiquement juste, et je suis épatée, considérant la difficulté de l’écrire « à rebours » ! Chapeau !
Détails
La puberté, une tannée : pour moi une tannée, c’est une volée de coups. Tu veux dire quoi ici ?
courts-sur-pattes : courts sur pattes
au bonhomme à costumes : je ne mettrais pas de « s » à costume, après tout il n’en met qu’un à la fois.
C’est peut-être ses qualités de femme qui lui donnent un avantage : ce sont ? (après tout, le reste du passage est en langage très correct)
zig-zague : zigzague ?
Une fois disparus, la monitrice semble préoccupée : phrase disjointe. Une fois qu’ils ont disparus, la monitrice semble préoccupée ?
le vin vacille : curieuse cette association
En espérant que la suite te plaira tout autant !
Liné
Honnêtement, je suis subjuguée. Je ne sais pas si tu réfléchis beaucoup aux meilleurs moyens de tracer ton "décor" psychologique, ou si ça te vient instinctivement, mais qu'est-ce que c'est fort !
D'abord, le fait d'utiliser le point de vue de Jean-Marie, c'est d'une incroyable subtilité. Tu en dis juste assez sur lui pour nous le rendre très peu sympathique : pas tolérant, bourré de principe, sexiste... et du coup, l'empathie qu'il éprouve pour Jules nous rends Jules encore moins sympathique. C'est distillé délicatement, mais ça fait son effet ! Parce qu'en soit, hors contexte, les propos et le comportement de Jules ne sont pas si détestables, mais teintés par ce qu'on sait des précédents chapitres et par l'approbation de Jean-Marie qui est assez puant sur les bords, évidemment c'est édifiant.
Il y a quand même sa condescendance envers Séverine ("Elle fait partie des murs", quelle horreur !) et l'histoire de la gifle qui sont bien gratinées !
D'un autre côté, tu n'épargnes pas Claire non plus. On voit bien qu'elle a du mal à s'entendre dire non. Je ne suis pas sûre que ce ne soit que dans les circonstances, je pense que c'est un de ses traits de caractères. Mais c'est sans doute exacerbé par ses dissenssions globales avec Jules et peut-être par l'histoire de la gifle. Mais on en sait pas assez pour en être sûr. C'est sans doute quelqu'un qui a un sens aigu de la justice et qui n'accepte pas les ordres si elle les trouve iniques.
Evidemment, on a tendance à prendre parti pour elle, mais on pourrait penser qu'elle n'est pas totalement nickel non plus : un peu trop provocatrice pour être irréprochable.
Du coup, pour éviter tout doute, il y a l'élèment de la lettre d'excuses, que tu nous donnes comme un garde-fou pour ne pas s'égarer du côté d'une quelconque empathie pour Jules. Ou plutôt pour augmenter notre empathie pour Claire. On ne sait juste pas si elle en a envoyé une version finale ou pas...
Bref, que du positif : je suis vraiment impressionnée par ton sens de la psychologie !
J'ai une trame narrative et, par la même occasion, une trame "psychologique" prête bien en amont pour tous les personnages : je sais quelles impressions je veux donner aux lecteurs, je sais comment chaque personnage va (ré)agir jusqu'au chapitre "1" et, dans mon plan, j'ai noté lequel d'entre eux donnera sa voix à tel chapitre. Et au moment même d'écrire, certains choix doivent être réajustés en fonction de leur cohérence mais, au final, mon idée de départ reste le principal fil rouge (je sais pas si c'est très clair mais, en gros : je prévois longtemps à l'avance, sans tomber dans une forme de rigidité non plus). En revanche, les "petits détails" comme la façon dont Jean-Marie mange son poulet, son rapport avec les poubelles, les dialogues exacts, etc. sont écrits au fil de l'eau.
Et ce que tu décris est exactement ce que je souhaitais donner comme effet, tout en subtilité ! J'aime aussi beaucoup la manière dont tu perçois jusqu'à présent les personnages (tu me rassures en me faisant comprendre que je suis dans la direction que je souhaitais donner à l'histoire). Evidemment, je n'en dirai pas plus ici concernant Claire, et te laisserai découvrir comment elle évolue (à rebours) !
Encore un gros, gros merci, et en espérant que la suite te plaise tout autant !
Liné
Il l'a giflée donc ? Ou alors il a giflé la petite Léa ? Non, j'espère pas. Vraiment pas.
Si tu voulais qu'on déteste Jules, je suis en bonne passe pour avoir envie que ce soit lui qui brûle à la fin, et pas Claire.
Quant à Jean-Marie, c'est le tonton Gros-lourd du réveillon. On a du mal à l'apprécier, mais on le suit quand même... On sent son point de vue biaisé, donc on fait la part des choses.
« Les mots n’ont aucune dignité : ils mentent. » <3 J'ai aussi beaucoup aimé les changements de point de vue que tu opères. L'histoire y gagne vraiment en variété d'émotions, en profondeur des sentiments, en compléxité humaine.
Petite coquille dans le "8" : « Désolée, je ne voulais pas… C’est ta soirée, en plus… » Vu que c’est Sofiane qui parle, ce serait « désolé », je crois ?
Ah, et autre petite coquille « entendre Claire se fait remettre à sa place » J Se faire, du coup
J’ai vraiment hâte de lire la suite, d’avoir le point de vue de Claire en profondeur, de comprendre ce qui est arrivé avec cette gifle et cette enfant handicapée. Bravo pour ce départ impressionnant ! ^o^
Tu as tout à fait mis le doigt sur ce sur quoi je voulais que les lecteurs s'attardent : à travers ce "geste" (euphémisme), c'est l'identité toute entière de Claire que Jules souhaite faire disparaître - comme si elle n'avait jamais existé.
En écrivant, j'aime beaucoup alterner les points de vue. Je m'amuse à envisager tous les personnages, que je sois d'accord avec eux ou non (même si les passages concernant Jules ont été plus compliqués à écrire et m'ont demandé un peu plus d'énergie).
Merci pour les coquilles ! Tu es je crois la première plume à lire le 8e chapitre, tu as essuyé les pots cassés ;-)
A très vite j'espère !
Liné
Sinon, on tient encore un champion en la personne de Jean-Marie xDDD ! J'avoue que j'ai bien rigolé à sa réplique sur les cuisses de poulet et de femmes !
L'écheveau est tout prêt, bien planifié en détails et ce avant même d'écrire le 1er/10e chapitre. Sans une idée précise d'où je vais, il m'aurait été encore plus compliqué de remonter le temps sans tomber dans des creux ! Garder le suspense et la tension est un peu mon objectif "fil rouge" que j'espère atteindre... J'espère que la suite sera toute aussi convaincante pour toi !
C'est marrant d'avoir les différents avis des plumes concernant Claire. Jusque-là, j'ai eu un peu de tout (ça va du "elle est culottée quand même, on comprend qu'elle agace Jules" à "mais bordel, elle a bien raison"). Ca me va très bien pour le moment, et je vais continuer de mener ma petite expérience autour de ce personnage, voir où je parviens à emmener les lecteurs avec elle (j'ai tout de même mon idée finale dont je ne me déferai pas).
Ha et Jean-Marie, j'ai bien aimé traverser sa tête ! Même si je n'y resterai pas forcément tous les jours... !
Merci encore et à très vite =D
Liné
je voulais te demander comment tu avais procédé pour écrire ton histoire et puis je l'ai lu dans une réponse à un commentaire^^ Je me disais bien qu'une précision pareille nécessitait un plan point par point.
C'est un très bon choix d'alterner les points de vue. J'ai beaucoup aimé l'idée de "voir" le chapitre 8 par les yeux de l'homme de ménage qui a un regard encore différent sur les protagonistes. Cela permet de donner une vision de Claire et de Jules plus nuancée. Pour moi, c'est ça qui marque la valeur de ton texte : tu t'interdis de prendre parti, tu prends en compte la complexité de l'être humain, sans tomber dans le manichéisme. C'est très fort!
Ravie de voir que ce changement de points de vue fonctionne ! L'idée est effectivement d'apporter du neuf en variant la narration. J'aime beaucoup ta remarque concernant mon (absence de) parti pris ! C'est vrai que j'ai toujours été en guerre avectoute forme de manichéisme, alors je suis contente que ça transparaisse dans ce genre d'histoires...
A très vite !