Klaus entendit Emma ouvrir la portière derrière lui et courir dans sa direction. Il la laissa s’interposer entre lui et l’entrée du camp de vacances et la considéra avec une moue narquoise : les yeux verts de la jeune femme miroitaient de colère et d’inquiétude, il avait frappé en plein dans le mille ! Il fit un pas en avant pour la dominer de toute sa hauteur ; elle ne recula pas, le visage déterminé. Il fallait reconnaître qu’elle avait du cran.
– Tu as quelque chose à dire ? fit-il en se penchant vers elle.
Elle eut une expression exaspérée, à la limite de la fureur, qu’il savoura avec délectation : elle l’avait tellement fait tourner en bourrique, il était plus que temps de lui rendre la pareille.
– Dois-je comprendre que tu seras plus coopérative maintenant ?
Elle soupira et acquiesça d’un hochement de tête. Il esquissa un sourire et passa son bras autour de ses épaules pour la guider vers la voiture.
– Bien. Parce que j’ai des tonnes de questions à te poser.
Ils gardèrent le silence pendant le trajet : rien ne pressait maintenant qu’il savait comment la faire chanter. En rentrant, ils préparèrent le repas sans échanger un mot, et c’est seulement une fois assis à table que Klaus posa sa première question :
– Bon alors, tu t’appelles comment, en vrai ?
Elle lui jeta un coup d’œil par-dessus son assiette.
– Je m’appelle vraiment Emma, articula-t-elle en forçant un peu sur sa mâchoire en convalescence. Elle avait la voix rauque de n’avoir pas prononcé un mot depuis une semaine.
– Emma comment ?
– Emma Mikhov.
– Tu es russe ?
– D’origine russe, mais j’ai été adoptée en Allemagne.
– Ta famille adoptive ?
– Theresa et Ludwig Adler, ils sont morts il y a quelques années.
– Des frères et sœurs ?
– Non, j’ai été un peu compliquée à gérer plus jeune, et quand ça a commencé à aller mieux, ils se sentaient trop fatigués pour adopter un autre enfant.
Klaus marqua une pause en observant la jeune femme : disait-elle la vérité ? Cette absence de famille proche lui semblait suspicieuse. Mais Emma arborait une expression blasée et résignée, et il pourrait toujours vérifier ces informations plus tard si besoin.
– Bon, et comment en sais-tu autant sur moi ?
Elle eut un petit rire.
– Honnêtement, une bonne partie étaient des suppositions.
– Pardon ? fit Klaus interloqué.
– J’ai mené ma petite enquête à partir du moment où j’ai entendu parler de toi et ai su que tu avais un lien avec ma famille, mais il y avait pas mal d’informations que je ne pouvais pas récupérer sans prendre de gros risques, puisque cela signifiait me rapprocher de ta famille. Par exemple, le fait que je ressemble à quelqu’un que tu avais connu dans le passé était seulement une hypothèse avant de te rencontrer : je me disais bien que c’était possible que la Sosie ne soit pas la seule à revenir au cours de l’histoire, mais je n’en étais pas sûre. J’avais prévu un autre plan au cas où tu ne m’aurais pas reconnue à l’aéroport… D’ailleurs, je me demandais : il y en a eu beaucoup, des filles qui me ressemblaient ?
Klaus mit un peu de temps avant de répondre.
– Une seule à ma connaissance.
– Et il a fallu que ça tombe sur moi, soupira Emma avec une expression comique qui se transforma en grimace de douleur.
Klaus réfléchit un instant, tournant et retournant ces nouvelles informations dans tous les sens tandis qu’Emma se massait la mâchoire ; si elle disait vrai, c’était plutôt rassurant : il avait craint qu’elle ait rencontré un de ses frères et sœurs, ce qui aurait signifié que l’un d’entre eux l’avait trahi en lui cachant l’existence d’une descendante de Tatia.
– Et comment as-tu su que j’existais et que j’étais lié à ta famille, puisque tu es orpheline ? demanda-t-il.
– Ma mère est morte quand j’avais environ trois ans, et dans les quelques affaires qu’elle m’a laissées, il y avait un vieux journal transmis de génération en génération ; il avait principalement été rempli par une certaine Nadia…
Elle fit une pause en le regardant, comme si elle s’attendait à une réaction de sa part.
– Je suis censée la connaître ?
– Je pensais que tu en avais au moins entendu parler : elle prétendait être la fille de Katerina Petrova.
Ainsi, Katerina avait bien eu une fille… Et dire qu’elle lui avait échappé quand il avait massacré son village natal.
– … apparemment Nadia a consacré sa vie à chercher sa mère, continua Emma, et elle a consigné tout ce qu’elle a appris dans le carnet avant de le léguer à sa propre fille. J’ai mis du temps à déchiffrer le journal, qui était écrit en vieux bulgare, et quand j’y suis parvenu, je n’y ai pas cru… Mais j’ai fini par rencontrer des vampires, et donc par réévaluer le contenu du journal, que j’ai cherché à confirmer en me renseignant à droite à gauche. En croisant les informations trouvées par Nadia et celle que j’ai rassemblées moi-même, j’ai fini par avoir une assez bonne idée de toute l’histoire : comment ta mère a fait de ta famille les premiers vampires, les Originaux, comment tu as découvert que tu étais aussi loup-garou, et surtout comment ta mère a scellé tes pouvoirs de loup-garou grâce à un sort qui demandait le sacrifice d’une Sosie, ce qui t’a poussé par la suite à chercher une autre Sosie pour inverser le sort et retrouver tes pouvoirs de loup-garou… Et comment tu as raté ton coup avec Katerina, la dernière Sosie connue, et mon illustre ancêtre, acheva-t-elle avec un air taquin.
– Oui, eh bien ton illustre ancêtre est une véritable diablesse, grogna Klaus.
Et il comptait bien faire regretter à Katerina de s’être jouée de lui… dès qu’il la retrouverait, elle était très douée pour lui glisser entre les doigts. À croire que c’était génétique…
– D’ailleurs, comment as-tu fait pour m’échapper tout ce temps toi ?
Elle le regarda, l’air perplexe.
– C’est pas vraiment difficile d’échapper à quelqu’un qui ignore mon existence…
– Je veux dire, depuis qu’on s’est rencontrés en Inde : je suis quand même le vampire le plus puissant au monde…
À l’exception de son beau-père, mais Emma n’avait pas besoin de le savoir.
– Ah ! Eh bien, je suis plutôt débrouillarde comme tu as pu le constater, et je suis un peu plus rapide qu’un humain normal, j’imagine que c’est parce que je suis de la lignée des Sosies…
– Comment ça tu es un peu plus rapide qu’un humain normal ? Les deux Sosies que j’ai rencontrées n’avaient aucune capacité extraordinaire.
Elle arbora une expression étonnée, puis songeuse.
– Ah bon ? J’ai toujours cru que… Du coup, le fait que le sang de vampire ne marche pas sur moi, ce n’est pas non plus dû à mes origines ?
– Bah non, Katerina a bien pu se transformer en vampire ! C’est la première fois que j’entends parler d’un rejet du sang de vampire…
A moins que… pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ?
– Tu ne serais pas un loup-garou ?
Il savait qu’un loup-garou ne pouvait pas être transformé en vampire, peut-être qu’en fait les loups-garous étaient simplement incapables d’assimiler le sang de vampire ?
– Je ne crois pas, non, fit-elle en riant.
Il la regarda en fronçant les sourcils : elle pouvait être un loup-garou non-déclaré, après tout rien ne différenciait un humain ayant le gène d'un autre avant qu'il n'ait tué quelqu'un…
–… et je sais ce que tu vas me demander, mais non, je ne peux pas être un loup-garou qui n’as pas encore activé sa malédiction : il y a déjà des gens qui sont morts à cause de moi…
Klaus se laissa retomber sur son dossier, déçu : les capacités d’Emma demeuraient sans explication.
Le repas était terminé, ils restèrent chacun plongé dans leurs pensées en faisant la vaisselle, puis Emma monta dans sa chambre. Klaus s’affala dans le canapé avec un soupir ; malgré les zones d’ombre qui subsistaient, cela faisait beaucoup de révélations à digérer. Les descendants de Katerina avaient survécu pendant cinq siècle à son insu, c’était une erreur inacceptable, de même que le fait qu’Emma ait pu en apprendre autant sur lui, tant par le biais de ce journal familial qu’en enquêtant à droite à gauche : une partie de son pouvoir tenait au mystère qui l’entourait, et il ne lui plaisait guère qu’autant d’informations circulent sur lui dans les réseaux surnaturels. Il allait devoir y remettre bon ordre. D’ailleurs, il avait oublié de demander à Emma comment elle s’était retrouvée impliquée dans les affaires des créatures surnaturelles ; et il était aussi curieux de savoir pourquoi elle cherchait la gamine indienne…
Il soupira de nouveau en sortant son téléphone portable de sa poche. Rebekah avait essayé plusieurs fois de l’appeler, son téléphone était resté en mode silencieux depuis la messe. Il laissa tomber le téléphone à côté de lui sur le canapé et ferma les yeux ; à tous les coups, sa sœur voulait se venger d’un énième amour déçu, cela pouvait attendre. Mieux valait réfléchir à ce qu’il allait faire d’Emma ; la solution la plus rationnelle était probablement de sélectionner lui-même un gars à hypnotiser pour qu’elle ait des enfants. Il n’aimait pas trop ce plan, mais c’était trop risqué d’attendre que la jeune femme se décide à tomber amoureuse de quelqu’un pour de vrai ; elle allait le haïr, mais il ne comptait pas s’encombrer de ce genre de considérations. Il avait beau apprécier Emma, qui avait assez de caractère pour oser le défier, il ne servait à rien d’avoir des scrupules et de la traiter pour plus que ce qu’elle était vraiment : un pion à sacrifier pour parvenir à son but.
Il prit une grande inspiration, et malgré sa fugacité, le parfum d’Emma qui s’était accroché aux tissus d’ameublement réveilla sa soif de sang ; il était temps de se nourrir. Il se leva et tendit l’oreille : une respiration lente et régulière au premier étage lui indiqua que sa captive dormait. Il sortit sur le perron, huma l’air frais et humide ; il allait bientôt pleuvoir, il valait mieux se dépêcher. Il se mit en chasse.
Il revint au moment où les premières gouttes s’écrasaient sur le sol, et en refermant la porte derrière lui, il entendit la pluie se déchaîner sur le toit ; excellent timing ! Emma n’était toujours pas descendue de sa sieste, et il retrouva sa place sur le canapé pour allumer la télé. L’horloge du salon finit par sonner dix-neuf heures et il regarda le cadran avec surprise : il n’avait pas vu le temps passer. Toujours aucun signe d’activité à l’étage, mais il allait devoir la réveiller s’ils voulaient pouvoir regarder la suite de leur série coréenne ! Il commença à gravir l’escalier ; la pluie s’était calmée. Il s’immobilisa : il n’entendait pas la respiration d’Emma. Il se précipita dans sa chambre ; personne. Il poussa un juron. En quelques secondes de recherche à la vitesse de l’éclair, il sut qu’il se trouvait seul dans la maison. Il sortit sur le perron en rageant ; il mit plusieurs minutes à trouver la trace de la jeune femme, diluée par la pluie. Au bout d’un quart d’heure de pistage laborieux à travers la forêt, il dut se rendre à l’évidence : il n’arriverait pas à la trouver ainsi, entre la pluie et les animaux qui s’étaient déplacés pour se mettre à l’abri de la pluie, la piste avait été effacée. Il débita un nouveau chapelet de jurons et retournant à la maison. Elle allait sans doute vouloir quitter le pays, il fallait qu’il dise à Joshua de surveiller les aéroports… et peut-être les ports aussi.
Son téléphone portable n’était pas sur le canapé ; il regarda et fouilla partout autour, souleva la table basse et le canapé lui-même. Ou l’avait-il mis, bon sang ! Il se rabattit sur le téléphone fixe de la maison, et composa le numéro de Joshua. Ça ne sonnait pas ; il secoua le combiné d’un geste rageur et réessaya, en vain. En faisant un pas en arrière, il remarqua que les fils avaient été coupés. La cloison séparant l’entrée de la cuisine subit son énervement. Elle avait aussi dû cacher son téléphone portable. Il finit par retrouver le parcours d’Emma à l’intérieur de la maison, et repêcha son téléphone au fond des toilettes, inutilisable. Il se pinça l’arrête du nez, se battant pour conserver son sang-froid et les idées claires. Elle avait plusieurs heures d’avance sur lui, et elle était habile ; en ajoutant le temps qu’il arrive à contacter Joshua, elle aurait le temps de s’éloigner. En l’absence de tout indice sur la direction qu’elle avait prise, elle pourrait bientôt se trouver presque n’importe où.
Après avoir soigneusement examiné ses différentes options, il se décida à aller en ville pour pouvoir contacter Joshua par téléphone. En quelques minutes de recherches conjointes, Klaus dut se rendre à l’évidence : Emma Mikhov n’existait pas plus que ses supposés parents adoptifs allemands Theresa et Ludwig Adler.
– Cherche à tous les noms qu’on a sur elle : Emma Williams, Laura Ingalls… fit-il en désespoir de cause.
– Laura Ingalls ? réagit Joshua au bout du fil.
– Quoi, tu la connais ?
– Euh, c’est l’auteur et le personnage principal de La Petite Maison dans la Prairie.
Klaus ferma les yeux et serra les dents. Elle s’était foutu de sa gueule depuis le début.
– Au fait, rien à voir mais ta sœur cherche à te parler, et elle a dit que c’était urgent, enchaîna Joshua.
– Oui, je sais, je vais la rappeler, répondit Klaus d’une voix lasse.
Il raccrocha et composa le numéro de Rebekah en se demandant quelle calamité elle avait encore déclenchée ; il allait finir par utiliser une dague sur elle rien que pour être tranquille quelques décennies.
– Allô ?
– Allô soeurette, c’est moi, Klaus.
Elle se répandit aussitôt en reproches d’avoir mis autant de temps à la contacter, qu’il laissa couler sans réagir. Quand enfin elle reprit son souffle, il demande ce qui se passait.
– Alors, tu te souviens de Hayley ? s’enquit-elle.
Il poussa un soupir.
– Bien sûr que je me souviens de Hayley, ça fait moins d’un an qu’on s’est vus.
– Eh bien, elle vient d’accoucher d’une petite fille et elle dit que tu es le père.
Klaus resta figé sur place.
– Elle s’appelle Hope. »
On en apprend un peu plus sur les orgines de Klaus et sa quete desesperee - redevenir un loup garou, c'est visiblement un boulot a plein temps, qui necessite une Sosie! Evidemment, il reste des parts de mysteres (surtout pour quelqu'un qui connait assez mal le monde des vampires et loup-garous...) et je ne saisis toujours pas ce que "la gamine indienne" vient faire dans ce contexte...
Et apres tout ce qu'il lui a fait subir, et ce qu'il prevoit (la traitant comme du betail, en la faisant procreer de force) c'est plaisant de voir Emma lui echapper a nouveau, apres avoir invente toute une histoire qu'il a avalee avec une certaine credulite, se disant juste qu'il verifierait ses dires, "au besoin"....
Et le voila pere? J'imagine que c'est une revelation qui va alterer sa quete, d'une facon ou d'une autre....? Hope, un prenom qui n'est pas choisi au hasard, je suppose...
Petits details :
que j’ai cherché à confirmer en me renseignant à droite à gauche > comme tu utilises cette meme expression un peu plus bas, peut-etre utiliser autre chose, "faire ma petite enquete" par exemple?
il allait devoir la réveiller s’ils voulaient pouvoir regarder la suite de leur série coréenne ! > peut-etre une tournure plus legere, "il allait devoir la reveiller pour regarder avec elle leur serie coreenne"?
Je suis un peu surprise qu'il ait laisse son telephone portable derriere lui quand il est parti chasser, et qu'il n'est pas immediatement verifie que Emma etait toujours la a son retour, etant donne la persistence qu'elle a mis a lui fausser compagnie. Mais c'est un peu son point faible que de se croire "le plus puissant", invincible quasiment.
Et maintenant, que va-t-il se passer ???
Merci pour ton commentaire, c'est la fin d'un premier épisode de mon histoire, donc c'est précieux de savoir où le lecteur se trouve à ce point là; c'est bien si tu as compris les principaux éléments par rapport à Klaus. Concernant la "gamine indienne", pour ce premier épisode elle servait surtout de prétexte à la rencontre de Klaus et "Emma", et elle sert à commencer à introduire des éléments qui vont être expliqués plus tard (on la retrouvera, mais elle n'est pas du tout majeure pour l'intrigue). Et tu as tout à fait compris la dynamique entre les deux personnages: à ce stade de leur relation, beaucoup de choses se jouent sur le fait que Klaus sous-estime Emma parce qu'il est l'un des personnages les plus puissants au monde (et parce qu'il ne sait pas grand-chose sur elle). Et oui, la naissance de Hope change pas mal de choses dans l'arc de Klaus, c'est un personnage qui existe dans l'univers de base (donc ce n'est pas moi qui ai choisi le prénom, mais je le trouve très bien choisi aussi), mais j'en fais totalement autre chose.
Je note tes suggestions de formulation !
Merci encore pour tout, j'espère que je ne vais pas mettre trop de temps à te proposer la suite, la vie est bien remplie en ce moment !
A bientôt!