La vapeur s’échappait de la cheminée dans un sifflement reconnaissable, le bruit mécanique des roues ralentit jusqu’à s’arrêter dans un crissement étourdissant. Lursen sauta du train. Il prit une grande inspiration, indifférent au nuage de fumée qui envahissait le ciel bleu. Un large sourire tira les traits du jeune homme alors qu’il regardait ses compagnons s’activer autour des wagons de queue. Bientôt, des tonnelles striées de rouge et de blanc s’empareraient de ce terrain encore vierge et les lumières du cirque illumineront le cœur des enfants.
« Encore à rêvasser Lursen ? »
Mön escalada une caisse et se hissa jusqu’à sa hauteur. En appui sur ses pattes arrière, il regardait le conteur avec un sourire bienveillant tandis que sa queue battait le rythme. Son poil roux, taché de noir, émerveillait les enfants mais c’était surtout ses cabrioles qui les fascinaient. Entre farce et acrobatie, le singe annonçait les prochains numéros sous les applaudissements de la foule.
« N’est-ce pas le sens même des conteurs ?
— Le sens même est de se représenter alors en piste et va aider nos amis. »
Sans un mot de plus, Mön escalada le toit du train et sauta de wagon en wagon. Dans un rire, Lursen chargea une caisse et l’emporta avec lui.
Le ventre noué, la respiration courte, Lursen tournait au milieu des autres artistes. Malgré les années, il ressentait toujours de l’appréhension avant de monter sur scène. La peur du faux pas, d’un mot mal placé, d’une note au mauvais endroit… Il suffisait d’une étincelle pour briser la magie.
Une main caressa sa joue et il ferma les yeux pour mieux s’y abandonner. Les doigts glissèrent dans ses cheveux en bataille et une pression sur la nuque le força à la regarder. Elle était magnifique, comme à chaque représentation, comme toujours. Son cœur manqua un battement.
« Tout se passera bien. »
Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres avant de s’éclipser vers le rideau qui les cachait des spectateurs. Elle avançait d’un pas franc que seuls les équilibristes maîtrisaient. Lursen s’approcha du voile qu’il entrouvrit pour voir le numéro.
« Mesdames, Messieurs, les tout petits, avez-vous jamais rencontré une Tisseuse ? »
Mön escalada l’un des piliers et forçales spectateurs à lever la tête vers la cime du chapiteau. Poussés par l’excitation, des enfants s’étaient mis debout et pointaient le présentateur du doigt en sautillant sur place.
« Elle semble voler au-dessus de vous mais il n’en est rien. Elle trace elle-même son chemin par les fils qu’elle crée. Jamais elle ne tombe, aussi légère que la brise… Mesdames, Messieurs, les tout petits, j’ai l’honneur de vous présenter Talia la Tisseuse ! »
Le chapiteau fut plongé dans le noir et les murmures se firent plus intenses. Un projeteur se ralluma et la foule découvrit un bout de femme perchée sur une plateforme à plus de quinze mètres de haut. D’ici, impossible de voir les fils dont parlait Mön si bien que lorsque Talia fit un pas en avant, les spectateurs retinrent leur souffle persuadé qu’elle allait tomber dans le vide.
Elle dansait.
Les bras tendus vers le haut, perchée sur la pointe de ses ballerines, elle lança sa jambe dans les airs. Talia s’envola et pivota sur elle-même. Des étincelles jaillirent de son corsage et l’enveloppèrent comme une nuée d’étoiles. Une comète dans le ciel du cirque.
Elle tirait ses câbles invisibles au-dessus des spectateurs et déambulait avec élégance à travers tout le chapiteau. L’équilibriste se penchait de temps à temps pour toucher une main tendue vers elle ou attraper une fleur qu’elle transformait en une nouvelle poignée d’étoiles.
Sous les applaudissements émus, elle redescendit sur la piste et s’inclina avec respect. Elle envoya quelques baisers avant de les quitter sur la pointe des pieds. Au moment où elle passait à côté de Lursen, elle frôla son oreille du bout des lèvres et lui murmura :
« Éblouis-les. »
Il échangea un sourire avant de tirer le rideau.
« Connu et reconnu dans le monde entier pour ses histoires plus vraies que nature où les dragons sont des agneaux et les enfants des géants… Mesdames, Messieurs, les tout petits, ouvrez grandes vos oreilles car ses mots sont d’ors… Monsieur Lursen ! »
Sous les applaudissements, le conteur fit son entrée. Il souleva son chapeau haut de forme à l’attention des spectateurs et les acclamations redoublèrent d’intensité. Les enfants étaient debout sur la pointe des pieds pour mieux le regarder. Il porta un doigt à ses lèvres et le silence se fit instantanément.
D’un geste, il invita les enfants à gagner le tour de piste. Dans un calme relatif, garçons et filles s’installèrent en rond autour du conteur assis en tailleur pour être à leur hauteur. Devant leurs yeux écarquillés, il présenta sa paume grande ouverte. Il referma ses doigts dans un poing et souffla dessus. Des étoiles s’en échappèrent et flottèrent au-dessus de leurs têtes sous les regards émerveillés des plus petits.
« Tout commence sous un ciel étoilé… »
Lursen plongea la main dans l’un des petits sacs accrochés à sa taille et en ressortit une poignée de sable qu’il jeta dans les airs. Les grains dansèrent sans ordre jusqu’à finalement s’assembler pour donner naissance à un éléphant de poussière.
« Tu es prêt ? »
Lursen hocha la tête alors que son ventre se contractait. Talia lui adressa un sourire et tendit la main vers les profondeurs de la nuit. Sous le reflet de la lune, Lursen distingua les fils que lui tissait l’acrobate. Il posa le pied sur la plateforme de son grand-bi et s’élança. Droit sur la scelle, le conteur s’engagea sur le fil, un tour de pédale et il traversait la ville. L’air frais de la nuit lui rougissait les joues mais il n’y prêta pas attention. Il devait aller vite.
Jouant sur les pédales pour garder l’équilibre, il se maintient en position face à un grand bâtiment tout en pierre. La fenêtre était fermée mais un tour de passe-passe et elle s’entrouvrit. Juste à temps. Le petit garçon dormait profondément. Lursen écouta attentivement les rêves de l’enfant.
La tournée des rêves terminée, Lursen regagna le cirque où Talia l’attendait perchée sur des caisses en bois. Il déposa le grand-bi contre la roulotte et retira son chapeau. L’acrobate défit ses fils et passa ses bras autour de la taille de Lursen. Elle posa sa tête contre son dos.
« Lursen, quel conteur tu es. »
Il se tourna vers elle pour la fixer, il attrapa ses mains dans les siennes et y déposa un baiser.
« Je ne suis pas conteur, je suis voleur d’histoire. Les vrais auteurs, ce sont ces enfants qui rêvent de mes histoires et qui les oublient ensuite. Tout ça parce qu’ils n’arrivent pas à croire que l’on puisse vivre de son imaginaire. »
Une larme coula le long de sa joue et Lursen se détourna pour regagner la roulotte. Il espérait qu’un jour, l’un des enfants qui venaient le voir le soir se souviendrait de sa propre histoire.
Alors, déjà, j'ai relevé une petite coquille au début de ton texte :
le bruit mécanique des roues ralenti -> ralentit
J'ai beaucoup aimé cette troisième nouvelle. Le thème du cirque est bien traité, même si l'enchaînement des scènes m'a semblé un peu confus pour ma part. Néanmoins, chacune d'elle est très sympa et bien décrite. La chute est excellente, j'aime beaucoup comment tu ramènes la thématique de l'imaginaire sur la table. Les personnages sont également très touchants.
C'est un super texte et je repasserais lire les autres si tu te lances sur d'autres défis avec grand plaisir !
Oups, c'est corrigé merci pour ton oeil !
Je suis d'accord avec toi, je me suis retrouvée un peu brise par le temps et... j'ai coupé court. Je voulais d'ailleurs raconter vraiment l'histoire de Lursen et... finalement je l'ai coupé aussi. Tout semble un peu rapide dans cette nouvelle, il faudrait plus de temps dans l'écriture pour bien mettre en place.
Je suis contente que la chute te plaise, c'était vraiment le coeur de cette histoire.
Un grand merci pour tes mots ❤
Que de choses que j'aime ** Cette invocation de l'Imaginaire (un thème que j'adore, moi aussi), le rôle et l'importance du conteur, le binome, les noms des personnages...
Il y a quelque chose de tout doux, et touchant dans l'ensemble, et j'aime bien essayer de me mettre à la place de ce conteur, de comprendre ce qu'il a dans la tête et comment il fonctionne.
L'affection pour lui marche tout particulièrement sur moi, parce que j'ai un personnage qui utilise de la poudre pour matérialiser ses contes, et du coup je ne peux qu'aimer l'idée !
J'ai passé un très bon moment de lecture, et j'ai hâte de voir ce que tu feras pour la prochaine.
Merci pour ta nouvelle lecture et ton retour. Il va falloir que j'aille lire ton histoire pour découvrir ce conteur, c'est un thème que j'aime beaucoup.
Contente que le courant soit bien passé avec Lursen. Il m'intrigue aussi et qui sait, peut-être que j'écrirai encore avec lui. Ce fut une belle rencontre.
Merci beaucoup ! ❤
J'ai une idée pour la carte de cette semaine, il faut juste que je dégage du temps =)
Tu sais que je pense beaucoup à ce que tu m'as dit suite à ta lecture, mon amour pour les moments de l'enfance. Tu as raison, dans toutes les nouvelles que j'ai écris ces derniers temps ça ressort. Il y a peut être un truc à travailler là dedans ! =)
Merci beaucoup ❤
Merci, c'est magnifique ❤
Je suis contente que l'ambiance et la magie du cirque soit là. Oh je crois que j'aurai été triste aussi de la chute de Talia. Je suis pas (trop) une auteur sadique (enfin... la première nouvelle le dément peut être xD)
Merci ❤
Je le suis, alors j'aurais compris, mais ça serre toujours le cœur de faire du mal à un personnage !
Merci à toi de partager ces beaux textes ♥️