Chers disciples,
Le facteur m’a apporté toutes vos lettres, ainsi que du papier et de l’encre. C’est un bon croyant.
Je dis croyant parce que, comme vous le savez peut-être, je suis une déesse. (J’ai parlé à plein de journalistes, mais ils n’ont pas eu l’air de comprendre grand-chose, les pauvres.)
C’est ma maîtresse qui me l’a dit. Quand elle m’a trouvée, elle a eu l’air bouleversée. Sa bouche restait ouverte comme un trou de souricière : toute ronde et vide, avec la nourriture cachée bien au fond.
— Ton ronronnement est spécial, m’a-t-elle dit. Tes yeux sont magiques. Ton pelage est unique.
Et je vous passe la suite sur mes griffes, couleurs, babines, moustaches, crottes : tout de moi lui a semblé exceptionnel. Au début, ça m’a fait plaisir, mais au bout d’un moment, c’est devenu très ennuyeux.
Dans son pays, elle m’a allongée sur un coussin doré, en haut d’un escalier géant. À côté de moi, elle a mis deux bols en or. J’aurais préféré une gamelle moche et pleine, mais j’essayais de pas faire la difficile. Deux bols vides, c’était mieux que pas de bol du tout.
Et puis, on a attendu. Je ne savais pas quoi. Il n’y avait pas un rat (c’est le cas de le dire).
— Tu ne veux pas faire ça dans la rue, plutôt ? je lui ai ronronné un jour. En bas, où il y a du monde ? (Et des rats, j’ai pensé.)
Elle a posé un doigt sur mes babines et m’a chuchoté :
— Garde ta magie pour tes disciples.
J’ai commencé à avoir faim. J’ai vu une souris et j’ai voulu la suivre, mais ma maîtresse a froncé les sourcils.
Mon ventre s’est mis à gargouiller. Fort. Très fort.
La terre a tremblé pendant une seconde. Est-ce que c’était moi qui l’avais secoué ? Avec ma faim ?
Un déluge s’est abattu sur la ville et a déposé une souris morte devant mon coussin.
— Digne d’une déesse, sourit ma maîtresse.
Ça voulait dire que j’avais le droit de la manger.
Un incendie a brûlé une partie de la ville.
Les humains secoués, inondés, brûlés, cherchaient des réponses à leurs malheurs.
Un jour, ils nous ont vues depuis la rue.
— Ohé, ça va là-haut ? ils ont crié.
Quand ils sont arrivés en haut, essoufflés ils m’ont regardée, sur mon coussin d’or, avec mes deux bols. Ils ont rougi et bafouillé.
— C’est... C’est...
J’aurais bien aimé qu’ils finissent leur phrase, qu’ils me disent qui j’étais. (Si vous, vous le savez, faites-le moi savoir au plus vite.) Mais la maîtresse a dit que oui, c’était bien moi, et ils n’ont plus parlé.
Ils se sont inclinés.
Ils ont mis de l’argent dans un bol.
Et dans l’autre bol, ils ont versé la petite brique de lait qu’ils gardaient pour le goûter.
J’ai ronronné. Ils ont applaudi.
Ils ont dû prévenir leurs copains en rentrant chez eux, parce que d’autres humains sont venus le lendemain.
Et un peu plus le jour d’après.
Et un peu plus.
Au bout d’une semaine, ils ont commencé à faire la queue dans l’escalier.
Au bout d’un mois, la queue allait jusqu’en bas des marches.
Ils se sont mis à dormir là pour avoir la chance de me voir le matin.
Toujours, ils déposaient de l’argent et puis du lait, un oiseau, une souris, des croquettes, de la mangue, une pomme coupée. Et chaque fois, je ronronnais. J’inventais des chansons. Je changeais de mélodie. Eux, ils applaudissaient toujours pareil.
Depuis, je ne bouge jamais de mon coussin, car ils m’attendent toujours. Je vois tous leurs petits yeux me fixer — et leurs caméras aussi. Je ne ronronne que quand on me donne à manger, pour ne pas qu’il y ait de confusion.
Si vous voulez m’apporter une offrande, vous pouvez, mais il faudra être discrets, car ma maîtresse déteste les autres chats.
J’ai écrit cette lettre pendant qu’elle dormait et le facteur la récupérera en déposant une offrande. Il est drôle avec sa petite moustache qui ne pousse pas droit et ses lunettes qui tombent sur son nez. Il marche dans toutes les rues de la ville avec ses lettres ; quelle chance.
Portez-vous bien et vous aurez du lait. Ainsi va le monde et ainsi ira-t-il toujours.
Bénédiction,
Lotus
Il paraît que je dois venir faire un tour chez l'un des membres de mon équipe, alors me voilà :) Et avec plaisir en plus de ça, il est génial ce concept ! Ils sont si drôles et si attachants tes petits chats (en particulier celui avec un nom de fromage mou qui essaye de devenir un concombre ^^ Tellement touchant !)
Gros coup de coeur aussi pour ton détective spécialisé dans les affaires impliquant de sournoises vieilles dames ^^
J'ai tout lu d'une traite, c'est pour ça que je commente ici ;)
A bientôt pour le bingo (et une case de validée, une ! ) :D
Perdu dans mes errances sur Plume d'Argent, je viens de découvrir les Chagents et je suis très agréablement surpris par cette histoire. Le format court marche très bien, cette succession de lettres avec le point de vue des chats se lit super vite, c'est savoureux et truculent, ça donne le sourire. J'aime beaucoup le fait que chacun de tes chagents a sa propre personnalité, son regard à lui sur le monde et tu parviens à passer de l'un à l'autre sans impression de redondance.
Au plaisir de lire la suite :)
Oh, quel bon petit plaisir, que de retrouver les Chagents ! =D
Comme d'habitude, tu ne m'en veux pas trop, mais je crois que je vais encore essayer de tout décortiquer même là où ce n'est peut-être pas nécessaire. ><
La première idée qui m'est venue en lisant ce chapitre, c'est l'Égypte Antique. Oui, c'est cliché, mais en terme de déification des chats, c'est la référence dans mon esprit. Et bien sûr, le coup des catastrophes naturelles comme sur demande, c'est quasi-biblique, et où ça se passe, les plus mémorables ? En Égypte aussi ! Donc l'ambiance était pour moi, sans particulièrement de descriptions du décor (des rats, et des facteurs à lunettes et moustache, ça se trouve partout), dans un pays de cette région du monde, un endroit sablé et poussiéreux, chaud et sec. À voir si c'était ton idée ou non, ou même si tu pensais laisser ce point (au final un peu accessoire) complètement ouvert. ^^
Ce renvoi était si présent à mon esprit que j'ai même eu un vague questionnement "Est-ce que les Chagents traversent le temps ?". Car un chapitre précédent, avec les bottes de ski, était clairement situé dans une époque plus moderne qu'antique. Et après, je me suis dit que si des gens suivent encore les "anciennes" religions Nordiques, il n'y a pas de raison que personne ne suive plus les croyances de l'Égypte Antique. C'est juste moins répandu, mais ça doit exister. On fait bien ce qu'on veut, en matière de foi, même si on est tout seul. =]
La maîtresse m'a, quant à elle, plutôt évoqué un genre de "crazy cat lady", ce qui pour le coup est plus Occidental qu'autre chose, mais bon, avec la mondialisation, c'est pas impossible, si ? Le fait qu'elle ensevelisse son animal de compliments en permanence, et soit si exigeante quant à ce qu'elle doit manger ou non, était presque malaisant, d'un point de vue humain. Ou alors c'est carrément une influenceuse, mais c'est presque encore plus triste, comme personnage. xD
Avec ma perception de la géographie de l'histoire, l'ensemble m'a aussi fait penser aux séismes qui surviennent en Algérie et en Turquie. Les images qu'on en voit, c'est parfois des gens qui retrouvent des animaux de compagnie sous les décombres, et sont complètement submergés de joie. Je me suis dit que ça pourrait être une explication (et un peu plus clémente que celle de l'influenceuse) : que Lotus soit une miraculée d'une catastrophe naturelle quelconque, et sa maîtresse et les gens autour projettent sur elle leur dévotion, pour se rassurer. Ça pourrait aussi être une zone de guerre (parce que cette région du monde au sens large n'est décidément pas gâtée) mais les catastrophes sonnent tout de même plutôt naturelles, donc encore une fois, je vais opter pour la théorie qui me plaît le plus.
Au final, j'ai aussi eu une petite pensée pour la santé de Lotus. Elle reste assise sur son coussin toute la journée à consommer des offrandes de nourriture ; est-ce qu'elle ne va pas devenir énorme, cette pauvre petite chatte ? xD
Enfin voilà. Encore un chapitre tout mignon, rendu à la fois mystérieux et doux par le point de vu félin. Il y a quelque chose de vraiment rassurant/attendrissant à un narrateur qui ne perçoit pas les mauvaises intention ou les malheurs même quand il y en a autour de lui. =)
Merci pour ce nouveau petit moment de douceur,
À bientôt !
Zlaw
Je suis contente que le côté inquiétant puisse se ressentir malgré l'innocence et l'humour du narrateur, parce que je tente quelque chose là-dessus justement.
Merci pour ta lecture et ton commentaire :)
Cette phrase m'a trop plu :
"Et je vous passe la suite sur mes griffes, couleurs, babines, moustaches, crottes"
Très sympa la façon de décrire l'évolution de la situation du chat mis sur un pied d'estale.
Je viens de découvrir ton histoire et je suis fan de l'idée ! Les chats ont tous leur personnalité mais n'en démordent pas et c'est assez amusant de voir comment ils perçoivent les humains et leur environnement. L'humour rend la lecture légère et attendrissante. La seule petite chose qui me déstabilise un peu, c'est le nombre de chats, de prénoms et de personnages. Ils se connaissent tous entre eux, mais le lecteur en revanche découvre les situations à la volée et de ce fait, il peut être difficile pour lui de se repérer (à moins que l'effet soit volontairement recherché ?). Je ne sais pas si tu as l'intention de faire plusieurs repasses, ou si tu comptes t'arrêter à 9 chapitres, mais dans l'idée, comme ça, tu pourrais aller loin je pense ;)
Bref, c'est une lecture bien sympathique et je t'en remercie !
(D'ailleurs moi je suis team chiens mais je trouve ça super chouette et mignon quand même :D)
À bientôt !
Difficile de se repérer dans quel sens ? Est-ce qu'il y a des choses que je pourrais clarifier ? Est-ce que tu avais des doutes/confusions spécifiques ?
J'imagine Chagents un peu comme des contes du soir, où un enfant pourrait lire un petit conte avant de dormir, dans l'ordre qu'il veut. Dans ma tête, ce premier recueil aurait 9 contes/lettres, un par chat.
Ensuite, j'imaginais un autre livre où ils seraient tous au même endroit dans une aventure, et on suivrait l'histoire d'après les points de vue successifs des chats (sur le même principe de 9 chapitres, 9 chats).
Et s'il y a éventuellement une suite de suite, ils reprendraient leur correspondance à distance peut-être, je n'ai pas prévu aussi loin encore.
Je me demandais justement comment tu souhaitais construire l'ensemble car si tu fais une lettre, un chat, de manière assez indépendante, effectivement cela n'est pas un problème. Par contre, cela peut devenir plus difficile à suivre s'il y a une continuité avec ce même modèle. Je ne sais pas si je suis claire, simplement il y a beaucoup de personnages principaux, et ils ont tous une vie complexe (ce qui est sympa, bien entendu !) mais s'il s'agit de tout mettre en relation au sein d'une évolution chapitre par chapitre de la vie respective de chacun, il se peut que le lecteur oublie qui est qui (en gros chaque perso s'exprimerait plus d'une fois dans un même recueil, sauf qu'il ne peut le faire qu'après les 8 autres lettres et d'ici là, le lecteur potentiellement ne se souvient plus de la première lettre).
La façon dont tu me présentes ces perspectives me semble cohérente car si je comprends bien, l'action est racontée par un personnage différent à chaque fois, mais il y a un fil conducteur (très intéressant comme idée d'ailleurs !)
En tous cas, ça change des récits plus traditionnels et tu as une belle touche d'humour. Je lirai évidemment la suite ! :)
Ça me fait penser que peut-être je ferai des recueils ou ce sera toute une histoire chez l'un des chats. On apprendra à les connaître chacun plus en détails comme ça. Je vais réviser ma table de 9 avec toute cette histoire.