Salutations, les huit,
J’ai besoin de vacances. Je rêve d’une baignoire de lait et d’une pelote de laine.
Parce que c’est mignon, toutes vos aventures, mais moi, j’ai un métier, je vous signale : je suis détective privé à domicile.
Au réveil, Marie ne trouvait plus ses lunettes.
Après le petit-déjeuner, elle cherchait ses clés.
En rentrant de la promenade, c’était la télécommande.
Avant de dormir, où avait-elle donc mis son verre d’eau ?
Et encore, si ce n’était qu’elle.
Mais non, il y a Gilberte aussi.
Ludivine.
Jacqueline.
Gertrude.
Paulette.
Ci-joint : une photo de groupe que les infirmières ont pris lundi dernier.
Quand c’est pas Jacqueline qui oublie son numéro de chambre, c’est Paulette qui exige de la pizza illico. (Elle dit toujours ça, Paulette : illico.)
Bref.
Le plus gros mystère, cette semaine, a été... la disparition d’un camembert.
Sandrine, la petite-fille de Gertrude a ramené un camembert entier de sa ferme. Elle a trente vaches et trois moutons.
(Elle nous montre les photos à chaque fois qu’elle passe. J’ai failli la griffer pour qu’elle arrête. C’est mignon, une vache, mais quand même.)
Bref.
Ça, c’était lundi.
Mardi matin, au club gas-tro-no-mi-que (ça veut dire : manger des choses bonnes, en gros), le projet était de manger le camembert en faisant « hmmm », « délicieux », « excellent, n’est-ce pas ? ».
Sauf que le camembert avait disparu.
Et là, c’était pas une histoire de portail magique ou de singe qui entre par la fenêtre.
Non, là, c’était bien plus grave : c’était un crime, mesdames et messieurs. Un vol, ni plus ni moins.
(Ah, les voleurs, si c’était moi qui décidais, on les priverait de fromage à vie.)
(Mais ce ne serait pas une punition très efficace contre les voleurs qui n’aiment pas le fromage.)
Bref.
Mes premières suspectes étaient les souris des cuisines. C’est sournois, une souris.
Je les ai traquées jusque dans la cave. Elles étaient acculées (ça veut dire bloquées).
Mais ce n’était pas elles : leur ventre gargouillait. Un camembert les aurait remplies pour la journée.
Vous savez ce que cela signifiait ?
Que le pire était arrivé : la voleuse était une grand-mère.
Comprenez-vous la difficulté de faire avouer un crime à quelqu’un qui oublie tout ? Et qui en plus ne comprend pas les miaulements ?
Ai-je renoncé pour autant ?
Ce serait mal me connaître. (Ça veut dire non.)
À l’heure du déjeuner, je suis monté sur chaque table.
J’ai braqué mes yeux sur les plateaux des patientes. Celle qui n’aurait plus faim serait coupable.
AHA ! Un plateau encore rempli ! La coupable !
Non... Gertrude avait juste oublié de mettre son dentier.
J’étais désespéré, quand soudain j’ai compris.
Le coupable est toujours celui qu’on soupçonne le moins.
C’était Sandrine.
Quand elle est revenue, je lui ai miaulé et grogné dessus jusqu’à ce qu’elle avoue.
Oui, c’était elle qui avait récupéré le camembert quand les grands-mères s’étaient endormies.
Mais pas pour le manger. Pour le faire vieillir.
Parce qu’il était trop jeune.
Il ne puait pas assez.
(Les humains, quand même, on me fera pas croire qu’ils sont normaux.)
(Ou peut-être que c’est juste moi qui suis dé-sa-bu-sé. (Ça veut dire blasé.))
Bref.
Elle en a rapporté trois énormes pour se faire pardonner.
Le club gastronomique a adoré.
Et même les souris en ont eu.
Tout ça grâce à mes pouvoirs de déduction.
Le super-pouvoir le plus impressionnant, c’est le cerveau.
Si vous voulez rejoindre mon agence de détectives, veuillez m’envoyer une lettre de motivation. Je n’accepterai que les meilleurs.
(Mais je préférerais une invitation en vacances.)
(J’ai vraiment besoin de vacances.)
Cordialement,
Oscar
Tellement bien décrit ! Ah la nature humaine parfois.
"Il ne puait pas assez.
(Les humains, quand même, on me fera pas croire qu’ils sont normaux.)"
Ce point de vue de chat est excellent
J'ai adoré le mode narratif d'Oscar ! Sur plus long ce serait peut-être un peu lassant, mais sur ce format ça sonne tout pile juste ! Les définitions à outrances, les apartés entre parenthèses, parfois en abîmes les uns dans les autres, et le mot "bref" qui ponctue l'histoire... Très sympa ! Ça se lit tout seul, et ça fait sincèrement sourire. =)
Le narrateur du jour frôle la prétention, mais juste de suffisamment près pour ne pas tomber dedans. Et puis, il a besoin de vacances, le pauvre petit matou, on ne peut pas lui tenir rigueur d'être absorbé dans toutes ses vastes connaissances. En plus, il a effectivement résolu le vol, donc ce n'est pas du chiqué. ^^
J'apprécie aussi le fait que ce chat ait atterri dans un endroit un peu original, si je puis dire. Une maison de retraite, c'est une super idée ! Jusqu'ici on a plutôt eu des noyaux familiaux disons individuels (à part peut-être Paneer, que je n'ai pas encore commenté mais pour qui les personnages avec qui il interagit ont été un poil moins clair pour moi à la lecture, je reviendrai là-dessus à l'occasion). Enfin voilà, je ne suis pas accro à la diversité forcée, mais là justement c'est tout à fait vraisemblable donc c'est un changement de décor sympa. Ceci dit, je commence à me demander comme tous ces chatons ont atterri dans d'autant d'endroits différents... Mystère mystère !
À bientôt ! =D
Oui j'avais un doute pour la clarté du conte de Paneer, je me rendais bien compte que ça faisait plein d'interlocuteurs et que c'était pas forcément transparent. Va falloir que je clarifie tout ça, du coup.
Chouette que le style d'Oscar t'ait fait sourire !
Et tu as raison, le suspense grandit. Comment diable ont-ils fini éparpillés comme ça ?