6-MARCHANDISES

Le lendemain, dans la journée, nous avons toutes constaté la disparition de Rose. Nous étions très inquiètes. Les mauvaises langues rappelèrent aux sceptiques qu'une fille disparaissait toujours quand Madame Durant s'occupait de la maison. Si Madame Angeline ne rentrait pas vite, une autre disparaîtrait sous peu. Nous n'avons pas eu longtemps à attendre. Mathilde ne donna plus aucun signe de vie deux jours plus tard. Heureusement, notre maquerelle rentrait le jour même.

Dès son arrivée, Madame Angeline demanda des explications concernant l'absence de deux de ses filles. Madame Durant avait une réponse toute faite. Rose avait été retrouvée morte dans son lit. Mathilde avait simplement mis fin à ses jours. Bien sûr, rien n'était vrai. Nous le savions toutes. Remettre en cause la parole de notre gouvernante était une limite à ne pas franchir. Même Mlle Jeanne ne s'y risquait pas. 

Les jours suivants, je m'attardai dans le boudoir. J'observai l'unique peinture de cette petite pièce. Les arabesques et les fleurs rose pourpre ne dissimulaient aucune poignée, aucun système d’ouverture. La peinture n’était pas éraflée ou atténuée par endroit. Aucun frottement ne dévoilait une possible liberté. J’appuyai sur des endroits improbables. Je glissai ma main sur les pétales lisses et parfaitement exécutés. Mes doigts inspectèrent les coins, les recoins des encadrements afin de tirer ou de pousser sur un mécanisme. Rien ne dévoila l’existence d’un passage secret. Au bout d’un certain temps, Madame Durant s'inquiéta de mon soudain intérêt pour cet endroit. Elle m'y délogea plusieurs fois avant d'y renoncer. Comment une idiote, comme moi, soupçonnerait l'existence de son secret ?

-Que fais-tu encore ici ? m'agressa-t-elle un soir. 

-Les clients ne veulent plus de vin. Les filles sont toutes occupées. Je me suis dit qu'attendre ici serait plus utile. D'ici, on entend tout. Je reste disponible même s'il vous semble que je me tiens à l'écart, présentai-je avec mon sourire de séductrice. 

Elle ne trouva rien à répondre. Mon air de fausse innocente charmait le plus sceptique des croyants. Ma coquille vide était remplie de malice. La journée, j'évitai le boudoir. Il aurait été étrange que je me l'accapare aussi le jour. Un matin où tous dormaient, je m'aventurai dans le couloir. Le soleil caressait juste les terres encore endormies par le froid de la nuit. J'aperçus Rose ainsi que Mathilde allongées sur le côté, devant les banquettes du boudoir. Leurs mains étaient liées, leurs yeux grands ouverts. Leur bouche avait été cousue. Elles étaient effrayées et résignées par un destin déjà tout tracé. La porte cachée était ouverte. En tendant l'oreille, je perçus des murmures puis les voix furent identifiables. Mme Durant expliquait à un tiers, sa difficulté pour cacher les corps et les amener discrètement. Elle se plaignait pour obtenir plus d'argent. 

Un homme pénétra en premier dans notre prison. Il ne se méfia pas, admira la marchandise avant de suggérer à notre gouvernante d'être plus tendre avec le bétail. Mme Durant s'offusqua d'une telle remarque. Elle ne se priva pas de rappeler que son service se limitait à la sélection et à la livraison. Ces mots me glacèrent autant que les filles. Dans un dernier espoir, elles tentèrent vainement de se libérer. Il était certain qu'un destin plus funeste les attendait. Ne souhaitant pas en entendre davantage, je retournai à ma couche aussi silencieusement que j'étais venue. Le destin de mes sœurs d’infortune n’était pas ma priorité. Leur vie ne m’appartenait pas. Je n’étais pas responsable de leur malheur ou de leur existence. Je fermai les yeux, bien décidée à être autre chose qu’une putain.

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