Dehors, le jour fut obscurci par un nuage. Il jeta son ombre sur la ville et les goélands s'envolèrent. Noé pensa à la maison du musicien, elle était devenue un des multiples potagers qu'ils utilisaient pour subvenir à leur besoin. À la porte d'entrée, un masque de chien y était accroché, ainsi que des pots de fleurs qui étaient arrosés tous les deux jours. La fleurette était partie avec son propriétaire vers des contrées inconnues. Un quelque part que le vieil homme ne pouvait, et ne voulait pas imaginer.
Il souffla la fumée de sa pipe, mit ses lunettes, et observa le travail d'Iris. Il pouvait voir quelques imperfections sur le polissage ou sur la peinture et il repassait derrière. Mais globalement les masques étaient correctement restaurés, alors il ébouriffa les cheveux de la gamine. Ils sourirent tous les deux. Puis, Noé polit les nouveaux masques, ceux qui avaient été taillés la veille. Il ponçait, puis essuyait la poussière, et enfin recommençait jusqu'à ce que la forme lui plut. Jusqu'à ce que l'objet correspondit au souvenir qu'il gardait de la personne qu'il souhaitait ressusciter. Ensuite il les peignait, modelant l'âme sur le visage de bois. Une fois l’œuvre achevée, il la montrait à la fillette ; celle-ci, émerveillée, prenait le masque et parlait avec lui. Et Noé recommençait, il avait tant à faire. Tant de personne qu'il ne fallait pas oublier, car déjà le souvenir de leur visage se dissipait, alors il fallait tricher.
Un soupir sortit de la bouche du vieillard. Il ajusta ses lunettes et scruta la mer. Il marquait son niveau toutes les semaines sur le bâtiment d'en face, et elle montait toujours. Inexorablement.
« Grand Père, toi qui voit les secrets à travers les choses de la vie, quelle est l'histoire de tes lunettes ? ».
Et il lui raconta.