L’agitation de Dumeras n’avait rien à envier à celle de Muresid. Mais Kali n’aurait su dire si c’était dû aux derniers événements en date ou si ça avait toujours été comme ça.
Ils avaient renoncé à se tourner vers les planques de la rébellion. Elles étaient compromises et ça aurait été du dernier stupide de se faire prendre aussi facilement. Ils s’installèrent dans un hôtel en bordure du centre, de manière à être au cœur des événements sans trop s’impliquer.
— Tu sais que notre signalement circule potentiellement un peu partout, commenta Niven en tentant de ne pas montrer son visage à la caméra de l’accueil de l’hôtel.
— C’est pas une vraie, celle-là, répondit Kali après un bref regard.
— Sûre ?
— Ouais, on en retrouve partout des comme ça. Paraît que ça dissuade.
Il ne répondit rien, mais continua à éviter la caméra.
L’hôtel en question n’était pas de la première fraîcheur. Ce n’était pas pour rien qu’il ne pouvait pas se permettre de matériel de surveillance. Mais la chambre paraissait bizarrement accueillante. Son éclairage tamisé et ses couleurs pastel la rendaient douillette malgré le béton qu’on apercevait derrière la fenêtre.
Kali se débarrassa de son sac, inspecta les recoins où des micros auraient pu se cacher.
— C’est marrant de pouvoir vivre sans se cacher, dit-elle enfin.
— Tu ne te cachais pas tellement, répondit Niven après avoir refermé la porte. T’avais une existence légale.
— C’est vrai. Mais pour n’importe quelle mission, il fallait s’enchaîner les planques. Et on a beau dire, le confort n’était pas la priorité première.
Elle se tourna vers Niven. Elle n’était pas tranquille. Toute cette fuite, elle savait comment elle allait finir et elle ne pouvait rien lui confier.
— J’ai vraiment cru que ça allait mal tourner à la gare, dit-elle. On a eu du bol.
— Tu…
Niven hésita.
— Tu n’as pas trouvé ça trop facile ? Je veux dire, quitter Muresid, ne pas se faire arrêter ici. C’est presque comme si… enfin, je ne sais pas.
— Trop facile ? Mais oui, plaignons-nous de ça, tiens !
Elle s’approcha de la fenêtre et jeta un coup d’œil vers les tours du centre-ville.
— Va falloir qu’on parte d’ici, dit-elle, le regard perdu dans le vague. Trop surveillé comme coin.
— Bientôt.
— Tu connais un peu la ville ? Je suis jamais passée ici.
— J’y ai eu quelques missions. Des trucs assez souterrains. Pas trop portés sur le tourisme.
— Nous voilà bien avancés.
Kali sourit. Il y avait ces instants où elle arrivait à oublier toutes les implications. Il y avait ces instants où elle se prenait au jeu. Et à cet instant précis, elle réalisa que ça devait être bien d’avoir une vie éloignée de tous ces combats, une vie à ne pas se soucier ni de la rébellion ni de la milice. Une vie où ils auraient pu aller dans une ville sur un coup de tête, juste pour passer du temps ensemble. Peut-être que sa sœur avait raison. Peut-être que ça valait le coup de fermer les yeux sur certaines choses.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Niven face à son silence. Encore à refaire le monde ? ajouta-t-il en faisant un pas dans sa direction.
Elle planta son regard dans le sien.
— Tu sais qu’on peut pas tout changer juste comme ça, pas vrai ? dit-elle. On peut pas tout oublier et prétendre à une vie normale. Cette fuite… je sais pas ce qu’elle donnera, Niven.
— Toi, tu n’es pas forcément associée à la rébellion. Pour ce qu’ils en savent, tu bosses juste dans une clinique de Muresid et tu n’as jamais eu rien à faire avec les rebelles.
Elle eut envie de se détourner. Elle voyait une telle confiance dans ses yeux, il ne doutait d’elle à aucun moment.
— Rien ne dit qu’ils ont pas fouiné plus de ce côté, dit-elle avec lassitude. Peut-être qu’ils me laissaient juste vivre ma petite vie parce que je les gênais pas tant que ça.
— Peut-être. Mais tu n’en sais rien. Donc, pourquoi ne pas tenter de vivre normalement ?
— Parce que pour toi, c’est trop tard.
Elle fut la première surprise par sa réponse. Parce que ce qu’ils avaient avec Niven, elle avait décidé de ne pas l’analyser. Elle ne pouvait pas vraiment se le permettre. Il était un rebelle et elle savait que tôt ou tard, ça finirait mal.
Elle vit un léger sourire passer sur son visage et sentit quelque chose remuer au fond d’elle.
— Peut-être qu’un jour, on pourra vivre comme tout le monde.
— Tu pourrais vivre comme tout le monde, Kali.
— Je pourrais. Mais pas de suite.
— Tu…
Elle lui posa un index sur les lèvres.
— J’étais dans la rébellion bien avant de te rencontrer. Pas tout le temps, juste pour des missions. Mais les faits sont là. Et même s’il s’est trouvé que le vrai visage de la rébellion n’était pas celui que j’espérais, j’ai vu des choses que je n’aurais pas dû. Quand t’assistes à des exécutions sans procès, tu ne peux plus revenir à la normalité. La seule normalité que je vois, c’est quand les choses auront changé, d’une manière ou d’une autre.
— Comment tu veux que ça change ? La rébellion est moribonde.
— Dis plutôt qu’elle est morte. Elle a fait une grosse connerie. Mais l’idée même qu’on puisse ne pas être d’accord, c’est très fort. Peut-être que d’autres suivront et qu’ils ne referont pas les mêmes erreurs.
Toute cette discussion était déplacée. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle prenait la défense de la rébellion avec tout ce qu’elle savait. Peut-être parce que c’était ce que Niven avait besoin d’entendre.
— Arrête de te soucier de ça, dit-elle en passant les bras autour de son cou. On est vivants pour le moment. C’est déjà pas mal, non ?
— C’est vrai que ça pourrait être pire, concéda-t-il avec un sourire.
×
Dans les jours qui suivirent, Fleter connut une vague d’arrestations assez conséquente. Jamais Kali n’avait vu le gouvernement s’acharner à ce point sur la rébellion ou un quelconque autre groupe. Les chiffres des infos enflaient d’heure en heure.
Ils étaient sortis quelques fois et commençaient à connaître leur environnement. Mais rester ici, ce n’était pas la solution.
— On devrait partir, dit Kali un soir. Ça serait le bon moment pour se trouver une planque et ne plus en bouger jusqu’à ce que ça se calme.
La veille, ils avaient appris l’exécution d’une quinzaine de rebelles. Et dans la liste, il y avait des noms familiers.
— Des idées plus précises ?
Parce que ces arrestations, ces exécutions, ce n’était pas anodin. Ça disait clairement que le gouvernement était dans la phase finale de son plan. Et Kali n’avait aucune envie de se trouver là quand ils décideraient d’y mettre un point final.
— Il y a Bolthis, dit Kali. C’est loin de tout et il y a la mer.
— Bolthis ?
— Oui. Je pense que le bazar de Muresid se voit pas trop là-bas.
— Se cacher en terrain découvert, c’est risqué. T’es sûre ?
— Sûre, non. Mais le terrain découvert a aussi ses avantages. Imagine qu’ils puissent vraiment nous oublier.
Kali sentit de la peur en réalisant que c’était un vrai plan, qu’ils pourraient vraiment partir là-bas, disparaître. Elle n’était jamais allée aussi loin dans ses réflexions. Elle n’avait jamais réalisé que ça pourrait se concrétiser.
Niven la fixait, l’étudiait. Elle tenta un sourire, elle ne voulait pas qu’il puisse deviner ce qui se tramait. Elle ne voulait pas avoir à le trahir.
×
Tout était prêt et ils s’étaient fixés le lendemain pour partir.
Tout était prêt, mais rien n’allait se faire.
Parce qu’elle avait reçu ses ordres et qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Elle avait reçu ses ordres et elle revenait à l’hôtel pour les exécuter.
Elle avait espéré pendant un bon moment qu’ils allaient l’oublier, qu’elle et Niven seraient déjà en fuite quand ils se souviendraient d’elle. Mais ce n’était pas le cas.
Elle entra à l’hôtel, monta les marches, déverrouilla la porte de la chambre. Il n’y avait personne. Alors, elle s’assit sur le lit et attendit. Il allait revenir, il était sûrement allé vérifier les derniers détails pour leur départ.
Elle inspira.
Elle avait beaucoup trahi dans sa vie et à chaque fois, elle avait réussi à se convaincre que c’était pour la bonne cause. Ici aussi, sûrement. Parce que Niven était un rebelle et qu’il représentait une menace pour le gouvernement, pour la population. Ils ne pouvaient pas laisser les dissidents filer.
Et enfin, la porte s’ouvrit, Niven entra.
Il lui lança un bref regard, fronça les sourcils.
— Tout va bien ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête. Il fallait qu’elle agisse maintenant. Il fallait qu’elle le livre.
Elle ferma les yeux, inspira profondément. Puis, elle le fixa.
Il était debout à côté de la fenêtre, il lui tournait le dos.
Sans se laisser le temps de réfléchir, elle attrapa son flingue, s’approcha de lui et lui envoya un coup avec la crosse. Elle ne voulait pas avoir à le regarder dans les yeux encore.
Elle le vit tituber, tenter de se raccrocher à quelque chose.
Un deuxième coup à la tête l’envoya vers l’inconscience.
Kali resta là quelques secondes face à son corps sans vie. Elle sentait son cœur lui tambouriner aux oreilles. Mais elle ne se laissa pas aller à la pitié. Elle avait fait son devoir.
Kali elle fait parti du gouvernement en vrai ? Quelle pouffiasse !! À faire de jolies sourires alors que c'est une traîtresse ???
Allez dit moi que j'ai mal compris, que j'ai mal lu....