« Aujourd’hui, nous avons remporté une grande victoire. Aujourd’hui, nous pouvons dire que la rébellion n’existe plus. Pendant des années, cette organisation terroriste a gangréné les fondements de l’Union de Fleter. Pendant des années, elle nous a empêchés d’avancer vers notre futur. Camarades, ne craignez plus rien, la rébellion est morte ! »
Extrait du discours d’Ado Malev,
cofondateur de l’Union de Fleter,
mai 929
— Taleb veut te parler.
— Taleb ?
Kali regarda Ankha se crisper. Elle comprenait exactement ce qui lui passait par la tête. Elle aurait préféré filer sans repasser par le QG.
— Qu’est-ce qu’il me veut ? demanda-t-elle.
— On me met pas au courant de ce genre de choses, répondit Kali avec un haussement d’épaules.
— Il se passera quoi si j’y vais pas ?
— Sûrement pas grand-chose. C’est à toi de voir ce que tu veux faire.
Kali l’observa à la dérobée, vit qu’elle réfléchissait. Ankha semblait tenir le coup, malgré son tout récent passage à l’hôpital. Malgré son état aussi.
— Je peux te poser une question ?
— Tu vas le faire de toute façon, répondit Ankha.
— T’es sûre de vouloir garder le bébé ?
Kali la vit serrer la mâchoire, inspirer.
— Non, murmura-t-elle. Non, je suis sûre de rien.
— Le père est au courant ?
— Je sais pas s’il est en vie.
Elle fixa le profil d’Ankha. Elle semblait terrifiée. Mais elle avait pris sa décision. Kali se fit soudain la réflexion que c’était sans doute la dernière fois qu’elle la voyait. Et elle espérait que la rebelle arriverait à s’en sortir.
×
Le plan était de partir. Loin de la capitale, loin de tout ce fatras. Partir et ne plus se soucier d’un camp ou de l’autre. Juste partir.
Mais Ankha n’était pas la seule que Taleb avait demandé à voir. Il avait aussi convoqué Kali. Peut-être qu’il l’avait fait avec toutes les personnes dont il avait la charge. En tout cas, elle savait que Niven lui avait parlé la veille.
Revenir dans le QG avait quelque chose de déplacé. Elle était là depuis deux bonnes années et elle avait toujours connu cet endroit plein de monde, plein de vie. À présent, on l’avait déserté et c’était étrange à observer.
Elle frappa à une porte, n’attendit pas que Taleb lui dise d’entrer.
Kali referma derrière elle, s’appuya contre le battant. Elle ne se sentait pas à sa place, elle ne savait pas pourquoi elle était venue.
— Les préparatifs du départ se passent bien ? demanda Taleb sur un ton beaucoup trop léger.
Elle fronça les sourcils. Elle sentait la menace émaner de lui et elle n’aimait pas ça.
Elle hocha la tête. La majorité des rebelles encore libres fuyait, se cachait. Le gouvernement avait ouvert la chasse.
— Bien. Fais gaffe à toi.
Kali se demanda pourquoi il avait cherché à la voir. Ce n’était que des phrases creuses, tout ça.
— Je peux te dire quelque chose ? poursuivit-il et elle se crispa.
Elle hocha néanmoins la tête.
— Depuis que tu nous as rejoints, t’as aidé, Kali. Beaucoup des nôtres te doivent la vie. Ce n’est pas anodin.
Il fit une pause, trop longue, comme pour lui laisser le temps de répondre. Elle ne le fit pas, sa gorge était nouée. Parce qu’elle ne voulait pas entendre ça, elle ne voulait pas de sa gratitude.
— J’espère que tu t’en souviendras, dit-il. J’espère que tu n’oublieras pas.
Elle hocha la tête et ouvrit la porte derrière elle. Il ne la lâcha pas du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
Kali mit quelques couloirs entre eux avant de s’arrêter. Son cœur lui battait aux oreilles, alors elle se laissa glisser par terre, contre un mur. Elle se passa les mains dans les cheveux, ferma les yeux, inspira encore et encore.
Cette discussion n’avait pas été anodine. Taleb ne faisait jamais rien sans raison. Est-ce que ça voulait dire qu’elle devait craindre pour sa vie ?
×
À l’ouest de Muresid, il restait tout un quartier qui n’avait pas été envahi par les tours. C’était un tas de petites maisons à l’architecture du siècle passé qui ne semblaient pas à leur place face aux gratte-ciel. L’une d’entre elles était la destination de Kali. Si on tournait le dos au centre-ville, on avait presque l’impression que Muresid n’existait pas, qu’il n’y avait que ces rues ombragées bordées d’érables et ces maisons aux toits d’ardoises.
Kali s’arrêta devant l’une d’entre elles et inspira un bon coup. Ça faisait un sacré moment qu’elle n’avait pas remis les pieds ici. Son regard s’accrocha aux iris sur le petit parterre et s’arrêta sur la porte bleue. Sans se donner le temps de trop réfléchir, elle sonna.
Elle allait déjà repartir quand elle entendit qu’on repoussait les verrous. La porte s’ouvrit et elle se retrouva nez à nez avec l’occupante de la maison. Cette dernière la scruta de longues secondes, le front plissé et la bouche sévère, puis elle s’écarta pour la laisser entrer.
— Je pensais que t’avais oublié l’adresse.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et passa dans le séjour. Puis, elle prit place dans un fauteuil, en face de la baie vitrée qui donnait sur le jardin.
Kali s’assit dans un autre fauteuil et promena le regard sur la pièce. C’était dingue à quel point rien n’avait changé ici.
— T’es toute seule ? demanda-t-elle.
— Les enfants sont à l’école.
— Juni…
— Non, mais c’est rien, tu sais. Ça arrive d’oublier qu’on a une sœur.
Kali ne répondit pas. Elle savait que Juni ne comprenait pas ses choix.
— T’aurais juste pu donner des signes de vie, que je sache si je dois organiser des funérailles ou pas.
— Je pouvais pas.
— Dis plutôt que tu ne voulais pas. Ça fait deux ans, Kali. Eh oui, le temps file, ajouta-t-elle avec amertume.
— Juni, s’il te plaît.
Sa sœur pinça les lèvres et croisa les bras sur la poitrine. Elle n’avait presque pas changé. Ses longs cheveux blonds étaient toujours ramassés en une natte lâche et ses yeux noisette la fixaient avec incompréhension.
Elles n’avaient jamais été très proches et depuis qu’elle avait écopé de cette mission, c’était encore pire.
— Je voulais juste passer te voir. Je repars bientôt.
— Tu repars. C’est eux qui t’envoient encore quelque part ?
— Non, lâcha-t-elle du bout des lèvres. Ils me renvoient nulle part.
— Pourquoi t’es parti là-dedans, Kali ? T’as bien vu comment ça a fini. La journaliste…
— Tu comprends pas.
— Ce que je ne comprends surtout pas, c’est pourquoi tu t’es sentie obligée de faire ça.
— À ton avis ? siffla Kali. Ouvre un peu les yeux.
Elle vit Juni serrer la mâchoire.
— C’est plutôt toi qui devrais essayer. Avec tes histoires de milice et de rebelles, t’as oublié de regarder la vraie vie. Et je t’assure qu’elle n’est pas aussi terrible que tu sembles le penser.
— Donc pour toi, c’est pas si terrible si les gens meurent tous les jours ?
— Ils meurent, oui. Et toi, tu participes à ce massacre.
— Vraiment ?
— Écoute, Kali. Je sais très bien pourquoi tu les as rejoints. C’était une manière de faire comme maman, de ne pas l’oublier. J’ai l’impression de l’entendre à chaque fois que t’ouvres la bouche. Et ça pourrait presque être chouette, cet idéalisme, si ça ne risquait pas de te faire tuer. Pourquoi tu ne peux pas saisir quand il faut arrêter ? Il y a des listes qui paraissent tous les jours. Avec tous les morts dessus. Et tu sais quoi ? Il y a autant de rebelles que de soldats dessus.
Elle fit une pause.
— J’ai pas envie de te retrouver dessus un jour.
Kali détourna le regard vers le jardin derrière la fenêtre. Elle se souvenait de toute cette maison comme d’une autre vie. Elle avait tout quitté quatre ans plus tôt et ce moment apparaissait comme une coupure, avec un avant et un après. Juni faisait clairement partie de l’avant. Kali n’arrivait même plus à se dire qu’elle pourrait retrouver une vie normale. De fait, elle n’était pas vraiment certaine de vouloir vivre comme Juni le faisait.
Sa sœur disait que ce n’était pas si terrible, que Kali se trompait. Mais elle savait qu’au fond d’elle, elle avait peur. Peur pour ses gamins, peur qu’un voisin la dénonce, peur de faire un pas de travers, peur de vivre.
Et si Kali s’était engagée dans toute cette histoire, c’était pour aider à changer les choses. C’était pour redonner l’espoir aux gens. Elle ne pouvait pas savoir alors que c’était un combat perdu d’avance.
— Et sinon, dit-elle finalement en s’éclaircissant la voix, qu’est-ce que tu deviens ?
×
Elle ne resta pas bien longtemps. Elle n’y pouvait rien ; cette maison, elle parlait d’une autre vie. Chaque recoin lui rappelait trop de choses et elle savait que si elle se laissait aller trop longtemps à la nostalgie, elle pourrait hésiter à partir.
Elle passa rapidement à la clinique, récupérer quelques affaires. Là aussi, ça avait été déserté comme au QG. Puis, elle se dirigea vers la gare.
Niven était déjà là, il l’attendait un peu à l’écart. Ils longèrent le quai, s’arrêtèrent quand ils considérèrent qu’il n’y avait plus d’oreilles qui pouvaient les entendre.
— C’est le bazar en ville, murmura Kali. Des miliciens sont venus visiter la clinique ce matin.
— Et ?
— Pas grand-chose. Les autres m’ont dit qu’ils cherchaient des rebelles. Manque de bol, l’hosto était vide.
— Cette nuit, ils ont fait des descentes dans plein de planques aussi.
D’un même mouvement, ils jetèrent un regard de précaution autour d’eux.
— Si on arrive entiers à Dumeras, ça sera un miracle, murmura Niven.
Elle croisa son regard et eut envie de détourner les yeux. Elle savait que cette fuite n’était pas la chose à faire, elle savait comment ça finirait. Et elle se sentait mal de le tenir dans le mensonge.
×
Le train mit à peine une heure pour arriver jusqu’à Dumeras. Et avec le wagon surpeuplé, Niven et Kali n’eurent pas l’occasion d’échanger plus que des silences. Ils ne savaient pas vraiment jusqu’où le gouvernement était prêt à aller pour en finir avec les rebelles restants. Et Kali ne voulait pas vraiment le découvrir.
Ici, la foule était déjà moins compacte que dans la capitale.
Ils se dirigeaient vers la sortie quand Kali vit des uniformes à sa gauche. Au même moment, Niven attira son attention sur ceux qui marchaient à sa droite. Ils étaient en train de les encercler.
Kali prit une inspiration, serra les dents. Peut-être que Taleb les avait balancés. Peut-être que le signalement de Niven avait filtré. Et là, tout d’un coup, elle trouvait dommage que tout se termine comme ça.
Ils ralentirent le pas, tentèrent de se protéger grâce à la foule. Puis, ils s’arrêtèrent complètement. Kali vit Niven lancer un bref regard aux voies. Elle savait qu’il était en train de calculer leurs chances de survie.
Elle fit glisser sa main dans la sienne, serra. Elle ne voulait pas qu’il agisse dans la précipitation. Elle ne voulait pas qu’il donne une excuse aux soldats pour décharger leurs fusils.
Les uniformes passèrent soudain à l’attaque.
Ils se précipitèrent dans la foule, écartèrent les voyageurs pris de panique. Kali les vit immobiliser deux hommes, les plaquer contre le carrelage crade et leur passer les menottes.
Elle réalisa alors que pendant tout ce temps, elle avait oublié de respirer.
— Viens, souffla-t-elle en entraînant Niven vers la sortie.
Je pense que le message que le chef a voulu passer à kali c'est qu'elle connaît bcp des identités des rebelles et si elle se fait choper elle pourrait les balancer..
Mais elle ferait pas ça kali..
M'enfin a la rigueur tu peux la tuer, je préfère ankha