7.4 - Le jardin

Par Seja

Il n’était même pas minuit quand ils arrivèrent à Rasinas. Le couvre-feu n’allait pas tarder. Ils avaient une petite demi-heure pour se mettre à couvert, mais les planques de la rébellion étaient à exclure, les hôtels aussi.

— J’ai peut-être une solution, murmura Niven après s’être assuré que personne ne les écoutait. Viens.

Il l’entraîna dans des ruelles sinueuses, éloignées des grands axes.

— Tu connais Rasinas, constata Kali.

Il ne répondit pas.

Elle ne savait pas si c’était une bonne idée, mais elle décida de lui faire confiance et lui emboîta le pas. Ils longèrent des ruelles, évitèrent quelques patrouilles. Et enfin, Niven s’arrêta devant un mur. Derrière, il y avait sûrement un jardin, quelque chose. Kali attrapa sur elle son regard, il semblait hésiter.

Enfin, il lui fit un signe de tête.

Les pierres du mur ressortaient par endroits, permettaient d’avoir des points d’appui. Il ne leur fallut pas bien longtemps pour passer de l’autre côté. Kali se laissa tomber sur le sol, balada le regard autour d’elle. C’était bien un jardin plongé dans l’obscurité. Au loin, elle arrivait à distinguer une maison à l’architecture du siècle passé. Elle décida de garder ses questions pour plus tard.

Niven n’alla pas vers la maison, il bifurqua à gauche, vers une maisonnée cachée entre les arbres. Elle le regarda fouiller la gouttière, ramasser une clef, déverrouiller la porte.

Puis, elle le suivit.

À l’intérieur, l’obscurité était encore plus épaisse. Kali resta près de la porte d’entrée, attendit que ses yeux s’habituent.

Niven, lui, ne semblait pas avoir ce genre de problèmes. Il se repérait même dans l’obscurité. Elle l’entendit ouvrir un tiroir, puis elle vit la flamme d’une bougie s’élever.

— On est où ? demanda-t-elle.

— C’était la maison du jardinier, répondit Niven. Avant.

— Avant quoi ?

Il ne répondit pas. Elle le vit se débarrasser de son sac, faire le tour de l’unique pièce qui constituait la maison. On voyait bien que personne n’y était entré depuis longtemps. Les quelques meubles étaient recouverts de poussière. Tout semblait abandonné, mort.

— On peut rester là pour la nuit, dit-il. Et demain…

Il s’interrompit, hésita, se détourna.

— Et demain, on verra.

— Niven…

Elle fit un pas dans sa direction, il se recula.

— Il y a un lit là-bas, dit-il sans croiser son regard. Essaie de te reposer.

— Je suis désolée pour tout, Niven, dit-elle après un silence.

Il hocha la tête, ne répondit pas.

 

×

 

Elle s’assit sur le bord du lit, fixa l’obscurité.

Niven venait d’éteindre la bougie, il ne fallait pas que la cabane ait l’air habitée.

Kali prit une profonde inspiration pour essayer de faire partir la douleur qui lui cognait toujours aux côtes. Elle n’arrivait pas à se dire qu’elle avait fait le bon choix. Elle n’arrivait pas à réaliser qu’elle avait détruit tout ce qu’avait été sa vie.

Elle s’allongea, ferma les yeux. Elle se sentait trembler et ses yeux lui brûlaient. Elle n’arrivait pas à réaliser que tout est foutu, non. Pourtant, la seule chose qu’elle regrettait, c’était d’avoir perdu la confiance de Niven. Et c’était stupide. Ce n’était pas avec ce genre de pensées qu’on survivait.

 

×

 

La nuit avançait et elle n’arrivait pas à trouver le sommeil. Alors, elle se releva, fit quelques pas, s’arrêta devant le canapé où Niven était resté. Il ne bougeait pas, mais elle vit sa main crispée sur le manche d’un couteau. Elle serra les dents. C’était contre elle qu’il se protégeait.

Puis, elle attrapa son regard. Il ne dormait pas non plus.

Il l’observa quelques secondes en silence, puis il se poussa pour lui laisser de la place. Beaucoup de place. Il voulait garder de la distance entre eux.

— Comment tu connais cet endroit ? demanda Kali.

Elle ne voulait pas parler de ce qui importait vraiment. Elle voulait oublier toute cette journée.

— Tu n’as pas eu accès à mon dossier ? demanda-t-il. Ou on ne donne pas ce genre d’informations aux mercenaires ?

Kali se raidit. Le ton de Niven était bien trop calme.

— J’ai vu ton dossier, dit-elle en décidant que ça ne servait plus à rien de garder les secrets. Cette maison en faisait pas partie.

Elle fit une pause, s’éclaircit la gorge.

— Et je suis pas mercenaire, Niven.

— Non ?

— Non. Je fais partie de l’armée.

Il ne dit rien, mais elle attrapa son regard sur elle. Elle avait l’impression qu’il la détaillait, qu’il essayait de la comprendre.

— Tu es une soldate, Kali ?

Elle hocha la tête.

— Ils n’avaient pas assez de mercenaires pour jouer aux infiltrés ?

— Ils voulaient pas prendre le risque.

— Je vois.

Elle ne savait pas ce qu’elle entendait dans sa voix. Peut-être de la déception.

— Cette maison, dit soudain Niven, c’était celle d’un ami de la famille. Il a été… arrêté peu après la révolution. On venait souvent ici quand j’étais gamin. En été.

— Arrêté pour quoi ?

— Pour pas grand-chose. Comme beaucoup d’autres. Il était favorable à l’ancien régime.

Kali hocha la tête. Cette planque, c’était sans doute une bonne chose. Surtout si personne ne connaissait son existence.

— Niven ?

Il se tourna vers elle. La lune rentrait par la fenêtre et elle voyait son regard briller. Elle ne savait pas comment formuler sa pensée, elle ne savait plus comment communiquer avec lui.

— J’ai lu ton dossier, commença-t-elle. J’ai vu qui était ta famille. Ils pourraient te sortir de la liste des recherchés.

— Vraiment ?

Son ton était amer.

— Si t’as vu leur identité, tu sais aussi ce qu’ils sont. La mise en place des camps de travail, c’est à eux qu’on la doit. Tu crois vraiment qu’ils seraient prêts à m’accueillir à bras ouverts ? Ce n’est pas pour rien que j’ai fui, Kali. Je ne reviendrai jamais dans cette famille. Même si ça veut dire que je vais devoir passer le reste de ma vie caché.

Elle ne s’était pas attendue à cette réponse.

— L’ami de la famille, poursuivit Niven, celui à qui était cette maison, il ne s’est pas juste fait arrêter. Il a été dénoncé par mes parents. C’est comme ça qu’ils se sont acheté leur place.

— Je savais pas, murmura-t-elle.

— Est-ce que c’était facile ?

Elle se crispa.

— Est-ce que c’était facile de prétendre tout ce temps ? Avec la rébellion. Avec… avec nous. Est-ce que c’était facile, Kali ?

La nuit était profonde et c’était tant mieux. Au moins, il ne voyait pas les larmes qui lui coulaient sur les joues. Elle les essuya rapidement, tenta de rendre sa voix stable.

— Au début, ça l’était.

— Tu vas me dire que t’as eu un changement de cœur ?

— Je l’ai eu. Mais pas pour la rébellion.

Elle soupira, se prit la tête dans les mains. Ce soir, tout était trop compliqué.

— Ma mère n’a jamais supporté l’Empire, dit-elle. Aussi loin que je me souvienne, elle militait contre. Et ça semblait être un bon exemple, elle avait l’air de savoir ce qu’elle disait. Moi, je me destinais pas à l’armée. J’avais commencé des études de médecine quand la révolution est arrivée.

Elle ne savait pas pourquoi elle lui racontait ça. Peut-être qu’elle voulait le convaincre de quelque chose. Ou peut-être que c’était elle-même qu’elle essayait de convaincre.

— Je me suis pas engagée de suite. Seulement, ma mère a fini par tomber malade et j’ai dû trouver un moyen de ramener de l’argent. Ma sœur nous aidait comme elle pouvait, mais elle avait déjà sa propre famille à nourrir. Alors, j’ai rejoint l’armée. Ils promettaient un salaire et c’était déjà pas mal.

Niven ne disait plus rien. Il l’écoutait en silence.

— La maladie a fini par gagner. Et moi, j’ai continué là où j’étais. Ils m’avaient entraînée, formée. J’avais poursuivi les études aussi à côté pour passer médecin militaire. Et c’est là qu’ils ont décidé de m’envoyer dans la rébellion, glaner des infos. C’était le point d’entrée parfait, la rébellion avait besoin de soigneurs.

Elle fit glisser un rapide regard vers le couteau que Niven tenait toujours. Elle avait l’impression qu’il avait un peu relâché la prise.

— Je… je te demande pas de me faire confiance, dit-elle. Ni maintenant ni dans dix ans. Je sais ce que je t’ai fait et je sais qu’il en faudra un peu plus avant que t’arrêtes de voir en moi l’ennemi. Mais j’ai trahi ceux pour qui je travaillais et si on veut s’en sortir, il faut qu’on bosse ensemble. Est-ce que tu peux l’accepter ?

Elle sentit sa respiration se bloquer. Elle n’avait même plus honte de ressentir tout ce qu’elle ressentait. Elle était désespérée et elle avait besoin d’avoir quelque chose à quoi se raccrocher.

— Tu as raison sur un point, dit-il. Il va me falloir du temps pour oublier que tu m’as trahi.

Elle ne répondit rien.

— Mais je te dois aussi ma vie. Tu aurais pu les laisser m’embarquer. Je n’étais plus ton souci. Et j’ai envie, Kali, très envie, de te faire à nouveau confiance. Mais j’ai peur de me retrouver face à une nouvelle trahison.

Elle hocha la tête. Elle ne pouvait pas lui en demander plus.

— Je te trahirai pas, murmura-t-elle.

Elle sentit qu’il hésitait, qu’il réfléchissait. Et finalement, il déposa le couteau sur la table basse, en face d’eux.

Il hocha la tête et Kali sentit son cœur se serrer.

— T’as un plan pour la suite ? demanda-t-il en se tournant vers elle. On ne peut pas rester ici très longtemps.

— Pour la suite, murmura-t-elle, qu’est-ce que tu penses de Bolthis ?

— Bolthis ? répéta-t-il.

— Bolthis. C’est loin de tout et il y a la mer.

À cette phrase, elle vit un léger sourire passer sur le visage de Niven. Puis, il poussa un soupir et elle sentit soudain son bras autour de ses épaules. Elle se raccrocha à cette étreinte comme à une bouée de sauvetage, ferma les yeux.

Parce qu’elle ne voulait pas le perdre, ni ce soir ni jamais. Ils trouveraient bien une solution pour survivre. Ils n’avaient plus tellement le choix.

 

×

 

Le soleil entrait par la fenêtre, venait perdre quelques rayons sur le parquet usé et sur la carte qui y était étalée.

Penchée dessus, Kali réfléchissait. Elle avait tracé des chemins, avait imaginé des manières de fuir. Mais rien ne passait.

Ça faisait une semaine qu’ils se cachaient dans cette cabane et pendant ce temps, beaucoup de choses avaient changé.

Kali poussa un soupir, s’adossa au canapé. Niven était parti voilà déjà deux bonnes heures en ville à la pêche aux infos. C’était long, deux heures, vu le climat actuel.

Parce que la rébellion était tombée, ils l’avaient appris l’avant-veille. Les chefs du mouvement rebelle avaient été trouvés, on se préparait à les juger. La nouvelle était sur tous les écrans. Les images montraient des gens arrêtés, elles montraient des confessions. Des exécutions aussi.

Kali savait très bien pourquoi ces images étaient là. Il fallait dissuader la population de se révolter, de prendre les armes, d’entreprendre quoi que ce soit.

Le peloton d’exécution dissuadait bien.

Son regard se perdit de nouveau sur la carte. Arriver à Bolthis allait être impossible. C’était peut-être loin de tout, mais ce n’était pas assez loin des soldats, des arrestations. Vraiment pas assez loin.

Surtout qu’elle savait qu’ils n’aimaient pas les traîtres de son espèce.

Mais il restait une solution. Une solution qui allait contre tout ce qu’on n’avait jamais appris à Kali. Une solution qu’elle tentait de contourner. Mais une solution quand même.

Quitter le pays.

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Alice_Lath
Posté le 29/04/2020
Hurgh, la dernière fois qu'un couple a tenté de passer la frontière, ça s'est pas mega bien passé pour eux, Kali. Je leur déconseille fortement de pas tester ça. Peut-être qu'ils pourraient rester un moment dans la cabane le temps que l'affaire se tasse? Après seulement, quand les contrôles seraient moins virulents, ils sortiraient pour s'enfuir. Parce que là, ils me donnent pas confiance à vouloir se précipiter comme ça
Cocochoup
Posté le 25/04/2020
Bon bon...
Elle remonte dans mon estime. Mais elle a intérêt de filer droit.
Et niven vient d'une famille bien placé alors ? Est ce qu'à un moment son passé va le rattraper ? Ou kali va t elle les contacter ?
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