7.5 - Les espoirs

Par Seja

— Il y a les territoires neutres, dit Niven d’un air pensif. Au sud.

Kali ne répondit pas de suite. Elle avait envisagé beaucoup de manières de fuir. Toutes avaient leurs risques.

— C’est loin, dit-elle enfin. Pour descendre au sud, il va falloir traverser les deux tiers du pays. Et on peut pas se montrer dans un train.

— Le nord, alors ?

Elle acquiesça. Elle aurait largement préféré partir vers les territoires neutres. Le nord, ça voulait dire passer dans la République de Ryorim.

— On pourrait demander l’asile politique, Kali. Ça serait justifié.

— Je suis vraiment pas sûre qu’ils seraient ravis de nous voir.

— Peut-être pas. Mais on risquerait moins là-bas qu’ici.

Elle fixa Niven un long moment. Aucune de ces solutions ne lui plaisait. Parce que chacune voulait dire trahir le pays. Mais la trahison, elle l’avait déjà commise quand elle avait flingué les deux miliciens. Son choix, elle l’avait déjà fait. Alors un peu plus ou un peu moins…

— Va pour le nord, dit-elle.

Niven hocha la tête, reporta son attention sur la carte. Ils étaient proches du secteur de Fyres. C’était le choix logique.

— On peut partir cette nuit, dit-il.

 

×

 

Ils perdirent assez rapidement le compte des jours. Ils voyageaient de nuit en dormant à tour de rôle le jour. Leur chance résidait dans le fait que plus ils avançaient vers le nord, moins il y avait d’habitants. Ils contournaient les villes principales et se dirigeaient résolument vers la frontière. Le paysage se faisait tout doucement plus escarpé et difficilement praticable.

L’été était bien là, mais les nuits étaient si froides que chaque expiration donnait un nuage de buée. Et plus ils montaient vers le nord, plus le froid s’accentuait. Ils n’étaient pas tombés sur une seule patrouille jusque-là et Kali en vint à espérer que ça pourrait continuer ainsi. Peut-être qu’ils arriveraient à quitter le pays sans encombre.

Et enfin, ils arrivèrent dans le secteur de Fyres. Ils ne savaient pas vraiment si les patrouilles de la frontière étaient nombreuses, mais ils n’allaient pas tarder à le découvrir.

 

×

 

Après une nouvelle nuit de marche, ils trouvèrent abri dans un bosquet de bouleaux. Les arbres s’étaient faits de plus en plus nombreux au fur et à mesure de leur progression et à présent, ils étaient partout.

Sur leur gauche, ils pouvaient voir la côte. Le terrain difficilement praticable les avait obligés à s’approcher de la mer pour atteindre la frontière. Fyres était un district inhospitalier et très peu peuplé. Son climat et son relief le rendaient difficile d’exploitation. Mais c’était là que se trouvaient les mines de charbon et Fleter ne pouvait pas le laisser à son sort.

Le soleil levant filtrait à travers les bouleaux, faisait danser ses rayons sur l’écorce blanche. Il y avait quelque chose de si terriblement tranquille dans ce paysage, ça faisait presque oublier qu’ils étaient recherchés et que le peloton d’exécution n’était jamais bien loin.

Ils avaient marché toute la nuit, mais le sommeil ne venait pas. Kali sentait le sang battre dans ses veines. La nuit prochaine, ils allaient s’approcher de la côte. La nuit prochaine, ils allaient atteindre la frontière.

Niven était penché sur la carte de la région. Il releva la tête vers les rochers et fronça les sourcils.

— Normalement, la frontière est juste derrière, murmura-t-il.

Elle sentit le tressaillement de sa voix, mais ne sut dire s’il s’agissait de peur ou d’excitation. Peut-être un peu des deux.

— Tu sais qu’on peut attendre un peu à Fyres, dit Kali.

— Non.

Niven secoua la tête et perdant son regard du côté des rochers.

— On a déjà trop traîné. Si on veut partir, il faut le tenter maintenant.

 

×

 

Ils reprirent leur route sous couvert des arbres et de la nuit. Et enfin, ils arrivèrent à la frontière.

Kali et Niven se dénichèrent une corniche depuis laquelle ils avaient une vue imprenable sur le grillage.

Ils passèrent de longues heures en observation. Le grillage ne semblait pas électrifié, mais il y avait trois rangs surmontés de fil barbelé. Les soldats, eux, faisaient leurs rondes et repassaient toutes les quinze minutes au même endroit. En soi, c’était parfaitement jouable. De l’autre côté du grillage, personne ne semblait rien surveiller, comme s’ils n’avaient pas peur que leurs habitants se tirent ailleurs. Mais avec la nuit, ils ne pouvaient pas voir grand-chose de ce qui se passait là-bas.

— La fuite du pays, c’est considéré comme trahison, murmura Kali.

— On est déjà condamnés à mort.

— C’est vrai. Mais quand même.

— Tu as changé d’avis ? demanda-t-il en se tournant vers elle.

Elle serra les lèvres avant de lui retourner son regard.

— Non. C’est pas comme si on avait le choix, de toute façon. Mais ça fait quelque chose de se retrouver avec le titre de traître.

Parce que la vérité, c’était qu’elle tenait à Fleter. Jamais avant il ne lui était venu à l’idée de quitter le pays.

Dans sa conception des choses, tout allait s’arranger tôt ou tard et elle serait là pour le voir. Sauf que les choses s’étaient tellement dégradées qu’elle se retrouvait à fuir.

— Peut-être qu’un jour, on pourra revenir, dit Kali.

Sa gorge s’était nouée, mais l’heure n’était plus aux hésitations ni aux regrets.

— Si on réussit à survivre, s’entend.

 

×

 

— À propos de ce qui s’est passé à Dumeras…

Le soleil déclinait et il ne leur restait que quelques heures avant de mettre leur plan à exécution.

— Laisse tomber Dumeras, répondit Niven.

— Non. Ce soir, ça peut mal tourner et j’ai besoin de te le dire.

Elle attrapa sur elle son regard et parvint presque à le soutenir.

— Je t’ai dit que j’assumais ce que j’étais et ce que je faisais et c’est complètement vrai. Je ne regrette pas de m’être engagée dans l’armée. Parce que je reste persuadée qu’on peut rendre les choses meilleures sans tout casser, comme l’a fait la rébellion.

— Kali.

— Laisse-moi finir. Ces quelques années dans la rébellion ont peut-être un peu adouci les choses. J’ai rencontré des gens qui croyaient à ce qu’ils faisaient et qui étaient prêts à mourir pour ça. Et puis, je t’ai rencontré, toi.

Elle hésita, repoussa nerveusement une mèche derrière l’oreille.

— Pendant un instant, j’ai cru que mon autre vie arriverait à m’oublier. J’ai cru que je pourrais les fuir. Mais à Dumeras, j’ai reçu un message. Ils savaient où j’étais, ils savaient avec qui j’étais. Et ils m’ordonnaient de te livrer.

Elle avait besoin qu’il la comprenne.

— Malgré ce que tu sembles penser, j’ai hésité. Parce que ça aurait été bien de fuir, de faire ce dont on avait parlé. Ça aurait permis de tout recommencer à zéro, d’avoir une vie normale. Mais ils savaient où j’étais, je ne pouvais pas fuir. Et je ne pouvais pas te laisser partir. Pendant quelques instants, j’ai cru que je pourrais faire ce qu’ils me demandaient. J’ai cru que je pourrais revenir dans les rangs après cette dernière mission.

— Et maintenant, t’es recherchée dans tout le pays à cause de ça.

— Oui. Mais je ne le regrette pas. Quoi qu’il arrive cette nuit, Niven, je veux que tu saches que je ne regrette pas d’avoir fait ce que j’ai fait.

Elle le vit hausser les sourcils, sourire. Puis, il lui passa un bras autour des épaules et l’attira à lui.

— Tu sais qu’on a même une chance de survivre, murmura-t-il.

Elle éclata de rire.

— Ton optimisme fait vraiment chaud au cœur.

Le silence retomba et ils restèrent là, à regarder les derniers rayons du soleil s’éteindre et l’obscurité s’installer.

 

×

 

Calés sur la corniche, ils fixaient le grillage. Les soldats venaient de passer vers la droite. Il était temps de bouger. En quelques minutes, ils furent en bas. Là, cachés par des buissons, ils attendirent qu’ils repassent dans l’autre sens. Sur la droite, il n’y avait que quelques mètres jusqu’au bord de la falaise. Sur la gauche, en revanche, la patrouille disparaîtrait plus longtemps.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps, les deux soldats étaient déjà de retour. Là, à seulement quelques pas d’eux, ils surprirent leur conversation, mais n’y prêtèrent pas attention. Ils ne voulaient pas les tuer, ils voulaient juste disparaître dans la nuit.

Une fois les soldats passés, Kali compta deux minutes, puis fit signe à Niven. En tentant de faire le moins de bruit possible, ils se rapprochèrent de la frontière.

Niven se chargea du grillage pendant que Kali surveillait l’endroit où les soldats avaient disparu. Dans le silence de la nuit, elle l’entendait tailler dans le métal avec la pince. Mais le temps pressait. Elle avait compté dix minutes pour les deux grilles. Il fallait qu’ils accélèrent pour la troisième.

Un flingue à la main, elle regrettait vraiment la vision nocturne de ses lentilles. Et c’est sûrement pour cette raison qu’elle ne vit les soldats que trop tard. Quand leurs silhouettes apparurent dans son champ de vision, ils l’avaient déjà repérée.

Elle jeta un bref regard à Niven, mais ils n’auraient pas le temps de passer de l’autre côté. Comme il hésitait, elle le saisit par un bras et l’entraîna avec elle. Au moment où ils se jetaient dans la course, une première balle siffla. Elle percuta le grillage juste à côté. Leur premier réflexe fut de bifurquer vers les arbres, mais des pas se firent entendre de ce côté aussi. Le seul endroit où ils pouvaient fuir, c’était le long du grillage, vers la mer.

Kali déchargea son flingue derrière et ne se soucia pas de toucher qui que ce soit. La seule chose qu’elle espérait, c’était gagner du temps. Ils couraient et Kali sentait la main de Niven dans la sienne.

Mais le chemin s’arrêta bien trop rapidement. Ils étaient arrivés au bord de la falaise. Il n’y avait aucune sortie, aucune échappatoire. La respiration courte, Kali chercha une porte de sortie. Ce n’était pas possible que tout s’écroule juste comme ça.

Et soudain, elle sentit la pression des doigts de Niven contre sa paume et tourna le regard vers lui. Il la fixait et elle vit qu’il n’y avait plus rien à faire.

Les pas se rapprochaient, de tous les côtés. Ils n’avaient pas été assez prudents, on les avait repérés et on avait attendu qu’ils passent à l’action.

Ses yeux revinrent se planter dans ceux de Niven, si sérieux, si résignés. Ils jetèrent tous deux un regard en contrebas, là où l’écume noire venait s’écraser contre les rochers. Kali hocha la tête.

Les soldats étaient déjà sur eux quand ils s’élancèrent soudain.

Le sol disparut de sous leurs pieds.

La rébellion venait de mourir. Et eux avec elle.

 

FIN DU TOME 1

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AudreyLys
Posté le 01/05/2020
Coooooouuuuuuccccoooouuuu !
Bon. Alors. Que dire de cette cruauté ? Après tout, on s'en doutait, ça aurait fini trop bien.
Mais Niven quoi ! Et Kali quoi !
En vrai je trouve cette fin bien. Je commençais à trouver l'intrigue du "couple rebelle-pas rebelle qui veut rejoindre la frontière un peu redondante". Mais tu les as tués, donc ça va.
De toute façon ils sont peut-être pas morts, tant qu'on a pas vu les corps, on sait pas :P
Alice_Lath
Posté le 29/04/2020
HAHAHAHAHHAHA, jle saaaavaaais (ça fait quand même mal au pitit coeur), purée c'est vraiment la déprime comme fin, j'avais beau pas spécialement apprécier Kali, le pauvre Niven quoi, il se prend vraiment toute la misère du monde dans la tronche depuis le début alors qu'il aurait très bien pu s'en tirer. Et leur sacrifice pour quoi? Pour rien huhu, ils sont morts, RIP, personne le saura, fin dlhistoire.
Cocochoup
Posté le 25/04/2020
Pardon ?
Fin du tome ???
Comme ça ?
Apres que je me sois mise à bien aimé kali ?
Apres que je me sois mise à esperer que ce petit couple ait droit à une seconde chance ?
Et toi tu les balances du haut d'une falaise ????
Ça va pas non ????
T'es au courant que la ligue des personnages maltraités va porter plainte contre toi ?
Y'a l'association des couples sacrifiés aussi qui en a après toi....
Et le club des lecteurs frustrés aussi !!!
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