7 : La secte

Par EmmaLy

Les choses s’enchainèrent assez rapidement après ça. Ce jour-là, j’attendis longtemps au parc avec Juliette, remerciant le ciel que la température soit plus clémente que les jours précédents. Lorsqu’enfin, la nounou apparut avec les enfants qu’elle gardait, je lui fis un petit signe. La place était toujours disponible. En une dizaine de minutes, j’avais une solution de garde pour Juliette pour la semaine suivante. Notre très longue escapade au parc eut aussi le bénéfice supplémentaire d’épuiser Juliette qui s’endormit aussitôt après avoir mangé. Enfin, au milieu de son repas exactement. J’eus juste le temps de retirer l’assiette de soupe qui était posée devant elle avant qu’elle ne tombe en plein la tête dedans.

Après l’avoir mise au lit, je partis retrouver Gabriel qui somnolait dans le canapé tout en regardant la télé sans le son pour ne pas déranger l’endormissement de notre fille. Je l’informais de l’accord que j’avais passé avec la nounou. Le prix était raisonnable, elle était sympathique, n’habitait pas très loin et respectait plus ou moins tous nos critères.

Il ne fallut pas plus d’une demi-minute à Gabriel pour comprendre.

- Okay, tu pars quand ?

Sa question me prit au dépourvu. Il ne me demandait pas pourquoi. Il essayait encore moins de me convaincre de rester. Il voulait seulement savoir combien de temps il avait encore. Je faillis fondre en larmes. La réponse que j’aurais voulu lui donner me resta en travers de la gorge. Ma réponse spontanée aurait été le plus tôt possible. C’était vrai. C’était ce que j’aurais dû faire. J’étais loin d’être la seule concernée par cette histoire. D’après Marco, la police de Bran continuait de faire la sourde oreille. Et quand la police refusait de résoudre une affaire, seul un journaliste pouvait s’en mêler. Mais je ne pouvais pas dire à mon mari que je souhaitais quitter notre maison et notre fille le plus tôt possible. J’avais honte.

Sans dire un mot, il m’attira avec lui sur le canapé et me prit dans ses bras. Je voyais les cernes sous ses yeux et une fois de plus je voyais bien combien il lui en coûtait de me laisser partir. Mais il se contenta de me tenir dans ses bras en me caressant les cheveux. Je m’en voulais. Mais j’en savais déjà plus sur cette affaire que n’importe qui d’autre qui se lancerait dessus à l’aveuglette. Les pistes ne manquaient pas. Une fois de plus, j’avais l’impression d’être prise au piège par mes choix.

Il resta un moment silencieux, me serrant contre lui, la main dans mes cheveux. Je fermais les yeux. Je me sentais bien plus jeune que je ne l’étais. Il y avait eu un moment dans notre histoire, où être blottie contre lui pouvait occulter tous les problèmes qui pouvaient me passer par la tête. Il fut un temps où être dans ses bras aurait réglé n’importe lequel de mes dilemmes et où j’aurais fait n’importe quoi pour ne pas avoir à bouger. Depuis notre emménagement, c’était comme si je faisais n’importe quoi pour m’éloigner. Je me persuadai que de cette façon je préservais notre couple. Que tant que j’étais loin, on ne risquait pas de souffrir de la routine.

- Ça va aller. Ce n’est pas grave. Je comprends que tu doives y aller. Je te connais. Quand tu commences quelque chose tu dois aller au bout. C’est aussi pour ça que je t’aime. Je ne veux pas que tu restes ici en culpabilisant chaque jour d’être restée.

Ma voix était pleine de larmes lorsque je parvins à répondre.

- Mais je culpabilise aussi de partir.

De nouveau, Gabriel prit un instant pour réfléchir. Il savait que quand j’étais comme ça, il valait mieux pour lui trouver la bonne réponse du premier coup.

Je me détestais pour ça. Je me haïssais pour cette façon dont il semblait marcher sur des œufs en permanence avec moi. Comme si j’étais une bombe qui pouvait exploser à chaque instant ou un animal sauvage capable de charger au moindre faux pas. Les années avaient passé mais ça, ça n’avait jamais changé. Je ne parvenais pas à changer. Et Gabriel ne se plaignait pas. Il se contentait de subir mes sautes d’humeur et mes moments de désespoir. J’étais incapable de prendre des décisions seules, et quand on me donnait des conseils, que je décide de les suivre ou non, tout tournait toujours à la catastrophe. Il n’y avait que deux explications possibles à cela. Ou bien c’était parce que je prenais systématiquement les mauvaises décisions. Ou bien j’étais destinée à ne vivre que des évènements catastrophiques.

Le pire était que je faisais subir mes erreurs aux autres. Tous les six mois je me persuadais que la meilleure chose était à faire était de vivre seule pour ne plus impacter personne. Me marier et avoir une fille n’était pas un très bon départ pour mon isolement. Je me sentais encagée par mes propres choix et je savais que je courrais à la catastrophe. Cela me minait dès que je prenais le temps d’y penser. Cela expliquait en quelque sorte pourquoi j’étais toujours par monts et par vaux en train d’essayer de trouver quelque chose qui me résiste suffisamment pour me détourner de mes pensées intrusives.

- Moi je pense qu’il faut que tu y ailles. On a une solution pour Juliette et je peux prendre quelques journées si besoin.

- Ouais.

- Tout va bien se passer chérie.

Et c’est ainsi que le samedi soir suivant j’étais dans un train de nuit en partance pour la Roumanie et le château de Bran. Juliette avait toute la journée du dimanche pour comprendre qu’elle était de nouveau seule avec son Papa. J’espérais que cela n’allait pas trop la déstabiliser avant le premier jour de nounou. Idiote, me disais-je. Bien évidemment que ça allait la déstabiliser, comment est-ce qu’il aurait pu en être autrement ?

Je me sentais fatiguée mais en même temps, plus en forme que durant les dernières semaines. A croire que mon corps se réjouissait traitreusement de mon départ. Bien sûr, je faisais semblant d’être surprise. Comme si c’était nouveau que je tenais à l’adrénaline. Durant le trajet, je vis des lumières défiler par la vitre tandis que je traversais une partie de l’Europe pour me rendre dans ce lieu où sans doute je n’aurais pas dû revenir. Je somnolais une partie du trajet, suffisamment pour rêver en tout cas.

Dans mon rêve, qui en fait s’approchait plus du cauchemar, je courais dans une forêt sombre. Je cherchais quelque chose que j’étais certaine de trouver. Puis des bruits se faisaient entendre. J’ignorais ce qui était à mes trousses mais je savais qu’il ne fallait pas qu’on me rattrape. En courant dans le noir je ne voyais pas ce qui se trouvait devant moi et je tombai dans un trou. Ma chute était amortie par la terre humide sur laquelle je m’étalai de tout mon long. Mais mon répit ne durait qu’un instant puisque rapidement, de la terre se mettait à tomber au-dessus de moi. On était en train de m’enterrer vivante. Tandis que la terre me recouvrait, me bloquait, me suffoquait, je hurlais. Mais l’humus emplissait ma bouche, mes poumons. Je voulais appeler Gabriel mais déjà ma vue se brouillait. Alors que je comprenais que c’était la fin, j’entendis un grand cri. Un cri que je connaissais et qui me fendit de l’intérieur. C’était Juliette.

Je me réveillais tremblante, en sueur. Un contrôleur me secouait. Je lui présentais mon billet puis allait d’une démarche hésitante au wagon bar pour prendre un café. Je vérifiai l’heure. Il n’était que trois heures du matin mais j’avais assez dormi pour une nuit ou deux. J’envoyais un message à Gabriel pour m’assurer que tout allait bien. Bien sûr, il ne répondit pas, ce que je m’efforçais de prendre comme une réponse positive. Si tout allait bien, il n’avait aucune raison de me répondre à une heure si tardive.

J’allumai mon ordinateur et repris les nombreuses notes que j’avais prises lors de mon dernier voyage, ainsi que l’article qui était à l’origine de mon retour sur cette affaire. Je soufflais en le relisant. Je n’avais jamais pensé l’envoyer à Marco. Je n’y avais pas même apporté les corrections les plus basiques. Le style était mauvais. Etonnamment factuel venant de moi. Il aurait pu être écrit par une intelligence artificielle qu’il aurait eu plus de personnalité. Cela me mettait un peu en colère que ce torchon ait été publié sous mon nom. D’ordinaire, mes articles valaient mieux que ça. Et dire que Marco avait trouvé celui-là très bon. Peut-être avait-il pensé que j’avais enfin décidé de suivre ses conseils. La vérité était que j’étais simplement abrutie de fatigue et que je n’avais pas été capable de donner à mon article le mordant que je veillais toujours à insérer en sous-texte.

Au moins, cela pouvait être une base pour un rapport plus détaillé. Je mis à profit la suite du trajet pour tenter de réfléchir à une stratégie qui tenait la route, d’après les éléments que j’avais. Le recrutement en ligne par un inconnu qui promettait monts et merveilles et la disparition dans un pays étranger, l’étrange communauté que j’avais vu quasi racketté les fidèles dans l’église de Bran. La première chose que ça m’évoquait c’était un genre de secte. Je me renseignai un peu sur les dernières affaires de ce style. Ce n’est qu’à ce moment-là que je commençais à comprendre à quoi je m’attaquais. J’avais une image un peu clichée des sectes et même si je savais vaguement que les gourous de ce genre d’organisation étaient loin d’être des chatons, je n’avais jamais mis le nez dans ce qu’ils faisaient en réalité.

Avant ces recherches plus approfondies, j’étais donc plus ou moins aussi ignorante que tout le monde. Je savais ce qu’ils faisaient sans vraiment le savoir. Traite d’êtres humains, proxénétisme, suicides collectifs… Ce n’était pas la seule chose qui me fit tiquer tandis que je parcourais les différents articles que je parvenais à trouver. Il n’y avait pas des centaines de méthodes de se renseigner sur une secte. Il fallait être en contact avec un des membres, ce qui était extrêmement difficile et risqué, ou se faire passer pour quelqu’un qui voulait intégrer la secte. Ce qui risquait de poser problème était que je ne correspondais pas exactement aux critères de recrutements de la secte. Restait à espérer que je puisse m’y glisser en tant que fervente admiratrice des vampires.

Je réfléchis à une couverture. Lorsque le jour se leva, j’en avais une. Pour éviter de me trahir, je laisserai mes papiers à mon fixeur, il pourrait me les fournir en cas de besoin. Mon téléphone pro aussi. Je fis un peu de tri dans le perso pour ne pas me trahir. Je serai donc Cara, française d’origine italienne, divorcée d’un mari violent, professeure de sociologie des contes et fervente admiratrice des vampires depuis toujours. Restait à espérer que ça suffirait. Nombreuses étaient les sectes à deux vitesses qui exploitaient certains membres pour le bénéfice des autres. J’allais devoir compter là-dessus.

À chaque changement de train, j’envoyais un message à Gabriel. Bien sûr, il ne répondit pas. Il devait dormir. On n’était que dimanche matin après tout et il était encore tôt. Tandis que l’aube brillait derrière la vitre sale et embuée du train, je pris un moment pour réfléchir. Je pensais à ce que je m’apprêtais à faire. Au cri de Juliette dans mon rêve. Je n’avais pas de doute sur ce que j’allais devoir faire pour intégrer la secte. Dans le meilleur des cas, la servante, dans le pire des cas... Je me forçais à respirer calmement, une inspiration après l’autre. Avais-je seulement le choix ? C’était sans doute mon seul espoir de retrouver mon poste.

Je parcourais les discussions que m’avait envoyé la mère éplorée. Elle avait conservé tous les messages que son fils avait échangé avec celui qui semblait être le gourou de l’organisation. La teneur des échanges et des promesses de l’inconnu ne me laissait aucun doute sur ce que serait mon rôle. Il promettait au jeune homme de nourrir sa puissance par les offrandes des humains ainsi que la chair des femmes qu’il allait subjuguer grâce à ses pouvoirs ancestraux. Quel tissu de conneries. Mais au moins, j’étais fixée.

J’hésitais à appeler Marco. Il n’avait peut-être pas saisi que mon enquête prendrait cette tournure. Ce n’était pas quelque chose qu’on pouvait demander à une employée. Pas en France en tout cas. Mais je n’étais plus son employée. Les nombreux CV que j’avais envoyé ailleurs n’avaient jamais reçu de réponse. Cette enquête-là était plus ou moins ma seule chance de retrouver mon taf. Si nous avions eu plus de temps, nous aurions pu faire autre chose. Trouver une autre stratégie. Enfin Marco aurait sûrement simplement conseillé que je trouve une fille sur place qui accepterait de faire le boulot à ma place. C’était hors de question. Ce ne serait pas moins problématique si quelqu’un d’autre le faisait.

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HinaCoven
Posté le 27/07/2024
Les choses avancent et bien, je suis de plus en plus piquée par la curiosité !

La discussion entre elle est sont mari est un tournant bien amené, et encore une fois les dialogues sont magnifiquement bien géré.
On sent sa culpabilité mais tout semble fluide et non forcé.

Deux choses seulement ne me semble pas clair, mais c'est peut être moi. Je me permet tout de même de te les soumettre :

- Elle n'a pour le moment aucunes garantie que la secte en question vénére les vampires, oui c'est sous entendu mais pour se lancer et aller les voir ça me paraît un peu risqué. Mais c'est peut être un choix de ta part.

-Pourquoi changer d'identité ? Il savent très bien qu'elle est une journaliste, elle a même essayé d'interroger beaucoup de personne dans la ville. De plus si du verre à été mis dans ses draps, c'est surement pour la faire fuir - elle a donc bien été remarquée-
Elle ne s'est pas absenter un an, et je pense pas qu'il ai oublié sont visage ?
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Nan alors effectivement, elle part peut-être un peu vite en besogne (pour l'histoire des vampires, elle l'a lu dans les échanges de message entre le gourou et l'ado qui a disparu, mais c'est possible que je l'ai pas dit de façon claire) et effectivement ton deuxième point est 100% legit puisque je n'y avais pas pensé, la demoiselle va se déguiser je pense !
Papayebong
Posté le 25/07/2024
De nouveau moi ^^

Ce chapitre me parait plus fluide et la ligne de dialogue avec Gabriel permet de faire avancer sa reflexion, de la décider.

Toujours les phrases qui me font réagir : avant qu’elle ne tombe en plein la tête dedans. > tournure
Ce qui risquait de poser problème était que je ne correspondais pas exactement aux critères de recrutements de la secte. > étant donné que je ne correspondais pas exactement (pas vraiment) par exemple.

Je pensais à quelques chose, est-ce que la mise en page de ses pensées et ses remarques à elles même ne pourraient pas être différenciées ?
Exemple : il promettait au jeune homme de nourrir sa puissance par les offrandes des humains ainsi que la chair des femmes qu’il allait subjuguer grâce à ses pouvoirs ancestraux.
"Quel tissu de conneries ! Mais bon, au moins, j’étais fixée."

C'est juste une idée comme ça. Peut-être que ça permettrait de faire cohabiter le double niveau de langage dans les "longs" paragraphes déroulant ses pensées et les événements.
Qu'est-ce que tu en penses ?
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Ah oui effectivement, je peux clairement retravailler la mise en page pour alléger et clarifier les choses ! Merci pour ton commentaire (et je note aussi les tournures qui te gênent, je vais voir pour les retravailler)
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