6 : La décision

Par EmmaLy

La situation devint rapidement impossible. Il me semblait que je venais à peine de rentrer et déjà, je voulais repartir. Je cherchais comment aborder le sujet, quelles raisons mettre en avant pour mon départ. Comment expliquer que je devais partir. Bien sûr, je savais que je n’avais aucune bonne raison de m’impliquer davantage dans cette histoire. Cela ne m’apporterait rien, pas même de l’argent. A moins que je trouve un arrangement avec le journal, mais il ne fallait pas trop y compter. Bien sûr je pouvais expliquer à Gabriel que j’étais déjà impliquée mais je savais que l’argument était assez fallacieux. Je me mentis à moi-même pendant quelques jours encore, prétendant que j’attendais le bon moment alors que je n’avais simplement pas le courage de parler à Gabriel.

Le premier soir, il rentra si fatigué qu’il alla se coucher sans même prendre le temps de manger. Le deuxième soir, Juliette s’endormit tôt et nous eûmes un peu de temps tous les deux. C’était ce genre de soirées dont nous avions rêvé pendant nos années d’études tandis que nous étions tous les deux dans des villes, parfois des pays, différents. Ce genre de soirées où, blottis l’un contre l’autre sur le canapé, un plaid moelleux et doux sur les genoux, on somnolait devant un film.

Je ne pouvais pas interrompre ce genre de moments dont nous avions rêvé et que nous avions si peu eu pour dire que je voulais de nouveau m’esquiver. Bien sûr, nous avions pu savourer un peu notre cohabitation entre mes différentes missions et, bien sûr, pendant ma grossesse où il avait été plus simple pour lui de me garder près de lui, même si mon hyperactivité avait mal supporté ça. Je m’agitais tellement que rapidement je m’étais retrouvée à devoir rester à la maison et allongée pour éviter de me fatiguer trop. Mais en dehors de ces moments où Gabriel s’était fait un plaisir de rester collé à moi autant qu’il le pouvait pour une fois que je ne pouvais pas m’échapper, nous n’avions pas si souvent de ces moments romantiques et reposants à deux.

Je ne pouvais pas m’en empêcher. Bien sûr, je l’aimais, bien sûr j’aimais être avec lui, bien sûr j’avais choisi que nous habitions ensemble mais j’étais incapable de tenir en place. J’avais besoin de changer d’air régulièrement. Mon travail de journaliste avait été l’échappatoire idéal. Gabriel s’était rapidement fait une raison. Il prenait ce que je pouvais lui offrir et jamais il ne m’en aurait demandé davantage. Peut-être qu’il le regrettait parfois. En tout cas, il ne me l’avait jamais dit. Il ne s’était pas plaint. Il comprenait que j’ai besoin d’avoir ma vie, d’avoir d’autres priorités que simplement notre petite vie familiale.

J’étais habituée à recevoir des leçons à ce propos. On me disait égoïste, irresponsable et depuis peu, on me disait également que j’étais une mauvaise mère et que je n’aurais pas dû avoir Juliette. Peut-être y avait-il un chouia de vérité dans toutes ces critiques. Peut-être est-ce à cause de ces fameuses critiques que je laissais trainer les choses. Peut-être que j’étais fatiguée d’encaisser ces reproches qui, souvent, étaient amplement mérités. Peut-être que je voyais que la reprise était difficile pour Gabriel. Bien sûr, reprendre le travail lui avait fait du bien mais comme prévu, Juliette lui manquait. Il craignait d’être un mauvais père s’il n’était plus aussi présent. Il avait besoin de moi et pour une fois, je me sentais utile en restant à la maison.

J’appelai Marco pour lui expliquer la situation. Il me promit de me laisser encore une semaine de réflexion pour décider si oui ou non je passais mon tour et s’il pouvait refiler l’info à Laura. Je me doutais déjà qu’il serait hors de question pour elle de se mêler de cette histoire après ce qui m’était arrivé mais je ne pris pas la peine de le mentionner à Marco. Il s’en rendrait compte bien assez tôt. Lors d’une de mes sorties au parc journalières avec Juliette, je me mis à discuter avec une nounou que j’avais déjà vue plusieurs fois. Au milieu de la conversation, elle me dit qu’un des enfants qu’elle gardait allait bientôt entrer à l’école et que donc, elle aurait bientôt une place. Elle me demanda si j’étais intéressée pour Juliette. Je répondis distraitement que j’allais en discuter avec mon mari mais que cela ne pressait pas vraiment.

J’avais plus ou moins l’intention de laisser toute cette histoire périmer d’elle-même, que Marco refile le plus gros scoop de ma carrière à ma remplaçante, elle m’avait déjà piqué mon poste de toute façon, je n’étais plus à ça près et que la place chez la nounou me passe sous le nez. A la mère éplorée, je répondis que j’étais en négociation avec mon ancien journal pour faire l’enquête en leur nom ce qui était assez faux. Je préférais ne pas prendre la décision moi-même.

Certains de mes proches trouvaient cette lâcheté proprement insupportable mais c’était comme ça que je fonctionnais. Lorsqu’un choix était trop difficile pour moi, je laissais les choses pourrir pour ne plus avoir le choix. Ce n’était pas une assurance de faire le bon choix mais ce qui était sûr c’est que ça me simplifiait la vie.

 Je pense que je me demanderai toujours ce qui ce serait passé si j’avais décidé de m’investir dans cette enquête dès que j’avais reçu le mail. Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Aujourd’hui je ne le sais toujours pas mais je frissonne encore à l’idée de ce que j’aurais pu empêcher si je m’étais montrée plus honnête et plus consciencieuse.

Ce jour-là, j’ignorais encore qu’au fur et à mesure que j’allais plonger dans l’une des pires affaires que j’avais pu couvrir, j’allais regretter chaque jour de ne pas m’en mettre mêlée plus tôt. J’étais au parc avec Juliette. Elle commençait tout juste à marcher et le square était idéal pour la laisser explorer un peu, en sécurité grâce à la barrière qui entourait le petit parc et au tapis de mousse artificielle qui couvrait le sol. Je la regardais distraitement quand tout-à-coup mon téléphone sonna. De nombreux enfants levèrent la tête de leurs jeux, cherchant à savoir d’où venait ce bruit, si le téléphone qui sonnait était celui de leur papa ou de leur maman et si cette sonnerie allait également sonner l’heure de rentrer. Je regardai qui m’appelai. Marco. Il était 15H04. Ce qui voulait dire qu’il était encore au bureau. Ce qui signifiait que c’était un appel pro et non pas un simple coup de fil de courtoisie d’un ancien collègue. Je décrochais.

- Em ! Tu as regardé les infos ?

- Bonjour Marco.

- Si, ciao, tu as regardé les infos ?

- Non, de quoi tu parles ?

Depuis que je n’étais plus au journal, je ne suivais plus l’actualité que de loin, donc surtout par les alertes souvent complètement idiotes de mon téléphone. S’il parlait d’un truc un peu plus sérieux que de révélations sur des vieilles affaires assez inintéressantes mais qui passionnaient le public ou de la recette préférée des Français cet automne, je risquais en effet d’être passé à côté.

- Em, tu m’écoutes ?

- Euh. Tu disais quoi ?

- Il y a eu d’autres disparitions. D’autres gamins malades ont disparu. Un Français vient de disparaître. Il n’y a pas d’alerte enlèvement pour l’instant parce que le gamin a l’air d’être parti de son plein gré. En fouillant un peu, il y en a d’autres. Pas seulement en France, un peu partout en Europe.  Mais certaines familles ont mis du temps à les déclarer. Et il y en a peut-être même plus. Mais je crois que certains considèrent que le gamin est parti de son plein gré et que du coup ils n’ont pas à s’en mêler.

- Ah.

C’était tout ce que je trouvais à répondre. Je ne savais pas quoi dire.

- Em, j’ai discuté avec Laura, elle ne veut pas questo sogetto. Elle culpabilise déjà d’avoir piqué ton poste, elle refuse de te piquer ton scoop.

- Ouais et sans journal, j’en fais quoi de mon scoop ?

- On peut toujours te prendre comme pigiste ?

- T’es sérieux ?

- C’est tout ce que je peux te proposer. On pourra pas payer tes frais sur place, mais tu peux faire ton enquête et on la publiera.  

- Mouais.

- Il faut que tu y ailles. Je vais pas confier ça à un des bras cassés du bureau. T’étais notre meilleure journaliste, si toi tu t’es fait repérer, t’imagines pas ce qui va leur arriver à eux. Ils sont incapables de subtilité.

- Ça, il fallait y réfléchir avant de me virer.

- Ascolta, non è mia colpa.

Je réalisais que je l’avais vraiment mis en rogne. Les moments où il était énervé étaient les seuls moments où il oubliait complètement de parler français.

- Et c’est ma faute peut-être ?

- En partie. Je t’avais prévenue bien avant ton congé maternité. Tes articles étaient trop engagés. Ça ne plaisait pas aux chefs. Je ne suis que rédacteur en chef. J’ai encaissé un certain nombre de blâmes à ta place en disant que je t’avais donné cet axe pour traiter tel ou tel sujet. Combien de volta je t’ai demandé de lever le pied, de te faire un peu oublier avant ton congé mat ? Combien de fois ?

Il avait raison bien sûr. Cela faisait un moment que la tête du journal était à la recherche d’un moyen pour se débarrasser de moi. Je le savais. Mais j’avais joué avec le feu. Je m’étais dit que tant que j’étais au journal, j’avais un moyen de faire entendre mes idées. Que ça durerait tant que ça durerait mais qu’au moins je faisais avancer les choses. En tout cas, c’était ce que j’avais tenté de faire. A l’époque j’ignorais encore que Marco m’avait protégée comme il avait pu. Il n’avait pas voulu mettre en jeu sa carrière mais je comprenais soudainement qu’il avait encaissé autant qu’il avait pu sans se mettre en péril.

Il m’avait mise en garde des mois avant que je reçoive les premiers mails officiels du siège qui m’enjoignaient de changer de ton. A l’époque, je ne l’avais pas écouté. Il avait laissé entendre qu’en tant que rédacteur en chef il était en partie responsable de ce que j’écrivais et que mes partis pris risquaient de lui attirer des ennuis. Une fois de plus, j’avais pensé que j’étais plus maline que les autres et que j’étais intouchable, puisque comme le disais Marco, j’étais une des meilleures journalistes du service. Je parvenais à obtenir des témoignages là où de nombreux autres n’y parvenaient pas. Pour une raison que j’ignorais je mettais les gens à l’aise et ils semblaient me faire confiance plus facilement qu’à certains de mes collègues.

Cela dit ce que Marco me disait m’expliquait aussi pourquoi il n’avait pas été si content pour moi lorsque je lui avais annoncé ma grossesse. Bien sûr, je pouvais causer du tort au journal en publiant ce que j’allais trouver chez un journal concurrent. Mais Marco ne méritait pas ça et c’était lui qui serait rendu responsable si on apprenait que c’était lui qui m’avait mis en relation avec ma source principale et qu’à cause de lui, le scoop était passé sous le nez du journal. Cette fois, c’était certain qu’il allait perdre son poste.

- Okay. Je vais le faire.

J’entendis Marco pousser un soupir de soulagement.

- Grazie mille.

- C’est ça, grazie mille, je vais avoir besoin que tu me donnes les coordonnées d’un fixeur, la plaisanterie de l’autre fois ça m’a bien amusée mais si tu veux que je trouve quelque chose va falloir que quelqu’un m’aide. Au moins un peu.

- Okay, je t’envoie ça par sms.

- Thanks.

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HinaCoven
Posté le 27/07/2024
J'aime beaucoup comment tu caractérise ton personnage !

L'introspection qui laisse entendre que les choses vont dérapée est bien amenée

Il y a seulement quelques répétition et tournures de phrases qui saccadent un peu le texte et peuvent donc couper lors de la lecture
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Merci pour ton commentaire, je jetterai un œil aux répétitions effectivement
Papayebong
Posté le 25/07/2024
Alors chapitre intéressant, mais pas mal de formulations qui me font tiquer.

Il me semblait que je venais à peine de rentrer et déjà, je voulais repartir. > tourné différemment pour que ce soit plus "agréable" à l'oreille. Parfois je lis à haute voix pour voir si c'est plaisant, fluide ou s'il faut reformuler.

Je ne pouvais pas interrompre ce genre de moments dont nous avions rêvé et que nous avions si peu eu pour dire que je voulais de nouveau m’esquiver. > une virgule entre eu et pour ou reformuler ( par exemple : je ne pouvais pas interrompre l'un de ces rares moments que nous rêvions d'avoir pour...)

Bien sûr, je l’aimais, bien sûr j’aimais être avec lui, bien sûr j’avais choisi que nous habitions ensemble > idem ici. Un langage à mi chemin entre le parlé et la pensée narrative. Avec une tournure différente, une ponctuation adaptée, on apprécierait plus l'ambivalence de la situation de ton héroïne.

Beaucoup de "bien sûr".
Je n'ai pas la science infuse (ni une licence de lettre) mais j'ai relue plusieurs phrases car j'ai cru à une erreur de français avant de voir que c'était correct mais un peu en dent de scie dans les tournures de phrases.

Surtout ne le prends pas mal ! Il y a zero malveillance dans mes propos, juste l'envie de lire une version pimpé de ton texte ^^
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Hello !
Merci beaucoup pour ce commentaire long et précis, je ne le prends pas mal ne t'inquiète pas, et si j'ai choisi de mettre mes textes en ligne, c'est bien sûr pour avoir des retours me permettant de les améliorer donc merci à toi d'avoir pris le temps de me signaler ces imperfections =D
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