De larges flocons blancs se jetaient des nuages sombres, ils effaçaient la terre, la pierre, le bois et l'homme demeuré trop longtemps agenouillé. Neyol ne sentait rien, son esprit était trop occupé à fouiller sa mémoire. Sa mère était une sorcière. Le sang vicié de ces créatures maléfiques coulait dans ses veines et il n'en avait aucun souvenir. Le pirate se releva. Il sembla naître de la terre. Alina n'était plus là mais, sur son épaule, il sentait toujours la main de la sorcière, comme une empreinte indélébile. Il secoua ses vêtements enneigés. Pour la première fois de sa vie, il ne savait que faire. Les montagnes avaient disparu derrière la tempête de neige. Le vent s'était levé et portait de lancinantes plaintes dans ses bourrasques . Le froid était intense, Neyol frissonna. Les sensations revenaient.
— Alina!
Sa voix mourut dans les bourrasques. Les lamentations se faisaient plus fortes et, dans le rideau opaque de neige, des silhouettes apparurent, une, deux puis dix, puis cent. Elles semblaient surgirent des entrailles de la terre. Immobiles quelques instants, elles se mouvèrent toutes en même temps. Neyol ne s'aperçut pas immédiatement dans quelle direction elles venaient. Puis rapidement, il sut qu'elles avançaient vers lui. Il recula lentement et se mit à courir, jusqu'à ce que le sol disparaissent devant lui. Il glissa et manqua de tomber. Neyol fit face à la menace.
— Alina!
Ses appels restaient sans réponse. Les ombres continuaient leur sinistre chemin vers le capitaine. Soudain le vent et la neige cessèrent. Les silhouettes, peu à peu, se révélèrent aux yeux de Neyol tandis que les montagnes se dressaient de nouveau devant lui. Des femmes au teint cadavérique se tenaient la main et avançaient dans sa direction. La complainte qui emplissait l'air froid n'en était pas une, les sorcières prononçaient un mot.
Un prénom.
— Ne-Yol.
Le pirate n'avait pas souvenir d'avoir eu peur mais à cet instant, cette émotion tapait dans sa poitrine comme si un intrus était dans son corps et cognait son thorax de l'intérieur.
— Ne-Yol.
— Alina!
Le capitaine suait malgré le froid. Instinctivement il plaça sa main à sa ceinture pour prendre le sabre qu'il n'avait pas.
Je suis mort.
Il se mit à genoux lentement. La tête baissée, contemplant la neige si blanche du sol.
La neige est sans doute la plus belle chose que j'ai pu voir.
Les ombres montaient sur lui.
Il était prêt à mourir.
Son père vint dans une pensée, ce minable alcoolique, qui finalement, n'avait peut-être pas été aussi lamentable que ce qu'il croyait.
Les enfants, parfois, ne comprenaient pas les décisions de leurs parents. En grandissant les incompréhensions croissaient avec les rancœurs et un jour, la lumière surgissait et ils savaient.
Neyol sourit. Lui qui pensait mourir sans regrets. Ces derniers l'assiégeaient. Il les accepta.
Les ombres n'étaient plus qu'à quelques mètres.
— Ne-Yol
Le pirate ne se battrait pas. Ils les laisseraient le déchiqueter ou le dévorer. Ces sorcières étaient capables de tout.
L’envoûtante Alina ne viendrait pas. Elle l'avait abandonné.
Les silhouettes tendaient les bras vers lui.
Neyol se releva, il ne mourrait pas à genoux devant ces créatures.
— Approchez sorcières! Approchez!
Il tendit les bras en croix et pencha la tête en arrière. Le ciel, vierge de nuages, resplendissait. Il s'emplit les yeux de bleu azur puis ferma ses paupières.
Neyol sentit les mains le toucher. Les ongles des sorcières entaillèrent sa peau. Leurs dents s'enfoncèrent dans ses jambes.
Une odeur de pourriture s'introduisit dans ses narines.
C'était la fin.
Il ne cria pas.
Le silence légendaire du pirate qui meurt.