Shardo était assis devant le cadavre décapité. Une chopine de rhum à la main, il réfléchissait. Le corps dans tête n’avait pas saigné, même pas une petite gouttelette. Cette créature n’était pas vivante, ce n’était qu’un pantin.
— Donne moi ton avis Romdath. Tu crois que j’ai bien fait ?
Son second était debout à ses côtés, la tête penchée pour éviter de se cogner à la charpente. C’était un grand jeune homme maigre comme un beaupré. Ses cheveux blonds étaient si crasseux qu’ils semblaient presque bruns, ils tombaient en bouclette sur sa chemise jaunie. Son visage émacié et son long nez lui donnait un air de volatile affamé.
— Capitaine, la dernière fois que je vous ai donné mon avis j’ai perdu ma main gauche que j’aimais beaucoup.
Romdath leva son bras auquel il manquait une bonne partie. A la place de sa pogne une lame effilée et tranchante, comme le rasoir du barbier fou du Port des Gloves, faisait de lui un redoutable combattant. Dalfer ricana.
—Tu as perdu ta main mais tu as gagné une arme redoutable. Tu devrais me remercier.
Romdath regarda l’arme plantée dans son moignon.
—Si vous le dites Cap.
—Tu manques cruellement de conviction mais je peux comprendre, je me souviens quand j’ai perdu mon oreille droite à une partie de poker.
Shardo s’arrêta de parler, égaré quelques instants dans son passé tumultueux puis revint au présent.
— Je te donne ma parole que je ne te couperai rien. Je veux juste que tu sois honnête.
Le jeune homme prit une inspiration.
— Lui couper la tête était peut-être un peu extrême.
Le capitaine mit immédiatement la main sur son sabre.
— Et si je coupais la tienne !
— Non non non Shardo. Tu m’as donné ta parole !
Romdath avait reculé se cognant la tête au plafond. Le pirate se mit à rire.
— Je blaguais petit.
Dalfer sourit méchamment.
—Tu sais que je tiens toujours parole quitte à prendre des décisions contestables. Ma parole est la seule vertu que j’ai. Si je ne la respecte pas. Je ne suis plus rien.
Shardo eut une pensée rapide pour son père, qui lui avait enseigné cette seule chose.
— Et pourquoi penses tu que j’ai agi avec excès ?
— C’était une créature fascinante. On aurait peut-être pu en savoir plus sur elle.
— Mon instinct me dit qu’elle était dangereuse.
Shardo grogna.
— N’en parlons plus ! Ce qui est fait est fait. Va me chercher sa tête et tu la balances dans un tonneau de rhum.
Devant l’expression dubitative de son second, il ajouta.
— C’est un secret de cuisine de ma grand-tante. Je n’avais jamais osé le mettre en pratique.
A contre coeur, Romdath descendit dans la cale. Il détestait cet endroit humide et chaud. Tout un bric à brac était entreposé dans la cale. La tête était introuvable. Elle avait du rouler plus loin à cause du fort roulis. Les ronflements de ses compagnons couvraient presque le bruit du tonnerre. Les hamacs grinçaient au gré des vagues. Les chopes de rhum vides ou presque roulaient de gauche à droite en cliquetant. Ses yeux s'habituant à la semi-obscurité, Romdath distingua une masse plus sombre qui suivaient les chopines.
Il venait de trouver la tête. Il l'attrapa par les cheveux et la souleva pour la regarder.
Les cicatrices avaient disparu, les yeux grands ouverts d'Alina le regardait et un sourire se dessinait sur ses lèvres.
Le second lâcha la tête.
— Aie! Ca fait mal!
Le visage sans corps parlait et il riait.