Le dit de Lao (quatrième veillée)
Ami, si tu veux un exemple de l’ingratitude de notre prince, écoute donc la suite de mon récit.
Après que j’eus tué la vilaine créature qui s’abreuvait à la gorge de cet esclave malchanceux, qui était aussi mort que les ancêtres de ma douce Tillia, Kaecilius perdit l’esprit. Il poussa un cri de douleur, puis, profitant de ma confusion, me déroba le glaive que je lui avais dérobé. Tout en m’accusant d’avoir tué sa sœur, il essaya de me transpercer de sa lame, comme si je n’étais qu’un vulgaire démon. Perdant le peu de patience dont je disposais après une journée entière passée sur les routes, et craignant qu’il n’ameute tout le quartier avec ses cris de pleureuse professionnelle, je fus réduit à la dernière extrémité : j’attaquai Son Altesse impériale le Prince Vertueux Kaecilius Hostilianus.
Ou plutôt, je l’empêchai de me nuire.
Mon index et mon majeur frappèrent quelques points stratégiques de son anatomie. Je bloquai le flux de son spiritus dans son bras, si bien que son glaive tomba au sol non loin du cadavre de celle qu’il croyait être sa sœur. Je fis de même avec sa gorge ; Kaecilius fut réduit au silence. Quand il prit conscience de ce que je venais de faire, et avec quelle facilité, ses yeux s’écarquillèrent de peur.
« Si tu fais mine de m’attaquer à nouveau, ce n’est pas ton bras que je vais neutraliser », le menaçai-je.
Mis hors de lui par mon sous-entendu, il essaya de protester, mais ne put émettre aucun son. Je grimaçai, me demandant si, dans ma précipitation, je n’avais pas appuyé un peu trop fort au point de compromettre la circulation pérenne de son spiritus.
« Ne t’inquiète pas. L’usage de ton bras devrait te revenir rapidement. De même que ta voix… »
Je fis une pause, hésitant.
« Pour la voix, peut-être que ça mettra plus longtemps, mais ne t’inquiète pas. Ce n’est pas permanent… Enfin, je crois », fis-je, avec mon sourire le plus rassurant.
Ce soir-là, j’appris que Kaecilius savait être très expressif quand il le voulait. Je fus agoni d’injures silencieuses. Sa colère irradiait tellement que les rayons de la lune palissaient en comparaison. Il voulut me frapper de son bras valide, mais je retournai l’énergie de son mouvement contre lui et le fit tomber au sol. Pour qu’il arrête de s’agiter, je dus m’asseoir sur son dos.
Me penchant au-dessus de son oreille, je lui murmurai :
« Du calme, mon Prince. Tout ceci n’est qu’un malentendu. C’était de la légitime défense. Pendant un bref moment, tu as voulu ma mort. Je me suis assuré de survivre assez longtemps pour te convaincre que tu commettais une erreur. Ne m’oblige pas à te paralyser entièrement. Je trouve très déplaisant de perturber le spiritus d’autrui. Toi aussi ? L’expérience n’est pas agréable ? Cela ne me surprend guère. D’ailleurs, la première fois que j’en ai été moi-même la victime, je dois avouer que… »
Mes yeux se posèrent sur les cadavres qui nous entouraient. Je m’arrêtai de parler. Ce n’était ni le lieu ni le moment de partager avec lui un souvenir de ma jeunesse.
Cela ne faisait que quelques minutes à peine qu’elle avait été tuée, mais déjà la lamie commençait à retrouver son visage infernal. Chez les membres de son espèce, l’illusion pouvait demeurer plusieurs heures après la mort. Le specimen que j’avais devant les yeux avait dû être jeune – ou d’une puissance limitée. Était-elle seulement adulte ? Ses jambes fusionnaient de nouveau en une queue reptilienne, et la lumière pâle de l’orbe au-dessus de mon épaule faisait luire des écailles qui semblaient repousser à même son derme. Tout ceci n’était qu’une illusion. À aucun moment, la créature ne s’était départie de son corps de vipère.
Kaecilius retrouva un semblant de raison, et de calme, lorsque je l’obligeai à regarder le visage de celle que j’avais tuée sans hésitation. Je le relevai, époussetai ses vêtements afin de lui donner un air présentable (c’était un prince, après tout), et lui parlai d’une voix que je gardai douce à dessein. Quand je voulus sécher ses joues, il écarta ma main. Il venait de récupérer l’usage de son bras.
Je fus tenté de me moquer de son comportement, mais j’eus pitié de lui et gardai le silence. Même si tout cela n’avait été qu’une illusion, pendant un bref instant, il avait vu mourir sa sœur. Pour le corps, il importait peu que ce fût vrai ou non. La réaction, le choc, étaient identiques : il avait perdu un être cher. Les vibrations de son spiritus m’indiquaient qu’il essayait de lutter contre la vague de tristesse qui le submergeait. C’était dans ces moments-là qu’on devenait le plus vulnérable.
Sa honte d’avoir été berné par une créature infernale, voire d’avoir pleuré devant moi, se transforma très vite en colère.
« Je tuerai tous ceux de ton espèce, cracha-t-il en direction du cadavre. Comment oses-tu voler les traits de ma sœur jumelle ? »
Sa voix n’était pas entièrement revenue. On aurait dit un croassement. Mais je fus soulagé de ne l’avoir pas endommagée de manière permanente. Ç’aurait certainement signé mon arrêt de mort.
« Oublie cette créature, lui conseillai-je. Nous devrions partir de cette villa et, si tu insistes pour l’explorer, revenir en plein jour.
— Hors de question, répondit cette tête d’âne. Nous devons profiter du manteau de la nuit pour passer inaperçus. L’Empereur serait furieux s’il apprenait ma présence en ces lieux.
— Il y a pire trahison que…
— Tout est un motif de trahison quand on évolue dans les hautes sphères du pouvoir, me coupa-t-il, sentencieux.
— Bénis sont les esclaves qui n’ont pas à se soucier de ce genre de dangers », répondis-je.
Il ne remarqua pas mon sarcasme. Évidemment.
Il hocha la tête comme pour me donner raison, puis il jeta un dernier regard en direction de la lamie.
« Poursuivons notre recherche, dit-il enfin.
— Que faisons-nous du cadavre du gardien ?
— Rien. Un administrateur impérial finira bien par le découvrir un jour. »
Choqué, je n’eus pas à feindre ma réaction.
« Mais que t’ont donc appris tes maîtres ? Est-ce donc de cette manière que les Vertueux se comportent de nos jours ? »
Il avait déjà commencé à reprendre son chemin, mais mes paroles le firent se retourner.
« Que t’arrive-t-il encore ?
— Que tu ne veuilles pas t’occuper du cadavre de la lamie, je le comprends, mais de celui qui a appartenu à ta famille et qui l’a servie fidèlement jusqu’à sa mort ?… »
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son n’en sortit. C’était peut-être le contrecoup de ce que je lui avais fait. Il s’éclaircit la gorge et essaya de nouveau.
« Je… je ne comprends pas, fit-il dans un rare moment d’honnêteté.
— Tu peux mépriser les esclaves, c’est ton droit. Ton statut de prince te place au-dessus de tout le monde. Mais n’oublie pas que ce sont aussi des êtres humains, qui, comme toi, souffrent et aiment à égale mesure. Penses-y. Est-ce que tu aimerais qu’on laisse ton cadavre pourrir sans avoir reçu les rites funéraires ? Qu’on te condamne à errer sur cette terre ?
— Je suis le neveu de l’Empereur et l’arrière-petit-fils de la Grande Impératrice. Mes funérailles seront nationales. Des temples seront même bâtis en mon honneur. »
Ce fut à mon tour de garder le silence. Qu’aurais-je pu répondre à cette jeunesse qui ignore sa fragilité et les aléas de la fortune ? Je lui adressai un sourire triste, puis, je me détournai de lui et partis en direction de la villa.
« On n’a pas terminé cette discussion, siffla-t-il dans mon dos. Démon, tu ne peux pas te défiler ainsi ! Explique-toi. Pourquoi souriais-tu ?
— Même si mon temps est moins compté que le tien, dis-je, en poursuivant mon chemin, ça ne veut pas dire que j’aime le perdre en vaines discussions. Si tu ne comprends pas que toute vie mérite respect, en particulier le tien, je ne peux rien pour toi…
— … dit celui qui a tué la Lamie, sans hésitation, rétorqua-t-il.
— Et je pourrais te tuer de la même manière et abandonner ton cadavre à côté du sien. Je me demande combien de temps l’administrateur impérial mettrait avant de te découvrir. Penses-tu que ce serait avant ou après que tu es devenu un Lémure ? »
Quand j’entrai dans la maison, un air vicié emplit mes poumons. À en juger par la poussière qui recouvrait toutes les surfaces, le gardien ne s’était pas chargé du ménage depuis de nombreux mois. Il n’était pas surprenant qu’une lamie fût venue s’installer ici. Les créatures infernales aiment occuper les lieux que les vivants délaissent.
Pendant quelques minutes, tout en explorant la pièce dans laquelle je me trouvais, je cherchai à expliquer ce que nous avions rencontré dans le jardin. Comment la lamie avait-elle pris les traits de Silvia Hostiliana ? Avait-elle été en contact avec cette dernière ? Devions-nous nous attendre à trouver un nouveau cadavre derrière un paravent empoussiéré ?
Pourvu que ce ne soit pas le cas. Je craignais que Kaecilius ne devînt redoutable sous le coup d’une intense douleur, comme il en avait déjà montré les signes annonciateurs quelques instants plus tôt.
Une vie à la cour lui avait appris à corseter ses instincts, à étouffer la violence de ses passions. Je ne souhaitais pas être dans les alentours le jour où cette retenue se briserait comme un barrage après de grosses pluies.
Mon attention fut ramenée à la pièce que j’inspectais. Sur l’un des murs, la présence d’une fresque venait d’attiser ma curiosité. J’approchai mon orbe le plus près possible. Il s’agissait d’un portrait de famille, réalisé par l’une des meilleurs artistes de l’Empire, dont je reconnaissais le style pour avoir contemplé tous les jours le portrait de ma Tillia qu’elle avait réalisé à Fleur-Éclose.
Entouré de ses parents et de sa sœur jumelle, Kaecilius ne devait pas avoir vingt ans. Ils portaient tous leurs robes impériales, dont le drapé avait été représenté avec beaucoup de grâce. Il s’agissait là d’une spécialité de la peintresse. Les couleurs des tissus, la jeunesse des visages, mais surtout la présence de l’époux de Drusilla Hostiliana, indiquaient que la fresque avait été réalisée quand la Grande Impératrice était encore en vie. J’aurais dû appeler Kaecilius, le forcer à regarder le portrait de sa famille et lui dire :
« Crois-tu encore que ta noble naissance est la garantie de funérailles respectueuses ? »
La rumeur affirmait que l’Empereur Aelius avait commandité l’assassinat de son père, qu’il ne s’agissait pas d’un simple accident. On avait même dû construire un cénotaphe pour honorer sa mémoire. Personne n’avait pu retrouver sa dépouille. Peu de temps après l’annonce de la mort de son époux, Drusilla s’était rebellée et avait été, au final, reléguée sur une île lointaine, au milieu de la Mer intérieure, où elle avait été rejointe par sa fille quelques années plus tard. En seulement cinq ans, notre Prince avait perdu tous les membres directs de sa famille.
J’aurais pu ébranler ses convictions en le confrontant au fait que la Fortune est cruelle et inconstante, en profiter pour lui inculquer un peu d’humilité, mais je gardai le silence. Il ne s’était certainement pas remis de la fausse mort de sa sœur.
À la réflexion, il est vrai que la lamie aurait pu tout aussi bien s’inspirer de ce portrait de famille pour modeler son visage. Une image suffisait. Nul besoin pour ces créatures infernales d’un sujet vivant et en trois dimensions.
Je poussai un long soupir. Il était peu probable que la vraie Silvia Hostiliana fût venue vivre ici après avoir quitté l’Île des Cinq-Bêtes en toute illégalité. En plus de courir un risque inutile, nous étions en train de perdre notre temps.
« Partons d’ici au plus vite, déclarai-je. Nous n’y trouverons rien.
— Pas avant d’avoir exploré toutes les pièces, me répondit-il, un rouleau ouvert entre les mains.
— Tu plaisantes ! Cette villa est immense. Nous allons y passer la nuit entière.
— Nous dormirons en plein jour. Arrête de te plaindre, démon. »
Je finis par lui demander où se trouvait sa chambre et, sans me prêter la moindre attention, il me fit un vague geste du poignet. Il aurait aussi bien pu me désigner l’emplacement des cuisines, mais je décidai de lui faire confiance et de partir dans la direction qu’il m’avait indiquée. Si je devais perdre une partie de ma nuit à fouiller cette villa, autant que je mette mon nez dans ses affaires les plus intimes.
Je n’eus aucun mal à trouver l’endroit où il avait passé sa jeunesse. Sa chambre était à son image : luxueuse, mais fade, sans personnalité propre. Les murs étaient recouverts de fresques défraîchies, qui devaient dater d’avant sa naissance, si j’en jugeais par leur style vieillot. Les meubles étaient rares : ici, un lit sans baldaquin ; là, une commode en bois laqué. Les paravents avaient été repliés et posés non loin d’un très joli vase en porcelaine, si délicat qu’il en était presque transparent. Je m’approchai pour l’examiner de plus près. L’envie me prit de le dérober, mais, à mon plus grand malheur, il était trop grand pour être facilement transportable.
En fouillant une des boîtes qui prenaient la poussière sur la commode, je trouvai une petite figurine blanche, qui avait été si souvent manipulée qu’elle en était usée. Son visage, épouvantable et de mauvais goût, était celui d’un démon. J’aurais presque pu me sentir insulté, mais cela faisait de nombreuses décennies que de telles figurines circulaient dans tout l’Empire. J’avais fini par me faire une raison.
« Ainsi donc, on a joué avec le Démon blanc quand on était petit ? murmurai-je. Aucun respect pour ses anciens compagnons de jeu, à ce que je vois. »
Je dissimulai le jouet dans une de mes poches, sans le moindre remords. Ce qui était à mon image m’appartenait de droit.
« Qu’est-ce que tu voles ? me demanda-t-il dans mon dos.
— Rien qui ne t’appartienne, répondis-je, en me retournant pour lui faire face. Est-ce que nous pouvons y aller, maintenant ? »
Son regard me parcourut des pieds à la tête, mais son visage demeura neutre.
« Pourquoi est-ce que tu es si pressé ?
— Une maison infestée de lamies n’est pas un endroit où je souhaite m’attarder.
— Pour parler d’infestation, il en faudrait plus d’une.
— Mais, mon prince, tu devrais savoir qu’une lamie ne se déplace jamais seule. La chambre de ta sœur jumelle est dans cette direction ?
— Pourquoi donc ? Tu n’as rien trouvé dans la mienne qui ait une grande valeur ? Si tu souhaites voler un objet qui te rendra riche, prends donc ce vase avec toi. À lui seul, il te permettrait de racheter ta liberté. D’ailleurs, ne te donne pas la peine de le voler, je te le donne. Prends ce que tu voudras. »
J’éclatai de rire. Voulait-il me faire croire qu’il se fichait des possessions matérielles ? C’était bien là un comportement de riche.
« On peut te faire confiance pour saboter mon plaisir, lui dis-je, en quittant sa chambre et en laissant derrière moi ce vase, non sans un pincement au cœur. Si je devais voler, ce ne serait pas pour l’argent, mais parce que je m’ennuie. Par ailleurs, si tu crois que ce vase ancien a la même valeur que moi, tu te trompes. Les Domitillii ne m’échangeraient pour rien au monde. Pourquoi crois-tu qu’ils m’ont gardé jalousement pendant deux siècles ? Seule Tillia… »
Je m’arrêtai au milieu de ma phrase. Spontanément, j’avais été sur le point de dévoiler la promesse que ma maîtresse m’avait faite. Je scellai mes lèvres. Je ne voulais pas que l’Empereur Aelius apprenne que j’étais sur le point de recouvrer ma liberté.
« Je ne comprendrai jamais les esclaves, pensa Kaecilius à voix haute. Je te donne la possibilité de racheter ta liberté, mais tu la refuses. Je doute vraiment que tu sois aussi âgé que tu l’affirmes… mais à supposer que tu ne me mentes pas, est-ce que tu n’aurais pas dû être affranchi depuis bien longtemps ? Deux siècles, c’est plus long qu’une vie ! Il est bien connu que les esclaves sont fourbes et s’enfuient à la moindre occasion. C’est pour cela que certains sont enchaînés constamment. Mais malgré ta petite chaînette décorative autour du cou, ce n’est pas ton cas. Tu es libre de tes mouvements. Alors, dis-moi… même si les Domitillii refusent de t’affranchir… encore aujourd’hui, tu as eu l’occasion de t’enfuir et de ne jamais revenir. Pourquoi est-ce que tu es toujours avec moi ? »
Je lui adressai un sourire hypocrite.
« À cause de ton charme irrésistible, mon Prince », dis-je, en battant des cils.
Cela eut l’effet escompté. Il poussa un léger grognement, puis accéléra son pas, m’abandonnant derrière lui. Le sujet fut clos sur l’instant.
Pourquoi ne m’étais-je pas enfui ? Pourquoi, après deux siècles, étais-je encore esclave ?
Je méditai cette question pendant un bref instant. Mal à l’aise, je décidai toutefois qu’il valait mieux pour moi que je n’y réfléchisse pas. J’aurais pu découvrir quelques vérités déplaisantes sur les faiblesses de mon caractère.
La chambre de Silvia Hostiliana n’était pas située dans la même aile que celle de son frère. Après une longue journée passée en compagnie de ce dernier, cela ne me surprenait pas. Il était tellement barbant que moi aussi, j’aurais demandé à ce que ma chambre soit le plus éloigné possible de la sienne. D’ailleurs, n’avait-elle pas préféré s’exiler au milieu de la Mer intérieure plutôt que de vivre au Palais des Harmonies en sa compagnie ? C’était dire.
Après avoir traversé un long couloir plongé dans la plus extrême obscurité, que ma lumière artificielle peinait à dissiper un tantinet, nous arrivâmes enfin à destination. Dans un silence inconfortable (Kaecilius ne semblait pas avoir pardonné ma blague sur ses attraits physiques), nous pénétrâmes dans la pièce. Je relâchai la bride invisible de mon orbe lumineux, afin qu’il flotte à quelques pas de moi et éclaire au mieux les alentours. Immédiatement, la décoration m’apparut comme étant de bien meilleur goût… mais je n’eus pas le temps de l’observer en détail que déjà Kaecilius s’écriait :
« Une autre lamie ! Je ne me ferai pas berner une seconde fois. »
Il avait dégainé son épée courte et fondait sur la créature qui gisait sur le lit. Son cri la réveilla en sursaut. Elle eut le temps de rouler sur elle-même avant que la lame ne vienne s’enfoncer là où elle s’était trouvée un bref instant plus tôt. La manquer de si peu termina d’enrager notre prince.
« Cette lame est pour toi, sale chienne des Enfers ! »
Il avait visiblement fréquenté son oncle trop longtemps. Un prince n’aurait jamais dû avoir le vocabulaire coloré d’un soldat aviné.
Quand je reportai mon attention sur la lamie, je compris aussitôt qu’elle n’en était pas une. Son spiritus était trop semblable à celui d’une humaine pour être une illusion.
« Kaecilius, arrête ! » m’écriai-je aussitôt.
Tout entier à sa fureur, m’entendit-il seulement ? Mon avertissement fut ignoré. Il attaqua de nouveau sa sœur. Comme elle venait d’être surprise en plein sommeil, ses réflexes n’étaient pas aussi rapides que ceux de son frère.
Je dus intervenir. Ce fut l’acte le plus stupide que je commis cette nuit-là.
Quand je fis barrage de mon corps pour protéger Silvia Hostiliana, le glaive de Kaecilius pénétra mes entrailles.
Pendant un bref moment, je crus que ce n’était pas si grave. Après tout, ce n’était pas la première fois que je recevais pareille blessure. La maîtrise de mon spiritus était telle que je m’en remettrais au bout de quelques jours…
« Bon sang, Kaecilius ! Quand je disais que je voulais goûter de ton épée, ce n’était pas à celle-là que je faisais référence. Quelle brute tu fais. On ne s’enfonce pas jusqu’à la garde sans préparation. »
Je lui adressai un sourire idiot.
Quelque chose n’allait pas.
Mes pensées s’obscurcirent, comme si mon corps se vidait de son spiritus tout autant que de son sang. Je regardai la lame dans mon abdomen sans comprendre pourquoi j’avais l’impression qu’elle était en train de m’absorber tout entier. C’était tout bonnement impossible… Une telle épée…
Je relevai la tête. Kaecilius ne semblait pas avoir prêté attention à mes paroles mémorables. L’horreur, pour la seconde fois dans la nuit, était peinte sur son visage.
J’ouvris la bouche, peut-être pour me répéter, peut-être pour faire remarquer que ses traits ainsi crispés étaient laids. Mais sans plus de cérémonie, je tombai au sol, évanoui.
Kaecilius !!!!!
Allez j'essaie d'être constructif : c'est toujours aussi bien, bien écrit, bien raconté. Je vais devoir attendre pour lire la réaction de Kaecilius mais il me tarde ^^