Hayalee avait redouté de devoir courir après Iltaïr pour qu'il l'aide à maîtriser son don ; elle s'était imaginée laissée de côté, dans un petit coin où on ne viendrait plus la bousculer. Elle finirait par s'accoutumer à la vie sur l'île et, confortablement installée, elle céderait à la facilité et renoncerait à rentrer chez elle. Mais Iltaïr tint promesse et mit Hayalee face à la réalité dès le lendemain.
Le sommeil l'ayant fuie une bonne partie de la nuit, elle n'émergea qu'en fin de matinée, lorsque Saru vint frapper à sa porte. Il lui fallut quelques secondes pour se souvenir où elle se trouvait et comment elle était arrivée là. Quelques secondes aussi pour chasser de son esprit les images d'anges, de démons, de symboles et de soldats qui l'avaient assaillie toute la nuit.
Le garçon lui annonça que si elle se sentait d'attaque, Iltaïr était disposé à lui consacrer du temps l'après-midi même. Hayalee ne se fit pas prier. Saru l'emmena manger un morceau puis, le moment venu, la conduisit jusqu'au lieu de rendez-vous.
Il la guida aux confins de l'aile sud des souterrains, dans un hall où se présentaient trois portes. Chacune d'elle était accompagnée d'une peinture différente : une chaîne de montagnes bordant un désert de sable, un océan déchaîné sous une pluie battante et un brasier.
— C'est les salles d'entraînement dédiées aux éléments, expliqua Saru. Celles-là, il n’y a que des Descendants qui les utilisent, mais on a aussi des salles pour s'entraîner au maniement des armes et au combat. Je te montrerai si tu veux.
— Il manque le vent et la foudre, non ? souleva Hayalee en détaillant les tableaux.
Saru haussa un sourcil sarcastique :
— Oui... pour ça, je crois que c'est mieux d'être en extérieur.
Elle rougit, un peu honteuse et un peu vexée, aussi. Ça coulait peut-être de source pour lui, mais pour Hayalee, rien n’était évident ici.
— J'imagine que pour toi, ça se passe là, dit-il en approchant de la porte surmontée par les tourbillons de flammes.
Ils échangèrent un regard incertain puis, décidant de ne pas attendre Iltaïr, Saru abaissa la poignée. Il repoussa le battant, dévoilant une salle plongée dans la pénombre. Ils firent quelques pas à l'intérieur. La pièce avait l'air vaste, et vide, à en juger par l'écho qu'elle leur renvoyait. Un bruit incongru résonnait dans l'obscurité ; on aurait dit de l'eau qui clapotait.
— Attends, devrait y avoir de quoi allumer par là, dit Saru en se tournant vers le bahut près de la porte.
Il fouilla les tiroirs et finit par en tirer un briquet à amadou. Il alluma une première bougie qui traînait sur le meuble, puis alla d'un bout à l'autre de la pièce pour illuminer plusieurs chandeliers et lampes. Il s'avéra que la salle en était pleine. Il n'y avait que ça à vrai dire : des centaines de bougies, perchées sur des candélabres ou posées à même le sol. Saru n'en avait pas allumé le quart quand il jugea qu'ils y voyaient assez.
Hayalee avança au centre de la salle, dans le seul espace dénué de bougies. Des arches en pierre se croisaient au plafond, deux fois plus haut que dans le reste des souterrains et ponctué de grilles qui devaient masquer des bouches d’aération. Pour un peu, Hayalee se serait crue dans une église. L'endroit dégageait l'atmosphère d'un sanctuaire, en tout cas, et elle ne put s'empêcher d'être impressionnée. Deux grandes cheminées se dressaient à chaque extrémité de la pièce, leur gueule noire n'attendant que le feu pour venir les nourrir. Il n'y avait qu'un détail qui dénotait : une source d'eau, contre le mur du fond. Hayalee s'en approcha.
L'eau s'échappait d'un affleurement de rochers et s'écoulait avec un discret « glouglou » dans un bassin en pierre. Des seaux en bois moisissaient tout près et une légère odeur d’œuf pourri flottait dans l’air.
— C'est pour boire un coup ? plaisanta-t-elle.
— Plutôt pour éteindre le feu, je crois, dit Saru en la rejoignant.
— Ah, oui...
Le bassin et les rochers étaient décorés de petites bougies que leur cire avait collées à la pierre en fondant. Le tableau devait être magique, une fois toutes les bougies allumées.
— Je te conseille vraiment pas de boire ça, en plus, ajouta-t-il.
— Pourquoi ?
Il désigna l'eau du menton et dit :
— Vas-y, trempe ta main.
Hayalee redouta d'être victime d'une mauvaise blague, mais Saru insista et la curiosité l'emporta sur la méfiance. Elle s'agenouilla devant le bassin et trempa le bout de ses doigts dans l'eau. Elle lâcha une exclamation stupéfaite :
— C'est chaud !
Elle ne le remarquait que maintenant, mais un voile de vapeur dansait à la surface de l’eau.
— Eh oui. C'est grâce au volcan – il chauffe l'eau. On a plusieurs sources d'eau naturellement chaudes, sous terre et à la surface aussi. C'est super pratique. On a réussi à canaliser certaines de ces sources et grâce à ça, on a de l'eau chaude à disposition – pas besoin de s'y prendre trois heures à l'avance pour se faire couler un bain !
— Alors le bain que j'ai pris hier... commença Hayalee.
— Eau volcanique, fraîchement chauffée par la montagne.
Maintenant qu'elle y repensait, elle n'avait vu aucun dispositif pour chauffer l'eau, détail auquel elle n'avait pas pris garde sur le moment.
— Mais… c’est l’eau qui sent comme ça ? réalisa-t-elle, la main toujours plongée dans le bassin.
— Ouaip. C’est le soufre.
Il pointa du doigt les rochers pour attirer son attention sur le dépôt jaune-orange que l’eau laissait dans son sillage.
— C’est ça qui refoule, dit-il, et ça peut te rendre malade. L’eau qu’on utilise dans les souterrains est coupée avec de l’eau fraîche alors ça va, mais fais attention quand tu te promènes sur l’île. Évite de boire et de te baigner n’importe où. Y a des coins où c’est vraiment dangereux. Pas seulement parce que l’eau est bouillante, mais aussi parce qu’elle peut être très toxique et te ronger la peau.
Hayalee ôta sa main de l’eau. Saru pouffa de rire, visiblement amusé par sa réaction.
— C’est vraiment pas drôle, bougonna-t-elle.
— Un peu quand même, objecta-t-il, un sourire narquois aux lèvres.
Heureusement pour lui, Iltaïr débarqua avant qu’Hayalee ne se soit décidée à lui envoyer une giclée d’eau à la figure.
— Navré pour le retard ! clama celui-ci. C’est dur de faire un pas sur cette île sans être sollicité de tous les côtés.
Hayalee lui trouva l’air un tantinet plus jeune que la veille. Ses cheveux étaient toujours aussi gris, ses joues mal rasées et ses prunelles pleines de gravité, pourtant il lui parut plus fringant que le souvenir qu’elle en avait gardé. Sûrement qu’il était plus reposé.
Il vint faire face aux deux adolescents qu’il salua d’un hochement de tête, puis son regard s’arrêta sur Hayalee. Il prit le temps de la détailler, avant de demander :
— Comment te sens-tu ?
Elle comprit tout de suite qu’il ne faisait pas allusion à sa santé. Elle détourna les yeux et haussa les épaules :
— Ça va.
— Et la jambe ? Ça a l’air d’aller beaucoup mieux.
— Ça va mieux, oui, confirma-t-elle en pliant et dépliant le genou. J’ai encore un peu mal quand je marche, mais c’est supportable.
— Évidemment.
Hayalee ne fut pas sûre de saisir où était l’évidence. Comme si ses mots n’étaient pas assez déroutants, Iltaïr la dévisagea un long moment sans rien dire. Même Saru parut trouver l’échange étrange. Changeant brutalement d’attitude, Iltaïr se fendit d’un sourire et lâcha :
— Prête à apprivoiser tes pouvoirs ?
Hayalee cilla, avant d’opiner du chef.
— Prête, renvoya-t-elle avec plus d’assurance qu’elle n’en éprouvait.
— Alors, viens par ici.
Il traversa la forêt de bougies et de chandeliers pour l’entraîner en direction d’une des cheminées.
L’âtre, vide et noir de suie, était suffisamment grand pour accueillir un homme. L’attention d’Hayalee fut retenue par les deux longues bannières qui encadraient le conduit de la cheminée.
Les tapisseries, identiques, représentaient une croix sur un fond du même violet que les tapis qui filaient dans les couloirs. La croix n'était pas sans rappeler celle de Milhilar, à la différence que la branche horizontale croisait la verticale en son milieu, d'où s'échappait une vingtaine de rayons. Les parties hautes et gauches étaient brodées de fils d'argent tandis que le reste était noir. Hayalee reconnut le symbole. Si elle ne se méprenait pas, il était épinglé sur la poitrine des sentinelles et gravé sur les dalles de la place où s’élevait la volière. Malgré l'usure et les couleurs délavées, les tapisseries conservaient une certaine majesté.
— Tout ce dont nous allons avoir besoin est ici, commença Iltaïr en se tournant vers elle.
Hayalee tarda à détacher son regard des bannières et son intérêt n’échappa pas à son interlocuteur. Loin de la rappeler à l’ordre, il lâcha :
— Tu te demandes peut-être ce que représente cette croix ?
— C’est votre symbole, non ? avança Hayalee. Celui de l’Alliance.
Une ombre passa sur son visage tandis qu’il portait à son tour son regard sur la tapisserie :
— Oui. La partie haute de l'axe vertical symbolise le Ciel, exposa-t-il, avec en son sommet la Porte de Kyar.
Il désigna le petit triangle argenté qui couronnait la croix.
— Tandis que la partie basse symbolise la Terre, avec la Porte de Hassa.
Hayalee baissa les yeux jusqu'à un second triangle, tout en bas, noir cette fois.
— Et entre les deux, le monde matériel – le royaume des Hommes. À la fois Terre et Ciel.
Il approcha et, avec une retenue presque solennelle, effleura la tapisserie du bout des trois doigts de sa main droite, retraçant l'axe horizontal.
— Et les rayons ? demanda Hayalee. Qu'est-ce que c'est ?
— Tu ne devines pas ? Ce sont les Descendants. Pour être exact, les vingt rayons font écho aux vingt clans de Descendants : dix pour Kyar et dix pour Hassa, expliqua-t-il en balayant lesdits rayons.
Elle fronça les sourcils.
— C'est ce que nous avons trouvé de mieux pour nous représenter, poursuivit-il. « L'Alliance »… L'alliance entre les Descendants de Kyar et de Hassa ; entre les Descendants et les non-Descendants ; la réconciliation du Ciel et de la Terre…
Sa main s'arrêta au centre de la croix, là où se réunissaient tous les axes.
— C'était ce que nous voulions être, acheva-t-il à mi-voix.
Il s'abîma dans la contemplation de la bannière, l'air d'y voir bien plus qu'une croix, et Hayalee échangea un coup d'œil avec Saru. Ce dernier, qui flânait parmi les chandeliers, haussa les épaules comme pour dire qu'il valait mieux ne pas chercher à comprendre. Hayalee observa un silence poli avant de tirer Iltaïr de ses rêveries.
— Excusez-moi, mais… qu'est-ce que c'est que ces « clans » ?
Il laissa retomber sa main et reporta son regard sur elle.
— Hum… tu l'auras compris, mais les Descendants ne disposent pas tous des mêmes talents. Pour cause, ils n'appartiennent pas tous au même clan – ou à la même lignée, si tu préfères. Ainsi, l’on dit des descendants de Rod, l'Élu de Nililar, qu’ils appartiennent au « clan de Nililar » ; tandis que l’on dira des descendants d'Atugan, l'Élu d'Ilmyd, qu’ils appartiennent au « clan d'Ilmyd »… saisis-tu l'idée ?
— Je crois.
Détaillant les rayons qui ornaient la croix de l'Alliance, Hayalee avança :
— Et il y a vingt clans ?
— En théorie, seulement. Dans les faits, plusieurs clans se sont éteints – ou bien il y a si longtemps que plus personne n'a croisé un de leurs représentants que nous les supposons éteints.
— Comme le clan de Rilsilyar, commenta Saru en jouant avec la cire d’une bougie. Soi-disant l'ange de la Chance et tous ses Descendants sont morts… c'est vraiment pas de veine. Ou alors c'en est ?
— À l'heure actuelle, nous estimons qu'il existe encore treize clans, reprit Iltaïr, imperturbable.
Treize clans… ça laissait beaucoup de possibilités. La gorge un peu sèche, Hayalee prit son courage à deux mains et posa la question qui lui brûlait les lèvres :
— Et moi ?
Iltaïr ne répondit pas tout de suite. Un instant, Hayalee crut déceler la même réticence, la même incertitude que la veille, lorsqu'elle avait accepté qu'il l'aide à maîtriser ses pouvoirs.
— Ce n'est pas toujours facile à évaluer, dit-il. Il faut savoir qu'au sein d'un même clan, deux Descendants ne posséderont pas nécessairement les mêmes pouvoirs, ou pas au même degré.
L'incompréhension dut se lire sur le visage d'Hayalee, car Iltaïr prit sur lui d'expliquer :
— On observe généralement plus d'un talent par clan. Reprenons le clan de Nililar : l'ange Nililar – je ne t'apprends rien – est considéré comme le maître des éléments, celui qui contrôle la nature et ses forces. Parmi les Descendants appartenant à son clan, tu en trouveras certains capables de commander aux eaux et déclencher des averses, tandis que d'autres engendreront des tremblements de terre ; en apparence, deux dons très différents, mais qui relèvent pourtant d'un même clan.
Hayalee acquiesça, tandis que son cœur se mettait à battre un peu plus fort. Si ce qu’il disait était vrai, alors elle aussi devait appartenir au clan de Nililar – le feu faisait partie des forces de la nature que commandait l’archange.
— Il y a aussi des différences en termes de degré de puissance. Par exemple, prenons la capacité à geler la matière : un Descendant pourrait avoir besoin de toucher sa cible pour y parvenir alors qu'un autre, plus puissant, pourrait le faire à distance. Les nuances peuvent être subtiles.
Son regard repartit se promener sur la tapisserie, grimpant jusqu'au triangle qui symbolisait la Porte de Kyar.
— Les Élus, dit-on, possédaient tous les pouvoirs qui ont trait à leur clan, souffla Iltaïr. Les Descendants, eux, n'en ont hérité qu'une partie. J'ai rencontré beaucoup de Descendants, certains d'une grande puissance, mais jamais encore je n'ai croisé de Descendant qui maîtrise parfaitement tous les pouvoirs de son clan. Je ne suis même pas certain que cela existe.
Derrière eux, Saru jura après avoir renversé plusieurs bougies.
— Et alors… commença Hayalee, prudente. Si mon truc à moi, c’est le feu, j’appartiens forcément au clan de Nililar ?
Iltaïr se tourna vers elle et la jaugea en se frottant le menton, dans une attitude pensive.
— Ce n’est pas aussi simple. Vois-tu, certains clans partagent des dons très ressemblants : on trouve par exemple des manipulateurs de la terre à la fois chez Nililar et chez Ilmyd. Leur rapport à cet élément et la façon dont ils le manipulent ne sont pas strictement identiques, mais un œil naïf ne verrait pas la différence. Il en va de même pour le feu. Les Descendants de Nililar ne sont pas les seuls à montrer une affinité pour cet élément.
— Et les marques alors ? souleva Hayalee. Vous m'avez dit hier que les Descendants portaient la marque de l'ange – ou du démon – dont ils tiennent leur pouvoir... ça veut dire que chaque clan possède sa marque ?
Son expression se ferma un peu plus et il répondit lentement, prudemment, comme s’il appréhendait la suite :
— En effet.
— Alors… si je vous montre ma marque, vous pourrez me dire à quel clan j'appartiens ?
Du coin de l’œil, elle vit Saru se figer au-dessus des bougies qu’il redressait. Un silence pesant flotta dans la pièce. Hayalee eut l’impression d’avoir dit quelque chose de très embarrassant. Si c’était le cas, Iltaïr ne lui en tint pas rigueur et répondit avec patience :
— Peut-être, ou peut-être pas. L'Alliance a en effet amassé plus d'informations que n'importe qui sur les Descendants, leurs lignées, leur clan, les marques et les pouvoirs qui y sont rattachés, mais énormément de zones d'ombre demeurent. Il y a encore des clans sur lesquels nous possédons peu – voire aucune – information.
Hayalee fit la moue, frustrée et méfiante – pourquoi tournait-il autour du pot ? – mais aussi un peu soulagée. Au fond, elle n’était pas certaine d’avoir envie de savoir. Elle avait peur de ce qu’elle risquait de déterrer en creusant cette question.
— Si je te dis cela, Hayalee, c'est parce que dévoiler sa marque – et donc, son clan – n'est pas une chose que nous exigeons de la part des Descendants que nous accueillons, expliqua posément Iltaïr. Cela a été l'un de nos premiers principes. L'Alliance se veut un refuge pour tous les Descendants, ce quelle que soit leur origine. De nos jours, les Descendants de Hassa ne sont plus aussi mal considérés qu'il y a quelques centaines d'années, mais certaines rancœurs, certains préjugés, subsistent. Voilà pourquoi je te demanderai de ne pas interroger les Descendants que tu rencontreras sur leur marque ou leur clan. De la même façon, sache que personne ici, quelle que soit son importance au sein de l'organisation, n'a le droit de te forcer à lui montrer ta marque.
Ce fut au tour d’Hayalee d’être gênée. Elle comprenait mieux le malaise que sa suggestion avait engendré.
— Dévoiler sa marque n’est pas pour autant quelque chose d’interdit, nuança Iltaïr, certains Descendants l’affichent même avec fierté. La décision t'appartient, mais si je peux te donner un conseil, ce serait de ne te dévoiler qu’aux personnes que tu estimes dignes de confiance.
— Euh… très bien.
Hayalee préféra ne pas insister. Elle ne voulait pas avoir l’air de prendre l’affaire à la légère. D’autant plus qu’il n’en était rien. Elle n’avait jamais montré sa marque à qui que ce soit, en dehors de sa famille proche. La cacher était devenu un réflexe. Hayalee avait beau avoir soulevé l’idée, dévoiler sa marque lui aurait donné l’impression de se mettre à nu, et elle s’apercevait qu’elle n’était pas prête pour ça.
— Ne te tracasse pas, dit Iltaïr, qui semblait lire en elle comme dans un livre ouvert. Ces histoires de clan n’ont d’importance que si tu leur en donnes. À mon humble avis, la question n’est pas de savoir d’où viennent tes pouvoirs ou qui sont tes ancêtres, mais plutôt ce que tu comptes faire de cet héritage. C’est sur cela que tu devrais te concentrer avant tout.
Elle avait la nette impression qu’il essayait de la détourner de réflexions trop déplaisantes. Savoir ce qu’elle ferait de ce possible « héritage » ne lui paraissait pas moins angoissant.
— Bien, et si on s’y mettait ? lâcha-t-il.
Hayalee approuva, tâchant de se remettre les idées en place. Avant de se torturer l’esprit sur le pourquoi du comment, il fallait lever le voile sur ce dont elle était capable. Elle avait beau garder un vif souvenir de l’altercation avec les veilleurs et les soldats, de la braise avec laquelle elle avait manqué de mettre le feu au lit, le doute continuait à la pourchasser. Elle changeait sans cesse d’état d’esprit, y croyant dur comme fer l’espace d’un instant pour se dire qu’Iltaïr se trompait sur son compte ou la menait en bateau l’heure d’après.
— On va commencer par la base, annonça-t-il.
Il se dirigea dans un coin de la pièce, où une belle quantité de bûches et de petit bois prenait la poussière, empilée contre le mur. Entre ça et les toiles d’araignée qui couvraient les chandeliers, Hayalee comprit que personne n’avait mis les pieds ici depuis un moment.
— Qu’on se le dise : si tu n’as jamais utilisé tes pouvoirs de façon consciente, la première fois risque d’être difficile et éprouvante, lança-t-il par-dessus son épaule. Il se peut que tu n’y parviennes pas aujourd’hui, ni même demain ou après-demain.
Il se mit à fouiller parmi les bûchettes :
— Je peux te donner des conseils, t’aiguiller, mais c’est toi qui tiens les rênes, c’est toi qui montes le cheval ; et ce cheval, personne ne peut le connaître mieux que toi. J’ai côtoyé énormément de Descendants, j’en ai vu beaucoup à l’œuvre, mais tes pouvoirs sont tes pouvoirs. J’ai une assez bonne idée de la façon dont ils fonctionnent, mais mon point de vue reste extérieur et partiel. Ce que j’essaie de te dire c’est : fie-toi avant tout à tes intuitions.
Hayalee sentait l’appréhension lui grignoter les entrailles. Plus ça allait, moins elle était certaine de vouloir le faire. Et s’il ne se passait rien ? Cette pensée lui donnait autant d’espoir – peut-être qu’elle n’était pas une Descendante ? – que de sueurs froides – et si elle n’arrivait jamais à se contrôler ?
Le temps qu’Iltaïr revienne vers elle, Hayalee frissonnait d'angoisse et son estomac s'était transformé en sac de nœuds. Elle s’était attendue à ce qu’il garnisse l’âtre de la cheminée, mais il n’avait ramené qu’un bâton. Sentant que les choses sérieuses étaient sur le point de commencer, Saru s’éclaircit la voix et glissa :
— Je vais peut-être vous laisser ?
— Hum… Je pense que tu devrais rester, objecta Iltaïr. Si Hayalee n’y voit pas d’inconvénient ?
Trop nerveuse pour parler, cette dernière se contenta de hocher la tête de gauche à droite, sans même réfléchir à la question. Perplexe – ou peut-être inquiet ? – Saru alla s’asseoir près du bassin. Iltaïr tendit le bâton à Hayalee :
— Premier exercice, mais pas des moindres : je te demanderai d’enflammer ce morceau de bois.
Elle récupéra l’objet d’une main tremblante et le considéra comme une montagne qu’elle allait devoir gravir.
— Et… et si j’y arrive pas ? lâcha-t-elle, exprimant finalement ses craintes à haute voix. S’il se passe rien ?
— Eh bien, dans ce cas, nous changerons de méthode, assura-t-il. Et nous persévérerons.
Lui ne semblait pas douter du résultat. Mais Hayalee ne se détendait pas, Hayalee avait peur et ne savait pas quoi faire avec ce morceau de bois.
— Respire, intervint Iltaïr sur un ton d’une infinie douceur. Fais le vide. À partir de maintenant, je veux que tu concentres toutes tes pensées sur ce bâton. Tu veux réussir à maîtriser le feu ?
Elle fit « oui » de la tête.
— Alors, concentre-toi.
Hayalee s’humecta les lèvres, prit une profonde inspiration et fixa son regard sur le bâton. Faire le vide et se concentrer… d’accord, mais après ? Du coin de l’œil, elle apercevait Saru, dans le dos d’Iltaïr, qui la surveillait. Elle se sentait ridicule, à lorgner une branche, mais elle se força à ne se focaliser que sur cette branche et décida de la visualiser en flamme.
Elle s’usa l’esprit sur cette image, tant et si bien qu’elle pouvait presque sentir la chaleur du feu sur sa peau. Mais rien. Les secondes s’égrenaient, et pas l’ombre d’une flamme ailleurs que dans sa tête.
— Ferme les yeux, lui conseilla alors Iltaïr.
Après une brève hésitation, Hayalee obtempéra.
— Ton don est une affaire de sensations, poursuivit-il. Il te faut être à l’écoute de ton corps et de ton âme : te concentrer sur ce qu’il se passe à l’intérieur, pas à l’extérieur. Te concentrer sur les émotions qui te traversent et ramener à la surface la bonne. Souviens-toi... qu’as-tu ressenti face aux soldats ? Aux veilleurs ?
De la peur, bien entendu. Elle avait eu affreusement peur quand les silhouettes noires avaient envahi les bois. Quand les veilleurs s’étaient mis à frapper Matéis et le réprouvé. Elle se souvint des insultes, des coups, de leur visage ensanglanté. Elle avait éprouvé de la peur, oui… et de l’indignation aussi. De la révolte.
— Il ne sert à rien de réfléchir ou d’imaginer le feu… fit la voix d’Iltaïr, glissant autour d’elle comme une brise. Ce qu’il te faut c’est sentir.
Sentir du feu ? Ça paraissait grotesque et pourtant, Hayalee croyait comprendre où il voulait en venir. Elle l'avait déjà senti auparavant, à de nombreuses occasions. C’était là depuis qu’elle était toute petite, montrant les crocs quand elle se sentait menacée, grondant de rage quand la colère la submergeait.
Hayalee se laissa aller. Elle s’imagina à nouveau dans cette ruelle, avec les veilleurs frappant Matéis, elle revécut son parcours jusqu’à l’église et sa confrontation avec le racheté, elle se revit courant dans les bois aux côtés de Saru… Elle abaissa toutes ses défenses et laissa l’émotion la gagner, aussi violemment et entièrement qu’à Karakha.
Et elle l’entrevit, plus nettement que jamais.
C’était une boule de chaleur, lovée au creux de son ventre. Tantôt hésitante, tantôt vive, vacillant comme la flamme d’une bougie.
Oubliant le reste, Hayalee s’y cramponna. Il ne fallait pas que la sensation lui échappe. À peine cette pensée la traversa que la chaleur commença à perdre en intensité, comme si l’animal avait flairé le subterfuge. Le fauve venait tout juste de montrer le bout de son museau brûlant qu'il se repliait déjà dans sa grotte pour se rendormir, sourd aux cris d'Hayalee qui tentait de le retenir.
Il ne fallait pas qu'il s'échappe. C'était vital, mais elle ne le réalisait que maintenant. Car sinon, que faisait-elle ici ? Que faisait-elle en compagnie de ces gens, si loin de chez elle ? Pourquoi avoir fui sa ville natale en laissant derrière elle sa famille ? Ses mains se crispèrent autour du bâton. Elle voulait une explication, une raison à ce fiasco. Elle voulait la vérité, même terrifiante, et non plus les mensonges du gouvernement ou les non-dits de ses grands-parents. Elle voulait un sens à son exil et à sa solitude.
Un sens à la mort de sa mère et à l’absence de son père.
Elle frémissait de la tête aux pieds à présent, mais ça n’était plus la peur – la peur s’était envolée sans même qu’elle s’en rende compte, sans même qu’elle s’en soucie. C’était l’indignation qui la secouait ; un terrible sentiment d’injustice qui lui serrait l’estomac.
Non, qui lui brûlait les entrailles.
Le fauve avait ouvert grand les yeux. La flamme n'était plus une flamme : c'était un brasier. Une fournaise qui se répandit dans son corps à une vitesse folle, filant dans ses veines, embrasant son cœur et enflammant son cerveau. Il y eut des sifflements, des craquements et quelqu’un s’écria :
— Woh !
Hayalee rouvrit les paupières, juste à temps pour voir Saru glisser du bord du bassin et Iltaïr reculer vers le centre de la pièce. La salle était en flammes.
Tout ce qui pouvait brûler brûlait. Toutes les bougies s’étaient allumées : des centaines et des centaines de bougies dont les flammes dépassaient la longueur d’une main et qui pleuraient des larmes de cire. Pire que tout, les bannières, le bahut et la réserve de bois étaient la proie des flammes. Le feu dévorait bois et tissu avec férocité, sifflant, craquant, crépitant, illuminant la pièce entière. Hayalee baissa les yeux et hoqueta d’horreur.
Le bâton dans sa main brûlait, de même que sa manche.
Dans un sursaut de panique, elle jeta le morceau de bois et recula en secouant frénétiquement le bras. Elle fonça droit dans le parterre de bougies qu’elle piétina, heurta plusieurs chandeliers et bascula en arrière.
Hayalee s’écrasa sur les dalles dans une pluie de feu, de fer et de cire. Elle eut le réflexe de lever la main pour se protéger la tête. Par chance, aucun candélabre ne lui tomba dessus. L’une des bannières qui encadraient la cheminée se détacha néanmoins du mur. Changée en drapeau de feu, la tapisserie se tortilla dans les airs, puis s’abattit sous le nez d’Hayalee. L’odeur âcre et étouffante de la fumée lui emplit les narines et elle enfouit le visage au creux de son bras.
Son bras… Le feu s’était éteint, laissant sa manche grignotée jusqu’au coude. Sa peau, elle, était intacte. Hayalee réalisa à retardement qu’elle n’avait pas mal. Exactement comme lorsqu’Iltaïr lui avait jeté cette braise à la figure, la veille. Hormis ses yeux et ses poumons agressés par la fumée, Hayalee n’avait mal nulle part. Elle sentait bien la chaleur que dégageait la tapisserie lui lécher le front, elle sentait les flammes des bougies près de ses bras et de ses jambes, mais ça ne la blessait pas.
Dénouant ses muscles, pointant la tête hors de ses épaules, Hayalee regarda le feu ; le regarda vraiment. Ce feu.
Son feu.
Il ne se cachait plus. Elle ne le fuyait plus.
Un étrange sentiment s’empara d’elle. L’impression d’être face à un ami perdu ; un ami avec qui elle aurait tout partagé étant petite, puis qu’elle aurait renié en grandissant.
Hayalee en oublia tout. Oublia Iltaïr et Saru qui s’agitaient près du bassin, la fumée, les risques ou l’urgence de la situation, toute au ballet agressif et chatoyant des flammes. Mais voir ne suffisait pas. Comme l’avait dit Iltaïr, c’était une affaire de sensations. Comme on présenterait sa main à un animal pour s'assurer qu'il reconnaît son maître, Hayalee tendit le bras vers la bannière qui brûlait à ses pieds.
Elle ne recula pas cette fois. Malgré tout ce qu’on lui avait enseigné sur la dangerosité du feu, malgré le doute qui persistait, elle alla jusqu’au bout du chemin et offrit sa main au feu. Celui-ci l’engloutit toute entière.
La chaleur la transperça. Son souffle se coinça dans sa gorge et un puissant frisson la parcourut des pieds à la tête. Ce fut la sensation la plus agréable qu’elle eut jamais connue. Un bain fumant après une longue journée d'hiver. La chaleur ne se contentait pas de l’envelopper, elle s’insinuait dans sa peau, ses muscles, ses os, son sang… Elle retournait où elle était née, réchauffant l’estomac d’Hayalee, apaisant sa tête et gonflant son cœur.
Fascinée, Hayalee plia et déplia les doigts, caressa le tissu qui se consumait. Les flammes semblaient vibrer au rythme de ses émotions, parfois hautes et agressives, la seconde d'après, dociles et lentes, répondant au plus petit de ses changements d'humeur. Comme si le feu était le prolongement de son être, le reflet de son âme. Hayalee le sentait, et il la sentait, attentif aux moindres de ses désirs.
Soudain, il y eut un grand « splash », le feu siffla d’agonie et Hayalee revint à la réalité dans un sursaut. Iltaïr achevait de vider un seau d’eau sur la réserve de bois. Saru avait battu en retraite au centre de la pièce, le plus loin possible de toute flamme.
— Saru ! Aide-moi à éteindre le feu !
Une partie des bûches brûlait encore, l’autre dégageait de gros panaches de vapeur. Un nuage de fumée sauta à la figure d’Hayalee et celle-ci faillit s’asphyxier. Pleurant, toussant, elle tenta de s’éloigner du feu. Elle se releva et tituba au milieu des bougies et des chandeliers, aveuglée par la fumée et les larmes. Une main se referma sur son coude et la tira à l’écart.
Hayalee se laissa guider à travers la pièce, jusqu’à un espace frais et dégagé.
— Reste là, lui souffla la voix d’Iltaïr.
Ses genoux se dérobèrent dès qu’il cessa de la soutenir. S’essuyant les yeux pour en chasser les larmes, Hayalee retrouvait un semblant de vue au moment où Iltaïr fourrait son seau vide dans les mains de Saru. Sans attendre de réaction, il repartit vers le bassin et attrapa un second seau qu’il plongea dans l’eau. Saru, lui, n’esquissa pas un geste. Il resta planté là, le teint pâle.
— Saru ! s’impatienta Iltaïr. Va éteindre le meuble ! Dépêche-toi !
Revenant à lui, Saru battit des cils et rejoignit Iltaïr au pas de course pour remplir à son tour son seau.
Iltaïr acheva d’éteindre la réserve de bois tandis que Saru arrosait le bahut près de l’entrée. Bientôt, il ne resta plus que les bougies pour brûler. Un épais nuage de fumée flottait sous les hautes voûtes du plafond, lentement aspiré par les cheminées d’aération. Toussant dans son poing, Iltaïr alla ouvrir la porte en grand et un bref courant d’air traversa la pièce. Il approcha d’Hayalee, dont le regard restait prisonnier des lambeaux carbonisés de la bannière qui gisait au sol. La croix noire et argent de l’Alliance n’était plus qu’un souvenir.
— Eh, fit Iltaïr, s’accroupissant devant elle. Ça va aller ?
Elle releva les yeux. Elle se sentait faible, étourdie et nauséeuse. Ses vêtements dégageaient une forte odeur de brûlé, troués en plusieurs endroits.
— Respire un bon coup, lui intima-t-il. Saru ? Tu veux bien aller nous chercher un peu d’eau fraîche ?
L’interpellé eut un reniflement dédaigneux, mais laissa tomber son seau et quitta la pièce. Iltaïr reporta son attention sur Hayalee :
— Tu peux te lever ?
Elle prit la main qu’il lui offrait et se dressa sur ses guibolles flageolantes.
— Eh bien… je ne m’attendais pas à ce que le feu prenne aussi bien, plaisanta-t-il en l’emmenant s’asseoir sur le rebord du bassin. C’est un sacré pouvoir que tu as là.
Hayalee ne répondit rien. Ses derniers espoirs, comme ses derniers doutes, venaient de partir en fumée. Il n’y avait plus de retour en arrière ou de déni possible. C’était clair à présent : c’était elle. Dans la forêt et face aux veilleurs ; la ferme de ses grands-parents… Ça avait toujours été elle.
— Tu as trouvé quelle ficelle tirer, poursuivit Iltaïr, c’est bien, mais il va falloir apprendre à tirer moins fort à l’avenir…
— Est-ce qu’on est humain ?
La question était sortie toute seule, brutale, mais légitime. Hayalee regardait autour d’elle, voyait les restes fumants et calcinés que le feu avait laissés derrière lui, se remémorait le sentiment de puissance qui l’avait saisie, et l’interrogation s’imposait avec horreur. L'expression d'Iltaïr s'assombrit.
— Tu en doutes ?
Hayalee garda le silence. Elle ne savait plus où elle en était. Iltaïr soupira et se laissa tomber à ses côtés.
— Les Descendants sont-ils humains ? reprit-il, visage levé vers le plafond. C’est une question que beaucoup se posent. Encore faudrait-il savoir ce qu’est un « humain »… tu peux me le dire, toi ?
— Ben… euh…
Aucun des arguments qu’elle envisagea ne lui parut satisfaisant et elle finit par hocher la tête en signe d’ignorance.
— Question épineuse, reconnut-il. Et peut-être pas si importante que cela.
— Comment ça ?
— Les Descendants seraient humains ou pas… et après ? Cela devrait-il rendre leur existence moins – ou plus – légitime ?
La prenant au dépourvu, il lança :
— Et si tu n’étais pas humaine, cela changerait-il qui tu es ?
— Je… je sais pas, bredouilla-t-elle, la gorge nouée par l’émotion. Je crois pas.
— Je ne le crois pas non plus. Ce que tu es, Hayalee, tu l’as toujours été. Tu n’as pas à en avoir honte, tu n’as pas à en avoir peur et tu n’as pas moins le droit d’exister que n’importe qui d’autre.
Les mots lui creusèrent comme un petit trou dans la poitrine, grattouillant dans un coin écorché de son cœur pour y déposer quelque chose de doux et réconfortant. Hayalee déglutit et détourna le regard afin de cacher les larmes qui lui étaient montées aux yeux.
Ils restèrent assis côte à côte sans plus rien dire, bercés par le clapotis de l’eau qui coulait dans leur dos. Hayalee se surprit à contempler les restes fumants du mobilier et les bougies renversées d’un œil apaisé. Iltaïr avait raison. Ça ne changeait pas qui elle était. Ce qui était arrivé à Karakha lui avait seulement ouvert les yeux, sur sa propre nature comme sur son pays. Hayalee ne se sentait pas transformée pour autant. Le feu qui ronflait dans ses entrailles ne lui apparaissait pas comme une présence étrangère et nouvelle. Elle glissa une main en bas de son dos pour effleurer la marque. Ce qui était là avait toujours été là.
— Et vous… ? lâcha-t-elle soudain.
— Moi ?
— Quel genre de pouvoir est-ce que vous possédez ?
Il lui décocha un regard en coin et elle redouta d’avoir encore abordé un sujet qu’il ne fallait pas. Elle se mordit la lèvre :
— Euh, pardon, c’est peut-être une question qu’il ne faut pas poser – est-ce que j’ai le droit de la poser… ?
À son grand soulagement, il sourit :
— Tu as parfaitement le droit. Ta curiosité est compréhensible.
Et pourtant, la réponse se fit attendre. Il la dévisagea quelques secondes, l’air de jauger, de réfléchir, puis lâcha finalement, une lueur malicieuse dans l’œil :
— Quel âge me donnes-tu, Hayalee ?
Hayalee battit des cils, prise de court.
— Je sais pas. Euh… quarante ans peut-être ?
Il rigola franchement et le rouge lui monta aux joues. Là-dessus, Saru réapparut, une gourde à la main. Son regard passa de l’un à l’autre et il fronça les sourcils.
— Merci, marmonna Hayalee en acceptant la gourde qu’il vint lui tendre.
Iltaïr se leva et elle comprit avec déception qu’il ne lui en dirait pas plus sur son compte.
— Restons-en là pour aujourd’hui, déclara-t-il en retrouvant son sérieux. Tu as fait le plus dur : tu t’es jetée à l’eau. Maintenant il va s’agir d’apprendre à nager, mais inutile de se précipiter. Pour le moment, repose-toi.
Elle acquiesça tout en baissant les yeux sur la gourde, ne sachant trop quoi penser. Iltaïr feignait-il la décontraction pour minimiser la dangerosité de ce qu’elle pouvait faire ? La pensait-il trop fragile pour retenter immédiatement l’expérience ? L’était-elle ? En avait-elle seulement envie ?
— Hayalee ?
Elle releva la tête vers lui.
— Ce feu, il ne tient qu’à toi d’en faire quelque chose de bien.
Un chapitre très efficace, on prend plaisir à découvrir avec Hayalee l'étendue de ses pouvoirs. Sa relation avec le feu au moment où son pouvoir embrase la salle et quand elle accepte de s'immoler est belle, j'aime beaucoup ta manière de le décrire comme une partie d'elle qui traduit ce qu'elle ressent, ou à travers des souvenirs agréables comme un bon bain chaud.
Une remarque de fond cependant, et je me souviens que je m'étais fait la réflexion plus tôt mais j'ai oublié de commenter dessus dans les chapitres 5 et 6.
Je trouve cela curieux que tu n'abordes la question du lignage d'Hayalee que maintenant. J'essaie de me mettre à sa place, dans cette chambre quand elle se réveille et qu'Iltaïr lui raconte la légende des Portes et des Elus, lui révèle qu'elle est une Descendante... à sa place, ma première question serait : mais de qui je descends ?
D'autant que jusqu'à ce moment, les manifestations de son pouvoir étaient plutôt celles d'un feu destructeur (dans la forêt ou contre les veilleurs) et ça l'avait effrayée. Au vu des croyances religieuses et populaires, elle pourrait (et devrait ?) logiquement se dire que son affinité avec le feu la désigne comme une Descendante d'un(e) Elu(e) de Massa. À sa place, je serais terrorisée à l'idée d'être peut-être un démon, une créature maléfique, que ce pouvoir soit dangereux...
Je comprends ton découpage et ton choix de ne pas balancer trop d'explications d'un coup ; la partie sur la légende des Portes et la nature des Descendants est déjà très dense. Il y a pas mal de choses à assimiler pour le lecteur et il ne faudrait pas trop en faire, au risque de le perdre. En l'état, ton récit est fluide et se lit vraiment bien, donc je ne changerais pas forcément l'axe narratif. Mais peut-être au moins rajouter une évocation, un moment dans les chap 5 - 6 où Hayalee pose clairement la question, quitte à ce qu'Iltaïr réponde de manière évasive, change de sujet ou promette de lui répondre plus tard, ou lui dise simplement "on le découvrira quand tu apprendras à maîtriser tes pouvoirs, mais ne t'inquiète pas blablabla" ?
Pour le reste, j'ai vraiment passé un très bon moment sur ce premier mouvement. Je l'ai dévoré d'une traite sans m'arrêter, et c'est plutôt bon signe ;)
Je reviendrai dès que possible pour m'attaquer au second, j'ai hâte de connaître la suite et de découvrir où tu vas nous emmener.
À tout bientôt donc,
Ori'
Pour la question du lignage, comme tu l’as bien compris si je ne m’attarde pas trop dessus c’est parce que ça aurait fait encore beaucoup d’informations pour le lecteur. Mais oui, Hayalee se pose bien la question, elle a bien suivi le même cheminement de pensée que toi et elle a bien très peur de ce qu’il en est. Au point, justement, de ne pas oser poser la question. Mais j’ai peut-être un peu trop éludé ce point. Ta suggestion qu’elle pose quand même la question à Iltaïr et qu’il esquive est pas bête. En fait, j’étais même persuadée que c’était déjà le cas. x’D Je dois m’emmêler les pinceaux entre toutes les versions que j’ai pu écrire voire même, la suite… Je vais relire et essayer de corriger ça.
Un gros merci pour ta lecture et tous tes retours ! Ça me fait rudement plaisir d’avoir ton avis sur cette histoire. J’espère sincèrement que l’aventure te plaira ! Sinon, faudra pas hésiter à dire où ça coince. I’m ready.
À la prochaine !
Ce fut un plaisir de te lire et de commenter ton histoire, comme dit plus haut j'ai passé un très bon moment, donc c'est moi qui te remercie !
N'hésite pas à me dire aussi avant que j'attaque la lecture du 2eme mouvement si tu cherches un type de retour en particulier (style, grammaire, insertion des chapitres dans le reste du scénario, cohérence de l'histoire, construction et évolution des personnages ?). Si je peux aider en étant plus pertinent dans mes commentaires, c'est toujours avec plaisir :)
À bientôt,
Ori
Idéalement, des retours sur tout, ce serait bien. :p Bon, après, un de mes défauts d'écriture c'est d'en faire un peu trop. J'ai tendance à me perdre en introspection, à répéter plusieurs fois la même chose de façon différente... l'histoire étant déjà trèèès longue, j'aime autant enlever tout ce qui n'apporte rien. Donc, si y a des passages qui te paraissent traîner en longueur, hésite pas à le signaler.
Un autre truc qui me donne un peu de mal avec cette histoire, c'est qu'elle est partie pour être trèèèès longue. En conséquence, l'intrigue prend son temps à se dévoiler et j'ai peur que les lecteurs décrochent, faute de voir où tout ça va. Globalement, si ce que font les personnages te paraît vraiment pas intéressant, je veux bien que tu me le dises.
Evidemment, si y a des trucs qui tiennent pas la route au niveau de l'univers ou du scénario, pitié, faut me le dire aussi. ^O^
A part ça, toutes les remarques que tu peux avoir envie de faire, sur le fond ou sur la forme, sont les bienvenues !