Lorsque Katy ouvrit les yeux, elle eut la surprise de sentir sous elle des draps moelleux. Elle se redressa lentement. Elle se trouvait dans ce qui était sûrement un grenier poussiéreux, lovée dans un grand lit très confortable.
Les souvenirs des derniers jours vinrent soudain la percuter. La fuite, le bateau, Delphine, Théodorus, le marché. L’opération. Katy porta ses mains à sa gorge. On pouvait désormais sentir le relief fin d’une ligne de points de suture juste sous son menton.
Prise d’angoisse et d’impatience, elle ouvrit la bouche, son cœur tambourinant dans ses tempes.
— Aaaahhhh….
Elle se mit à trembler. Fiévreuse, elle modula plusieurs sons dans des tonalités différentes. Cette voix était étrange, plus grave que celle qu’elle avait avant, plus… métallique. Mais peu importait.
Elle voulut formuler un mot.
Son premier mot depuis quatre ans. Il revêtait un statut particulier. Quel était le premier mot qu’elle avait prononcé dans sa vie, d’ailleurs ?
La réponse vint d’elle-même, Anodetta le lui avait toujours répété. Son premier mot c’était…
— Ooo… netto…
« Onetto », elle avait l’impression de l’avoir revu quelques instants auparavant. Elle chassa cette pensée idiote et ouvrit la bouche de nouveau :
— Onetto, A… nodett… a, Geeoorge, Tiiimy, Abby, Ma… r… rissa, Giiiiislai… ne, Ber… t… tr…. trand, Joshhhh, Chr… Chr…. Christine, Mar… rin, Jim… Delphine.
Tous ces sons, mis bout à bout formaient des prénoms. Tous ces prénoms mis bout à bout formaient une liste. La liste des futurs interdits.
Par-delà la mélancolie, il y avait cette pensée, cet espoir comblé.
Cette délivrance.
Elle n’était plus Muette.
Les larmes s’accumulèrent sous ses paupières. Au lieu de s’y congestionner, elles en jaillirent. Katy se courba sur le lit, secouée de profonds sanglots.
___
Le feu crépitait dans la cheminée. Théodorus, assis sur son fauteuil, s’y pencha pour embraser une allumette qu’il fourra dans sa pipe. Un nuage s’en échappa aussitôt, alors que Katy fronçait légèrement le nez. Elle pouvait sentir l’odeur piquante alors que ses narines étaient encore bouchées d’avoir trop pleuré. Elle venait juste de rejoindre celui qui lui avait rendu sa voix, après des heures passée dans son lit à sangloter.
Les yeux du vieil homme parcourait les volutes de fumée sans vraiment les voir.
— Il faut que je te raconte quelque chose, exhala-t-il.
Elle braqua ses prunelles sur lui, attentive.
— Comme tu le sais peut-être, j’étais le directeur de thèse de ta mère. Elle était bien différente de celle que tu as connue, plus timide, plus réservée. Mais bien sûr déjà brillante. Le temps que j’ai passé à la superviser a été l’un des meilleurs de ma vie. Il faut dire que l’époque était relativement joyeuse. L’Empire amaryen, trop occupé par le front de l’est, avait conclu une trêve avec l’alliance de l’ouest. On se disait que la guerre allait se terminer. L’économie et les loisirs repartaient, tout ça me faisait penser au temps si lointain où la guerre n’existait pas encore, une légende que seule ma génération a pu connaître.
Il se repositionna dans son fauteuil, les yeux voutant sur ses souvenirs.
— Le jour où ta mère a obtenu sa thèse, je suis allé fêter ça avec elle et ses condisciples. C’était une très bonne soirée, gonflée d’espoir en l’avenir. Ce soir-là, quand nous sommes chacun rentrés chez nous, nous avons pu entendre grésiller à la radio une terrible annonce : les Amaryens avaient triomphé à l’est et attaquait l’ouest. La mobilisation générale en Alycie, Cocardie et Crecetti état décrétée. J’ai à peine eu le temps de dire au revoir à mes élèves, à la gare, qu’ils partaient pour le front, ta mère avec.
Il chassa un nuage de fumée.
— Mais je m’égare. Dis-moi, est-ce que tu sais sur quoi portait la thèse de ta mère ?
Katy secoua la tête, oubliant qu’elle pouvait désormais parler.
— C’était sur les prothèses, souffla Théodorus. Tout le département y était dédié, avec chacun sa spécialité. Dans mon labo, on s’occupait de la tête. Et ta mère, sur l’audition. Elle voulait aider tous les gens qui étaient devenus sourds à cause des explosions et des coups de feu. Elle a travaillé d’arracher-pied pour mettre au point différents systèmes, dont un tympan artificiel, qui guérirait leur cécité. Je me rappelle quand elle a rendu l’ouïe à cette femme, Anne. Elle l’avait perdue dans un bombardement, plus jeune. Elle s’est mise à pleurer quand elle a entendu pour la première fois la voix de ses enfants.
Théodorus eut comme un sourire, une sorte de rictus à mi-chemin entre la joie et les larmes.
— Ça, c’était la vocation de ta mère.
Il prit une grande inspiration, les lèvers accrochées à sa pipe et les yeux embués.
— C’est moi qui lui a fait intégrer le programme de recherche en transport militaire dans lequel tu l’as toujours connue. Je voulais la sauver du front, la faire revenir à sa passion. Mais je n’ai fait que la détruire.
Il se frotta les paupières, avant de se redresser brusquement.
— Enfin, tout ça pour te dire que… enfin… tu sais ce qu’est un tympan ?
Elle secoua encore la tête.
— Pour faire simple, c’est une membrane qui vibre quand il y a du son. Anodetta a accompli l’exploit de reproduire cette membrane et ses propriétés presque à l’identique. La technologie qu’elle a utilisé pour ce faire, j’ai pu l’appliquer à d’autres systèmes.
Il planta son regard dans celui de Katy.
— Comme les cordes vocales.
Le jeune fille sentit sa poitrine se serrer. Des larmes coulèrent encore sur ses joues.
— Je…
Elle reprit sa respiration.
— Je vais… vous aider, pour votre entrevue avec le général.
Théodorus sourit, ses rides tremblaient.
— Merci.
___
Le tic-tac de l’horloge résonnait dans le lourd silence de la pièce. Pour l’occasion, le canapé miteux avait été déplacé au centre du salon, devant une table basse de bois sculpté, la poussière avait disparu, les étagères aussi.
Katy, habillée en soubrette, attendait, les nerfs à vifs, la venue du Général amaryen. Théodorus faisait de même, mâchouillant nerveusement sa pipe.
— Tu as bien tout retenu ? demanda-t-il pour la énième fois.
La jeune fille allait hocher la tête, avant de se rappeler qu’elle pouvait répondre.
— Oui.
— Bien, ça va bien se passer, fit le savant en tortillant sa pipe dans ses doigts.
En tout cas, ça ne marcherait pas si le savant continuait de mentir aussi piteusement.
Soudain, la sonnette retentit. Elle se tendit comme une corde d’arc tandis que Théodorus allait ouvrir en s’épongeant le front. La jeune fille se força à se détendre et à afficher une expression neutre, de son jeu d’actrice dépendait leur vie. Elle entendit des voix dans l’entrée. Debout à côté du canapé, elle prenait soin de fixer le vide.
Le Général apparut, sa bedaine gonflé ballotait à chacun de ses pas. Sur son visage rougeaud où brillaient deux petits yeux noirs, on ne pouvait manquer son impressionnante moustache brune, soigneusement bouclée sur les côtés. Katy retint un tremblement.
Lorsqu’il la vit, il fronça le nez, faisant tressauter sa moustache.
— Est-ce votre esclave ou votre invention ?
— Mon invention, mon général, répondit le savant en apportant des tasses qui cliquetaient dangereusement.
L’invité s’étala sur le sofa avec une moue circonspecte, il était accompagné d’un garde à l’air impassible. Il tenait dans ses mains un couteau qu’il faisait tourner adroitement.
Malgré sa nervosité, la jeune fille plantée devant eux parvenait à garder un visage de marbre. Ces longues années passées à jouer la poupée amorphe lui étaient finalement utiles.
Le Général prit la tasse que lui tendit Théodorus mais la reposa vite après y avoir trempé les lèvres.
— C’est donc ça, commença-t-il, un… heu…
— ClockHuman, Monsieur, ou plus précisément une ClockGirl.
— C’est ça, c’est ça. Avec quoi l’avez-vous faite ?
— Un cadavre de Muette jeté aux ordures. Morte par étranglement, il aurait été bête de ne pas utiliser un corps en si bon état et de le laisser pourrir.
Sa voix malicieuse arrachant un discret frisson à Katy. Il jouait bien la comédie, mais elle ne se sentit pas si rassurée. Après tout, c’était lui qui avait eu l’idée de cette invention morbide.
— Et donc on doit les nourrir, ces robots ?
— Non, ce n’est pas nécessaire, je lui ai implanté plusieurs Cristaux Lucidum.
Les Cristaux Lucidum étaient un héritage de la Civilisation Perdue, du quartz en apparence commun mais qui après avoir été exposé au soleil suffisamment longtemps pouvait fournir de l’énergie à n’importe quel objet équipé de réceptacles adéquats.
— Ont-ils une intelligence humaine ?
— Pas exactement. Disons qu’ils sont capables de comprendre les mots mais pas de parler spontanément ni de prendre une quelconque initiative. Vous n’avez qu’à lui donner un ordre ou lui poser une question, proposa le scientifique. Dites son nom puis la question, elle s’appelle CGC-1.
— Bien, bien, CGC-1, qui suis-je ?
— Analyse de la question. Terminée. Recherche d’éléments. Terminée. Pourcentage de fiabilité de la réponse : 96 %. Formulation de la réponse : « Vous êtes le Général Gobelstein, de l’Armée Impériale Amaryenne. »
Le visage des invités s’était décomposé d’étonnement. Le soldat avait arrêté de jouer avec son couteau.
— Incroyable, murmura-t-il.
— Mouais, persista Gobelstein, CGC-1, de quand date la capitulation de l’Alycie ?
Katy dut se retenir de frémir, elle ne risquait pas d’oublier ce jour fatidique qui avait suivi de peu son entrée au service des Heitlzer.
— Analyse de la question. Terminée. Recherche d’éléments. Terminée. Pourcentage de fiabilité de la réponse : 95 %. Formulation de la réponse : « L’Alycie a capitulé le 20 décembre 945. »
— Non ! tonna le Général si fort qu’elle faillit sursauter. CGC-1, je veux la date du calendrier de l’Empire !
Katy manqua de répondre tout de suite, mais elle se rattrapa.
— Analyse de la requête. Terminée. Recherche d’éléments. Terminée. Pourcentage de fiabilité de la réponse : 99 %. Formulation de la réponse : « L’Alycie a été soumise le 20 décembre de l’an 62 ».
— Oh ! Est-elle obligée de répondre aussi lentement ? demanda Gobelstein, agacé.
— Non, répondit immédiatement Théodorus, CGC-1, mets-toi en mode accéléré.
— Analyse de l’ordre. Terminée. Mise en place du système d’accélération. Recherche d’éléments. Terminée. Pourcentage de fiabilité de la réponse : 99 %. Formulation de la réponse : « Oui, maître. » Mise en place du système d’accélération : terminée.
— Bien, fit le savant, CGC-1 maintenant dis-moi quand a commencé cette guerre.
Tous les yeux étaient braqués sur Katy tandis que les siens étaient accrochés au mur.
— Il y a cinquante-quatre ans, six mois et neuf jours, durant le mois de l’hibiscus de l’an 12.
— Alors, demanda son « maître » au général, êtes-vous satisfait ?
Le visage de Gobelstein s’était fendu d’un large sourire. Il semblait très content d’avoir un moyen de tuer encore plus de gens. Dans ses iris luisait l’image d’une armée de cadavres ressuscités.
— C’est très prometteur, convint-il.
Théodorus laissa échapper un petit soupir de soulagement.
Le Général saisit un côté de sa moustache pour l’entortiller entre ses doigts boudinés, songeur.
— Il va falloir qu’on prenne ce cobaye en essai pendant quelques jours.
Katy accusa le coup. Elle avait été prévenue que cela pouvait être une possibilité.
— Bien sûr ! Je vous montrerai comment…
— Vous ne nous accompagnerez pas.
Le savant se figea, jeta un œil nerveux à la soubrette et déglutit profondément.
— Je…
— On se débrouillera très bien sans vous. Vous voulez vos fonds ?
— O… oui.
— Bien, ne vous en faites pas, je vous la ramènerai intacte. Normalement.
La jeune fille sentait son cœur frapper ses côtes. Elle demeura immobile. Sous sa robe était cachés des provisions, et une arme au cas où elle ne pourrait pas supporter les expériences. Elle n’aimait pas ça. Trop d’inconnus. Elle n’arrivait pas à estimer ses chances de s’en sortir.
— Bon !
Gobelstein frappa ses cuisses d’un air satisfait et se leva pesamment.
— Allons-y. CGC-1, suis-moi. Quant à vous, M. Stew… à dans trois jours, disons.
— Au revoir…
Katy s’avança d’une démarche sèche. Ses jambes tremblaient, elles voulaient courir. Raide, elle sortit de la maison à la suite du Général et de son garde du corps. Un char mécanique les attendait dans la rue pluvieuse. Plaqué d’or et du drapeau amaryen, ses arabesques métalliques et son allure fuselée semblaient intruses dans le décor grisâtre. Ses trois roues n’étaient pas faites pour les pavés cabossés de la ruelle, peut-être cela expliquait-il la grise mine du chauffeur qui les attendait à son poste de conduite, debout à l’arrière. Ça et le fait qu’il s’était copieusement fait arroser par les nuages.
Le garde ouvrit la portière à son supérieur qui grimpa dans l’habitacle fermé. Katy, après un instant d’hésitation infime, posa le pied sur la marche. Elle sentit qu’on posa une main sur son épaule.
Tout se passa alors très vite.
Son cœur bondit, faisait sursauter tout son corps. Elle tourna la tête par réflexe, ses yeux rencontrèrent ceux du soldat. Ils commençaient à s’écarquiller, comprenant la mascarade. Elle n’eut pas le temps de réfléchir. Elle saisit le couteau qu’il exhibait à sa ceinture et le retourna contre lui. La lame franchit les vêtements et perça profondément la chair. Il hurla. Il voulut l’attraper, mais elle parvint à le repousser, il bascula en arrière et s’étala sur les pavés. Le sang s’échappant de sa plaie s’écoula en quadrillage autour des pavés détrempés.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?!
Gobelstein eut le malheur d’approcher sa moustache de la portière entrouverte. Katy lui planta le couteau dans l’œil. Il recula en hurlant, son cri fut déformé et repris en écho entre les parois de métal. La jeune fille fit quelques pas en arrière, hagarde.
Elle accrocha alors le regard vif du chauffeur qui pointait un fusil sur elle.
- La fuite, le bateau, Delphine, Théodorus, le marché. (Une virgule et pas un point du coup) L’opération.
- celui qui lui avait rendu sa voix, après des heures passée (s)
- Les yeux du vieil homme parcourait (parcouraient) les volutes de fumée
- Le temps que j’ai passé à la superviser a été l’un des meilleurs (périodes plutôt ? Parce que “l’un des meilleurs temps c’est un peu bizarre non ?) de ma vie.
- La mobilisation générale en Alycie, Cocardie et Crecetti état décrétée. (était)
- les lèvers (lèvres) accrochées à sa pipe
- sa bedaine gonflé (gonflée) ballotait à chacun de ses pas.
- Mise en place du système d’accélération : terminée. (Il faudrait pas mettre un point comme pour le reste au lieu de mettre deux points ?)
- Sous sa robe était (étaient) cachés (cachées) des provisions,