«— Et vois-tu mon enfant, à ce moment-là une éclaircie semblait venir nous apporter un peu de réconfort. »
La voix mourut. Un bruit de porte. Des pas feutrés. Une phrase d’excuse envoyée à la volée. Aucun sourire échangé. Seul un regard entendu d’une compréhension mutuelle. Comme un lourd secret partagé avec complicité. Un adulte rejoignit la petite fée pour écouter l’histoire contée. Cette interruption ne dura qu’un bref instant. Une fois la porte de métal hermétiquement fermée et le calme revenu, Lylia reprit son récit. Mais malgré les trémolos présents dans ses mots, pas l’ombre d’une émotion ne vint souligner ce regard fatigué ni même illuminer ces lèvres ridées d’avoir trop sourit jusqu’ici.
La fillette perdit sa concentration vis à vis de l’histoire de Grand-Mère. Son regard papillona dans toute la pièce furtivement, pendant que sa tête hochait régulièrement pour feindre son écoute assidue. Ses yeux bleus finirent par se poser sur le visage de son interlocutrice. Sans expression, elle lui parlait avec beaucoup de sérieux. Une aura de sagesse se dégageait de toute sa personne : depuis sa posture, jusqu’à son chignon gris serré; de ses mains soigneusement posées sur ses genoux repliés, jusqu’à ses ailes ternes qui ne brillaient pas du même éclat que les siennes. L’enfant regarda à nouveau son visage, un visage qui lui était familier mais lui paraissait sous un nouveau jour. Un étrange sentiment vint lui remuer les entrailles. Est-ce que cette peau craquelée avait-elle réellement pu se tendre, se déformer pour sourire un jour ? Voire rire aux éclats ? Comment ce regard vide pouvait être capable de briller, de pétiller comme disait Grand-Père ? Cela lui semblait tout bonnement impossible, impensable. Soah venait de fêter ses dix printemps, et la joie n’était rien de plus qu’une fabulation, une légende, un truc qu’on aime raconter aux enfants pour les effrayer. Milo, une de ses amies, affirmait même que si le peuple féerique avait oublié cette émotion ce n’était pas seulement à cause de la Malédiction Divine. Celle qui avait signé le compte à rebours de son espèce. Mais, c’était aussi parce que plaisir rimait avec souffrir. Leurs ancêtres avaient osé être heureux, et en avaient payé le prix fort. Le bonheur rimait avec malheur. Pire que ça ! On racontait que le bien-être provoquait moult douleurs psychologiques. Alors on le fuyait coûte que coûte par le biais de la souffrance physique, contrôlable et palpable.
Cette version des faits lui provoqua un sinistre frisson, le genre de tressaillement qui fit s’entrechoquer les os de son corps rachitique. Elle n’aimait pas cette version des faits; préférant se raccrocher à la vérité : à cause de la Fleur de Vie Originelle fanée alors le peuple tout entier est entré dans un deuil sans fin en attendant ses dernières heures. C’est bien plus simple à comprendre ainsi. Pas de questionnement sans fin, pas d’émotions, un simple fait : ils allaient tous disparaître, parce que c’est comme ça. Chaque chose naît, chaque chose meurt. Mère Nature en a finit d’eux, il est temps de tirer sa révérence au monde. Vouloir réfléchir à tout ce qui a pu se passer, vouloir comprendre ne sert à rien. Surtout si cela veut dire ressentir des maux dans sa tête et son esprit. Le mal du corps se suffit à lui-même, d’autant plus qu’on est capable de le contrôler, le manipuler, le tempérer, le doser. Alors que celui du cœur…
Un autre sursaut la fit trembler des pieds à la tête. Soah prit une longue inspiration pour cesser ces entrelacements mentaux afin de reprendre contact avec la réalité palpable autour d’elle. À sa gauche, son père qui les avait rejoint pour écouter l’Histoire. À sa droite, une cheminée de cendre qui témoignait d’un feu récemment éteint. La nuit étant tombée, il fallait être discret, vivre dans l’obscurité pour ne pas se faire remarquer par Eux. Dans son dos elle devinait encore la porte verrouillée par une subtile alliance entre le métal et la magie, gardiens de leur sécurité. Face à sa silhouette fluette, Grand-Mère qui parlait sans discontinuer depuis tout à l’heure. Elle admirait sa capacité à parler sans s'essouffler, sans même laisser les émotions prendre leur place. Cette maîtrise de soi l’époustouflait. Elle rêvait de réussir à faire taire son esprit pour n’être plus qu’une coquille vide de la même façon. Quand on parvenait à éteindre sa sensibilité, alors on accédait selon les dires des plus âgés à une forme de sérénité pour la Fin. Ce qui est la chose la plus souhaitable pour chacun et chacune d’entre eux. En poussant un dernier soupir douloureux, elle reprit la maîtrise de sa concentration. L’Histoire l’aiderait à se débarrasser une bonne fois pour toutes de ses émotions impétueuses.
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«— Tu… Tu…
— Chut ! Il faut qu'on soit discrets comme des ninjas ! »
Lylia n'avait aucune stricte idée de ce que pouvais être ces ninjas mais comprenait l'intention. Elle ne s'offusqua pas d'être grondée par un enfant. Celui-ci la conduisait droit vers la sortie, vers la liberté.
Mains moites, la fée se concentrait doublement pour s'empêcher de battre des ailes. C'était contre nature de ne pas les laisser se mouvoir dans l'air, d'autant plus que ça forçait sur sa blessure en même temps. Lors de sa capture, les humains lui avaient tiré dessus à l'aide d'une arme. Une arme de métal, silencieuse mais douloureusement efficace. Un petit trou asymétrique déformait l'une de ses membranes. Les bords étaient noirs, comme brûlés. Un élancement de feu irradiait depuis son aile et s'étendait dans l'ensemble de son bras gauche à chacun de ses mouvements. L'enfant devant elle avait réussi à l'extirper de sa cage, puis en silence ils avaient longés le bâtiment de bois dans l'ombre de la nuit. Celle-ci bien avancée leur assurait une certaine sécurité dans cette escapade improvisé. La plupart des étrangers dormaient à poing fermés, seuls quelques silhouettes montaient la garde en tournant régulièrement entre chaque feu mourant.
Ils se trouvaient dans un camp sommaire, installé dès le début de la conquête des terres féeriques. Le reste des humains vivaient dans des terres bien plus éloignés, où la technologie avait largement prit le dessus sur Mère Nature. Même si Lylia appréciait chaque avancée avec fascination, elle ne se voyait pas rompre complètement ses liens avec la nature. Le jeune garçon lui avait apprit toutes ces choses à demi-mots tandis qu'ils marchaient sur la pointe des pieds dans l'obscurité. Lylia ne disait rien, absorbant ces informations précieuses avec sérieux. Son coeur tambourinait follement, la peur cognait fortement en elle.
Je t’avoue que j’ai été complètement perdu à la lecture de ce chapitre. J’ai fini par comprendre que le récit depuis le départ était une histoire racontée plus tard par Lylia à Soah, mais la forme n’était pas très explicite.
À nouveau ma remarque sur la concordance des temps.
Mes remarques :
Supprimer « est-ce que » devant « cette peau ».
Pouvaient être ces ninjas
Ils avaient longé le bâtiment
Improvisée
Seules quelques silhouettes
Le reste des humains vivait
Éloignées
Lui avait appris
J’espère que tu auras bientôt le temps de nous offrir un chapitre supplémentaire. Je veux savoir la suite !
Je suis toujours super nerveuse de voir Lylia autant en danger, n'importe qui pourrait tomber sur elle et son petit sauveur, n'importe quand ! J'espère qu'elle va pouvoir s'en sortir malgré son aile blessée ! =o