9 - Interrogations

Interrogations

— Ariette, je peux vous voir ?

— B… bien sûr, madame.

— Fermez la porte derrière vous. Bien. J’ai observé votre travail de ce dernier temps et…

— Si vous voulez parler d’Arsène, c’était un écart de rien du tout. Il m’a demandé de l’accompagner et je me suis laissée berner. Mais dès qu’on a vu que l’ascenseur tournait dans une boucle spatiale, on est descendus et je suis revenue directement ici. Je vous assure que c’est…

— C’est… très intéressant, ce que vous dites, Ariette. Mais ce n’est pas exactement de ça que je voulais vous parler.

— Oh. Je… Je suis désolée. Je ne savais pas. Je…

— Arrêtez de vous excuser, Ariette. Ça devient gênant. Je voulais vous dire que votre travail dernièrement est bon et que vous avez été remarquée.

— Moi ? V… vous êtes sûre ? Parce qu’il y a cette collègue avec laquelle je travaille. Mauriette. Et elle s’en sort vraiment très bien. Du coup, souvent, on nous confond. Peut-être qu’on se ressemble, allez savoir. Ou peut-être à cause de nos noms. Qui se ressemblent aussi, vous comprenez ? En tout cas, on nous confond. Et là, maintenant, vous ne m’avez pas confondue avec elle, par hasard ? Parce que si c’est le cas, je peux l’appeler. Ça ne me prendra que quelques secondes. Je…

— Ariette, calmez-vous, allons. C’est bien vous que j’ai convoquée et c’est bien à vous que je voulais parler. Si vous voulez tout savoir, Mauriette ne fait pas un si bon travail que ça. Mais ça, ça ne concerne pas notre discussion actuelle. Donc on n’en parlera pas.

— Vous… vous me félicitez pour mon travail ?

— Oui, Ariette.

— Oh, je... Je ne sais même pas quoi dire.

— Ne dites rien dans ce cas. Je trouve que c’est important que les employés sachent quand ils font de belles choses.

— M… merci.

— Mais maintenant, il ne va pas s’agir de se reposer sur nos lauriers, pas vrai, Ariette ?

— Sur des lauriers ?

— C’est une expression. Il va falloir continuer à bien travailler. Surtout que nous sommes toujours en situation de crise.

— Les âmes stagnantes.

— Les âmes stagnantes. Je sais qu’on vous avait mis dessus en parallèle de sept autres dossiers. Ce qui est tout sauf productif. À partir de maintenant, vous n’allez donc plus vous occuper que de ce dossier. Compris ?

— Oui, madame.

— Parfait. Vous serez en charge de tout ce qui va se passer sur ce cas. Il faut que la situation se débloque vite, vous comprenez ? Nous sommes en train de perdre des âmes et le processus de réincarnation a du mal à se faire. Les formes de vie en pâtissent. C’est très mauvais pour l’univers, Ariette. Vous comprenez ? Bien.

— Mais…

— Oui ?

— Concrètement, qu’est-ce qui se passe dans l’univers ? Avec les âmes qui ne tournent pas, je veux dire. Celles qui sont bloquées.

— Des choses mauvaises, Ariette. Très mauvaises. Pour le moment, le roulement se fait à peu près normalement. Nous avions des réserves d’âmes pour tenir quelques jours. Mais sous peu, les nouvelles formes de vie vont voir le jour. Et elles n’auront pas d’âme.

— Pas d’âme ? Mais… je croyais que c’était impossible.

— Pas impossible, Ariette. Vraiment pas souhaitable. Une forme de vie sans âme, ça vit mal. Ça fait du mal autour de soi, ça se fait du mal. Ça ne ressent rien, si vous voulez. Un individu isolé par-ci par-là, ça peut encore passer, il ne peut pas faire beaucoup de mal. Mais imaginez tout une planète peuplée de formes de vie sans âme. C’est la mort assurée pour leur monde.

— Mais nous… Enfin…

— Dites ce que vous avez à dire, Ariette.

— Nous autres. Tous les gens qui travaillent ici, je veux dire. On n’a pas d’âme non plus. Et pourtant, on ne se détruit pas les uns les autres et on ressent des choses.

— Oh, mais nous, nous sommes à part. Nous ne vivons dans aucun monde. Nous n’avons pas besoin d’âme pour être ou pour ressentir. Nous sommes, voilà tout.