Rav’ka avait traîné El’vir jusque dans les Protectrices. Elle avait fini par reprendre peu à peu conscience et ils avaient escaladé la chaîne de montagnes sur quelques centaines de mètres de dénivelé. Le poste de commandemant de l’empire de Vestrià se trouvait à quelques mètres en-dessous d’eux, là où la pente n’était pas encore très prononcée. Mais l’empereur mort, ils ne s’en inquiétèrent pas. Ils se contentèrent de se cacher derrière un renfoncement formé par les rochers des Protectrices et observèrent la suite des combats.
Si Rav’ka avait été seul, il se serait jeté dans la bataille. La rage qui l’avait envahi, à la vue du dragon sans pitié pour son peuple et ses alliés, avait pris possession de chaque fibre de son corps – et son carquois était encore plein de flèches. Mais il devait rester pour protéger El’vir.
La spirimancienne, à peine remise de l’usage éreintant qu’elle avait fait de ses pouvoirs, s’était mise au travail dès qu’il avait cessé de pleuvoir. De l’une des poches de sa robe, elle avait sorti un petit pot de métal et en appliquait le contenu sur ses marques. Rav’ka crut un instant que l’onguent avait pour vocation de soigner son corps fatigué, mais la mixture, qui mélangeait des pigments minéraux et végétaux ainsi que de la graisse animale, avait la même couleur que sa peau.
Intrigué, Rav’ka ne se laissa pour autant pas distraire des combats. Il poussa un cri de victoire lorsque le dragon brun fut abattu par les balistes du royaume de Cardiban. Reprenant espoir, il eut un regard pour El’vir, qui poursuivait sa tâche avec une indifférence totale pour la bataille qui se déroulait sous leurs yeux.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— À ton avis, répondit-elle sans le regarder, quelle est la première chose que l’empire va faire après sa victoire ?
Rav’ka fronça les sourcils :
— Tu… On vient de le tuer ! Comme l’empereur est mort, ils vont vraiment se disperser, c’est obligé ! Et le dragon… Tu n’as pas vu ?
El’vir n’avait même pas daigné jeter un œil au champ de bataille.
— Ils sont sur le point de lancer la plus grande chasse aux spirimanciens de l’histoire, dit-elle. Il faut qu’on se prépare.
— Tu plaisantes, j’espère ? On peut encore gagner ! On est sur la bonne voie !
La spirimancienne achevait de recouvrir sa dernière marque, une arabesque qui ceignait son front comme un diadème. Enfin, elle referma le pot de fond de teint et leva les yeux vers le chasseur pour le considérer d’un œil triste. Le ciel s’était déchargé de toute sa pluie ; les nuages étaient blancs et bas et l’atmosphère lourde de l’odeur de l’humidité et du sang.
— Les soldats royaux n’auraient pas dû tuer Astròdelle, dit calmement El’vir. Et Astròdelle n’aurait pas dû se retrouver parmi les combats. Trop d’erreurs ont été commises pour que l’on puisse encore éviter notre fin.
— Astròdelle ?
— Le dragon.
— Mais…
Rav’ka n’eut pas le loisir de protester davantage. Il y eut un fracas sourd et crépitant, un son profond qui ressemblait à celui que Rav’ka avait entendu, seulement une fois dans sa vie, lorsque la foudre était tombée droit sur un bois près duquel sa tribu campait alors – et y avait mis le feu. Un éclair orange illumina le visage d’El’vir, qui ne broncha pas. Le cœur battant, Rav’ka se retourna, toujours plaqué contre les Protectrices dans ce qu’il savait être une tentative de se dissimuler un peu ridicule. Il osa un regard en contrebas dans la direction du poste de commandement impérial.
Une silhouette massive passa devant lui, fusant vers le ciel, et il fut déséquilibré par le souffle d’air qui en résulta. Un deuxième dragon ! Ils avaient un deuxième dragon ! Tout espoir de victoire balayé, il le regarda voler vers le champ de bataille sans vraiment réaliser ce qu’il avait sous les yeux. Le poste de commandement était dans un état déplorable. La tonnelle avait disparu et l’herbe, qui poussait encore à cette altitude des Protectrices, affichait une longue traînée noircie qui brûlait encore par endroits. Elle conduisait droit vers la silhouette d’un homme en feu qui se tordait de douleur en hurlant. Rav’ka vit trois autres corps, encore épargnés par les flammes. Il reconnut celui de l’empereur, dans son armure dorée, et un sentiment étrange lui tordit l’estomac. Était-il fier ? Avait-il droit d’être fier d’avoir tué un homme ? Le deuxième corps était celui d’un homme à la silhouette haute mais robuste, qui reposait face contre terre, un couteau planté entre les omoplates, un stylet à la main. Le troisième corps appartenait à un homme légèrement enrobé, qui geignait en tenant son estomac ensanglanté – il n’en avait plus pour très longtemps.
Rav’ka suivit le dragon des yeux alors qu’il volait au-dessus des champs du Rònan et les aspergeait de flammes. Il ne savait plus quoi faire. Il ne pouvait plus que regarder les flammes dévorer les champs déjà retournés par la terre, happé par cette vision de chaos. Derrière lui, l’homme en feu était enfin tombé et son corps continuait à se consumer dans le silence.
Un bruit de sabots fit brusquement sortir le chasseur de sa léthargie. Une jument baie arrivait vers eux, terrifiée, les yeux exorbités, les rênes pendantes. Elle portait l’équipement des montures de l’armée impériale. Sans réfléchir à ce qu’il se faisait. Rav’ka se jeta en travers de sa route en écartant les bras.
— Tout doux ! cria-t-il.
Effarée, la jument roula des yeux et piaffa de nervosité, les flancs couverts de sueur et les oreilles couchées.
Mais elle finit par s’apaiser peu à peu. El’vir s’était mise debout derrière Rav’ka, les yeux fermés, les mains jointes. Ses marques de spirimancienne scintillaient presque derrière la couche de fond de teint. Les oreilles de la jument se pointèrent en avant et elle pencha la tête d’un air intéressé. Ses flancs se soulevaient encore à un rythme effréné, mais El’vir put s’en approcher et la désharnacher.
— Il faut qu’on rejoigne le camp des femmes et des enfants, dit-elle en jetant la selle à terre.
Rav’ka s’approcha pour l’aider.
— C’est une monture impériale, dit-il avec une moue sceptique.
L’animal était bien loin des robustes équidés que les Nomades avaient l’habitude de monter.
— Elle doit venir du poste de commandement. Elle a probablement fui lorsque…
Elle haussa les épaules. Son nez s’était remis à saigner.
— Il se pourrait bien qu’elle nous sauve.
Rav’ka enroula sa main autour des crins de la jument et se hissa sur son dos avant de tendre une main à la spirimancienne.
— On va contourner les champs, il faut qu’on arrive avant l’armée impériale, dit El’vir en se hissant en selle. Je suis une femme et tu es encore assez jeune pour passer pour un enfant. Avec un peu de chance…
En d’autres circonstances, Rav’ka se serait offusqué d’être traité d’enfant. Mais il se contenta d’enfoncer ses talons dans les flancs de la jument et ils dévalèrent les Protectrices au galop, traversant ce qui restait du poste de commandement.
Concentrés sur leur fuite et sur leur itinéraire, ils ne virent pas le dragon de feu revenir sur ses pas et se poser tout près des restes de sa cage de transport. Ils ne le virent pas non plus saisir dans ses pattes la petite caisse restante, dont quelques planches s’étaient enflammées, et disparaître avec elle derrière les nuages blancs, volant loin vers le nord.
L'univers, les personnages (même si la mort de Wandrille m'a surpris), les dragons, les batailles ... bref il faut une suite. Retrouver les personnages vivants ou tout au moins, l'univers. l'univers, oui !
Ce fut un récits de bataille très prenant et c'était si fluide à lire, j'ai beaucoup aimé et je suis sûre de lire la suite (quand c'est uen autre histoire).
Je m'attendais pas du tout à ce que Wandrille meurt et que Rav'ka et El'vir survivent. Autant dire que j'aimais pas le stratège, maintenant le curseur flotte plus entre la détestation et la haine, la relation entre Wandrille et l'empereur était belle, une relation étudiant ensiagnant saine et on en plus en le suivant on voyait que l'empereur était pas jsute un affamé de pouvori qui déclenche des terres, en fait la perspective de Wandrille donne un aperçu tout autre sur qui est l'empereur.
Bon au moins El'vir et Rav'ka on survécu, ça passe du baume sur la tristesse. Et j'aime bien comment El'vi se révèle très pragmatique, on savait pas grand chose hormis ces don de chaman dont c'est plaisant d'avoir un aperçu de sa personalité.
Merci pour la lecture et bonne continuation ^^.
Rooohh, déjà la fin^^ (enfin j'imagine qu'il faut bifurquer sur ton autre histoire, tu me le confirmeras).
Il y a quand même quelques survivants au carnage impérial, c'est heureux ^^
J'imagine bien le dégoût Rav'ka qui a risqué sa vie pour une périlleuse mission qui ne sert finalement à rien.
J'ai bien peur que des jours sombres attendent l'empire et ses voisins si c'est bien Antoine qui en prend la tête...
Une remarque :
"d’être traité d’enfants." -> enfant
C'était un grand plaisir de lire cette histoire, ça allait à cent l'heure mais qu'est-ce que c'était sympa !
Je m'attaquerai à ton autre œuvre la semaine prochaine,
A bientôt !
Wow ! Euh... y a une suite à ton oeuvre on est d'accord ? Tu vas nous faire le coup de "hop c'est fini ! :D " on est d'accord ? Parce que c'était dantesque !
Petite faute : Trop d’erreurs ont été commises pour que l’on puisse "encre" éviter notre fin. ---> Encore
Bref, merci de m'avoir offert cet excellent moment !
Bise de dragon !
Il y a en effet une suite (La Grande Battue), qui peut se lire indépendamment de cette nouvelle d'ailleurs... mais ça se suit chronologiquement et il y a des petits liens ^^