8. Le feu

— Faites quelque chose, bon sang ! C’est un véritable massacre !

Ùlric, jeté au bas de son cheval lorsque Astròdelle s’était libérée, avait laissé tomber toute convenance pour rejoindre Antoìne sous la tonnelle. Il lui criait dessus en agitant les bras. Le stratège s’était levé et approché, mais il n’avait pas quitté le couvert de l’abri. Il haussa les épaules :

— L’effet est celui que nous recherchons, non ?

Le Ministre de la Guerre blêmit :

— Mais… mais nos hommes sont en bas !

— C’est la guerre, répliqua froidement Antoìne.

Wàndrille ne pouvait détacher son regard du carnage qui se déroulait sous ses yeux. Les attaques d’Astròdelle renversaient le sol et leur effet était plus dévastateur que celui d’un tremblement de terre. Les hommes, qu’ils soient vêtus du rouge de l’empire, du bleu du royaume ou du brun des Nomades, sombraient en hurlant. Même l’orage et sa pluie toujours dense ne suffisaient pas à masquer la terreur suscitée par l’arrivée de la dragonne.

La longue-vue toujours collée à son œil, Wàndrille vit l’armée royale, pantelante, se réorganiser tant bien que mal. Ses tentatives de ralliement étaient balayées à chaque nouvelle attaque d’Astròdelle, mais les soldats royaux étaient tenaces.

— Les balistes ! cria Wàndrille.

Personne ne faisait plus attention à lui. Il se tenait debout à côté du corps de l’empereur, à qui il avait fermé les yeux, les rênes de sa jument dans la main. La mort de Ràndolphe avait été traitée avec indifférence, comme s’il se fût agi d’un événement attendu. Le cheval de l’empereur était allé brouter plus loin et seul Wàndrille s’était approché de l’homme qu’il avait eu l’honneur de servir. Maintenant qu’il était mort, qu’était-il censé faire ? Devait-il rejoindre les combats ou rester près du stratège impérial ? Si une flèche avait pu les atteindre, étaient-ils encore à l’abri, juchés au sommet de leur falaise ? Wàndrille n’avait plus vu une seule trace du tireur, mais si un Nomade avait réussi, pourquoi pas deux ?

L’orage finit par se calmer. Antoìne et Ùlric s’avancèrent hors de la tonnelle, vers le bord de la falaise. Wàndrille crut qu’ils allaient donner un ordre, mais ils n’en firent rien. Le Ministre était visiblement trop estomaqué pour réagir et Antoìne avait sur le visage un sourire étrange. Il arracha la longue-vue des mains de Wàndrille et la braqua à son tour sur le champ de bataille.

Avec horreur, Wàndrille vit les balistes prendre lentement position, ajuster leurs tirs et relâcher leurs flèches. Il retint son souffle alors que les traits volaient vers Astròdelle et faillit soupirer de soulagement lorsque le premier la rata. Mais les cinq autres ne furent pas dotés de la même chance et transpercèrent la dragonne, qui s’effondra. Son cri de douleur fut bloqué dans sa gorge par la surprise.

— J’ai besoin d’aide ! cria le maître-dragon.

Wàndrille se retourna pour le découvrir agrippé aux verrous de la deuxième caisse en métal, laquelle était secouée de violents tremblements. Il courut le rejoindre pour lui prêter main-forte. Les traits du maître-dragon étaient pâles, tirés par la peur et par l’incompréhension. Son regard brillait d’un éclat stupéfait et sa moustache trempée par la pluie s’affaissait sur son visage.

— Finnòdon ne doit pas s’échapper ! s’exclama-t-il.

Wàndrille se suspendit à la deuxième charnière de la caisse et résista de toutes ses forces.

— Si Finnòdon s’échappe, on sera morts… morts…

Les yeux écarquillés du maître-dragon sortaient de leurs orbites ; il avait l’air d’un fou.

— Ça n’aurait pas dû être Astròdelle… ça n’aurait pas dû être elle, répéta-t-il sans s’adresser à personne en particulier. J’étais si sûr… mais alors, d’où vient l’erreur ?

Il regarda la caisse plus petite, parfaitement immobile entre la prison brisée d’Astròdelle et la cage qu’ils tentaient désespérément de garder fermer.

— Et maintenant, on va mourir.

Un éclat de lucidité passa dans ses yeux lorsqu’ils se posèrent sur le Ministre de la Guerre, qui leur tournait le dos, à plusieurs mètres de là, indifférent au chaos qu’ils s’efforçaient de maintenir en boîte.

— C’est lui, souffla-t-il. C’est le général, c’est forcément lui !

Avec un cri de rage, il lâcha sa charnière, dégaina le stylet qu’il portait à la ceinture et se jeta vers Ùlric.

— Revenez ! hurla Wàndrille.

Son cri dut alerter Antoìne, qui se retourna juste à temps pour intercepter le maître-dragon. Mais Wàndrille n’eut pas le loisir d’observer le combat : la caisse fut prise d’une nouvelle secousse et il dut s’arc-bouter de toutes ses forces. Il se sentit ridicule. Pourquoi avait-il suivi le maître-dragon dans son mouvement ? Que pouvait faire le métal face à la puissance dévastatrice d’un dragon furieux ?

La charnière céda dans les mains de Wàndrille et la caisse explosa dans un fracas de plaques métalliques froissées. Quelque chose le cueillit au flanc et lui coupa le souffle pour l’envoyer voler de l’autre côté de la falaise. Il roula sur plusieurs mètres et s’arrêta en se cognant contre quelque chose de souple. Le corps sans vie du maître-dragon.

Il se releva tant bien que mal. Face à lui, Finnòdon se redressait de toute sa hauteur en s’ébrouant pour se débarrasser des éclats de métal de la caisse. L’un d’entre eux s’était fiché dans son épaule, mais il ne semblait pas s’en apercevoir. Il posa sur eux un œil mauvais et rempli de haine. Plus grand et plus élancé qu’Astròdelle, ses ailes étaient plus longues et ses écailles tiraient sur le rouge. Il était tout aussi majestueux qu’elle, mais avait un port différent que Wàndrille contempla un instant, fasciné.

Le dragon fit un pas et sa gorge rougeoya. Deux mains énergiques poussèrent Wàndrille en avant. Droit vers le jet de flammes qui s’échappa de sa gueule.

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Deslunes
Posté le 01/02/2022
Belle continuation, avec toi, la guerre, c'est la guerre. Logique mais implacable tout de même. Va-t-il rester des personnages ou un héros inattendu va-t-il sortir de cette bataille.
Les chapitres sont courts ( je n'avais pas vu cette importante pour la mise en ligne d'un roman, c'est surtout Edouard - et d'autres aussi - qui m'a expliqué pourquoi. j'ai coupé mes scènes parfois jusqu'en 6 parties et j'ai pas encore tout fait car mes scènes pouvaient faire jusqu'à 30K) et tu as raison même si je reste sur ma faim, à chaque fois, c'est mieux. Il est plus facile d'aller de suite, au chapitre suivant que de couper en court de route.
Thérèse
Posté le 03/02/2022
Moi-même je n'arrive pas à lire des chapitres de plus de 4k mots quand je lis sur PA ou sur un autre site d'écriture donc je fais des chapitres courts naturellement x)
Edouard PArle
Posté le 11/11/2021
Coucou !
Le carnage continue ! Les manigances d'Antoine sont démasquées mais ce pauvre Wandrille ne pourra pas le démasquer )= J'ai l'impression que c'est lui qui va devenir le chef de l'empire après la bataille et le "méchant" de ton autre histoire. Je verrais si mon intuition se confirme ^^
L'alternance des pdv fonctionne très bien.
Quelques remarques :
"à qui il était allé fermer les yeux," il avait fermé suffirait je pense
"Son cri dû alerter Antoìne," -> dut
Un plaisir,
A bientôt !
Thérèse
Posté le 12/11/2021
Merci :)
Joren
Posté le 28/10/2021
Que de retournements de situation ! Je me demande comment tout cela va finir chère Thérèse. Bon déjà heureusement il reste quelques survivants ^^
Le rythme est saisissant et les fins sont ultra prenantes (en particulier celle-ci !) On dirait que le corps de Wandrille va se réchauffer d'un coup ^^
Thérèse
Posté le 30/10/2021
Merci !
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