Hayalee se cogna le crâne en reculant dans la cellule. Kylian s’était précipité dans le couloir et Yasuo avait tourné la tête de côté, l’air de guetter l’arrivée des soldats.
— Personne, annonça Kylian. Merde ! Comment ils ont su ? Ils les ont repérés dans la cour ?
L’esprit assailli par les vertiges, le cœur palpitant, Hayalee replongea dans le trou. En bas, Saru et Lisandra s’étaient élancés vers le Donjon et avaient chacun attrapé Mìr par un bras. Ils le traînaient de force jusqu’au cabanon. Nahïs, elle, ne bougeait plus, toujours accrochée à la chaîne, loin au-dessus du sol.
— Je… je vois pas de gardiens, bégaya Hayalee.
— Que font les autres ? s’enquit Yasuo.
— Ils courent se cacher dans la remise. Mais… Nahïs n’a pas fini de descendre !
— Là ! clama quelqu'un. Ils sont là !
Hayalee se tordit le cou. Sur sa droite, un gardien pointait Nahïs du doigt. D’autres firent leur apparition à l’angle du bâtiment administratif.
— Les gardiens arrivent ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Une partie d’entre eux vint s’agglutiner au pied du Donjon tandis que les autres rebroussaient chemin, sûrement pour aller chercher des renforts. Loués soient les anges, Saru, Lisandra et Mìr avaient disparu dans le cabanon sans que personne ne les remarque.
— Nahïs, remonte ! cria Hayalee, les mains en porte-voix.
Mais Nahïs semblait tout aussi sourde à ses appels qu’aux sommations des gardiens. La terreur devait l’avoir paralysée. Comme si la situation n’était pas assez critique, une poignée supplémentaire de gardiens débarquèrent et ils étaient armés avec…
— Des arbalètes ! glapit Hayalee. Ils vont lui tirer dessus ! Il faut qu’on fasse quelque chose !
— Il faut surtout qu’on décarre de là avant qu’ils rappliquent !
Inspirant profondément pour ravaler les gros bouillons de peur qui lui montaient à la tête, Hayalee se prépara à lâcher le Feu, mais Yasuo l’interrompit.
— Écarte-toi un instant, s’il te plaît.
L’heure n’était pas à la discussion, aussi s’extirpa-t-elle du trou sans traîner. Malgré sa tension, Yasuo ramassa la chaîne, enroula un bras autour pour s’assurer une meilleure saisie et tira, pieds calés de part et d’autre de l’ouverture. Il remonta Nahïs à une vitesse surprenante.
Hayalee retourna se coucher dans la meurtrière, cherchant les arbalétriers, glacée à l’idée d’entendre la jeune fille hurler et chuter d’une seconde à l’autre. Elle n’eut pas le temps de trouver où et comment couvrir Nahïs que Yasuo finissait de la hisser dans la cellule. La jeune fille s’écroula sur les dalles, secouée, mais intacte. Hayalee l’aida à se relever et elle fondit dans l’angle de la pièce pour s’y recroqueviller, le regard fou.
Dans le plus grand des calmes, Yasuo décrocha le grappin et referma sa main à mi-longueur de la chaîne. Celle-ci se sectionna en deux et il jeta la partie munie du grappin à travers le trou – espérait-il assommer un gardien ?
— Et maintenant, on fait quoi ? gronda Kylian. Ils vont débarquer d’une minute à l’autre !
Yasuo enroula ce qui restait de chaîne autour de son bras. Au contact de sa peau, le métal s’effrita et se fondit dans son épiderme qui se marbra de veines noires. Il n’y avait pas d’empressement dans ses gestes, pas l’ombre d’une inquiétude dans ses prunelles orangées et aucune panique dans sa voix.
— Nous n’avons plus le choix. Nous allons devoir nous frayer un chemin jusqu’en bas. Tu as dit savoir te battre ?
L’extrémité d’un manche poussa au creux de la paume de Yasuo. Il le saisit de son autre main et, comme s’il la sortait d’un fourreau, en tira une épée qu’il tendit à Kylian. Ce dernier ouvrit des yeux ronds. Un sourire sardonique étira ses lèvres et il empoigna l’arme.
— C’est un sacré travail d’orfèvre.
L’épée, un sabre droit dont la garde venait envelopper la poignée, était en tout point semblable à celles qu’utilisaient les soldats psamiens, à la différence que celle-ci était entièrement faite de métal et aussi noire que de l’obsidienne. Yasuo se tourna vers Hayalee, qui s’efforçait de ne pas flancher.
— Il te faut une arme ?
— Une… ?
Elle ouvrit la bouche, faillit dire oui, puis se souvint des paroles de Frowin.
« Ils ne seront pas prêts à faire face à ton feu. C’est la meilleure arme que tu pourras jamais avoir. »
— Non, c’est bon.
Yasuo considéra Nahïs, blottie dans son coin.
— L’emmener risque d’être difficile.
Renonçant à la douceur, mais pas à sa promesse, Hayalee saisit la jeune fille par le bras et la tira sans ménagement. Elle essaya de l’entraîner dans le couloir, mais Nahïs résista. Hayalee perdit patience.
— Tu veux retrouver ton père, oui ou non ?
Elle cessa de se tortiller. Dans ses grands yeux noisette, la terreur sembla à nouveau se nuancer de colère. Évidemment qu’elle voulait retrouver son père.
— On te protégera, dit Hayalee. On est là pour ça.
Une nouvelle bouffée d’angoisse lui monta à la tête. Elle aurait voulu se rouler en boule dans un coin elle aussi et attendre que quelqu’un d’autre vienne sauver la situation, mais elle n’en avait pas le droit. Elle avait assuré à Iltaïr et à Frowin qu’elle était capable de partir en mission, qu’elle pouvait aider. Elle avait précipité son équipe dans la prison sans aucune préparation et avait insisté pour entraîner Mìr et sa fille dans leur évasion. Elle devait assumer ses choix, et Nahïs était l’un d’eux. Hayalee lui lâcha le poignet pour lui prendre la main et la tira encore. À son immense soulagement, la jeune fille lui emboîta le pas.
Les cloches avaient cessé de sonner, mais les prisonniers hurlaient plus fort que jamais dans leur cellule. Suivant Yasuo et Kylian de près, Nahïs au bout du bras, Hayalee fit de son mieux pour ignorer les coups et les invectives qui ponctuaient leur route. Ils tournèrent tous à l’angle et remontèrent le couloir au pas de course. Yasuo s’immobilisa devant la grille et Hayalee lui rentra dedans. Les échos de bottes martelant la pierre résonnaient dans la cage d’escalier. Yasuo fit signe à Kylian et ils se postèrent de part et d’autre de l’entrée de la tourelle.
— Restez là, dit Yasuo alors qu’Hayalee et Nahïs s’apprêtaient à les imiter. Reculez un peu.
Avant qu’elles ne réagissent, plusieurs gardiens apparurent derrière la grille entrouverte, matraque au poing. Leurs regards tombèrent immédiatement sur les deux filles.
— Pas un geste ! Restez où vous êtes !
Hayalee poussa Nahïs en arrière tandis que les gardiens se ruaient en avant, droit dans le piège. Yasuo saisit le premier venu au poignet, l’entraîna au sol et l’assomma d’un coup à la nuque. La femme qui le suivait se précipita pour porter secours à son camarade. Grosse erreur. Elle n’avait pas levé sa matraque que Kylian avait piqué son sabre dans sa cuisse. La gardienne s’effondra en hurlant.
— Ils… ils ont des épées ! Appelez des renforts !
Tous reculèrent dans l’escalier, comprenant que s’engouffrer dans le passage les uns derrière les autres signerait leur arrêt de mort. Yasuo s’élança à leur rencontre. L’un des gardiens tenta de maintenir la grille fermée, mais Yasuo le saisit au col et lui fracassa le nez contre les barreaux. Deux secondes plus tard, lui et Kylian s'invitaient dans la tourelle. Hayalee et Nahïs foncèrent à leur suite.
Il y avait cinq gardiens en comptant celui qui gisait en travers des marches, le nez en sang. Deux d’entre eux se jetèrent sur Yasuo, matraque brandie. Il leva le bras pour bloquer l’assaut du premier et, profitant de la hauteur que lui offrait l’escalier, cueillit le second d’un coup de pied en pleine gorge. Le gardien bascula à la renverse et dégringola les marches. Son collègue n’avait pas réagi que, déjà, Yasuo le saisissait au bras. D’un pivotement, il l’envoya valser par-dessus son épaule.
De son côté, Kylian avait désarmé et expédié une première femme au tapis en deux coups d’épée bien placés. Son adversaire restant reculait après avoir entaillé sa matraque contre le fil de sa lame. Hayalee n’eut pas le temps de se réjouir de leur efficacité : d’autres gardiens montaient à leur rencontre. Cette fois, la moitié d’entre eux étaient armés d’épées.
Si les gardiens étaient en supériorité numérique, le terrain ne jouait pas en leur faveur. L’escalier en colimaçon leur interdisait de faire front à plus de trois à la fois et les marches menaçaient de les déséquilibrer. Ajouté à ça, Yasuo et Kylian faisaient preuve d’une habilité redoutable.
Kylian n’avait pas menti en prétendant savoir manier autre chose qu’un balai. Il se révélait même meilleur que les gardiens, dont il n’hésitait pas à se moquer à chaque assaut manqué. Yasuo se montrait plus impressionnant encore. Hayalee comprit vite pourquoi il n’avait pas pris la peine de se façonner une arme : il n’en avait pas besoin.
D’un simple pivotement de buste, il évitait les coups d’épée ou de bâton, puis pénétrait la garde de ses assaillants et frappait à la mâchoire, brisait genoux, côtes ou coudes. Parfois, il levait la main pour parer une lame à même son bras, la peau soudain couverte de métal. Les gardiens n’avaient pas le temps d’exprimer leur stupeur qu’il les avait déjà envoyés rouler au bas des marches.
Sans s’être concertés, Yasuo et Kylian veillaient à rester au coude à coude de façon à empêcher les gardiens de se faufiler dans leur dos. Lentement mais sûrement, ils firent reculer le front. Hayalee aurait voulu leur venir en aide, mais il y avait trop d'agitation. L’idée de blesser ses alliés ou de carboniser une tête la paralysait.
Yasuo et Kylian avaient réussi à repousser les gardiens jusqu’au troisième étage quand l’un d'eux ordonna aux autres :
— Dégagez !
Un espace se creusa dans leurs rangs, laissant apparaître une femme armée d’une arbalète. Le sang d’Hayalee ne fit qu’un tour. Les deux hommes sur Yasuo étaient trop occupés à se faire frapper pour réagir, mais celui qui affrontait Kylian s’écarta aussitôt. Apercevant l’arbalète, ce dernier bondit de l’autre côté de l’escalier, le trait partit et Hayalee lâcha le Feu.
L’arbalète s’embrasa. Sa porteuse la laissa tomber en hurlant. Kylian s’écrasa contre le mur en gémissant et la satisfaction d’Hayalee vira à l’horreur.
Le carreau lui avait déchiré le flanc avant de venir se briser contre les marches. Dents serrées, il pressa une main sur la plaie et ses doigts se couvrirent de sang.
— Allez-y ! On les tient !
Les gardiens déferlèrent, se refermant sur Kylian et Yasuo. Hayalee n’avait plus le choix. Lâchant Nahïs, elle cherchait une première épée à chauffer, un morceau d’uniforme à enflammer, quand un gardien la remarqua et fondit sur elle. Hayalee parvint à lui échapper, faillit trébucher, puis s’enfuit par en haut, saisissant Nahïs au vol.
— Arrêtez-vous !
Évitant les personnes assommées ou blessées que Yasuo et Kylian avaient semées dans leur sillage, les deux filles remontèrent les marches quatre à quatre, non pas un, mais deux gardiens à leurs trousses. Le palier du quatrième étage se profila. Hayalee tira Nahïs : elles s’engouffrèrent dans le couloir et coururent à toutes jambes.
Ils allaient les rattraper. Il fallait qu’Hayalee se retourne, qu’elle les désarme, mais elle les entendait qui la talonnaient – et Nahïs, qui haletait de terreur. Elle n’aurait jamais le temps de viser.
« Il faut que tu prennes tes distances. »
Oui, mais comment ? Tournant à l’angle, Hayalee risqua un coup d’œil par-dessus son épaule et son cœur rata un battement. Il n’y avait plus qu’un gardien. Son camarade devait avoir filé dans l’autre sens pour les prendre en tenaille. Elles étaient coincées.
Faute de trouver le deuxième gardien, ses yeux tombèrent sur les lits superposés, abandonnés au milieu du couloir. L’obstacle alluma une étincelle d’espoir.
Elle s’engouffra entre le meuble et le mur, poussa Nahïs à continuer sa course tandis qu’elle stoppait la sienne en s’agrippant aux lits et lâchait le Feu. Le bois s’embrasa sous ses doigts. Elle se déchaîna et la structure entière s’enflamma comme un fétu de paille.
Le gardien pila net devant le brasier et recula. Il ne courait plus. C’était sa chance. Hayalee repéra la matraque au bout de son bras et y insuffla une nouvelle dose de chaleur. Le bâton prit feu et son propriétaire le jeta en hoquetant.
Entre les couchettes transformées en tapis de flammes, Hayalee aperçut sa figure terrifiée. Leurs regards se croisèrent et elle se laissa aller à un rictus. Le type détala.
Hayalee n’eut pas le temps de savourer sa victoire : un cri retentit à l’autre bout du couloir.
Comme prédit, l’autre gardien avait fait le tour et il tenait Nahïs. Il tenait également une épée.
— Ça suffit maintenant ! Rendez-vous !
D’abord glacée de frayeur, Hayalee se ressaisit. L’homme avançait prudemment, sa lame brandie devant lui, bien en évidence. Elle ne pouvait pas se rater. De fait, elle ne se rata pas.
Trois secondes suffirent à rendre l'épée brûlante. Il la lâcha en hurlant.
Mais ce gardien-là avait plus de cran que le premier. Il eut beau considérer son arme puis Hayalee avec stupeur, il ne prit pas ses jambes à son cou. Au contraire, il prit plutôt son courage à deux mains et, poussant Nahïs de côté, fonça sur Hayalee.
Elle se retint de le carboniser, chercha désespérément le moyen de se défendre. Alors que le type lui arrivait dessus, Hayalee se tourna vers le lit, attrapa la couverture en flammes et la lui jeta à la figure. Il hurla de plus belle. Avant qu’il ait pu se libérer, elle lui asséna un grand coup dans l’entrejambe, le bouscula et fila rejoindre Nahïs.
— Lève-toi !
— Feu ! Il y a le feu ici aussi !
L’estomac d’Hayalee lui tomba dans les bottes. D’autres gardiens s’agitaient derrière les lits en flamme. Étaient-ils venus à bout de Kylian et Yasuo ? Comme ils approchaient pour contourner le meuble, elle en remit une couche : le brasier redoubla d’intensité, se gonfla jusqu’à lécher les murs et le plafond.
Ça ne les retiendrait pas éternellement. Entraînant Nahïs, Hayalee repartit dans le couloir. Il fallait qu’elle retourne dans l’escalier et aide Kylian et Yasuo, mais quelle chance avaient-ils face à tous ces gardiens ? Kylian était blessé et Hayalee n’était bonne qu’à désarmer des adversaires qui voulaient bien lui faire la fleur de rester statiques assez longtemps. Aussi redoutable soit-il, Yasuo n’allait pas pouvoir affronter tout le Donjon à lui seul…
Les deux filles s’engageaient dans le couloir nord quand trois nouveaux gardiens virent leur barrer la route. Hayalee s’arrêta en dérapant, recula. Son cœur tambourinait dans ses oreilles, assourdissant. Ils étaient trop nombreux. Même si elle arrivait à désarmer ceux-là, d’autres les remplaceraient, et encore d’autres… Le souffle heurté, Nahïs referma ses deux mains sur celle d’Hayalee et la serra.
Elle ne pouvait pas tous les… tuer ? Non, elle ne pouvait pas.
— Eh !
La porte d’une cellule vibra sous les coups de ses occupants et Hayalee sursauta.
— Laissez-nous sortir !
— Faites-nous sortir !
Une idée germa dans son esprit apeuré. Une idée folle, mais elle n’avait pas le temps de peser le pour et le contre. Les gardiens s’élancèrent. Plongeant la main dans sa poche pour saisir la clef passe-partout façonnée par Yasuo, Hayalee s’arracha à la poigne de Nahïs et se jeta contre le battant d’une cellule. Des bras se refermèrent sur elle avant qu’elle ait pu glisser la clef dans la serrure.
— J’te tiens !
On la tira en arrière, la soulevant à moitié du sol. Faisant de son mieux pour contenir sa panique – et avec elle, le Feu qui grondait dans ses entrailles – Hayalee se laissa gagner par une vague de chaleur mesurée. Les manches du gardien s'enflammèrent. L’homme cria et relâcha son étreinte. Elle le repoussa d’un coup de coude et fonça à nouveau sur la porte. Elle rata le trou de la serrure une fois, deux fois…
— Arrêtez-la !
Les autres gardiens bondirent en avant. Hayalee tourna la clef au moment où l’un d’eux la saisissait par les cheveux. Le battant s’ouvrit à la volée, manquant de lui faucher le nez. Elle perdit l’équilibre et tomba sur une paire de bottes.
Gardiens et prisonniers restèrent figés, face à face. Puis un des occupants de la cellule – une femme – attrapa une chaise qu’elle brandit comme un bouclier et fonça dans le tas en rugissant. Hayalee eut le réflexe de plonger sur le côté avant de se faire piétiner.
Un des gardiens leva son épée et la lame se ficha dans le siège de la chaise. La prisonnière tira, arrachant l'arme des mains de son propriétaire avant de lui fracasser la chaise sur la tête. L’autre détenu fonça sur le second gardien, épaule en avant.
Profitant de la pagaille, Hayalee avança à quatre pattes derrière la porte, récupéra la clef et s'élança vers la cellule voisine.
Elle ouvrit une, deux, trois cellules supplémentaires… Les détenus ne demandèrent aucune explication. Ils avaient compris que des gens essayaient de s’évader et que le feu ravageait la propriété ; ils voyaient deux de leurs camarades lutter contre les gardiens et entendaient la rumeur de la bataille qui faisait rage dans l’escalier. Il ne leur en fallut pas plus pour s’armer avec tout ce qu’ils pouvaient trouver et se précipiter dans le couloir.
Bien que mieux équipés, les gardiens ne tardèrent pas à devoir se replier face à la foule furieuse des prisonniers qui grossissait un peu plus à chaque cellule ouverte. Lorsqu’Hayalee s’attaqua au couloir est, les détenus filaient dans l’escalier. Elle espérait que Kylian et Yasuo aient tenu bon assez longtemps pour voir les renforts arriver… Il ne lui restait plus que trois cellules à déverrouiller.
— Fillette… attends !
Elle freina et tourna la tête. Un homme d’une quarantaine d’années avançait à grands pas vers elle et Hayalee ne put réprimer un mouvement de recul.
— C’est l’Alliance qui t’envoie ? demanda-t-il. N’est-ce pas ? Il n’y a qu’eux pour être assez fous pour s’attaquer à une prison psamienne…
— Euh…
Il s’obstinait à réduire la distance qu’Hayalee maintenait, peut-être pour la prendre par les épaules et la secouer. Ses yeux clairs comme de l’eau semblaient à deux doigts de lui sauter des orbites.
— Est-ce que vous les avez trouvés ?
— De… quoi ? bafouilla-t-elle.
— Mes enfants ! Le bateau aurait dû arriver au port de Tenkyû… est-ce que l’Alliance les a récupérés ?
— Je… j’en sais rien. Désolée, mais je sais pas de quoi vous parlez…
Ses traits se crispèrent dans une expression douloureuse. Hayalee comprenait son désarroi. Elle aurait voulu l’aider, mais avant qu’elle ait pu ajouter quoi que ce soit, il se détourna et fila dans l’escalier.
— D’accord…
Hayalee remisa tout ça dans un coin de son esprit et s’empressa d’ouvrir les portes restantes. L’ultime prisonnier libéré, elle s'en alla rejoindre Nahïs.
Elle la trouva prostrée dans une cellule, la tête entre les bras.
— Nahïs ? C’est bon, ils sont partis.
Comme elle ne réagissait pas, Hayalee posa une main sur son épaule. Nahïs se contracta. Elle frissonnait.
— Tu… tu peux te relever ?
Pas de réponse.
— S’il te plaît ?
Mais cet accrochage avec les gardiens avait soufflé tout son courage. Il n’en fallut pas plus pour ébranler celui d’Hayalee. Retenant une furieuse envie de hurler – de pleurer – elle se prit la tête dans les mains, s’agrippant les cheveux par poignées.
— Je sais que t’as peur… moi aussi j’ai peur. J’aurais peut-être pas dû m’engager dans l’Alliance…
Admettre tout ça était sûrement la dernière chose à faire pour rassurer Nahïs, mais les mots s’enfuirent sans qu’Hayalee parvienne à les retenir.
— Je sais pas si je peux te protéger, dit-elle, la voix chevrotante. Même avec ces pouvoirs… et si les gardiens – les soldats – nous attrapent, ils nous tueront. Ils me font aussi peur qu’à toi.
Un instant, sa gorge se noua si fort qu’elle fut incapable de parler. Elle déglutit.
— Mais je me suis dit… si je reste cachée, jamais je reverrai ma famille.
Si elle mourait, le résultat serait le même. Hayalee, néanmoins, avait choisi d’être ici et de prendre ce risque. Ce n’était pas le cas de Nahïs. Elle ne pouvait pas forcer la jeune fille à courir au-devant du danger, et elle ne pouvait pas lui reprocher de préférer la sécurité à la liberté. Hayalee elle-même avait longuement hésité – elle hésitait encore.
Poings et dents serrées à s’en faire mal, elle prit une, deux, trois inspirations et releva le menton. Pleurnicher n’y changerait rien. À sa grande surprise, Nahïs avait pointé le museau hors de son trou et la lorgnait sous sa tignasse de cheveux sale. Elle avait cessé de grelotter. Hayalee gigota sur ses talons.
En fin de compte, la situation était simple. Si Nahïs refusait de bouger, alors Hayalee n’avait que deux options : l’abandonner ou abandonner l’idée de s’enfuir.
— Très bien.
Elle se laissa tomber sur les fesses, ramena les genoux contre sa poitrine et les entoura de ses bras.
— Si tu restes, je reste.
C’était suicidaire et stupide, mais sitôt la décision prise, Hayalee se sentit plus légère. Elle ne pourrait pas se pardonner d’abandonner Nahïs à son sort. Attendre qu’on vienne lui casser la figure, en revanche, elle pouvait faire avec. Nahïs écarquilla les yeux, fronça le nez, mais Hayalee n’en démordit pas.
Les secondes passèrent. Dans le vide du couloir, les cris qui ébranlaient le Donjon semblaient appartenir à une autre réalité. Hayalee tendit l’oreille, s’efforçant de se concentrer sur les sensations pour ne pas se laisser submerger par ses réflexions. Si elle commençait à se demander comment s’en sortaient ses coéquipiers, elle était sûre de voir sa détermination voler en éclat. Mais même sans y penser, l’inquiétude lui rongeait les entrailles… Elle songeait à aller jeter un œil du côté des escaliers quand Nahïs se releva. Hayalee tressaillit.
— Tu… ?
La jeune fille gardait la tête basse, les doigts cramponnés à l’ourlet de ses manches et respirait aussi fort qu’un aurochs, mais elle opina du chef. Hayalee bondit sur ses jambes et la dévisagea longuement, persuadée de mal comprendre. Entre les mèches de ses cheveux, Nahïs lui rendit son regard. Elle ne parlait pas, mais ses yeux étaient remarquablement expressifs. Hayalee y lut une sorte de connivence. La crainte était toujours là, toujours vive, mais Nahïs semblait décidée à avancer malgré tout. Hayalee se laissa aller à un sourire.
— Allons retrouver les autres.
Elle quitta la cellule et Nahïs la suivit.
Le soulagement et l’espoir qui animaient Hayalee étaient tels qu’elle crut remonter le couloir en volant. Elle tourna à l’angle et fonça droit sur quelqu’un. Deux bras se refermèrent sur elle : les entrailles en feu, Hayalee se dégagea d’un geste et envoya le poing en avant, prête à frapper, griffer, brûler pour se défendre. Ses phalanges vinrent buter contre la paume de Yasuo.
— C’est toi ! s’exclama-t-elle. Désolée, tu m’as fait peur…
— C’est ma faute. Je ne voulais pas te surprendre.
Il secoua sa main. Hayalee grimaça.
— Pardon… je t’ai fait mal ?
— Hum… Le coup n’était pas très fort, mais un peu brûlant.
— Désolée.
— Ce n’est rien. C’est toi qui as libéré tous ces prisonniers ?
— Euh… oui.
— C’était une bonne idée.
Hayalee avait tant l’habitude de s’entendre dire qu’elle faisait tout de travers qu’elle en resta muette.
— Ouais, c’était moins une.
Kylian était là également. Affalé contre le mur, le teint grisâtre, il entreprenait de tailler une bande de tissu dans sa chemise. Une rosace d’un rouge plus soutenu que le reste de ses vêtements avait fleuri sur son flanc et coulait jusqu’à son genou. Yasuo aussi avait les phalanges et les bras tachés de sang, mais contrairement à Kylian, ça ne semblait pas être le sien. Quelque chose remua sur le sol et Hayalee s’aperçut qu’ils n’étaient pas seuls.
Un gardien gisait au milieu du couloir, derrière Yasuo, comme si on l’avait jeté là. L’homme releva la tête et Hayalee reconnut le visage bronzé à la mine ahurie : Esdher. Ses cheveux étaient en bataille et son nez barbouillé de sang. Cillant et reniflant plus que jamais, il se remit sur ses grands pieds et pointa la matraque qu’il tenait vers Yasuo, l’empoignant à deux mains. Nahïs vint se tasser dans le dos d’Hayalee. À en juger par son attitude, Esdher ne les avait pas suivis de son plein gré.
— Tu… vous… vous vous êtes fichus de moi ! bégaya-t-il. Toi et tes amis ! Et moi qui croyais qu’t’étais un gars bien !
Yasuo se tourna à demi vers lui, plus calme que jamais.
— Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent.
— Je… je vous laisserai pas faire ! Je suis prêt à me battre !
— Esdher…
Avec un cri de guerre, Esdher s’élança sur Yasuo, matraque brandie au-dessus de la tête. Celui-ci se contenta de s’écarter d’un pas et le bras du jeune homme s’abattit dans le vide. Yasuo le saisit au poignet, lui crocheta la jambe et l’entraîna au sol où il le coinça sous son genou.
— Est-ce que tu veux bien m’écouter un instant ? fit Yasuo, sans agacement ni empressement.
Esdher battit des cils, l’air de se demander comment il s’était retrouvé par terre.
— Il faut que tu t’en ailles. Dès maintenant. Que tu quittes la ville.
— Que… hein ?
— Quand tout ça sera fini, ils chercheront des responsables. Tes collègues t’ont vu discuter avec nous, ils comprendront que tu nous as fourni des informations précieuses.
L’horreur, puis l’indignation passèrent sur le visage du gardien.
— C’est ta faute ! couina-t-il. C’est toi qui m’as piégé !
— Tu t’es laissé piéger. Erreur ou trahison, la justice de Psamias ne te pardonnera pas. Si tu restes, tu seras réprouvé.
Esdher blêmit.
— Profite de la confusion pour rentrer chez toi, dit Yasuo. Change-toi, emporte un minimum d’affaires, emmène ta mère si tu n’as pas d’autre choix et partez sans attendre.
Il se redressa et remit Esdher sur ses pieds.
— Sache que tu avais raison : cette prison n’est pas ce qu’elle semble être. Nous t’avons dupé, mais les hommes que tu sers te mentent tout autant.
— Qu’est-ce que tu racontes, là ?
— Je suis désolé, je n’ai pas le temps de t’expliquer. Rends-toi à Takitas, descends dans l’auberge du Vieux Bois et attends-y.
— Pourquoi… pourquoi que je devrais te faire confiance, d’abord ?
— Tu n’es pas obligé de m’écouter. Tu peux essayer de quitter le pays par tes propres moyens si tu penses en être capable. Sinon, rends-toi à Takitas. Des gens vous aideront, toi et ta mère, ils t’expliqueront tout. Tu as dit que tu étais un homme de devoir ? Qui sait… tu pourrais être intéressé par ce qu’ils ont à dire. Quoi que tu fasses, évite les soldats et n’utilise plus ton nom.
La perspective de faire tout ça semblait l’avoir tétanisé. Il dévisageait Yasuo avec un mélange d’horreur, d’incrédulité et de supplique.
— Je veux pas jouer les rabat-joies, grommela Kylian qui finissait de nouer son morceau de chemise autour de son ventre, mais je doute que les prisonniers du quatrième suffisent à forcer le passage.
— Tu as sûrement raison, dit Yasuo. Il faudrait également libérer ceux des étages inférieurs.
La bile remonta dans la gorge d’Hayalee. Même si l’initiative venait d’elle, elle ne pouvait s’empêcher de songer qu’ils se servaient des prisonniers comme de boucliers. Ils les envoyaient se fracasser contre les gardiens pour mieux s’échapper… et combien seraient blessés, tués, dans l’entreprise ? Yasuo inclina la tête et Hayalee s’aperçut qu’il la fixait.
— C’est ça ou retenter la descente par la cellule 402, ajouta-t-il, mais maintenant que les gardiens connaissent le passage, il se peut qu’ils le surveillent. Suspendus à une chaîne, nous serions des cibles faciles. La seule autre échappatoire reste l’entrée, mais il va nous falloir plus d’aide si nous voulons nous frayer un chemin jusque-là.
Hayalee acquiesça avec raideur. Elle avait bien conscience de tout ça. C’était trop tard pour argumenter, de toute façon. Elle avait libéré les prisonniers du quatrième étage, le mal était fait. Autant aller jusqu’au bout. S’ils s’y mettaient tous ensemble, peut-être les prisonniers auraient-ils une vraie chance de s’évader ? Après tout, c’était ce qu’Hayalee avait voulu.
— Faisons-le, dit-elle en s’efforçant de maîtriser le trémolo de sa voix.
— Très bien. Dans ce cas, le mieux est que vous vous chargiez de libérer les prisonniers pendant que je leur ouvre la voie jusqu’en bas. Ils auront besoin de moi pour franchir les grilles.
Yasuo façonna une clef identique à celle que possédait déjà Hayalee et la lança à Kylian, qui la rattrapa de justesse.
— Tu devrais pouvoir déverrouiller la plupart des portes avec ça.
Le jeune homme fit tourner l’objet entre ses doigts poisseux pour l’examiner d’un œil envieux, puis le glissa dans sa poche et se redressa en grimaçant.
— Ça va aller ? lui demanda Hayalee.
— T’en fais pas, répondit-il en esquissant un de ses sourires arrogants. Il en faudra plus pour se débarrasser de moi.
— Nahïs, tu restes avec moi ?
La jeune fille acquiesça sans hésiter. L’estomac d’Hayalee se tordit. Sa confiance était aussi touchante qu’elle était angoissante.
Comme ils amorçaient le mouvement vers l’escalier, Yasuo se tourna vers Esdher qui en était toujours comme deux ronds de flan, les bras ballants.
— Il vaut mieux que tu attendes ici le temps que nous dégagions le passage jusqu’au bâtiment administratif. Les prisonniers risqueraient de s’en prendre à toi.
Sur quoi, Yasuo suivit Kylian le long du couloir. Hayalee croisa une dernière fois le regard perdu d’Esdher et faillit lui dire qu’elle était désolée, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle se détourna et se dépêcha de rattraper les autres.
Dans la tourelle, la clameur du combat qui opposait les gardiens aux prisonniers parut se démultiplier. Nahïs agrippa la manche d’Hayalee. Le sang maculait les marches et les murs. Les gardiens avaient ramassé leurs blessés avant de battre en retraite. Hayalee, Nahïs, Yasuo et Kylian dévalèrent l’escalier jusqu’au palier suivant, où ils retrouvèrent la foule écarlate des détenus qui se pressaient les uns contre les autres, poussaient. Kylian avança vers la grille du troisième étage, mais Hayalee le devança.
— On s’occupe de cet étage, dit-elle.
Si elle avait décidé de donner la priorité à leur mission, elle n’oubliait pas pour autant sa famille. Puisque l’occasion se présentait, elle comptait bien en profiter pour continuer à les chercher. Elle avait déjà passé en revue les locataires du deuxième.
— Comme tu voudras, dit Kylian, trop fatigué pour se montrer curieux.
— Il y a peut-être encore un gardien à cet étage, fit remarquer Yasuo. Soyez prudentes.
— D’accord.
— Je m’occupe de faire avancer les prisonniers.
Il descendit un peu plus, se glissa entre deux personnes et disparut dans la masse.
— Le premier à avoir fini fonce au premier étage, dit Kylian, tandis qu’Hayalee poussait la grille du troisième.
Elle acquiesça. Kylian partit à son tour jouer des coudes pour se frayer un passage dans la cohue. Intimant à Nahïs d’attendre, Hayalee pénétra seule dans le couloir, prenant garde à vérifier que personne ne se cachait à la sortie de la tourelle. Elle fit un premier tour de l’étage, sans rencontrer aucun gardien. Il avait dû déserter son poste pour aller aider ses collègues. Soulagée, Hayalee appela Nahïs et se mit au travail.
La différence entre les prisonniers rouges du quatrième et les blancs du troisième fut flagrante. En ouvrant les portes, Hayalee ne trouva pas des insurgés prêts à en découdre, mais des mines terrifiées. Des hommes et des femmes à l’air aussi inoffensif que Mìr et réticent que sa fille, serrés les uns contres les autres – et toujours aucun visage familier. Si certains finirent par passer la tête dans le couloir ou mettre le pied hors de leur cellule, personne ne se précipita dans l’escalier.
Lorsqu’Hayalee eut repoussé le battant de la dernière cellule, elle se retourna et ne trouva que des regards fuyants et circonspects.
— Qu’est-ce qui se passe ? osa demander une femme d’âge mûr. Pourquoi est-ce que tu nous ouvres ?
— C’est… euh…
La femme attendait une explication. Ils attendaient tous. La respiration d’Hayalee s’accéléra et son cœur se remit à tambouriner dans ses oreilles. Elle ne savait pas quoi leur dire : la vérité ? un beau mensonge ?
— Écoutez…
Les prisonniers s’étaient rapprochés pour mieux entendre. Elle s’éclaircit la gorge et essaya de parler plus fort.
— Vous avez tous été enfermés injustement. Moi et mes amis, on est venus pour vous aider. On n’avait pas prévu de faire évader tout le monde, mais… euh… on…
La voix d’Hayalee tremblait si fort qu’elle dérailla. Elle ferma un instant les yeux et inspira un grand coup pour juguler son angoisse.
— On a été envoyés par une organisation du nom de l’Alliance. Ça vous parle peut-être pas, mais l’Alliance se bat pour défendre ceux qui ont été injustement condamnés par Psamias.
La colère que lui inspirait l’existence du Donjon prit le pas sur la nervosité et Hayalee s’entendit poursuivre avec plus de conviction :
— Si on peut leur rapporter ce qui se passe ici, l’Alliance viendra vous libérer. Mais pour ça, il faut que moi et mes amis nous échappions. On a déjà libéré les prisonniers du quatrième étage. Ils sont en train d’essayer de forcer le passage jusqu’à la sortie, mais ils n’y arriveront pas tout seuls. Aidez-nous, pour qu’on puisse vous aider.
Les détenus échangèrent des coups d’œil, l’air plus méfiant et perplexe que jamais. Hayalee se mordit la lèvre. Elle avait conscience que tout ça devait sonner comme une vaste farce.
— C’est vrai ? demanda la femme. Vous comptez vraiment nous aider ?
Son scepticisme était flagrant. Hayalee s’efforça de rassembler toute l’assurance dont elle était capable.
— Oui.
— C’est de la folie !
— Vous nous avez regardés ? Si on se révolte, on va se faire tuer !
— T’es qui, d’abord ? Pourquoi on devrait t’écouter ?
— Je… bredouilla Hayalee.
— T’es rien qu’une gamine !
Elle chercha du soutien et son regard croisa celui de Nahïs, restée en retrait près de l’escalier. Un fol instant, Hayalee eut l’espoir de la voir s’avancer, la rejoindre au centre du cercle pour marquer son approbation, mais Nahïs disparut derrière un rideau de cheveux et referma les bras sur sa poitrine.
— C’est trop dangereux, conclut une prisonnière.
Au grand désarroi d'Hayalee, la plupart des gens hochèrent la tête.
— Je ne vous demande pas de prendre ce risque pour moi, s’empressa-t-elle de dire, mais pour vous. Si vous ne voulez pas passer votre vie enfermés, il faudra vous battre !
Un silence hésitant plana sur le couloir. Il y eut bien un jeune homme pour détaler dans l’escalier, mais personne ne l’imita. Hayalee aurait pu essayer d’en convaincre d’autres avec deux ou trois belles paroles de plus, si seulement l’idée de les pousser dans la bataille ne la répugnait pas tant. Les mots de Saru la hantaient.
« Si on les libère comme ça, maintenant, on les enverra juste à l’abattoir ! »
Dans les rangs des prisonniers, un vieillard la lorgnait, cramponné au bras d’un camarade. La gorge soudain très sèche, Hayalee baissa la tête, incapable de les regarder en face plus longtemps. Sans ajouter un mot, elle se détourna et s’enfuit dans l’escalier.
C’était mieux comme ça. Elle avait provoqué toute cette situation, il n’y avait pas de raison que plus de personnes en payent le prix. Libérer les prisonniers était une erreur monumentale.
Hayalee dévala les marches dans un état second, hébétée, à peine consciente que Nahïs lui avait emboîté le pas. Elle avait l’impression d’être dans un rêve – un très mauvais rêve, du même goût que celui où elle s’enfonçait dans la faille, sous la montagne, et se retrouvait perdue dans le noir.
Un groupe de prisonniers émergea à hauteur du deuxième étage et Hayalee faillit les bousculer. Ils ne lui prêtèrent aucune attention et coururent en direction du rez-de-chaussée. Elle resta plantée là, à écouter les échos de la bataille qui se jouait plus bas, les oreilles bourdonnantes. Nahïs la dépassa à pas timides et chercha à accrocher son regard, mais Hayalee fixa résolument la lampe qui brûlait au mur.
Et maintenant ?
— Vous êtes là ! s’exclama Kylian, surgissant dans l’escalier. Parfait.
Hayalee cilla et ravala la pelote d’aiguilles qui lui obstruait la gorge.
— T’as… réussi à les convaincre d’aller se battre ?
— Ouep.
— Comment ? Qu’est-ce que tu leur as dit ?
Kylian haussa les épaules.
— Qu’il y a le feu dans les étages et que ces salauds de gardiens prévoient de nous laisser flamber avec le navire. Pourquoi ? Tu leur as dit quoi, toi ?
— Euh… la vérité.
— Wouah, t’es un sacré numéro !
Hayalee s’empourpra jusqu’à la racine des cheveux. Un cri de panique remonta dans la cage d’escalier.
— Laisse-moi deviner, lâcha Kylian. Ils ont pas marché ?
— Pas vraiment.
— Crois-en mon expérience, l’honnêteté n’est jamais récompensée.
Hayalee ouvrit la bouche pour se justifier, mais un mouvement à l’orée de son regard détourna son attention.
Avalant les marches quatre à quatre, l’expression féroce, l’épée au poing, Orcus fonçait sur eux.
Il s'en passe des choses dans ce chapitre =o En tout cas, clairement, c'est la merde ^^' Mais en vrai, ils s'en sortent pas trop mal pour le moment ! J'ai vraiment beaucoup aimé toutes les descriptions des combats, notamment au début dans les escaliers, je trouve qu'on se représente bien les choses, c'est très fluide =D
Bon, bien sûr, ça dégénère et tout n'est pas si simple, mais on sent bien la panique d'Hayalee, le fait qu'elle essaie vraiment de faire des trucs pertinents, parfois sur des coups de tête, et qu'elle se prend un peu les conséquences après coup ^^' On suit très bien son cheminement d'émotion, et même le côté où "Bon, je reste avec Nahis, ça va le faire", j'ai trouvé ça crédible. D'ailleurs, le fait que ça soit Nahis qui les fasse repartir, ça donne un peu plus de force à ce perso, mais je suis toujours un peu surprise de ne pas la voir parler. Elle est muette ? Si c'est le cas, l'Alliance va être ravie d'avoir récupéré un témoin qui va avoir du mal à témoigner ='D
Et sinon, la situation dégénère, c'est bien que tout ne marche pas pour Hayalee, qu'elle pense toujours à tenter de retrouver sa famille, qu'elle essaie d'être honnête mais que tu donne pas dans le niais, du coup, ça marche pas trop et la moral de l'histoire, c'est Kylian qui la donne ='D Mais oui, voir Hayalee se confronter à la dure réalité des choses, c'est pas simple pour elle, mais c'est très bien fait je trouve, ni trop peu ni trop, et ça vire pas dans le pathétique non plus donc bien dosé ^^
A voir comment ils vont réussir à se sortir de ça ='D
Ne pas tomber dans la pathos, ç’a été un des gros défis. Comme j’ai souvent tendance à trop en écrire, ça manque parfois de subtilité et ça peut vite devenir gnangnan ou lourd. Faudra pas hésiter à le dire, si y a des passages trop mélodramatiques.
Nahïs n’est techniquement pas muette, mais tout ce qui lui est arrivée fait qu’elle ne parle plus vraiment. Ça me semblait un bon moyen d’illustrer son traumatisme. Mais. Ça va pas rester une petite chose muette et sans défense jusqu’à la fin.
Ça me semblait important de ne pas juste balayer Esdher sous le tapis, surtout qu’il fait parti des dommages collatéraux causés par les actions d’Hayalee et j’ai pas envie d’édulcorer le truc. è.é Et ça me permet de montrer une autre facette de Yaya, oui oui.
Bon, je croise les doigts pour que le dénouement soit fort en émotion et en fun. Tu me diras.
Merci beaucoup Flammy ! <3