9. Un carton sur la tête

Par Dédé

Le samedi soir, c’est sacré pour le petit Olivier.

Il aime bien se caler sur le canapé du salon. Il enfile son carton sur la tête. Il l’a peint durant toute une après-midi avec Prune, sa sœur, qui l’a aidé. Ils ont fait en sorte que cela ressemble au mieux à une télévision.

Le garçon met sa tête à l’intérieur de l’écran de télévision factice. C’est sa manière à lui de réfléchir, comme un poisson cogitant dans son bocal.

Quand Olivier a du mal à plonger dans la réflexion, il pousse le vice un peu plus loin. Il prend avec lui un seau à pop-corn vide qu’il remplit de boulettes de papier ou de coton. Tout dépend de ce qui traîne dans le garage.

Gilles, son père, l’aide souvent à remplir le seau.

Il faut dire qu’Olivier ne voit rien mais ses parents ainsi que sa sœur s’amusent beaucoup de le voir faire sur le canapé, chaque samedi soir. Pour autant, tout le monde ignore ce qui peut bien se passer sous ce carton.

Et, il s’en passe des choses…

Le plus souvent, le petit Olivier réfléchit au dessin qu’il va réaliser dans la semaine. Il aime bien représenter au crayon les membres de sa famille.

Généralement, il choisit quelqu’un qui n’a pas trop le moral. Cela peut être sa petite sœur qui connaît quelques déboires à l’école. Certaines de ses amies l’ont menacée de la taper à la sortie de l’école, pas plus tard que la semaine dernière. Alors, il l’a dessinée en super-héroïne, une fois. Elle a tellement aimé qu’il en a fait une série de croquis.

Sinon, il fait le portrait de son père quand il rentre fâché du travail ou celui de sa mère quand elle a passé une mauvaise journée.

Ses dessins leur remontent vraiment le moral. Olivier le sent bien. Des fois, sous le carton, il ne pense pas du tout dessin. Il se laisse aller à rêver de son avenir.

Il s’imagine sur la Lune, avec sa télévision en carton, flottant dans les airs, sous une pluie d’étoiles étincelantes. Il fait aussi dans les rêves plus réalistes dans lesquels il se voit magicien. Il pourra créer une boite dans laquelle ses « victimes » pourront y insérer la tête. Et, son but sera de faire disparaître la tête en soulevant la boite. Il appellera cela « Le tour du sans-tête ». S’il ne parvient pas à faire carrière dans la magie, il se voit bien en avocat pour défendre les gens qui en ont besoin. Sinon, l’enseignement. Pour donner envie aux plus jeunes d’apprendre, d’avoir confiance en eux. Des rêves de petit garçon de dix ans, en somme.

Un soir, le carton disparaît.

Personne n’a su où il est passé.

Olivier a arrêté de contempler le monde ou son esprit à l’intérieur du carton.

Il n’a jamais dit à personne qu’en fait, il l’a jeté.

Il n’a plus voulu s’isoler dans son monde.

Il préfère faire partie intégrante du monde qui existe déjà.

 

***

 

Olivier rend visite à ses parents, en compagnie de Fabienne, sa femme, et de ses deux filles.

Pendant que Fabienne propose à Lydie de se promener quelques instants avec ses petites-filles, Olivier s’approche du canapé du salon sur lequel se trouve son père.

Au fil des jours, il essaie de se dire qu’il s’habituera à voir son père dans cet état. Mais, c’est très loin d’être le cas.

Ce jour-là, Olivier a eu une idée en tête. Une idée peut-être stupide mais il a envie de tenter.

Avec Enola et Romane, ils ont customisé deux cartons pour qu’ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à des écrans de télévision. Les ayant posé dans le couloir et en se rendant compte qu’il les a oubliés là, Olivier va les chercher.

Il en enfile un sur sa tête, en s’asseyant contre le canapé, à côté de son père.

Il laisse le deuxième carton aux pieds de Gilles.

Toujours avec le regard perdu dans le vide, le père d’Olivier finit par prendre son écran de télévision entre les mains. Il le regarde étrangement avant de plonger la tête dedans :

— Je n'ai jamais compris ce que tu y voyais dedans, mon garçon...

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