Chapitre 11.
Laissé seul à quelques pas du bâtiment, Caleb reprit instantanément sa mine renfrognée. Il allait devoir faire face à ses professeurs, à ses amis, à son père. C’était beaucoup pour un simple Lundi. Capuche sur la tête et poings enfoncés dans les poches après avoir passé les portes, il n'eut pas le temps de faire trois pas qu’une voix l’interpella du haut de l’escalier.
- Monsieur Trinyski, dans mon bureau je vous prie! Et plus vite que ça!
L’adolescent sentit tout le poids du monde s’abattre sur ses épaules en montant les marches une à une. La proviseure lui désigna le couloir d’un signe de main et laissa claquer ses talons à chaque pas qu’elle faisait. La tension était palpable, insupportable et une fois la porte refermée derrière eux il se sentit faiblir. Mentir pouvait être une solution mais quel genre d’excuse pourrait sembler plausible? Difficile à déterminer. Il n’avait rien prévu, rien préparé, les choses s’étaient passées si vite et il se sentait toujours aussi perdu même si tout était différent.
Le cliquetis des ongles de la proviseure sur son bureau l’obligea à relever les yeux. Elle le fixait et lui donnait le sentiment de passer sous un détecteur de mensonge. Il ouvrit la bouche, la referma aussitôt avant de fuir son regard et patienta quelques secondes de plus avant d’entendre sa voix s’élever.
- On ne vous a pas revu cette après-midi, avez-vous oublié que vous aviez cours et une retenue à effectuer ou était-ce votre manière bien spécifique de nous montrer à quel point vous vous fichez de nous?
- C’est que je…ni l’un ni l’autre. Je suis juste sorti prendre l’air et je sais pas. J’ai pas vu l’heure passer. Je vous jure Madame je..suis désolé. Esquissa-t-il en guise de réponse.
- Jusqu’à présent, je n’avais eu aucun mauvais retour vous concernant. Alors certes vous avez été absent durant quelques jours mais votre père avait pris soin de nous en informer et en une journée vous semblez chercher à réduire à néant tout ce qui faisait de vous un bon élément de notre établissement. J’ai du mal à vous comprendre.
- Monsieur Hayes s’est montré clairement injuste et sa retenue, c’est juste de l’abus de pouvoir. Et pour cette après-midi, même si je vous disais la vérité, je ne suis pas certain que vous me croyez. Souligna l’adolescent amer.
- Je vous écoute. Expliquez-vous. L’invita alors la directrice en posant ses coudes sur son bureau pour soutenir sa tête.
Caleb soupira lourdement, sa colère montait crescendo. Il revint sur son accrochage avec le professeur d’Histoire, soulignant par la même occasion qu’il avait vu avec Camille pour rattraper ses cours dans la matinée.
Malgré quelques grimaces il tenta d’expliquer qu’il avait écouté la leçon avant de décrocher et se mettre à griffonner sur sa feuille plus par habitude que par défi. Il savait que c’était son ton et ses mots qui avaient agacé le professeur mais n’avait pu faire machine arrière. La proviseure l’écoutait avec toute l’attention dont elle était capable et l’enjoint à poursuivre ses explications en soulignant.
- Vous savez que vous auriez aussi pu lui dire dès le début que vous n’aviez pas récupéré vos leçons?
- Ah non, pas à M’sieur Hayes! Il m’aurait pris la tête! S’exclama Caleb en levant les yeux au ciel.
- Votre vocabulaire monsieur Trinyski je vous prie! Le sermonna la proviseure contrariée.
- Oui bon et comme je vous l’ai dit, je suis sorti pour prendre l’air, pour me retrouver un peu seul et souffler. On va dire que mes camarades n’ont pas forcément apprécié de se retrouver avec une interrogation surprise en Histoire et que j’en avais assez de les entendre râler. En plus le fait que Monsieur Hayes leur ait dit qu’ils pourraient me “remercier” après les a bien motivé à me prendre la tête. Donc je suis allé marcher et j’ai croisé une fille. Ma cousine que je ne connaissais pas, on s’est mit à discuter et on a fini à Central Park. Je n’ai vraiment pas vu l’heure. Déballa l’adolescent sans réfléchir à l’impact de son discours.
- Je vois donc vous sortez de l’établissement, vous rencontrez une fille qui se trouve être une cousine et vous perdez la notion du temps. C’est bien cela? Résuma Madame Grant d’un air dubitatif.
- Vous voyez! Vous voyez que vous ne me croyez pas! Cria Caleb en se redressant sur sa chaise.
- Sur un autre ton je vous prie, je ne suis pas l’une de vos camarades Monsieur Trinyski!
- Je ne vois pas pourquoi je vous mentirai. Depuis que j’ai 5ans ma famille se résume à mon père et ses parents pourtant comme tout le monde y’a deux branches sur mon arbre généalogique. J’ai eu l’occasion de découvrir l’autre partie grâce à elle et…si ça me vaut trois heures de plus en retenue je les ferai c’est pas grave. Je ne vais pas regretter d’avoir pu…nouer avec une partie de moi que je ne pensais jamais connaître.
Croisant les bras, Caleb soutint le regard de sa proviseure qui plissait les yeux. Si l’histoire de l’adolescent semblait montée de toutes pièces, le son de sa voix, elle, ne trahissait aucune émotion contradictoire. L’indécision était présente. Posant la main sur le combiné du téléphone elle fit un bref mouvement de tête et reprit.
- Je n’ai aucun moyen de vérifier vos dires Monsieur Trinyski mais vous avez manqué un cours, votre retenue et votre comportement ou plutôt vos paroles ont tendance à laisser à désirer. Selon vous, comment suis-je censée réagir?
- J’en sais rien. Soupira-t-il en fuyant une fois de plus le regard de l’autorité supérieure du lycée avant d’enchérir. Mais comme vous l’avez souligné, je ne suis pas du genre à faire de vagues ni à poser problème donc vu que je sais que passer l’éponge ne sera pas possible j’accepterai la sanction et c’est tout.
- Vous voyez, le souci est juste là! Votre insolence, votre détachement comme si rien n’avait d’importance. Vous réagissez comme si on vous accablait alors que vous même faites des erreurs et refusez de voir les choses comme elles sont. Bien sûr que je ne vais pas passer l’éponge, vous êtes un bon élève, vous avez de grandes possibilités mais vous fuyez dès que ça ne va pas dans votre sens. J’ai besoin que vous me prouviez que vous comprenez que chaque acte à ses conséquences.
- Croyez-moi, je le sais. Soupira Caleb en glissant ses prunelles vers elle. J’ai aussi appris que parfois il faut accepter les choses et s’en servir pour avancer. Que ça ne sert à rien de remuer le passé si ça ne permet pas d’améliorer le présent. Je fais des erreurs c’est certain, mais tout le monde en fait non?
Le silence était venu s’installer. Élève et proviseure soutenaient le regard de l’autre dans une joute qui dura bien plus que prévu. La sonnerie retentit alors, les obligeait à se lever comme un seul homme pour que l’adulte n’ouvre enfin la porte et fasse signe à l’adolescent de sortir avant de lui glisser.
- Demain je vous veux ici à 10h. Je vous accompagnerai au réfectoire pour que vous y aidiez le personnel à faire la mise en place, puis comme votre classe finit à 15h, vous irez en retenue jusqu’à 18h et je ne veux plus entendre votre nom dans la bouche d’un professeur, sous aucun prétexte. C’est votre premier et dernier avertissement. Est-ce clair?
Les informations avaient été données vite, trop vite, mais Caleb imprima chaque mot avant d’acquiescer de la tête. Son portable vibrait une fois de plus dans sa poche mais il attendit d’être à une distance raisonnable pour décrocher et grimaça. James, toujours furieux, par l’appel de la direction, par l’absence de réponse de son fils, hurlait toujours. Caleb lui promit alors de lui expliquer en rentrant à la maison, mentionnait sa retenue décalée au lendemin et souffla.
- Tu m’as demandé de te prévenir s’il se passe quelque chose, et je te promets de tout te dire mais toi, jure moi de ne pas t’énerver. Je n’y suis pour rien tu dois me croire.
- On en parlera à la maison, tu rentres directement après les cours! Fulmina James avant de raccrocher au nez de son fils.
Caleb n’en menait pas large et fit profil bas tout le reste de l’après-midi, que ce soit en classe ou en retenue. Il s’exila à chaque fois, seul dans un coin de la pièce, sans accorder ni un mot ni un regard aux autres, qu’ils soient amis ou camarades. Chacune de ses pensées s’emmêlait avec le reste, son père, les créatures, les voix, sa mère, Hateya, les cours, sa punition, les paroles de Madame Grant, ses amis. Durant sa dernière heure de cours, en littérature, il avait pourtant fini par sortir son calepin à côté de ses fiches de travail, il dessinait distraitement avant de se rendre compte que son œuvre ressemblait à s’y méprendre au serpent géant du lac. Une grimace de douleur vint se loger sur son visage et le professeur arriva auprès de sa table.
- Je pense que vous vous êtes trompé de cours Monsieur Trinyski. Lui souffla Monsieur Brewer en lui accordant un regard entendu.
- Excusez-moi. Grimaça de nouveau l’adolescent en refermant son calepin.
Tous ses camarades s’étaient retournés vers eux, estomaqués. Ils attendaient de voir comment les choses allaient tourner mais le professeur grogna.
- Vous n’avez rien de mieux à faire vous? Au boulot allez, plus vite que ça!
Chacun retourna à ses occupations et le professeur réquisitionna le carnet de Caleb en lui demandant de venir le voir à la fin du cours. A contrecœur il hocha simplement la tête, croisa le regard de Ted qui signifiait très probablement bon courage et l’adolescent attrapa son portable dans sa poche pour lui rédiger un message sur lequel était écrit “je suis foutu”. Son camarade à quelques pas de lui, sentit son téléphone vibrer, lu le message dans la foulée et se retourna vers lui en faisant un petit oui de la tête. La journée avait été compliquée de A à Z, c’était indiscutable.
Lorsque la cloche annonça enfin la fin des cours et de la journée, Caleb rangea lentement ses affaires alors que Ted sautait par-dessus sa table pour passer un bras autour de ses épaules et lui chuchota à l’oreille.
- Fais pas cette tête là, on dirait que tu as vu un monstre!
- Faut que je récupère mon calepin. La proviseure m’a déjà dans le collimateur et s’il lui vient aux oreilles que je me suis fait confisquer mon carnet pendant le cours de littérature, elle va m’envoyer en retenue jusqu’à la fin de ma scolarité! Marmonna-t-il en laissant son regard dériver vers la porte.
- Je t’adore Cal hein. Mais là, tu l’as cherché quand même! Ricana son ami en lui tapant dans le dos.
Il avait raison et l’adolescent bien que vexé ne pouvait pas dire le contraire. Il s’avança penaud vers son professeur tandis que son meilleur ami quittait la salle en levant son pouce pour lui souhaiter bonne chance. Monsieur Brewer se leva silencieusement, referma la porte avant de se tourner vers Caleb et lui montra le calepin qui trônait sur son bureau.
- Bien, j’imagine que vous comptez récupérer ceci.
- Je préfèrerais oui. J’ai beaucoup de mal à m’en passer. Assura Caleb d’un ton blasé en évitant soigneusement le regard de l’adulte.
- J’ai cru comprendre que vous aviez eu des soucis ce matin avec le professeur Hayes en partie à cause du fait que vous dessiniez pendant son cours. Est-ce vrai? L’interrogea le professeur sans une once d’animosité.
- C’est que je n’avais pas encore rattrapé l’Histoire et j’ai vite décroché donc…Ouai je me suis mis à dessiner mais là c’était pas pareil, je vous jure.
- J’ai vu que vous preniez des notes en même temps mais monsieur Trinyski, il faudrait vraiment que vous gardiez vos moments de créativité personnelle pour les cours du professeur Hughes.
Caleb ne put s’empêcher de sourire puis de rire légèrement. Relevant les yeux vers son professeur, il laissa échapper un petit soupir et répondit avec une timidité somme toute relative.
- Je sais bien que ce n’est pas agréable pour vous de me voir dessiner pendant vos cours et je suis vraiment désolé pour ça. En réalité, je ne sais pas comment l’expliquer mais ça m’aide à me concentrer. Y’en a qui mâchent les bouchons de leurs stylos et bien moi, je dessine. C’est loin d’être pour vous agacer ou vous manquer de respect.
- J’apprécie vos excuses et votre sincérité. Simple curiosité, que dessiniez-vous tout à l’heure? Hasarda le professeur en lui tendant son calepin.
- Oh, je ne sais pas trop, un mélange entre un serpent et un dragon aquatique. C’est venu assez spontanément! Articula Caleb en récupérant son précieux carnet.
- Du fictif alors! Intéressant! En tout cas ça avait l’air pas mal réussi, c’est bien d’avoir ce genre de passion, ça peut ouvrir des portes. Filez maintenant et essayez au moins de vous contenir un minimum, ou soyez juste plus discret!
Sans demander son reste, Caleb le remercia et fila directement dans le couloir où l'attendaient Ted et Blaise. Les garçons guettaient la moindre expression sur son visage et Caleb leur fit signe de le suivre dehors pour leur détailler son entrevue plus que satisfaisante avec leur professeur. Tous trois se mirent à rire largement, chahutant comme toujours en quittant enfin le bâtiment qui s’était vidé. Poignées de mains, larges sourires, Blaise leur faussa compagnie avant de partir en courant pour ne pas rater son bus et Caleb se figea. Près du portail se tenait Hateya, bras croisés, regard dans le vide, semblant l’attendre de pieds fermes.
Toujours escorté par son ami, Caleb se dirgea vers elle d’un pas assuré avant de ralentir son avancée quand la jeune femme lui lança un regard contrarié. Il n’avait aucune idée du pourquoi elle était restée là, se demandait même si elle avait vraiment passé l’après-midi ici mais se tourna vers Ted avec un sourire contrit.
- Bon mon pote, je te laisse, on m’attend.
- Sérieux? Mais c’est qui elle? Oh Cal’ ne te barre pas! Je te parle! C’est qui? Je veux tout savoir! Hurla Ted en le voyant rejoindre la jeune femme.
Hateya n’avait pas attendu qu’il soit à sa hauteur pour le rejoindre. Elle l'agrippa par le bras en l’entraînant en direction de la station de métro qu’ils avaient emprunté plus tôt dans la journée et siffla.
- Ça fait des heures que j’attends. J’ai eu beau tourner ton histoire d’orage dans tous les sens je ne comprends. Tu dois tout m’expliquer maintenant Waban. C’est très important!
- Mais lâche moi! Tu fais quoi là? Mon père m’attend, je lui ai promis de rentrer directement après les cours! S’insurgea Caleb en parvenant à la faire lâcher prise.
- Il peut attendre une heure de plus, moi non! Claqua-t-elle en lui faisant face.
- Non, cette fois tu vas devoir attendre. Donne moi ton numéro de téléphone, si tu veux je t’appelle ce soir et je t’explique. Mais aujourd’hui, c’est mon anniversaire et je dois rentrer.
En joignant la parole aux gestes, Caleb sortait son téléphone pour le tendre à la jeune femme qui secouait la tête en inscrivant son numéro. Ses prunelles s’embuèrent petit à petit alors qu’elle venait le prendre dans ses bras avant de lui chuchoter “j’espère que ce sera un bon anniversaire pour toi Waban. Appelle-moi dès que tu le pourras, c’est vraiment important, je t’assure.”
Je reprends enfin ma lecture et j'avoue que j'ai été surpris par le début de la scène où j'avais l'impression de ne rien apprendre de neuf car Caleb répétait à la proviseur ce qu'il avait vécu au chapitre précédent. Puis après j'avoue que je me suis laissé entrainer car en fait ma fille de 16 ans vit la même situation à l'école : elle a besoin de dessiner tout le temps pour se concentrer et on a dû négocier avec les enseignants pour qu'ils acceptent de la laisser faire ! Tu vois à quel point c'est un sujet qui me touche !
Et alors à la fin, pour moi, il doit y avoir plus de conséquences au fait qu'il fait trop attendre Hateya, on doit comprendre pourquoi elle est aussi pressée, voire elle pourrait vouloir l'accompagner chez lui ?
A bientôt pour la suite !
Tout d'abord je tiens à dire que je suis vraiment très contente de te retrouver!
Ensuite, oui, je suis tout à fait d'accord avec le fait que le début du chapitre soit un peu redondant et je cherche malgré tout un moyen de palier à ça en essayant d'en arriver au point que j'espérais.
Ensuite, disons que j'essaie d'aborder des sujets qui me touchent aussi personnellement et une part de moi est contente de voir que ces sujets pourront parler et/ou toucher d'autres personnes qui pourront s'y reconnaître.
Hateya l'a tout simplement attendu car elle souhaite des réponses mais elle sait qu'elle ne peut pas s'immiscer d'un coup non plus, ne serait-ce que vis à vis de James!
J'espère cependant que la suite saura te plaire.
A très vite!
J'ai beaucoup aimé ce chapitre c'est intéressant de voir le personnage se débattre avec sa vie de tous les jours qui continue. Tu fais un super boulot avec son "esprit d'adolescent" je trouve ça très réussi !
Quelques typos:
- "si sa colère montait crescendo" (si en trop ?"
- " je les ferais c'est pas grave" (ferai je pense)
- "j'accepterais la sanction" (j'accepterai)
- "les obligeaient" (obligeant ?)
- "lendemin" (lendemain )
- " si Caleb n'en menait pas large" (si ?)
- " à contre coeur " (contrecoeur)
- " , Caleb rangea lentement ses affaires alors que Ted sauta par-dessus sa table" (je pense que il y a un soucis avec sauta)
Comme toujours je te remercie du fond du cœur de prendre le temps de lire et de me faire tes retours qui sont toujours très constructifs! Et par ailleurs, je suis contente de réussir à transmettre autant son enfance que son adolescence!
J'ai quand même bien rigolé (et j'ai un peu honte), effectivement dans les propos de Caleb j'aurais dû utiliser le futur mais je crois que l'habitude de conjuguer à l'imparfait est tenace!
Je file faire ces petites corrections tout de même!
Encore un grand merci ;)