Hateya

Chapitre 10.

Caleb avait l’impression que le temps s’était arrêté, une boule dans la gorge il essaya de comprendre ce qu’il venait juste de se passer sous ses yeux. Jamais encore personne n’avait été en mesure de voir la créature qui déambulait souvent près de lui, et lui parler encore moins. Son cerveau tenta d’assembler ces faits comme des pièces de puzzle et encore sous le choc il bafouilla.

- Mais…Tu…Tu es qui au juste?
- Je suis presque vexée que tu ne le saches pas mais je vais être gentille et te pardonner Waban! Dit la jeune femme en riant.

Cette voix, il la reconnu subitement. C’était ardu pour lui de l’admettre mais il l’avait déjà entendu. Son nez se plissait tandis qu'il la dévisageait sans vergogne avant de souffler.

- C’est toi? Tu m’as déjà parlé n’est-ce-pas? Au lac…
- Enfin des paroles sensées. C’est déjà encourageant. Le taquina-t-elle gentiment avant de lui tendre sa cigarette.
- Peut-être, mais ça ne me dit pas qui tu es.

La réplique était venue bien plus cinglante qu’il ne l’avait imaginé mais la jeune femme ne s’en offusqua pas. Elle le vit lorgner sur la cigarette qu’elle lui tendait et se mit à rire lorsque dans un soupir il vint la lui prendre pour tirer dessus.
Ce goût, cette odeur, ça n’avait rien à voir avec celles de son père et fermant les yeux un instant Caleb secoua la tête.

- Tu peux au moins me dire ton prénom non? Histoire que je sache à qui je m’adresse?
- Je me nomme Hateya, fille de Angeni et Nahele.

Le ton de la jeune femme ne laissa aucun doute, Caleb le comprit aussitôt. Elle s’était présentée comme s' il devait en comprendre le sens profond mais il resta là à l’interroger du regard. Ces noms n’évoquaient rien pour lui et la jeune femme reprit subitement.

- Je vois, on ne t’a absolument rien dit. En même temps, est-ce si étonnant?
- Tu veux bien être un peu plus claire s’il te plaît?
- On pourrait aller ailleurs s’il te plaît? Je n’aime pas trop cet endroit, j’ai besoin de calme et je crois que tu vas en avoir besoin aussi. Rétorqua Hateya en récupérant sa cigarette qui se consumait seule.
- Le truc c’est que j’ai cours là! Et je…euh. Hésita Caleb en se retournant lentement vers le portail.

Hateya l’observa. Deviner l’état dans lequel il se trouvait face à elle n’était pas difficile mais elle prenait soin de ne pas le brusquer, du moins pas trop.
Le bruit des portes du bâtiment qui claquaient furent le signal de départ. Sans trop savoir pourquoi Caleb vint attraper le bras de la jeune femme pour qu’elle le suive et accéléra le pas. Si elle avait des réponses à ses questions, il voulait les avoir, tout de suite. Il ne parvenait plus à réfléchir vraiment, trop centré sur son besoin de vérité et ne ralentit qu’une fois le croisement de la rue passé. Il s’arrêta, souffla et désigna le métro d’un signe de tête.

- Central Park ou Skaneateles?
- Je ne connais ni l’un ni l’autre, à toi de voir ce que tu préfères. Haussa-t-elle les épaules.

L’adolescent arqua les sourcils à la réponse de la jeune femme. Qu’elle ne connaisse pas le lac Skaneateles pouvait passer mais Central Park! Qui ne connaissait pas Central Park? Secouant la tête, il lui fit signe de le suivre et atterrit bien des arrêts plus loin à proximité du célèbre parc New-Yorkais.

- Ben voilà, je te présente Central Park!
- Si on oublie que c’est pavé et entouré de buildings, c’est pas trop mal. Manqua-t-elle de s’étouffer.

Sa réaction n’étonna que peu l’adolescent qui avait toujours grandi dans cet univers. Il enfonça ses mains dans ses poches, commença à déambuler pour se diriger vers le lac. Il connaissait ce lieu par cœur à l’instar des habitants de la ville et guida la jeune femme jusqu’à trouver un banc libre pour s’y asseoir.

- Tu as été bien silencieuse tout le trajet mais c’est bon. On est tranquille alors vas-y je t’écoute.
- Je crois que nous allons faire les choses autrement. Que sais-tu sur ta famille Waban? L’interrogea-t-elle en plantant son regard dans le sien.
- Sur ma famille? Tu veux bien être plus précise?
- La famille de ta mère. Nirvelli.

Entendre le nom de sa mère dans la bouche d’une personne qu’il ne connaissait pas jusqu’à ce jour lui fit l’effet d’une gifle magistrale. Caleb serra les dents, déglutit lentement et laissa son regard se perdre sur la surface calme du lac. Respirer lentement, retrouver un semblant de sérénité lui apparucomme étant la meilleure chose à faire et il parvint à articuler à mi-voix.

- Je sais que mon père et elle se sont rencontrés il y a des années. Qu’elle était la fille d’un chaman d’une tribu nord-amérindienne. Que son peuple et surtout son père n’était pas d’accord quant à leur union et qu’elle a décidé de couper les liens avec eux quand ils se sont mariés. Je sais aussi qu’elle, enfin mon père m’a dit qu’elle faisait beaucoup de rêves qui la dérangeaient. Qu’elle avait souvent peur et que quand elle a disparu, les recherches n’ont jamais rien donné. Personne ne sait où elle est, ni quoi que ce soit. Elle s’est volatilisée.

Sa voix s’était cassée à mesure de ses paroles. A aucun moment il n’avait accordé un regard à la jeune femme qui lentement était venue prendre sa main dans la sienne. Elle compatissait à sa douleur, à sa peine et chuchota.

- Tadi me parle de toi depuis des années. On se demande encore pourquoi et comment tes dons se sont déclarés à la disparition de Nirvelli mais ils sont là, en pleine ébullition. Ils ne demandent qu’à être utilisé et valorisé. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu, comment dire…
- Les rêves? Les voix? Les créatures? Tu crois que je ne me suis jamais posé de questions là-dessus? Lâcha-t-il en tournant la tête vers elle avant d’ajouter. Ça fait deux fois que je t’entends parler de Tadi, qui est-ce?
- Bien, j’imagine que c’est à mon tour de parler. Je vais essayer d’être concise et d’utiliser les bons mots. Pour répondre à ta dernière question, Tadi Yahto est notre chaman. Notre grand-père à tous les deux. C’est lui qui dialogue avec toi depuis que tu es tout petit.

Elle marqua un temps d’arrêt, lui fit signe de se taire en voyant qu’il s’apprêtait à lui poser une question et continua sur sa lancée.

- Les rêves que tu fais ne sont rien d’autres que des messages ou des signes que les Grands Esprits t’envoient en permanence. Tadi a un énorme pouvoir en tant que chaman et bien que ce ne soit pas simple, il a réussi à te contacter. Il voulait s’assurer que tu ailles bien mais il n’est plus tout jeune et ce genre de pratique lui demande beaucoup d’énergie c’est pourquoi il a demandé au Maymaygwashi de veiller sur toi et d’être, comme vous dîtes ici, le pont entre toi et nous?
- Comment a-t-il su pour ma mère? La coupa finalement Caleb.
- Les Grands Esprits, ils lui ont dit qu’une chose terrible lui était arrivée. Mais le message disait aussi que seul le futur chaman de la tribu serait à même de lui venir en aide et c’est toi!
- Attends qu’est-ce que tu me racontes là! J’ai pas l’intention de devenir chaman ou je ne sais quoi! Je veux juste retrouver ma mère et vos histoires, c’est vos histoires! Tu as bien réussi à me faire le coup de la voix quand j’étais au lac donc tu es tout à fait capable de remplir ce rôle qui a l’air de te tenir à cœur! Je suis désolée Hateya, mais vos trucs c’est pas pour moi!

La jeune femme n’eut aucune réaction à ses paroles, à croire qu’elle s’était attendu et préparé à cette réponse. Sa tête se balança lentement de haut en bas et elle reprit d’un ton monocorde.

- Les Grands Esprits sont formels et pour ce qui est de moi, je suis incapable de tenir ce rôle. Il devait revenir à Nirvelli car, bien qu’elle fut plus jeune que ma mère, elle était des deux la seule qui possédait les capacités nécessaires. Moi, les miens sont biens faibles et seulement le résultat de longues années de travail avec Tadi dans le seul but de pouvoir te joindre et t’aider.
- Mais tu as vu le Maymaygwashi tout à l’heure, tu lui as même parlé non! C’est pas un de vos tours? S’agaça-t-il en se dandinant sur le banc. !

- Non, pas du tout, je ne le voyais pas vraiment, je sentais juste le pouvoir de Tadi autour de lui et je savais qu’il était là. Mais toi, tu le vois vraiment, n'est-ce pas? Tu vois chaque créature comme tu me vois maintenant?

Confronté à cette réalité, Caleb arracha sa main de celle d’Hateya. Il grimaçait légèrement en se massant les tempes et acquiesça.

- Je les vois. Je peux les toucher comme elles peuvent me toucher. Mais je ne vois pas en quoi ça ferait de moi un chaman. Et en plus, si je peux retrouver ma mère, ce sera elle qui deviendra votre chaman, non?
- Tu as encore bien des choses à apprendre. En quittant la tribu, elle a renoncé à sa place auprès de nous. Je ne l’ai pas connu mais ma mère, sa sœur, m’a toujours parlé d’elle, Tadi aussi. Chacun espère qu’elle se porte bien, malgré qu’elle ait trahi son peuple.
- Hateya, je suis né à New-York. J’ai toujours vécu et grandi ici. Ma mère est partie de votre coin je ne sais où là bas dans le grand Nord et tu crois que j’aurais plus ma place qu’elle là-bas? Y’a aucune logique, je ne connais rien à votre vie, à vos coutumes et tout ce qui s'ensuit et à moins que vous ne parliez tous l’anglais couramment, on risque d’avoir un sérieux problème de communication!
- Je constate que nous sommes passés d’un non catégorique à des questions pratiques. Sourit-elle vivement. Mais chaque chose viendra en son temps, ne t’en fais pas pour ça.

Caleb lui lançait un regard de travers, se rendant compte subitement que son téléphone vibrait dans son sac, il l'attrapa avant de grimacer. Cinq appels en absence, deux de son père qui lui avait laissé un message vocal et les autres de Ted ainsi que trois sms de ce dernier qui lui demandait où il était et pourquoi il n’était pas en classe avec eux. Le jeune homme pâlit sur le champ, écoutant alors le message de son père, il décala le téléphone de son oreille en l’entendant hurler sur son répondeur et soupira.

- En attendant j’ai d’autres problèmes à régler et ça, c’est aussi ma réalité. Je suis dans une sacré merde!
- C’est ton père? C’est James! S’écria-t-elle en regardant le jeune homme qui effaçait le message de son répondeur et écrivait à son ami pour lui dire de ne pas s’en faire.
- Ouai, c’est mon père. Il a eu un coup de fil du lycée pour lui dire que j’avais écopé d’une retenue et qu’en plus je ne m’y étais pas présenté. Il ne le prend pas vraiment bien. Je ne vais jamais pouvoir lui demander que mes potes viennent à la maison Mercredi, c’est foutu!

Hateya le regarda un court instant perplexe avant d’éclater de rire. Ses problèmes de lycéen étaient à mille lieues des vrais problèmes qu'il allait rencontrer plus tard. Elle secoua la tête, ses longs cheveux bruns ondulant sous le soleil et pressa doucement son bras. 

- Comptes-tu lui parler de notre rencontre.  Je ne suis pas certaine qu'il appréciera mais tu ne pourras pas le lui cacher, du moins pas longtemps.

- Pour l'instant je vais seulement essayer de limiter les dégâts. Est-ce que tu m'imagines lui dire que j'ai souhaité mettre un visage sur les voix que j'entendais et que tu as débarqué au lycée comme ça. Déjà qu'il a du mal à comprendre que je puisse voir et entendre des orages que les autres ne perçoivent pas alors là ce serait la totale.  Je n'aime pas l'idée de lui mentir mais je crois que c'est pour son bien. Si jamais je parvenais à retrouver ma mère je pense qu’il me pardonnera cette erreur de jeunesse.

Les mots de Caleb ne tombaient pas dans l'oreille d'un sourd. Hateya le fixa longuement en pleine réflexion. De quoi parlait-il au juste lorsqu’il évoquait l’orage? Ses sens en pleine ébullition elle ferma les yeux, écouta les murmures du vent et darda un regard inquisiteur sur son jeune cousin.

- Les Grands Esprits évoquent de mauvaises choses en ce qui concerne ces orages. Explique moi de quoi il en retourne exactement.
- Est-ce que tu m’as écouté? Mon père est furieux! Ça fait presque deux heures qu’on est là alors que j’étais censé être en cours et si j’y vais pas je risque de passer un sale quart d’heure.
- Bien, alors on retourne à ton école! Commanda Hateya en se levant d’un bond.
- Quoi? Comment ça “on”? Tu ne vas pas me suivre quand même!

La jeune femme fit mine de ne pas l’avoir entendu, d’un signe de tête elle lui fit comprendre qu’il devait avancer et se dirigea vers le métro en lui souriant. Qu’il le veuille ou non, désormais elle était là et il devrait composer avec, pour le bien de tous.