À travers New L.A.

Jezebel n’avait pas menti : elle conduisait juste assez bien pour qu’aucun flic ne vienne nous emmerder, mais avec une fureur mesurée, qui nous faisait avancer vite. Assise devant, j’observais le rétroviseur nerveusement, en quête d’un signe. Dog faisait pareil à l’arrière, nos regards se croisaient sans s’attarder.

Plusieurs minutes ont passé. On était pas loin de quitter le quartier, direction le centre-ville. J’ignorais où l’on s’arrêterait, mais une chose était sûre : c’était trop tôt pour le dire.

- Les voitures du Nœud. Elles sont censées être vertes, non ?

J’ai acquiescé : Jezebel n’était pas censée connaître cette info, mais c’était loin d’être le moment idéal pour le lui faire remarquer. Au moment où je commençais à relâcher ma vigilance, la voix de Dog a résonné dans l’habitacle.

- J’en vois une, à 5 heures. Elle vient d’arriver.

Le feu devant nous est passé au rouge, forçant Jezebel à s’arrêter. Dans le rétroviseur, j’ai fini par repérer la caisse dont Dog parlait, loin mais dans la même file que nous. Sans trop y croire, j’ai lancé :

- Ça peut juste être une voiture ordinaire.

Le feu est passé au vert, et Jezebel a démarré avec une nervosité qui se voyait uniquement dans la brutalité de ses gestes.

- C’est ce qu’on va vérifier.

Je n’avais jamais vu la ville comme ça. Après le centre-ville, on a traversé un autre quartier pour débarquer à Quartz City. Notre route n’avait pas été linéaire : Jezebel avait fait des tours et plusieurs détours pour voir si la voiture verte continuait de nous suivre. Tourné de façon à observer l’arrière de la route, Dog a grogné :

- Elle est toujours là...

- On va sortir de la ville et la semer.

J’ai tourné la tête pour contempler Jezebel, dont le visage s’était crispé. Puis, d’un coup, alors qu’on passait dans un carrefour, j’ai vu une autre voiture s’engager dans notre tronçon. Elle n’était pas du même modèle que l’autre mais abordait la même couleur et les mêmes vitres teintées. Tout en fouillant dans mes poches, j’ai énoncé :

- On a de la compagnie.

Mon flingue était chargé, assez pour descendre des gars face à face. J’ai senti le regard de Jezebel sur moi.

- Range ça, putain. On a des vitres renforcées, ce sera leur cas aussi.

- Ça me rassure, ok ?

Elle m’a répondu par un rire sec, sans aucune forme de joie. Depuis la banquette, Dog a adressé un doigt à nos poursuivants. Sans prévenir, Jezebel a tourné sec et s’est engagée dans une bretelle au dernier moment, débarquant devant une voiture familiale qui a freiné sec avant de klaxonner furieusement. Mon cœur a fait une embardée dans ma poitrine et je me suis accrochée à la portière. Le virage s’est renforcé, la route défilait plus vite alors qu’au-dessous de nous, la côte apparaissait.

Un paysage qui aurait paru sublime, en d’autres circonstances.

D’un geste sec, Jezebel a ajusté son rétroviseur et un sourire a étiré ses lèvres. Derrière, l’une des voitures s’était perdue. Alors qu’elle appuyait sur l’accélérateur, un flash a éclairé la route derrière nous.

Derrière nous, la voiture verte a accéléré aussi, passant entre les véhicules pour nous rejoindre. Alors que je signalais ce fait à Jezebel, cette dernière a fait rugir le moteur et notre caisse a bondi en avant. L’océan, éclairé par un soleil sanguinolent, a succédé à la plage.

Et c’est là que tout est arrivé.

Quand je me souviens de la scène, elle m’apparaît au ralenti. D’abord le panneau qui indique l’intersection, puis les signaux, les bruits de klaxons. Le feu était orange, mais Jezebel est passée quand même.

C’est là que l’autre voiture a débarqué sur le côté, fonçant sur la nôtre.

Je n’ai pas eu le temps de hurler, même si je me rappelle que j’ai ouvert la bouche. La suite est extrêmement chaotique, emplies de sensations floues dont je peine à me souvenir précisément. Je sais juste qu’il y a eu un bruit gigantesque, tôle froissée et métal qui cède.

Puis, partout dans mon corps, un choc incroyable suivi du néant complet.