Ainsi passa le premier printemps chez les loups. Peu d'autres incidents furent à déclarer, malgré un rythme soutenu que Berin supportait difficilement. Malgré tout, il grandissait vite et commençait à égaler la taille de Svär sans que celui-ci même ne s'en rende compte. L'entraînement entre le jeune ours et le maître de la forêt se poursuivait et jamais, à aucun instant, Berin pouvait avoir le dessus, même en grandissant. Svär le dominait de toute sa force, par toute sa splendeur sombre. Néanmoins, après des nuits d'entrainements incessants, Svär et Mooie accordèrent au jeune ours un temps de repos sans ressentir le besoin de s'expliquer. Ceux-ci vivaient leur mois d'amour et, très proche l'un de l'autre, pouvaient passer des nuits entières seuls. La nourriture n'était plus à manquer et chaque loup était en mesure de se trouver facilement de la nourriture. Berin passa ces quelques jours et nuits de repos avec Moed. La jeune louve n'était pas encore totalement indépendante mais se débrouillait bien. Elle passait des nuits entières avec Äanstrij, et Berin quand celui-ci le pouvait, à chasser le lapin, sans jamais réussir à en attraper un seul.
Mais sa joie de vivre semblait presque être revenue. Tout du moins, si elle se laissait moins abattre, elle ne redevint jamais la louveteau insouciante que Berin avait connu. Fière et belle, de ses yeux clos, elle semblait pourtant pouvoir dominer le monde. Elle savait exactement où se trouvaient ses proies sous le sol, comme si elle ressentait toutes les vibrations de la terre sous ses pattes. Sa seule difficulté était de pouvoir marcher discrètement. Berin, qui avait désormais fait pendant des jours et des jours des tours entier du territoire, aurait souhaité lui donner sa mémoire du terrain pour l'aider. Quand ils chassaient ensemble le petit gibier, alors, ils faisaient équipe : Moed lui indiquait silencieusement où se trouvait la petite souris ou le lapin. Lui, d'un coup de patte habile, déblayait le sol. Il suffisait d'un seul de ses coups pour que la colonne vertébrale se brise. Mais le hululement de joie de la jeune louve se sentant utile valait pour lui toutes les proies du monde.
Svär, quant à lui, fut sur cette saison plus combatif que jamais. En cette saison plus qu'une autre, il devait affronter les jeunes mâles rêvant de prendre sa place. Ainsi Duistärnis fut remis plus d'une fois à sa place par le grand loup noir. Ses entraînements quotidiens avec Berin finirent par reprendre assez rapidement quand Mooie quémenda un peu de solitude et que tous les jeunes loups eurent leur leçon, à la grande tristesse de Moed. Les affrontements entre Svär et Berin devenaient de plus en plus intenses, presque dangereux. Emporté par la rage de vaincre l'adversaire, ceux-ci oubliaient parfois qu'ils étaient alliés et, transportés par une rage ancestrale, oubliaient de rentrer leur griffes, de casser leurs dents avant qu'elles s'enfoncent dans la chair. Berin gouta au sang de Svär plus d'une fois. Mais ce ne fut jamais de façon volontaire : car dès qu'il sentait cette liqueur amère dans sa bouche, il s'éloignait aussitôt et mettait fin à la bataille. De toute la meute, il faisait partie des rares mâles qui ne voulaient pas succéder son loup. Pourtant beaucoup de membres de la meute, voyant sa taille grandissante, devenaient de plus en plus suspicieux. Ils craignaient de voir leur meute dirigée par cet ours-loup. Rien ne l'en interdisait dans les règles, néanmoins tout hurlait aux loups d'évincer cet étranger avant que Svär tombe sous sa force.
« Berin, viens ici ! »
C'était Mooie, aux yeux ternis comme de fatigue, qui l'appelait alors que le printemps commençait à bruler sous le soleil. Celui-ci, docile, obéit.
« Je porte en moi les prochains guerrier de la meute. Je souhaite que tu me promettes que tu les protégera toujours au péril de ta vie.
– Est-ce vrai ? »
La louve grise eut un geste assentiment. Heureuse de faire honneur à sa meute une nouvelle fois, elle semblait rayonner au milieu de la forêt.
« Je jure sur mon nom que tous tes petits seront en sécurité et que j'en ferais ma priorité, bien avant ma propre vie.
– Ta vie aussi m'est précieuse, Berin. Je t'interdis de la gâcher inutilement. »
Touché, le jeune ours commença à marcher autour du refuge avec elle. Elle continua :
« Les loups ici ne se rendent pas compte de tout ce que tu peux nous apporter...
– Je ne sais pas si tu es totalement partiale. Comme tout évènement, j'ai apporté son lot de problème et de fautes sur le clan.
– Pourtant, tu seras peut-être celui qui le sauvera. »
Berin resta silencieux, et Mooie eut un geste de tendresse, comme celui, lointain, d'une mère perdue. L'ennemi, comme par miracle, ne s'était que très peu manifesté au cours du printemps. Il se rapprochait, lentement, pour autant ne semblait pas passer à l'attaque. Pour autant la meute semblait nerveuse, comme si de sentir un ennemi sans jamais l'attaquer rendait impatient de voir enfin ce qui les effrayaient. Pour Berin, la situation n'était pas bien compliquée. Être soumis à un ennemi ne le dérangeait pas. Tout ce qu'il comptait, au fond de lui, était de vivre sa vie, sans inquiéter personne.
– Mooie... »
Ce grognement presque hésitant parvint aux oreilles de la jeune louve avec beaucoup d'étonnement. Bien qu'il arrivait désormais parfaitement à se faire comprendre, il était rare de vraiment l'entendre.
– Mooie, répéta-t-il, qu'est-il arrivé à ma mère ? Pourquoi m'a-t-elle confié à vous ? Est-ce en rapport avec cet ennemi qui nous menace depuis déjà tant de temps ? »
La louve grise s'immobilisa, sans rien paraître. Néanmoins, Berin senti sa gêne. Elle le regarda dans les yeux : son regard noir inexpressif était toujours autant une énigme pour elle.
« Je suis désolée, Berin, avoua-t-elle sincèrement, je ne peux t'en dire plus sur cette affaire. Nous avons juré à la meute de ne rien dire.
– Pourquoi ? Que s'est-il passé ?
– Ecoute, Berin… Tout ça est passé, et n'est pas si important. Désormais seule ta vie de loup compte, et nous t'aimons comme tel. Il n'est pas forcément utile de fouiller le passé, tout ce qui compte c'est ta vie actuelle, et ce qui est.
– J'aimerais quand même savoir si d'autres êtres comme moi existent. J'aimerais pouvoir, moi aussi, comme toi, créer une famille. »
Mooie eut un air parfaitement désolé.
« Berin, c'est un privilège réservé uniquement aux loups dominant, tu le sais bien…
– Ce que je sais, aussi, c'est que l'on ne me dit pas tout, murmura le jeune ours en se rappelant les paroles lointaines du corbeaux. Mais ce n'est pas grave. Je vivrais ma vie de toute façon comme il faudra. »
Sentant comme un vague sentiment d'amertume émaner du jeune ours, la louve grise eut des mouvements de tendresse maternelle très poussé. Malgré le peu de temps qu'ils passaient ensemble, Mooie était ce qui se rapprochait le plus de l'idée d'une mère pour Berin. Elle était la seule qui semblait vraiment en mesure de comprendre les sentiments forts que Berin avait eu besoin de ressentir quand il était ourson, et qu'il avait brusquement perdu sans comprendre la raison. Alors que celui ci se laissait porter par un grand sentiment de tendresse, l'un comme l'autre se redressèrent brusquement. Un hurlement de détresse avait retenti. Un cri de Moed. Le cœur de Berin décolla. Sans même réfléchir à sa dominante il courut en direction de l'appel. D'autres cris résonnèrent, des cris inconnu. Une bataille semblait faire rage. Mooie n'était plus capable de courir vite, ce fut alors seul que Berin fit face au massacre.
L'Ennemi avait bien été là. Il ralentit en apercevant la jeune louve. Celle ci tremblait de tous ses membres, en proie à une pure terreur. Tout autour d'elle, le sol était jonché de cadavre étranges, dont Berin ne semblait n'avoir jamais vu l'espèce dans la forêt. Puis, effaré, il resta figé. Devant ses yeux, le placide Äanstrij, le calme, l'Ancien, le sage, réduisait en charpie les ennemis restant, un à un. Son œil vert lançait des éclairs de rage. Tout son pelage était couvert du sang de l'ennemi. Avant même que Mooie les rattrape qu'il ne restait des humains que de la bouillie ensanglanté. Berin tenta d'éloigner ses yeux du carnage et demanda à Moed :
« Que s'est-il passé ? Tu es blessée ?
– On… On chassait juste le lapin.. et… alors qu'on le poursuivait… Il s'est fait tué par.. par Eux.. Ils ont tenté de nous attaquer… Et…
– Äanstrij. »
Le dominant s'était montré. Comme si il ne remarquait pas la charpie dont avaient fait ses ennemi le vieux loup, Svär s'approcha de lui avec gravité. Äanstrij, le visage encore couvert de sang, se lécha les babines.
– Svär. Comme tu peux le constater, le danger se rapproche.
– Sont-ils fort ?
– Un autre que moi aurait été tué. Ils ne s'attendaient pas à tomber sur nous. Un combat préparé pourrait nous être fatal. »
Svär se rapprocha tendrement de sa louve, constata qu'elle n'avait rien avec douceur.
« Désormais, ma louve, reste au refuge quoi qu'il se passe. Tu ne dois prendre plus aucun risque jusqu'à la naissance des petits. »
D'un geste doux elle acquiesça. Sans plus de parole, le couple de dominant rentrèrent sans demander leur reste.
« Moed ! Déclara Äanstrij d'une voix autoritaire. Rentre au campement. Va prévenir le clan de l'incident. Nous devons désormais être sur nos gardes. »
Moed s'enfuit sans même prendre le temps de réfléchir. Berin, encore impressionné par la force de l'Ancien, ne put que demander.
« Qui es-tu ?
– J'étais l'ancien loup dominant du clan. Änstrij le combattant. Rentrons nous aussi, Berin. Espérons que ceux là étaient seuls... »
D'un pas lent, redevenant l'Ancien que Berin avait toujours connu, celui-ci s'avança vers le refuge. Berin insista.
« Tu étais le loup de tous avant que Svär prenne le pouvoir ?
– Exactement. Je fus le premier Ancien de l'histoire de la meute capable de garder son statut après avoir eu l'âge d'un Ancien. Néanmoins… Un jour Svär, m'a provoqué en duel dans les règles de l'art, m'a battu et m'a laissé un beau souvenir de sa victoire. »
D'un mouvement de queue, il indiqua son œil.
« Tu ne lui en a pas voulu ?
– Pourquoi ? Il était plus fort, plus grand, plus jeune que moi, il a gagné, ce n'est que justice. Il a fait ma confiance en la loyauté du clan et m'a laissé en vie, en échange de quoi je le soutiendrais dans ses décisions pour la meute, et cela ne m'a jamais dérangé. Svär est un bon meneur, peut-être meilleur que celui que j'ai pu être dans le passé.
– Svär serait-il capable de tuer un ours ? Demanda soudainement Berin. »
Etonné par sa question, l'Ancien eu un temps d'hésitation.
« Qui sait ? Je n'ai jamais vu d'autres ours avant toi, petit Berin. Il pourrait sans doute te tuer sans aucun souci, mais tu n'es plus un ours. Alors je ne saurais dire. »
Perplexe, Berin ne rajouta rien de plus.
Une fois rentré au refuge, Mirga lui sauta dessus, paniquée.
« Notre Louve est en train de mettre bas ! »
La nouvelle se répandait dans la meute comme un feu de poudre. Les chasseurs se préparaient à partir sans leur meneur pour rapporter de la nourriture aux nouveaux-nés. Un autre groupe, éclaireurs, étaient prêt à partir patrouiller pour sécuriser la zone. Alors que Berin était prêt à partir avec les chasseurs, Snäew l'arrêta.
« Il faut que quelqu'un reste au refuge pour protéger Notre Louve si nous échouons. Reste près de la tanière de Mooie, s'il te plait. »
Voyant que son frère Räegen commençait à partir avant tout le monde, le loup gris n'eut pas le temps de rester plus longtemps, devant s'occuper d'un louveteau à taille adulte.
Berin se dirigea donc lentement vers la tanière de Mooie. Svär, perché au dessus, montait la garde d'un air nerveux. Moed, semblant elle aussi désœuvrée, s'assit près de Berin. Svär accepta avec clémence leur présence, là ou d'ordinaire la présence d'autres loup à ce moment pouvait se conclure sur une bataille. La jeune louve brisa le silence.
« Je pense qu'ils sont trois.
– Comment le sais-tu ? Demanda Svär, impatient.
– Je ne sais pas, je le sens. »
Il était interdit, même pour le loup dominant, de rentrer dans la tanière de sa louve pendant une lune après la naissance des petits. Elle non plus ne sortait pas de la tanière durant toute cette période. Svär n'aimait jamais ce moment. Des petits cris strident commencèrent à s'échapper de la tanière.
« Trois, annonça Svär, laconiquement. »
Les trois animaux partagèrent d'un seul coup le même sentiment d'oisiveté. Ils n'avaient aucune idée de comment agir. Moed s'éloigna alors retrouver Äanstrij. Il fallait que la nouvelle circule.
Il s'en passe encore des choses dans ce chapitre-ci !
J'avoue par contre avoir rencontré un peu plus de difficulté de lecture cette fois. Contrairement aux précédents chapitres qui avaient un rythme vraiment parfait, ici je ne suis pas sûre...
Peut-être est-ce simplement le temps accordé ou non à peaufiner la narration et le texte ? En tout cas les premiers paragraphes m'ont semblés un peu rapides peut-être, ou pas toujours parfaitement tournés, j'ai cru voir pas mal de formulations un peu maladroites, plus que d'habitude.
Aussi, je n'ai pas bien compris pourquoi Mooie ne pouvait rien dire du tout à Bérin sur sa mère. C'est surtout le fait que sa mère ait été mangée par la meute qui est un secret à garder, mais elle avait bien été tuée par l'ennemi, pourquoi faire un secret de cette première partie-là ?
J'ai bien aimé par contre la cassure de rythme très forte avec ce combat très soudain contre l'ennemi, c'est bien amené : )
Et sinon j'ai aussi mal compris je crois le timing du retour au refuge. Mooie part juste avant Bérin et l'ancien, or il est dit qu'elle ne peut pas se déplacer très vite. Ils devraient donc être vraiment très proches sur le trajet de retour et arriver quasi en même temps, non ? Et pourtant elle a eut le temps de rentrer et de commencer à mettre bas comme si le retour de l'ancien et de Bérin avait pris beaucoup plus de temps que le sien, j'ai trouvé cela étrange, je ne suis pas sûre que le timing soit bon, mais peut-être que j'ai mal compris quelque chose, à voir ^^"
Sinon j'aime toujours autant les choix de scénario et les éléments présents dans ce chapitre ! C'est vraiment plus la narration que j'ai trouvée peut-être moins "fine" ou moins juste que d'habitude, presque précipitée... mais c'est peut-être une simple impression, je te laisse voir lors de la relecture ^^"
Mooie pour moi c'est moins qu'elle ne "peut pas" qu'elle ne veut pas, et qu'elle se trouve donc des excuse. Mais sans doute pas assez bien refleté x)
Promis je vais travailleeeer x)