Dans le train du matin, il y a d’abord ce type. Costard, la quarantaine, à la voix acoustique, petite bedaine, ancien beau gosse, gominé, au front légèrement ridé. Il est sans gêne, téléphone à l’oreille. Il parle fort, saccage notre confort. Il nous abreuve de ses problèmes, de sa femme qui l’emmerde, de ses collègues incompétents, des chinois envahissants, des russes envahisseurs. Il se croit seul. Il est seul. Nous profitons de sa conversation, hautaine et autoritaire, il oublie que nous existons. Il éructe, il vocifère, sourd aux perturbations de toutes les autres conversations, téléphoniques.
Et il y a ceux qui écoutent AC/DC.
Ça rentre et ça sort. A chaque arrêt, un nouveau pèlerin. Ils courent vers leur pauvre sort, ils attendent leur triste quotidien, chaque jour le même, chaque jour pareil. Ça se réveille, ça rentre et ça sort. Je la vois cette petite mort. Ça rentre et ça sort et ce soir, retour vers une femme et l’amour ou vers quelques vices exutoires.
Et puis il y a ceux qui écoutent AC/DC.
Ce matin, je suis cerné par des messieurs tout le monde. Chaque matin, ils se retrouvent et refont le monde. Pour rassurer leurs existences, leurs convictions, ils partagent leurs opinions. « Ils vont nous détruire avec leur argent madame ! » « Oh oui vous avez raison, c’est un drame ! » « Il ne faut pas qu’il se laissent faire et qu’ils continuent la grève, monsieur ! » « Exactement, mais il vaut mieux une manif, ainsi mon train pourra rouler, notre temps est si précieux ! » « Bien sûr ».
Et puis il y a ceux qui écoutent AC/DC.
Aussi loin que porte mon regard, ils sont tous connectés, tous hagards. Il n’y a que cette femme, en face de moi qui s’installe. Ce matin elle n’a pas eu le temps. Peut-être est-elle une maman, encore une amante ? Petit dej’ pour la famille, café pour le mari, courir pour choper le train de sept heures six. Le train n’attend pas, madame ! C’est comme ça, de Bagdad à Paname. Alors elle nous partage son rituel. Sur la tablette, elle pose mascara et rimmel. Elle dessine un Eyeliner, il faut que je regarde ailleurs. Touche finale en traçant un joli sourire, qui au coin des lèvres vient mourir. Rapide transformation, subtil maquillage, c’est bizarre, ca rime avec camouflage. Votre journée peut commencer, madame, je garderai ce secret gentiment partagé, qu’avant d’être une façade, vous étiez une mère, une femme.
Peut-être écoute-t-elle AC/DC ?
Il y a de plus en plus de monde promenant leur trottinette électrique. Ils prennent trois places et emmerdent toute la clique. Ils emmerdent les trottoirs, ils emmerdent les piétons, ils emmerdent la route et emmerdent les détracteurs. Ont-ils oubliés qu’ils savaient marcher. Sont-ils déjà perdus, croyant sauver notre terre, assistés de quelques électrons qui finiront par empoisonner nos océans. Ou bien, sont-ils simplement fainéants !
Heureusement, il y a ceux qui écoutent AC/DC.
Ce matin, je suis bien. Scred à l’oreille, installé à l’aise. Café dans une main, mon texte dans l’autre, balèze, quand le haut-parleur nous balance que pour raison de maintenance notre train ne roulera pas à fond.
Ça râle et sa souffle dans le wagon. Mais ce n’est pas très grave, nous aurons quelques minutes de rab, avant d’entrer à l’usine, de redevenir les servants de la machine, du système et bouffer de la routine, des engrenages de l’écosystème industriel, bourreurs de fichiers Excel, pour que chaque jour l’inflation, nous appâte avec toujours un peu plus de promesses de réussite et de pognon !
Et moi,
J’écoute AC/DC.